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L’assaut contre Raqqa va débuter dans quelques heures

L’assaut contre Raqqa va débuter dans quelques heures (info # 010606/17) [Analyse]

Par Perwer Emmal, à 5km de Raqqa © Metula News Agency

 

L’assaut final contre Raqqa, la capitale de l’Etat Islamique (alias DAESH, IS, ISIS) est désormais imminent. Je me trouve avec les unités des Forces Démocratiques Syriennes (FDS) qui progressent par l’Ouest, à moins de 5 kilomètre de la lisière de Raqqa. Ce sont ces unités qui ont pris le contrôle complet du barrage d’al Baath le weekend dernier, ainsi que de la ville d’al Mansurah, la dernière cité d’une certaine importance qui se trouvait encore entre les FDS et la capitale de DAESH en Syrie (voir la carte jointe).

 

Hier (lundi) et aujourd’hui, 5 villages supplémentaires aux mains de l’ennemi sont tombés après des affrontements intensifs. Ces agglomérations se situent principalement au nord de Raqqa.

 

A l’est de la ville, des hommes du génie consolident des ouvrages enjambant deux petits cours d’eau dans la région de Samra, afin que ces ponts puissent soutenir le passage de matériel lourd. Les positions des miliciens islamiques se trouvent à une cinquantaine de mètres plus loin, mais ils sont soumis à de très denses bombardements d’artillerie.

 

A une vingtaine de kilomètres du front on assiste à une concentration de moyens et d’hommes comme on n’en avait encore jamais vue dans le Rojava. Hormis au sud de Raqqa, la cité est totalement encerclée, les FDS se trouvant au contact entre 6 et 3 kilomètres du périmètre urbain.

 

Pour la première fois, en vue de cet affrontement décisif, l’Amérique nous a livré du matériel lourd, en particulier des transports de troupes blindés et des chars. Ces derniers ne sont pas de la dernière génération, ni même de l’avant-dernière, mais ils nous seront très utiles tout de même dans les combats à venir.

 

Ce matin, l’aviation coalisée a pris pour cible un ferry rempli de fuyards qui tentaient de traverser l’Euphrate au sud de Raqqa. Pratiquement tous les occupants de l’embarcation ont péri dans l’attaque, soit environ 25 personnes. On ignore s’il s’agissait de civils ou de déserteurs, ou encore d’un mélange des deux. Il est également plausible que des miliciens islamiques aient abandonné leurs armes et se soient déguisés en civils. De toutes les manières, ce massacre constitue un signal fort destiné à ceux qui pensaient pouvoir s’exfiltrer impunément par le seul point cardinal dépourvu de combattants des FDS.

 

On m’a explicitement demandé de ne pas m’étendre sur les détails des armes remises aux assiégeants afin de ne pas exciter davantage le gouvernement turc qui voit ces livraisons d’un très mauvais œil. Le commandement U.S a d’ailleurs émis un communiqué précisant que cet armement n’était destiné qu’à servir contre l’Etat Islamique.

 

Cette annonce a même été accompagnée de la menace de cesser immédiatement ces dotations au cas où les Kurdes seraient pris à les transférer sur d’autres fronts, notamment face à l’Armée turque et à ses supplétifs issus d’autres organisations islamistes à l’instar d’al Qaëda.

 

Mais cette rhétorique ne correspond pas avec l’ambiance fraternelle qui règne entre les combattants qui se préparent à donner l’estocade. L’Aviation U.S intervient sans cesse contre des positions islamistes dans la ville et à ses abords, où les miliciens disposent encore d’une petite dizaine de points d’appui au nord de l’Euphrate, de plus en plus isolés.

 

L’artillerie yankee et celle des FDS tirent également sans discontinuer, provocant des panaches de fumée dans le camp adverse. Au sol, les commandos américains ont maintenant dépassé le millier d’hommes et ils sont intimement imbriqués, quoique sous commandement distinct, avec les forces régionales. Il me semble aussi distinguer, en nombre largement plus réduit, des forces spéciales britanniques, françaises et peut-être allemandes, qui s’apprêtent à conquérir des objectifs pré-désignés lorsque l’ordre d’ouvrir le feu sera donné.

 

Un responsable kurde de la communication m’a également prié de mentionner – toujours pour ne pas irriter les Turcs qui ne sont pourtant pas dupes – le plus souvent possible que les Forces Démocratiques Syriennes participent d’un cocktail d’Arabes et de Kurdes, dans lequel les Arabes seraient plus nombreux. Si des confrères se plient à cette injonction, ce n’est pas mon cas, ne serait-ce qu’en raison du respect que nous devons à ceux qui suivent nos informations.

 

On nous a dit de répéter à l’envi que les Arabes sont désormais majoritaires dans les FDS, ce qui n’est pas vrai. Je dirais que les Unités de Protection du Peuple kurde, les YPG, représentent toujours plus de 70% des effectifs et 80% du commandement. Depuis dix jours, on nous demande de parler abondamment des Forces d’Elite Syriennes, du Cheikh Ahmad Jabra, en les mentionnant si possible avant les Forces Démocratiques Syriennes, en laissant supposer qu’il s’agit d’une puissante organisation arabe distincte des FDS.

 

Ce n’est pas vrai non plus, ce sont des bédouins [arabes. Ndlr.] de la tribu des Chamars, présents dans l’est du Rojava et de l’autre côté de la frontière irakienne. Non seulement leur nombre ne dépasse pas deux cents au grands maximum dans la bataille de Raqqa, sur 20-25 000 combattants, mais ils se sont fondus, en septembre dernier, dans les Forces Démocratiques Syriennes, guerroyant sous le même drapeau.

 

Un grand optimisme prévaut dans les rangs des combattants qui encerclent Raqqa. La plupart d’entre eux estime que DAESH est à bout de souffle, que nombre de ses chefs sont morts, et qu’ils ne tiendront pas une semaine face à une telle armada au moral aussi élevé. Inutile de préciser que ce point de vue est très subjectif et que j’aimerais pouvoir partager leur état d’esprit.

 

Ils n’iront cependant pas au combat le cœur léger, car de mauvaises nouvelles sont parvenues de l’arrière. Ainsi, très loin d’ici, à 200km, l’Armée turque et ses supplétifs islamistes ont lancé des dizaines d’attaques dans le nord du Rojava, notamment dans l’enclave d’Afrin. Depuis le début mai, plus d’une centaine de Peshmerga sont ainsi tombés sous les obus ottomans et de nombreux civils sont tués ou blessés.

 

En plusieurs points du Rojava, pendant que les FDS sont occupées à liquider l’Etat Islamique, le régime de Bashar al Assad, le Hezbollah, mais particulièrement les Iraniens et leurs milices chiites irakiennes tentent de tirer profit de l’agonie de DAESH afin de réaliser des gains territoriaux, voire de s’approcher de Raqqa et Deir Ez Zor pour, tels des charognards, s’adjuger une partie du butin.    

 

L’évènement le plus grave s’est déroulé dans le Nord-Est, dans la province de Hassaké, lorsque l’une de ces milices, franchissant la frontière avec des blindés, s’était emparée, le weekend dernier, de deux villages kurdes en Syrie. Ce mardi, je n’ai pas encore réussi à savoir comment cela avait évolué : si les porte-flingues de Téhéran ont été éconduits militairement, s’ils ont quitté notre territoire après des négociations, ou si la situation n’a pas encore muri.

 

Face à Raqqa, le haut commandement des FDS songe déjà aux batailles qui l’attendent après la prise de la cité, que ce soit contre les Turcs ou pour empêcher les ayatollahs de créer un axe terrestre reliant leur capitale à Bagdad, Damas et Beyrouth. En fait, il ne leur reste plus qu’à s’aménager un corridor entre Bagdad et Damas, en mettant à profit l’anéantissement des islamistes sunnites des deux côtés de la frontière grâce à l’intervention de la coalition internationale.

 

Autre nouvelle triste : à 175km en plein est de Raqqa, deux véhicules suicides de DAESH se sont fait exploser devant un poste de commandement de l’aile féminine des YPG, tuant neuf combattantes et en blessant plusieurs autres.

 

Ce n’est visiblement pas après la chute de Raqqa que les Peshmerga pourront rentrer chez eux.

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