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Joseph Cohen, un Juif errant

    

Joseph Cohen, un Juif errant

Par Noga Tarnopolsky

 

 

Un Juif Israélien, descendant de l'Inquisition, a reçu la nationalité espagnole. Voici son histoire.

S’il est un être humain qui peut incarner ce que signifie être Juif au 20ème siècle, c’est bien cet homme ordinaire, Joseph Cohen (60 ans), un kibbutznik originaire du centre d'Israël.

Cohen, surnomé Yossi, fait partie d’un petit nombre de Juifs d’origine ibérique, à qui la nationalité espagnole a été donnée, 500 ans après que leurs ancêtres ont été expulsés d’Espagne durant l’Inquisition.

Pour Cohen et beaucoup d'autres, 500 ans n’est pas une période assez longue pour oublier. Interrogé sur l'importance que représente pour lui cet événement, Cohen a répondu à The Media Line : "bien sûr, c’est une justice historique".

Une loi adoptée à Madrid en octobre dernier va accorder d‘ici trois ans la nationalité espagnole à tous les descendants de Juifs espagnols qui le demandent.

Après leur expulsion d'Espagne en 1492, les Juifs d'Espagne ont fui vers l'Italie, l'Afrique du Nord et l'Empire ottoman et se sont ensuite dispersés dans d'autres parties du monde au cours des siècles.

L’homme au franc parlé est né dans ce qui était à l’époque le Congo belge (aujourd'hui la République démocratique du Congo). Son père, Roberto Cohen, était l’aîné d'une famille juive de Rhodes, en Grèce.

A l'époque, il était courant que les enfants des grandes familles aillent dans les "cités coloniales" pour faire fortune, explique-t-il,. Le père de Cohen était citoyen italien, à l’époque où Rome contrôlait l’île de Rhodes, entre les deux guerres mondiales.

La mère de Cohen, Matilda Menashe, n'a pas eu cette chance. Après la conquête allemande des îles grecques pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a été, comme presque tous les Juifs de Rhodes, envoyée à Auschwitz. Elle a été l'une des rares personnes à survivre.

Après la guerre, alors qu’elle n’avait nulle part où aller, ni de famille pour la recueillir, elle pu trouver refuge au Congo, grace à sa citoyenneté italienne.

Après la naissance de Yossi, la famille s’établit en Israël. Mais au début des années 1970, Mathilde a perdu sa nationalité italienne après avoir fait une demande de visa américain pour aller visiter sa sœur. On lui a alors signifié qu’elle devait renoncer à son passeport italien.

C’est ainsi que Yossi Cohen, alors mineur, a perdu sa nationalité de naissance, obtenue grace à sa mère, d'une façon qu’il ne comprend toujours pas.

"Lorsque nous avons immigré en Israël, nous avons utilisé nos passeports italiens", dit Cohen, toujours amer.

"Les tentatives de ma mère pour retrouver sa nationalité italienne, puis les miennes, ont toutes échouées. Les autorités italiennes ont insisté sur le fait qu’en raison du visa américain, nous avions tous perdu notre nationalité . Je pense qu'ils avaient peur des revendications liées à la Shoah de la part des citoyens qui avaient tout perdu", raconte-t-il.

Niccolo Manniello, le consul de l'ambassade d'Italie à Tel-Aviv, explique que jusqu'au début des années 1990, l'Italie n’autorisait pas la double nationalité, et que des milliers d'Italiens l’ont perdu “par inadvertance”.

Mais l’Histoire a ses rébondissements poétiques. Yossi a fait ainsi partie du premier groupe de personnes qui ont reçu la citoyenneté espagnole lors d'une cérémonie solennelle organisée la semaine dernière à la maison de l'ambassadeur d'Espagne en Israël.

Manuel González Garagorri, le nouveau consul d'Espagne à Tel-Aviv, s’est chargé d’organiser cette cérémonie, sans précédent protocolaire.

Le diplomate a raconté à Media Line son émotion d'avoir participé à cette cérémonie.

"J'ai eu le sentiment qu'ils ne retrouvaient pas seulement quelque chose pour eux-mêmes, mais qu'ils rendaient un hommage à leurs ancêtres. Il y avait des gens très âgés qui n’auront pas vraiment la possibilité de faire usage de cette citoyenneté. Mais pour eux, la possibilité de 'revenir à Sefarad' (Espagne en hébreu, ndlr) leur donne un sentiment de mission accomplie vis-à-vis de leurs propres ancêtres. Pour les jeunes, bien sûr, cela va maintenant leur donner quelque chose qu’ils pourront à leur tour donner à leurs enfants et petits-enfants ".

González a dit avoir trouvé “vraiment poignant, et presque impossible à saisir" le fait que la cérémonie puisse avoir eu lieu entièrement en espagnol.

"Cela m'a donné la chair de poule de voir ces gens dont les ancêtres ont subi ce qu'ils ont subi, mais qui ont conservé leur hispanisme, la langue et la culture espagnole des centaines d'années plus tard."

Pourquoi Yossi Cohen, un Israélien bien établi, a-t-il passé une grande partie de sa vie à essayer d'obtenir un autre passeport?

"C’est pour mes enfants, pas pour moi”, dit Cohen. "Je ne sais pas ce qui se passera dans ce pays et je veux que mes enfants aient une alternative".

"Je ne suis pas inquiet à propos de la sécurité", a-t-il expliqué. "Mais l'atmosphère ici, les ultra-orthodoxes qui ne font pas le service militaire et cette guerre que le gouvernement a déclaré au pluralisme et aux valeurs laïques de l'Etat. Je ne sais vraiment pas ce qui va arriver".

Un Juif errant? Coché.

Touché par l'Holocauste? Coché.

Marqué par la vie itinérante des réfugiés? Coché.

Un kibbutznik israélien? Coché.

Angoissé par situation précaire en Israël? Coché.

Un nouvel ancien citoyen d'un empire qui a expulsé les Juifs? Coché.

Mesdames et Messieurs, je vous présente Yossi Cohen, le Juif ordinaire contemporain.

Cet article a été écrit par Noga Tarnopolsky pour le site The Media Line. Il est publié avec l'aimable autorisation de Ynet

    

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