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Vive tension militaire entre Israël et la Russie

Vive tension militaire entre Israël et la Russie (info # 012003/17)[Analyse]

Par Stéphane Juffa © MetulaNewsAgency

 

Rien ne colle au sujet des divers narratifs ayant suivi les raids aériens conduits en Syrie par le Khe’l Avir dans la nuit de jeudi à vendredi derniers. De plus, la situation ne cessant de s’envenimer depuis lors, et les déclarations bellicistes faisant florès, cela amène les experts en stratégie de la Ména à faire des heures supplémentaires afin d’essayer d’y voir clair et de remplir ainsi notre fonction. Si cela ne suffisait pas, tout indique que le torchon brûle entre Moscou et Jérusalem, et qu’un affrontement limité entre les deux armées devient de plus en plus probable ; il est même possible qu’il ait déjà eu lieu.

 

Pourtant, M. Netanyahu était dans la capitale russe la semaine dernière pour y rencontrer M. Poutine et à l’issue de leur entretien, les choses paraissaient sous contrôle. Mais le Tsarévitch et son équipe dirigeante figurent parmi les gouvernements les moins fiables de la planète, ce que nous ont confirmé de vive voix la plupart des représentants des Etats occidentaux que nous côtoyons. Vladimir Poutine est capable de négocier une entente avec vous, un sourire chaleureux aux lèvres, pendant que, dans une autre salle, Lavrov est en train de préparer la livraison d’avions de chasse et de systèmes de missiles avec l’Iran ou la Syrie.

 

Commençons par décrire ce qui nous interpelle à propos du raid de vendredi. Nous n’avons que l’embarras du choix. Lors des opérations aériennes précédentes, l’Aviation israélienne avait tiré des missiles air-sol à bonne distance de ses cibles, le plus souvent à partir du Liban ou à la lisière de ce pays avec la Syrie, et les résultats ont chaque fois été parfaits.

 

Pourquoi, dans ces conditions, cette fois-ci, les appareils hébreux ont-ils profondément pénétré dans l’espace aérien des al Assad ? Quel objectif était suffisamment important et ne pouvait être détruit par les missiles pour justifier qu’on risquât la vie des équipages ?

 

D’autre part, dans les heures qui suivent les raids aériens de Tsahal, le chef de la Ména libanaise, Michaël Béhé, est toujours en mesure de décrire avec précision, le plus souvent avec photos et vidéos à l’appui, les cibles qui ont été visées. Béhé, grâce au réseau d’informateurs qu’il a développé dans la Beqaa libanaise et dans la région élargie de Damas, parvient chaque fois à obtenir des comptes rendus de témoins oculaires. Or cette fois-ci, néant. C’est à peine si ses contacts ont fait état de violentes explosions, mais sans parvenir à les situer géographiquement, ce qui signifie qu’elles ne se sont pas produites dans la zone de Damas et sa grande banlieue.

 

Jusqu’à maintenant, l’on sait, par l’intermédiaire du porte-parole de Tsahal uniquement, que plusieurs objectifs ont été attaqués, et que cela concernait des livraisons d’armes sophistiquées au Hezbollah, mais lesquels ?

 

Et pourquoi le porte-parole de l’Armée s’est-il fendu d’un communiqué alors que, depuis des années, il se refuse obstinément à commenter ce qui se déroule au-delà de nos frontières ? Nous lui avons naturellement posé la question, mais il n’a pas souhaité nous répondre.

 

Quid de cette histoire de missile sol-air intercepté par un Khetz au nord de Jérusalem, une information également transmise par le même porte-parole ? La totalité des confrères ont reproduit ce récit sans broncher et sans se poser de questions ; leur naïveté nous étonnera toujours.

 

Car s’il s’agit bien d’un missile S-200 ou équivalent, sa fonction, sa capacité à voler très haut, très loin et très vite – respectivement 40km, 300km et Mach 4 – le destine à intercepter un avion volant en direction de son objectif, non pas s’en éloignant. Le cas d’école étant un repérage radar d’un appareil au décollage ou se dirigeant vers sa cible ; lors, un missile de ce genre est lancé pour l’empêcher de l’atteindre. Mais les chasseurs-bombardiers à l’étoile de David se rendent plusieurs fois par jour aux confins septentrionaux d’Israël, et Damas n’a pas les moyens de savoir s’ils franchiront sa frontière ou non. Dans la logique, et si les Syriens possédaient des radars suffisamment sophistiqués pour repérer les appareils israéliens au décollage, ils devraient tirer cinquante S-200 quotidiennement et sur tout ce qui vole dans le ciel de Terre Sainte. Ce qui, à n’en point douter, occasionnerait une riposte immédiate de la taille d’une guerre, de la part des Hébreux.

 

Et, de toute façon, les radars syriens n’ont pas pu identifier ces avions sur le trajet aller, car ils volaient en rase-mottes, au point qu’ils ont failli arracher quelques tuiles du toit de la Ména. A cette altitude très inhabituelle, moins de cent mètres dusol, on n’aurait pas pu utiliser un Khetz pour abattre un missile, fait pour intercepter des objets en dehors de l’atmosphère terrestre.

 

Cette altitude de vol pose elle aussi une interrogation supplémentaire : pourquoi voler si bas ? Pourquoi réveiller en sursaut tous les habitants du Doigt de la Galilée, à Rosh Pina, Khatzor, Kiryat Shmona, Métula et sur le plateau du Golan ? Leur mission devait être réellement importante.

 

Nous avons une réponse au moins pour cette énigme : ce ne sont pas des Syriens que nos pilotes se cachaient, qui n’ont pas les capacités techniques de les voir venir, mais des Russes. Les Russes, qui disposent du système antiaérien avancé S-300, notamment embarqué sur leurs navires, dans le sud de la province de Lattaquié en Syrie.

 

Or, à Métula, on sait que les facultés de brouillage des Israéliens sont telles que les Syriens ne voient pas nos avions venir et n’ont pas même le temps de tirer des missiles sol-air lorsque leurs positions sont attaquées. Vendredi non plus, ils ne l’ont pas fait : pour protéger un site, on utilise des missiles à relativement courte portée – quelques dizaines de kilomètres au maximum -, afin de protéger les positions que l’on défend. Le but étant évidemment d’empêcher qu’elles ne soient attaquées et pas d’intervenir une fois qu’elles l’ont été.

 

Ce qui nous fait penser que les Russes et leur S-300 n’ont pas non plus vu nos appareils arriver, et qu’ils n’ont été avertis qu’une fois les frappes effectuées. Ensuite, pour marquer le coup, pour indiquer leur intention de se défendre, ils ont, soit tiré des missiles S-200 ou équivalents (il n’y a pas de grandes différences d’efficacité avec ceux, à longue portée, qui équipent le système S-300), soit ordonné aux Syriens de la faire. De toute façon, il ne fait aucun doute que des officiers russes encadrent physiquement les servants syriens des systèmes antiaériens qu’ils leur ont livrés. Tout comme il ne fait aucun doute que le régime syrien n’aurait pas lancé d’engins de ce genre sur Israël sans l’aval des officiers de Poutine.

 

Encore un fait étrange : on comprend bien que les S-200 ont été tirés en direction des appareils sur le chemin du retour, mais alors pourquoi l’interception par le Khetz a-t-elle eu lieu "au nord de Jérusalem" ? A ma connaissance – et je crois connaître tous les terrains d’aviation d’Israël – il n’existe pas d’aéroport dans cette région, pas plus qu’à proximité immédiate de la capitale de l’Etat hébreu.

 

Les avions qui ont participé à ces raids ont très probablement décollé (et atterri) de la grande base de Ramat-David, à proximité d’Afula, dans le nord du pays, à une centaine de kilomètres de Jérusalem.

 

Que faisait donc un S-200 à proximité de la capitale, à un moment où les participants au raid avaient déjà atterri ou étaient en train de le faire ? Mystère ! A notre avis, il n’a pu s’agir que d’une démonstration de force de la part de Moscou et d’un signe de sa volonté de ne plus laisser le Khe’l Avir intervenir en Syrie comme si c’était son pré carré.

 

Jean Tsadik, notre expert en armement, me fait remarquer que les S-200, ou leurs équivalents plus modernes, sont capables d’embarquer de grosses charges d’explosifs et même une petite bombe atomique, ce qui en fait une fusée qui n’est pas uniquement destinée à abattre des avions. Cequi renforce l’idée que l’intention du Kremlin consistait à envoyer un avertissement à Israël et non à tenter d’intercepter l’un de ses bombardiers.

 

Cette hypothèse se trouve encore étayée par la convocation, dès vendredi, de l’ambassadeur d’Israël à Moscou par le ministère russe des Affaires Etrangères, afin de "recevoir des explications" relativement au raid de la nuit. Sur le plan formel, cela a tout de même quelque chose de bizarre, à croire que c’est sur le territoire russe que les aéronefs hébreux sont intervenus, ou, à tout le moins, que Poutine a reçu un mandat de l’ONU pour faire le gendarme à Lattaquié, ce qui n’est pas le cas. C’est un peu comme si Jérusalem priait l’ambassadeur russe de venir s’expliquer sur l’occupation de la Crimée, de l’Abkhazie, de l’Ossétie du Nord ou de l’est de l’Ukraine. Mais le Tsarévitch foule les conventions de ses grosses bottes comme si elles n’existaient pas. A témoin, lors d’exercices en Méditerranée orientale, il avait tout simplement enjoint aux Libanais de cesser les vols commerciaux sur Beyrouth pendant 24 heures. Les Libanais avaient protesté mais avaient tout de même fermé l’aéroport Rafiq Hariri suivant la demande des Russes.

 

Et les Israéliens, tant que leur sécurité fondamentale n’est pas en danger, ont tout intérêt à ne pas affronter les Mig et les Soukhoï. Le problème étant qu’on approche de cette fameuse ligne rouge. Un ami, officier de la Marine israélienne, m’a aussi confié que plusieurs opérations en cours avaient dû être interrompues à cause de l’interposition de bâtiments de guerre russes.

 

Pour évaluer le risque de confrontation israélo-russe, il faudrait d’abord saisir ce qui s’est passé aux premières heures de vendredi dernier. Pourquoi 5 F-16 (c’est beaucoup) – Jean Tsadik, qui demeure tout près de Métula affirme qu’il en a vu 4 – assurément protégés par des F-15 en altitude, on fait du radada pour aller bombarder des cibles en Syrie. Notre hypothèse est la suivante : toutes les tentatives effectuées pour livrer des armes sophistiquées au Hezbollah à partir des aéroports de Damas se sont soldées par des attaques israéliennes qui ont non seulement détruit les chargements, mais également infligé de lourdes pertes et des dégâts conséquents à l’Armée gouvernementale.

 

Etant donné que la dotation du Hezbollah en missiles antiaériens et en missiles balistiques à courte portée participe d’une priorité élevée de l’axe Téhéran-Damas - à la fois pour contrôler le pays aux cèdres et pour, le cas échéant, ouvrir un nouveau front face à Israël -, ces deux alliés auraient changé de stratégie. A la place de faire transiter les envois par Damas, ils auraient tenté d’utiliser l’un des nombreux aéroports situés à plus d’une centaine de kilomètres au nord de la capitale. Ce faisant, ils obligeaient les Israéliens, d’une part, à exposer leur aviation loin de leurs bases, et non plus des drones ou des missiles. D’autre part, ils les forçaient à s’aventurer dans le secteur de vol réservé aux Russes d’après les traités officieux conclus entre Poutine et Netanyahu. Comme ils l’escomptaient, cela a généré de vives tensions entre eux, et forcé la main du Kremlin afin qu’il protège, contre son gré, les livraisons d’armes à la milice de Nasrallah.

 

En principe, d’après ce que nous supputons – et nous supputons pas mal, d’ordinaire – Jérusalem et Moscou se sont entendus pour que les appareils russes ne dépassent pas Damas vers le Sud, tandis que ceux du Khe’l ne franchissent pas la capitale syrienne en direction du Nord. Sauf que là, selon notre scénario, et pour maintenir la ligne stratégique impliquant qu’Israël intervient à chaque tentative de livraison de matériel sophistiqué au Hezb, Jérusalem a été contraint de contrevenir à l’accord avec Poutine, provoquant son irritation. De plus, nous sommes absolument certains que les Israéliens n’ont pas averti leurs homologues russes à l’avance de leur projet de raid. Ce, parce que nous ne le faisons jamais, même avec nos vrais alliés, afin de prévenir les fuites qui mettraient nos équipages en danger. En la matière, nous ne faisons confiance à personne.

 

Le régime syrien crie victoire. Non seulement il a annoncé avoir descendu un chasseur-bombardier arborant l’étoile à six branches et en avoir endommagé un second – s’il y a la moindre part de vérité dans cette affirmation, je suis le curé de Cucugnan, avec ou sans l’assentiment de Monsieur Daudet -, mais encore, qu’un changement radical était intervenu dans sa confrontation avec Israël.

 

Selon Bashar Jaafari, l’ambassadeur syrien aux Nations Unies, intervenant dimanche sur la télévision d’Etat, "la Russie a envoyé un message clair à Israël, lui indiquant que les règles du jeu ont changé en Syrie et que sa liberté d’action dans le ciel syrien était terminée". A en croire Jaafari, "l’ambassadeur israélien a été convoqué [au Kremlin] (…) et il lui a été catégoriquement signifié que ce jeu était terminé", ajoutant que l’utilisation de feu antiaérien contre Israël durant la nuit de jeudi dernier a modifié les règles du jeu, et que la Syrie ne resterait plus impassible face à la menace israélienne".

 

Moscou n’a pas commenté cette déclaration, mais Avigdor Lieberman en a fait une intéressante. Le ministre israélien de la Défense a ainsi précisé que "nous n’avons aucun intérêt à interférer dans la Guerre Civile syrienne, que ce soit en faveur ou contre Assad, et nous n’avons aucun intérêt à affronter les Russes. Notre problème principal concerne le transfert d’armes avancées de Syrie au Liban. C’est pour cela que chaque fois que nous identifions une tentative de contrebande d’armes qui pourraient changer les données du jeu, nous agirons pour la contrecarrer. Il n’y aura aucun compromis sur ce sujet", a insisté M. Lieberman.

 

Le ministre a complété son propos en précisant que "si Tsahal décide d’agir, il y a une bonne raison à cela", et, menaçant, "la prochaine fois, si la DCA syrienne intervient contre nos avions, nous la détruirons. Nous n’hésiterons pas, la sécurité d’Israël se situe au-dessus de tout le reste. Il n’y aura aucun compromis".

 

Nous avons principalement émis notre version des évènements par des recoupements d’informations. Reste qu’elle se trouve en adéquation avec tous les paramètres connus de cette affaire, notamment des rumeurs insistantes, stipulant que l’essentiel des frappes aériennes aurait eu lieu entre Homs et Palmyre (à 200km au nord-est de Métula), que le matériel qui faisait route vers le Liban était - une fois n’est pas coutume, d’ordinaire il est iranien – originaire de Corée du Nord et que le convoi a été totalement anéanti.

 

Il nous semble évident que le message de Lieberman, qui a un peu le même tempérament et assurément la même culture que ceux de Poutine, n’était pas destiné à Bashar al Assad mais au Tsarévitch. Et puisqu’il est conscient que le président de toutes les Russies n’accorde d’attention qu’aux actes et non aux paroles, pour bien montrer qu’Israël continuera effectivement à survoler la Syrie lorsqu’elle le décidera, son Armée de l’air a procédé hier à l’élimination ciblée de Yasser A-Sayad, qui roulait dans son automobile sur la route menant du Golan à Damas. A-Sayad était un officier du groupe des Forces de Protection de la Patrie, une unité d’une vingtaine de combattants principalement formée de Druzes syriens, de commandos du Hezbollah et des Gardiens de la Révolution iranienne. Cette entité s’est spécialisée dans la préparation de coups de main dans le Golan israélien. Elle comptait dans ses rangs Djihad Mourgnieh, le chef militaire du Hezbollah, un général iranien et l’assassin libanais Samir Quntar, qui ont été éliminés à l’occasion d’opérations précédentes. Les Forces de Protection de la Patrie ne sont jamais parvenues à mettre en exécution l’un de leurs plans, en raison de l’élimination de ses chefs par Israël.

 

Ce matin (lundi), les chasseurs-bombardiers à l’étoile bleue ont à nouveau franchi la frontière en direction du Liban et de la Syrie. Pendant plus d’une heure, nous avons assisté à des mouvements incessants et très denses de ces appareils, alors que l’espace aérien civil du nord d’Israël avait été fermé.

 

Nous y voyons une nouvelle indication que les Hébreux ne craignent ni le contingent russe en Syrie, ni son système S-300. En fait, Tsahal pourrait détruire le port militaire russe de Tartous et les navires qu’il abrite, les deux aéroports de Lattaquié et tous les avions russes de la région en moins d’une heure, d’après Jean Tsadik. Mais notre camarade émet une mise en garde sévère sur les conséquences qu’entrainerait une confrontation ouverte avec la Russie, que tout le monde évite avec raison. "Ni Napoléon ni Hitler n’ont réussi à les vaincre, et ce n’est pas Netanyahu qui sera le premier à y parvenir", prévient notre spécialiste militaire.

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