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Moïse savait où il allait

 

Moïse savait où il allait (info # 011912/12) [Analyse]

Par Stéphane Juffa © Metula News Agency

 

Qu’est-ce que cherche à obtenir Binyamin Netanyahu ? Trois semaines à peine après avoir lancé un plan de peuplement dans la zone E1, dans l’intention non dissimulée de couper la Cisjordanie en deux, le gouvernement israélien a annoncé son intention de construire 1 500 nouveaux logements à Jérusalem-est, dans le quartier de Ramat Shlomo.

 

Avant d’entrer dans le cœur de la polémique, il convient de relever ce que répètent les alliés politiques du 1er ministre, prenant l’air étonné face à la réaction de la communauté internationale et de l’opposition domestique ; à savoir que tous les gouvernements de l’Etat hébreu ont toujours, depuis 1967, construit à Jérusalem.

 

C’est exact, et cela fut effectivement le cas des divers cabinets, qu’ils furent de droite ou de gauche. En fait, ces programmes d’extension, bien qu’ils ne soient pas approuvés à l’étranger, ne constituent pas réellement la nouveauté dans la démarche de la coalition actuellement aux affaires.

 

Ce qui est original, c’est la publicité qui est désormais volontairement donnée à ces projets. D’ailleurs, les Etats-Unis, dans le communiqué marquant leur désapprobation, ne s’y trompent pas, c’est cette provocation qu’ils dénoncent principalement, bien davantage que les constructions elles-mêmes : "(…) Ces annonces répétées et les plans concernant les nouvelles constructions vont à l’encontre de la cause de la paix".

 

Le porte-parole du Département d’Etat accuse ainsi Israël de s’être engagée "dans une dynamique d’actions provocatrices en contradiction avec les déclarations des responsables israéliens arguant qu’ils étaient engagés à faire la paix".

 

Il serait difficile de prétendre que les Américains se trompent, car il est objectivement impossible de discerner la moindre initiative de Netanyahu allant dans le sens du dialogue constructif parallèlement aux annonces concernant les nouvelles implantations.

 

Ce qui continue à nous déranger le plus manifestement, en notre qualité d’observateurs des actions des uns et des autres, reste l’absence totale de projet pour la Cisjordanie et les "Cisjordaniens" de la part du président du Conseil et de ses amis politiques.

 

Tout ressemble à des décisions prises sans réflexion stratégique suffisante, dans le seul but d’obtenir le plus de sièges possible à la Knesset à l’issue des élections générales anticipées de janvier.

 

On distingue, dans la foulée, l’intention d’occulter le débat socio-économique, qui travaille pourtant les électeurs, en l’écrasant sous la polémique de l’avenir de Jérusalem et des territoires de Judée et Samarie.

 

Certes, face à une opposition morcelée et anémique, l’enjeu, pour le Likoud, consiste maintenant à s’assurer la majorité la plus nette possible au sortir des urnes.

 

Pour y parvenir, Bibi ne fait pas dans la dentelle ; cela pourrait être de bonne guerre si cela servait un plan structuré, et surtout, si la facture qu’Israël va devoir payer au lendemain du vote n’était pas aussi salée qu’elle ne l’est.

 

Car pour asseoir la majorité de l’actuel 1er ministre, le pays pourrait bien avoir à subir des dommages aussi profonds que durables. D’abord au niveau de l’image que nous donnons à l’extérieur, qui est celle d’un Etat extrémiste et arrogant, insensible aux prières de nos meilleurs alliés ainsi qu’aux attentes des Palestiniens. L’image que l’actuel gouvernement est en train de nous fabriquer est celle d’une nation que la paix n’intéresse pas et qui agit comme si elle était seule au monde. Netanyahu se comporte effectivement comme s’il était Moïse dirigeant le peuple élu et que le reste de la planète n’était constitué que d’un ramassis de barbares.

 

Il oublie en passant que ce sont les barbares qui nous fournissent les avions nous permettant de survivre et qui viennent de remplacer les missiles que nous avons utilisés durant le Pilier de défense.

 

Il omet, dans son aveuglement - un peu comme François Hollande croit qu’il peut contrebalancer les lois de l’économie de par sa seule volonté -, que notre sécurité passe essentiellement par l’intégration de notre industrie, de notre high-tech et de nos universités dans le système global ; et que, hors ce système, notre pérennité n’est pas assurée.

 

Or, à la prochaine annonce de constructions dans les territoires, ou à l’occasion de celle d’après, l’Union Européenne va suspendre la négociation en cours des accords de libre échange et de coopération scientifique. A l’annonce suivante, l’UE va finir par dénoncer les accords existants, ce qui porterait un coup critique à toutes les activités menées en Israël.

 

Les Etats-Unis, pour leur part, vont devenir encore plus désagréables qu’ils ne le sont déjà, et se feront tirer l’oreille pour nous fournir les équipements militaires dont dépend notre avantage qualitatif sur nos nombreux ennemis. Au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Amérique oppose déjà son veto à contrecœur sur les résolutions présentées en notre défaveur. Les Européens ne se donnent même plus cette peine.

 

Certes, nous n’évoluons pas dans un univers angélique, et le Président Obama ne nous laissera pas tomber à Manhattan, ce, aussi longtemps du moins qu’il aura besoin des bonnes grâces des Républicains à la chambre pour éviter de tomber de la "falaise". Des Républicains qui sont les plus fervents – les seuls ? – soutiens d’Israël à l’extérieur de ses frontières.

 

Mais il est périlleux, en politique, d’avoir des alliés par contrainte et non par choix, car quand les constellations changent, l’animosité demeure.

 

Et il n’est que de constater que les deux autres grands pays qui nous ont soutenus aux Nations Unies lors du vote sur la Palestine, le Canada et la République tchèque, ont fait connaître à nos ambassadeurs à Ottawa et à Prague leur sérieux mécontentement au regard des provocations itératives de Bibi. C’est le même désaveu que celui que Mme Merkel avait signifié au 1er ministre il y a deux semaines à Berlin. Au rythme des affronts inutiles de Netanyahu, nous allons bientôt nous retrouver seuls.

 

Pour résumer le point de vue de l’opposition politique en Israël, on peut citer dans la masse ce que dit le député travailliste Eitan Cabel : "Les déclarations irresponsables de Netanyahu, essentiellement motivées par une campagne électorale cynique aux dépens du public, nous conduit dans une réalité portant atteinte aux intérêts cruciaux d’Israël".

 

Ce à quoi les bardes du Likoud répondent en chœur que tous ceux qui ne suivent pas aveuglément le chef sont des gauchistes aplatis devant les volontés antisémites de l’étranger et prêts à partager Jérusalem. Ce qui, en ce qui concerne les formations de centre gauche et de centre droit, ne saurait être plus mensonger.

 

Avec le populiste Lieberman, qui vient de devoir rendre son tablier de ministre après avoir été inculpé pour un "délit majeur", qui s’emploie à tirer des parallèles entre la situation qui prévaut actuellement et celle qui régnait en Europe à l’encontre des Israélites avant l’éclatement du Second Conflit Mondial. Si cette comparaison controuvée n’était pas aussi préoccupante, on en rirait.

 

Israël que nous connaissons et aimons, telle que nous l’avons vécue jusqu’à maintenant, n’est pas le pays que s’affairent à édifier Netanyahu et Lieberman. Jusqu’à présent, les partis au pouvoir étaient à la recherche du consensus national, ce n’est plus le cas ; ils gouvernent sur le strict principe de la majorité parlementaire à propos pratiquement de tous les sujets.

 

Ils attentent aussi à la sacrosainte liberté de la presse en Israël, qu’aucun cabinet de ce pays n’a jamais remise en cause, en s’en prenant à la chaîne de télévision numéro 10. En représailles contre son manque d’enthousiasme pour la politique suivie par le Guide suprême, le gouvernement lui assène tous les coups imaginables afin de ne pas lui renouveler sa concession. Au point que dimanche dernier, la direction de cette chaîne a obtenu un sursis provisoire, quelques minutes avant que les lettres de licenciement ne soient expédiées à l’ensemble du personnel.

 

Reste que si elle entend survivre, la 10 va devoir s’auto-neutraliser pendant la campagne électorale qui bat son plein. Si les confrères s’exprimaient librement, début février, ils iraient s’inscrire à Pôle Emploi. La situation est à ce point critique, qu’hier mardi, deux cents journalistes de plusieurs media main stream ont manifesté pour mettre en garde contre les pressions que subit actuellement la profession.

 

Voilà, Israël est gouvernée par un amalgame de partis d’extrême droite, comprenant un fort courant populiste et un autre edenniste. Mais ce n’est pas le pire : ils se comportent de manière irresponsable, incapables de faire la part des choses, entre le profit très douteux qu’il y a à condamner la solution des deux Etats en coupant en deux l’hypothétique Etat de Palestine, et l’isolation terrible dans laquelle ils nous conduisent.

 

Et il y a ce pinocchisme insupportable dont Netanyahu affuble tout Israël : étant clair, au vu de tous ses gestes, qu’il ne souscrit pas à la création d’un Etat palestinien, il persiste cependant à clamer que son objectif ultime reste la solution à deux Etats. Et personne ne le croit. Ni dans le pays, ni à l’extérieur d’icelui.

 

Alors pourquoi ne pas énoncer la vérité ? Dire qu’il ne veut pas de la Palestine ? Pas tant à cause de la crainte de la réaction internationale, qui préférerait vraisemblablement voir Israël adopter une position cohérente et s’y tenir. Mais parce qu’il n’en connaît aucune : il ne prône pas l’annexion de la Cisjordanie, qui donnerait aux Palestiniens des droits civiques égaux aux nôtres, ou qui, s’ils en étaient privés, instaurerait l’Etat hébreu comme un régime d’apartheid. Il ne prône rien, ce qui ne l’empêche pas de détruire, et jusqu’à l’option d’un compromis territorial avec l’entité de Mahmoud Abbas. C’est cela qui est irresponsable.

 

Aujourd’hui, suite au traitement de faveur dont il bénéficie de la part du cabinet israélien, et uniquement grâce à celui-ci, le Hamas est ressuscité en Cisjordanie et s’est fortifié dans la Bande de Gaza. Deux récentes enquêtes d’opinion ont révélé que si des élections se tenaient prochainement dans les territoires palestiniens, Mashal l’emporterait sur Abbas ; le courant qui clame qu’il ne se contentera jamais d’autre chose que de l’éradication d’Israël et des Israéliens supplante ainsi celui qui affirme vouloir exister pacifiquement à ses côtés.

 

Dire que la grande majorité de nos compatriotes s’attendait – c’était il y a tout juste un mois ! - à ce que ce gouvernement ordonne à Tsahal d’anéantir le Hamas et que cette neutralisation ne posait aucun problème militaire. Et qu’en lieu et place, Jérusalem permet à Khaled Mashal, pour la première fois, de faire un triomphe à Gaza City ! Ce, simplement parce que Binyamin Netanyahu est persuadé qu’il est nécessaire d’affaiblir l’Autorité Palestinienne. Les habitants d’Ashdod, d’Ashkelon et de Beersheva y perdent leur hébreu, mais ils voteront Bibi, car on ne leur présente aucune alternative plausible.

 

Si le pire advient, et il nous pend au nez, sous la forme de l’isolement que j’ai évoqué ou d’une troisième Intifada (peu probable actuellement), les partisans du Duce clameront que le monde entier est fondamentalement antisémite et que c’est la raison pour laquelle il nous met au ban des nations.

 

Ce sera faux. Si cela arrive, ce sera uniquement dû à l’absence de vision primordiale de Netanyahu et de ses amis infréquentables, ainsi qu’aux provocations sans but qu’ils multiplient. Les Israéliens sont présentement guidés par un leader aveugle, arrogant et lunatique, qui ignore où il entend les mener. Moïse, lui, savait où il allait.

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