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Le FN suscite toujours le malaise des institutions juives

Par Marc de Boni - Le Figaro

À l'occasion d'une énième tentative de rapprochement avec des représentants de la communauté juive, les responsables du FN ont dû marquer leur distance avec Frédéric Chatillon, proche de Marine Le Pen. Le Crif, lui, refuse toujours tout contact avec le parti frontiste.

Pour le Front national, obtenir le soutien de la communauté juive ou du moins faire cesser son hostilité historique, relèverait d'un aboutissement sur le chemin de la «dédiabolisation» que voudrait impulser Marine Le Pen. Valeurs historiques de la pensée d'extrême droite en France, l'antisémitisme et le négationnisme ont largement contribué à façonner la mauvaise image dont pâtit encore le parti auprès de certaines franges de l'opinion. On comprend dès lors mieux les efforts déployés par les cadres du Front national, à quelques semaines de la présidentielle, pour apporter des gages à la communauté juive et tenter de prouver que la page est désormais tournée. Ainsi, ce mercredi 8 février, deux responsables FN ont répondu à l'invitation de la Confédération des juifs de France et des amis d'Israël (CJFAI), une organisation décriée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), qui refuse tout contact avec le FN. «Le cordon sanitaire autour du Front National est un impératif républicain auquel les Juifs sont attachés, parce qu'ils savent qu'en protégeant la République, il protège les Français juifs», assure Francis Kalifat, président du Crif.

Ce petit-déjeuner de travail organisé Chez Françoise, une table bien connue des habitués de l'Assemblée nationale, était organisé, comme le relate Le Monde, par deux les meilleurs entremetteurs du parti de Marine Le Pen auprès de la communauté juive. Le premier, Richard Abitbol, président du CJFAI et homme de réseau un temps proche du B'nai B'rith* - sorte de franc-maçonnerie juive -, est un habitué des dirigeants FN. Il assume depuis 2015 l'idée que «le passage à l'acte du vote Front national n'est plus un sacrilège». On trouvait également à cette rencontre Michel Thooris, un syndicaliste policier proche de la LDJ et responsable de l'Union des patriotes français juifs, régulièrement présenté comme «le juif du Front national».

Collard et Aliot, ambassadeurs du FN auprès des juifs

Côté FN, on trouvait le vice-président frontiste Louis Aliot, qui revendique régulièrement sa proximité avec la communauté juive pieds-noir, dont il se revendique descendant. À ses côtés, le député Gilbert Collard, infatigable pourfendeur de l'antisémitisme et défenseur d'Israël. Pour parfaire le tableau, étaient présents Nicolas Lesage, directeur de cabinet de Marine Le Pen, et Jean-Richard Sulzer, l'un des conseillers économiques de la candidate. Mais ce sont surtout les absents qui sont venus troubler la quiétude de cette manifestation de bienveillance réciproque. Après avoir affirmé que «depuis 2011, le FN n'est plus ce qu'il était» et salué l'absence de remarques antisémites chez Marine Le Pen, Richard Abitbol a tout de même soulevé une question fâcheuse pour les adeptes de la dédiabolisation: «Il y a encore des gens peu fréquentables au FN, comme M. Chatillon ou des proches de Rivarol. Que comptez-vous faire avec ces personnalités qui dérangent?»

Une réflexion qui intervient trois jours après que le même Frédéric Chatillon ait été à l'origine d'une polémique qui a entaché les assises présidentielles de Marine Le Pen à Lyon. Il s'est rendu le samedi soir dans une soirée identitaire durant laquelle des propos antisémites, tenus par d'autres individusont été enregistrés et diffusés par le site Buzzfeed. A ses côtés ce soir-là, une autre figure sulfureuse de l'entourage proche de Marine Le Pen, le conseiller régional Axel Loustau. Comme le racontent les journalistes David Doucet et Mathieu Dejean dans La politique malgré elle (La Tengo), ces hommes au parcours mouvementé ont noué leur amitié avec la présidente du FN à l'université, lorsqu'ils étaient tous deux membres du Groupe Union Défense (GUD), célèbre groupuscule universitaire d'extrême droite. Outre leurs fréquentations éloignées du visage que voudrait montrer le FN, Chatillon et Loustau sont au cœur de la société Riwal, société de communication prestataire du FN au coeur d'une affaire de surfacturations. Ces deux intimes de la candidate lui soufflent conseils et stratégies, tout en jouant un rôle déterminant dans les circuits financiers du parti. Au sein de cette «GUD connexion», vient s'ajouter l'influent Philippe Péninque, conseiller de l'ombre non encarté et personnage clé de l'entourage proche de Marine Le Pen.

Les anciens du GUD, un boulet pour l'image

L'évocation de Frédéric Chatillon par le président du CJFAI n'a pas manqué de semer le malaise chez Gilbert Collard et Louis Aliot. Chacun a tenu à marquer de nettes distances avec cet ami de Marine Le Pen, qui s'affiche volontiers «chez lui» dans les grands rendez-vous du parti. «Les cons qui comptent, il faut les virer. Et les cons qui ne comptent pas il faut les virer, parce qu'ils polluent», a estimé Gilbert Collard, selon Le Monde, en soulignant «ne pas connaître» Chatillon. «Les gens qui sont discutables, je suis pour qu'on les vire. Chatillon, personnellement, (…) Il ne serait pas là, on se porterait beaucoup mieux». Louis Aliot lui-même a tenu à marquer ses distances avec cet indéboulonnable proche de sa compagne: «Il est un extérieur qui pose problème dans certains milieux, je le conçois. Mais il n'a, en tout cas pour moi, aucune influence dans la politique et dans l'idéologie politique qui sous-tend notre programme. Je veux que ce soit très clair».

Au-delà de ces questions relatives à l'entourage de la candidate du FN, une autre anicroche montre que la base frontiste non plus n'est pas tout à fait lavée de l'antisémitisme, malgré les efforts en ce sens. Dimanche 5 février, l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) a pu tourner une vidéo, vue plus de 250 000 fois, et qui sème un nouveau malaise au sein de la communauté juive. «Nous avions prévu un tractage à la sortie de la salle où Marine Le Pen tenait son discours à Lyon, avec SOS Racisme notamment, pour dénoncer le bilan du FN dans les mairies qu'il a conquises. Face à la violence de l'hostilité qui nous était manifestée par les personnes qui entraient et sortaient du Palais des congrès, nous avons décidé de filmer», affirme Sacha Ghozlan, président de l'UEJF. Complotisme, négationnisme, et autres préjugés: les discours recueillis auprès de ces personnes se revendiquant sympathisantes du FN, parlent d'eux-mêmes.

La persistance de ce malaise entre le monde juif et le FN a encore pu se mesurer lors du récent voyage de Nicolas Bay en Israël, fin janvier. La plupart des responsables politiques locaux l'ayant rencontré à cette occasion ont refusé de couper publiquement le cordon sanitaire qui isole toujours le parti.

Modification du 10/02/2016 - Ajout de la position du B'nai B'rith

Auprès de la radaction du Figaro, le B'nai B'rith a tenu a faire savoir que le contact a finalement été rompu avec Richard Abitbol, dont les positions sont apparues incompatibles avec celle de l'organisation. Dans un communiqué paru ce vendredi matin, le B'nai B'rith insiste à son tour sur son clair refus de dialogue avec le parti de Marine Le Pen: «le B'nai B'rith condamne avec force la rencontre qui s'est récemment tenue entre des responsables d'une association juive et des dirigeants du Front National, une rencontre inqualifiable qui démontre un manque de sens de responsabilité politique des ses initiateurs et une tentative d'instrumentalisation des Français Juifs par le Front National». Auprès du Figaro, Richard Abitbol conteste ces positions de la direction du B'nai B'rith dont il affirme faire encore partie, en tant que mentor de la loge de Saint-Mandé (Val-de-Marne).

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