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La manière française de gagner une élection

La manière française de gagner une élection(info # 010304/17)[Analyse]

Par Amram Castellion© MetulaNewsAgency

 

Dans les élections démocratiques aux résultats incertains, une tactique fréquente pour emporter la victoire est de cibler une catégorie précise d’électeurs qui, si elle entend un discours correspondant parfaitement à ses préoccupations, se mobilisera de manière suffisamment intense et uniforme pour faire passer au candidat la ligne d’arrivée.

 

Ainsi, lors des élections américaines de 2012, la classe ouvrière de l’Ohio avait été convaincue par un martèlement de publicités que le candidat Républicain, Mitt Romney, était un milliardaire ignorant les soucis du peuple. Quatre ans plus tard, un autre milliardaire, Donald Trump, a convaincu la classe moyenne appauvrie du Middle West américain qu’il allait apporter, par le protectionnisme et la limitation de l’immigration, une réponse à son déclin économique.

 

Pour l’élection présidentielle française, dont le premier tour aura lieu le 23 avril prochain, le groupe clé qui fera pencher la balance n’est pas un groupe socio-économique, mais idéologique. Il regroupe les électeurs de la droite modérée – environ un cinquième d’entre eux – qui sont si gênés, ou choqués, par les révélations des derniers mois portant sur le goût excessif de l’argent de François Fillon, qu’ils envisagent sérieusement d’abandonner pour s’abstenir ou pour voter pour le candidat de centre gauche, Emmanuel Macron.

 

L’existence de ce groupe cible peut être conclue en deux chiffres. Le dernier sondage en date (Europe 1, 1er avril), donne 19% d’intentions de vote à François Fillon. Par rapport au nombre des Français qui se déclarent idéologiquement de droite, il manque entre 4 et 5% de l’électorat total.

 

D’autre part, parmi les 25% qui déclarent vouloir voter pour Macron, 16 à 18% de plus que pour les autres candidats déclarent pouvoir encore changer leur choix (37% parmi les soutiens de Macron contre 19% pour ceux de Marine Le Pen et 21% pour ceux de Fillon). Soit, là encore, entre 4 et 5% de l’électorat qui (au-delà des 20% d’incertains communs à tout l’électorat), peuvent plus spécifiquement être définis comme des soutiens fragiles et réversibles du candidat Macron.

 

Ces 4 à 5% de l’électorat total vont décider le 23 avril qui, de Fillon ou Macron, affrontera Marine Le Pen lors du dernier tour, le 7 mai suivant – et, dans presque toutes les hypothèses envisageables, gagnera contre elle et remportera la présidence.

 

La création de ce bloc paradoxal d’électeurs– qui se définissent comme appartenant à la droite, mais envisagent de voter contre le candidat de la droite et pour un candidat de centre gauche – est le résultat d’une double manœuvre politique qui, même si elle a aussi profité de circonstances heureuses, démontre un talent indéniable de la part de la part de François Hollande, actuel occupant de l’Elysée.

 

L’idée d’une candidature d’Emmanuel Macron – alors jeune ministre, presque inconnu, de l’Economie – est initialement apparue à une époque où Hollande était convaincu qu’il serait lui-même candidat. Le président était impopulaire, mais bénéficiait de l’autorité de sa fonction et de l’appui du parti socialiste. Il a estimé qu’une candidature d’ouverture au centre de son jeune ministre apporterait un bloc de voix modérées qui pourrait, au deuxième tour, se reporter sur lui.

 

Ainsi encouragé par son chef, Macron a, en parallèle, courtisé les principaux hommes d’influence de la presse française : Vincent Bolloré, propriétaire du groupe Havas ; Patrick Drahi, un géant du câble que Macron, comme ministre, avait soutenu dans son achat de l’entreprise de télécommunications SFR ; Xavier Niel, un autre Tycoon de la communication, copropriétaire du Monde et détenteur de participations dans de très nombreux autres organes de presse.

 

Armé de ces soutiens, Macron a fait l’objet, pendant toute l’année 2016, d’un bruit médiatique grandissant. Pourtant, à l’époque du moins, la floraison d’articles ne se traduisait pas encore par des intentions de vote importantes dans l’électorat français. Chacun pensait encore que le président Hollande allait se représenter et que la candidature Macron ne serait, à gauche, qu’une candidature d’appoint, une finesse tactique.

 

Tout a changé – et c’est là que la chance a joué pour Macron un rôle essentiel – entre le 1er décembre 2016 et le 29 janvier 2017. La première de ces dates est celle où le président Hollande, confronté à des sondages qui ne lui laissaient aucune chance de gagner la primaire de la gauche, a renoncé à se représenter. La deuxième est celle de ces primaires, lorsque les militants ont rejeté la candidature sérieuse et modérée de l’ancien Premier ministre Manuel Valls et se sont donné pour candidat le représentant de l’aile gauche du parti, Benoît Hamon – un candidat non seulement incapable d’attirer le centre, mais piètre tacticien et exceptionnellement mauvais orateur.

 

Dès lors, Macron – entièrement inconnu quatre ans plus tôt, manquant manifestement de l’expérience nécessaire pour exercer les fonctions présidentielles, et qui venait de créer un parti ne comptant aucun élu – devenait le seul candidat à pouvoir représenter la gauche modérée et gestionnaire, qui est l’un des grands courants de pensée du spectre électoral français. Sa candidature, tout à coup, pouvait donc être considérée par l’électorat comme une proposition sérieuse.

 

Restait cependant un obstacle majeur : après cinq ans de présidence Hollande, la gauche était affaiblie et discréditée. Macron pouvait enfin prétendre à la troisième place. Mais, pour arriver au second tour contre Le Pen, il devait surmonter l’impopularité du gouvernement sortant et démotiver les électeurs de droite.

 

C’est alors que s’est mis en place l’autre volet du plan imaginé par la gauche de gouvernement pour conserver le pouvoir malgré son bilan impopulaire. A partir du mois de février, un dossier établi avec soin à partir de documents confidentiels s’étalant sur plus de vingt ans, a commencé à filtrer à la presse française. Ce dossier montrait que le candidat de la droite, François Fillon, ne s’est pas appliqué à lui-même la politique de rigueur budgétaire et de responsabilité qu’il propose au pays. Lorsqu’il était député, il a salarié sa femme et ses enfants pour des tâches dont les articles de presse contestaient la réalité. Il s’est laissé offrir par des amis des cadeaux de prix : montres, costumes. Il semble même avoir demandé à sa fille de lui rembourser, sur les salaires reçus dans l’emploi qu’il lui avait obtenu, le coût de son mariage.

 

Que Fillon paie un coût politique après ces révélations, c’est de bonne guerre. Il n’est jamais bon de montrer un écart trop important entre sa personnalité publique et sa vraie nature. Beaucoup plus inquiétant, pour le fonctionnement même de la démocratie française, fut, à cette occasion, le comportement de la justice.

 

En décembre 2013, François Hollande avait créé une nouvelle institution judiciaire, le Parquet National Financier. Cette institution a compétence pour poursuivre les dossiers complexes relatifs à la fraude fiscale, à la corruption et aux affaires boursières. Elle a eu l’occasion de poursuivre des personnalités de droite comme de gauche. Mais il est difficilement discutable que, nommé exclusivement par le président Hollande, le parquet financier est composé de personnalités proche de son camp politique. Le premier substitut du parquet financier, Ariane Amson, est d’ailleurs l’actuelle conseillère juridique du président Hollande.

 

En moins de vingt-quatre heures après la première révélation relative à l’emploi par le député Fillon de son épouse, le parquet financier a décidé de se saisir du sujet. La rapidité de cette saisine est aussi surprenante, dans un pays où les justiciables se plaignent de la lenteur habituelle de la justice, que l’était le motif juridique choisi : « détournement de fonds publics », un grief qui ne peut s’appliquer, selon toute la jurisprudence, qu’à un ordonnateur ou un comptable. Or, les députés (ce qu’était Fillon à l’époque) ne sont ni l’un, ni l’autre : les sommes qui leur sont attribuées sont considérées comme un moyen de garantir le bon fonctionnement du parlement et ne relèvent pas du contrôle de la Cour des comptes.

 

En d’autres termes, le parquet financier a agi à la fois avec une rapidité incompréhensible et sur une base juridique extrêmement fragile – comme s’il cherchait moins à appliquer l’Etat de droit qu’à gêner politiquement le candidat de l’opposition. La même rapidité exceptionnelle a été le fait, le mois suivant, du juge d’instruction saisi pour suivre l’affaire, Serge Tournaire. Le choix du juge Tournaire était déjà peu compatible avec le besoin qu’a la justice de donner une image d’indépendance : ce juge a déjà mis en examen l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, sur dix chefs d’inculpation différents, qui ont donné lieu à dix non-lieux (trois chefs d’inculpation supplémentaires attendent encore un jugement). Dans le cas Fillon, alors que les juges d’instruction (Tournaire compris) demandent presque toujours des mesures d’instruction supplémentaires après avoir reçu le rapport de police, Tournaire a choisi de n’en rien faire et de décider immédiatement la mise en examen du candidat. Tout se passe comme si, là encore, il cherchait moins à monter un dossier juridiquement solide qu’à faire subir à Fillon le plus grand dommage politique possible.

 

L’ensemble de ces comportements de la justice peut aisément conduire à conclure que la justice française, indépendante en droit du pouvoir politique, se comporte en pratique en associée du pouvoir exécutif dans la persécution de candidats de l’opposition. C’est là l’un des dysfonctionnements les plus graves qui peuvent subvenir dans une démocratie – une menace directe sur la nature démocratique même du pays.

 

L’effet politique de cet apparent dysfonctionnement de la justice, pour le candidat favori des sondages, est ambigu. Il est probable qu’une partie des électeurs de droite qui ont rallié Macron, tout en étant dégoûtés par la vénalité de Fillon, sont mal à l’aise devant la persécution judiciaire dont sa femme et lui font l’objet.

 

Personne ne peut prévoir comment le conflit entre ces deux préoccupations se traduira dans le secret des urnes, le 23 avril. Mais il y a d’autres indices qui montrent qu’Emmanuel Macron pourrait être plus faible que les sondages le laissent entendre.

 

Toutes les études quantitatives montrent que ses partisans sont moins actifs sur les réseaux sociaux que ceux de Fillon, pourtant placé loin derrière lui dans les sondages. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour s’inquiéter du flou du programme de Macron et de sa nette tendance à vouloir plaire à tous sans jamais trancher. Le candidat lui-même se réfugie de plus en plus souvent derrière des déclarations confuses et dénuées de sens, comme s’il craignait plus que tout de dévoiler ce qu’il représente vraiment – ou de révéler qu’il ne représente rien. Enfin, il plane sur les sondages un doute persistant, venant du fait que tous les instituts de sondage français comptent, parmi leurs propriétaires, des partisans déclarés de Macron.

 

Tous ces indices ne sont, pour l’instant, que des points de faiblesse dont l’impact politique réel ne peut pas être mesuré. Fillon a bien commencé à remonter dans les sondages, mais c’est plus un frémissement qu’un renversement de tendance. Macron reste le favori, et Fillon a moins de trois semaines pour le rattraper. Mais si les résultats du 23 avril lui étaient nettement plus favorables que ne l’ont été les sondages, personne en France ne serait réellement surpris.

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