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Présence juive à Tinghir

Présence juive à Tinghir

Echos du Mellah à Tinghir - Entre nostalgie et oubli

par : Kamal Hachkar

Documentaire sur la problématique de la perte, de l’exil et de la transmission.

Tinghir, ma ville natale, perchée à 1500 m d’altitude entre les montagnes du Haut-Atlas et de l’Anti-Atlas, a abrité une importante communauté juive.

On dit que cette présence date de la destruction du premier Temple par Nabuchodonosor en 586 avant notre ère. Plus de 2000 ans de présence et aujourd’hui un vide, plus de traces ; seules celles des morts, qui reposent dans les deux cimetières de la ville. La synagogue est devenue une maison d’habitation. L’école de l’alliance israélite ouverte en 1950 est devenue une banque. Les derniers juifs sont partis en 1964. J’ai toujours été intéressé par cette part juive de la ville que je n’ai pas connue. Dans ma tête d’enfant, j’étais étonné qu’un Berbère puisse être autre chose que musulman : mon entourage avait brisé cette croyance d’enfant, et cela m’avait sans doute ouvert des perspectives.

 

Et, depuis, je n’ai de cesse d’interroger mes grands parents : comment une présence si ancienne a-t-elle pu disparaître en un jour - pour paraphraser l’écrivain marocain Edmond Amran El Maleh ? Toute mon enfance, j’ai été bercé par les récits de mes grands parents et de mes parents à ce sujet et j’éprouve un sentiment de perte. Je n’ai pas connu cette période et malgré cela je me sens orphelin et nostalgique. Et, c’est de cela dont j’ai envie de parler dans mon film à travers les témoignages des personnes ayant connu cette vie mais aussi des juifs de la ville qui sont aujourd’hui majoritairement installés en Israël. Ma mère a été nourrie au pain azyme appelé « chtoto » en berbère et mon arrière grand-père maternel a acheté sa boutique à un juif de la ville nommé Israël. Je me sens redevable vis-à-vis de ma famille de m’avoir conté toutes ces histoires et aujourd’hui je veux à travers ce film rendre hommage au passé singulier de cette ville mais aussi me réapproprier des fragments de ma mémoire. Depuis le départ de cette communauté juive, les gens qui sont restés ne les ont pas oubliés.

 

Il me paraît essentiel de faire revivre ces juifs à travers leur mémoire et leurs souvenirs. En me promenant dans la vieille ville, faite de maisons en terre de pisée et de chemins escarpés, j’imaginais les mélodies des chants hébraïques traverser les fenêtres de la synagogue. Les quelques témoignages déjà recueillis me racontent les fêtes de Pessah, Souccot et ses tentes. Le regretté Haïm Zafrani a étudié une Hagaddah de Pessah en berbère provenant de Tinghir. Je me souviens qu’en lisant Mille ans et un jour d’Edmond Amran el Maleh, j’avais été pris d’une grande émotion. En quelques mots, l’écrivain parvenait à restituer cette histoire douloureuse. Derrière les Mille ans, on imagine très bien les empreintes qu’ont pu laisser les juifs au pays et un jour, les images qui me viennent sont évidemment les valises, les cars les amenant aux ports et aéroports.

Il est urgent d’empêcher que se développe une génération d’amnésiques. La grande civilisation arabo berbère musulmane doit assumer sa part juive. Les jeunes enfants marocains apprennent une histoire mutilée et amputée de cette dimension : les programmes scolaires dans le secondaire font peu de cas de cette présence. Les Marocains de confession juive (où qu’ils soient) gardent un attachement profond à leur terre natale. Ce n’est que justice que de rendre toute sa place à ce patrimoine. Lors du forum à Essaouira, j’ai exprimé au ministre de l’Education Nationale mon inquiétude : il fallait absolument faire vite pour inclure cette part de notre identité dans l’histoire nationale du Maroc.

Il est urgent de créer au Maroc une institution regroupant les informations nécessaires à l’élaboration d’une connaissance rigoureuse sur l’apport de cette culture à l’identité marocaine.

J’ai commencé à travailler aux archives diplomatiques de Nantes, j’ai retrouvé des photos de femmes juives de Tinghir ou encore cette plainte des israélites de la ville contre le représentant des autorités coloniales en 1942. Mais il y a peu d’informations sur leur mode de vie. Aux archives de l’Alliance israélite universelle à Paris, j’ai retrouvé des rapports d’instituteurs de cette école juive à Tinghir.

Dans d’autres archives, notamment sur la ville de Akka, le récit de Simon Hazan (instituteur de cette école) racontait comment il inscrivait les juifs de la ville pour un départ vers Israël. Une femme musulmane avait l’habitude chaque matin, d’aller vendre des œufs : elle appelle Esther... Rachel, personne ne répond, elle se griffe le visage quand elle prend conscience qu’ils sont tous partis. A ce moment, un long cri d’agonie.... Ce récit est émouvant, j’ai envie de comprendre les raisons de leur départ mais surtout de travailler sur le ressenti de l’exil, de cet arrachement à leur terre, et tenter d’élaborer toute une anthropologie du souvenir. Les photographies d’Elias Harrus, réalisées dans le sud du Maroc, au moment où il travaillait au développement du réseau d’écoles de l’Alliance israélite universelle, témoignent des traces d’une civilisation disparue.

Je rêve un jour d’un festival dans cette ville autour de la musique judéo berbère. Ne pourrions nous pas imaginer une restauration de la vieille synagogue, apposer une plaque disant qu’ici, une école de l’alliance a existé.

Notre pays doit être fier de tous ces apports : juif, chrétien, berbère, arabe et musulman. C’est une promesse de justice et d’avenir. Un pays démocratique se mesure aussi à la manière dont il inclut ses minorités au récit national, ainsi qu’à la façon dont il reconnaît les richesses dont ces mêmes minorités sont porteuses. L’histoire du Maroc est composée d’identités multiples ; faisons de ces diversités un atout pour combattre le fanatisme et l’intolérance.

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