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LES FAUCONS DE MOGADOR, par Bob Oré Abitbol

 

 

Près de Mogador, devant la ville, près des remparts et du port, se trouve une île: l’île-aux-faucons. Ce n’est pas vraiment une île, c’est un rocher que la mer fracasse, érode ou caresse suivant le temps et son humeur.

Ancienne prison phénicienne, île du bout du monde, elle se trouve là, aux portes d’Essaouira la Magnifique que ses habitants, où qu’ils soient, transportent dans leur tête et dans leur coeur.

Une ville avec une âme, avec une flamme, qui brûle encore dans l’âme des gens de Mogador.

La rue des Ebénistes, la rue des Bijoutiers, le cinéma Kakon, les cocos roses moelleux et fondants de Ouazana, Messoda la cuisinière, les gargotiers près du port: monuments de la mémoire. Les gâteaux de chez Driss pour toutes occasions: visites à l’improviste, mariages intimes, Bar Mitzvah de pauvres.

Dames aux chapeaux verts, omniprésentes et discrètes qui, très sérieusement et très régulièrement, prenaient leur «five o’ clock tea», comme elles disaient, à quatre heures.

La mer gelée malgré le temps toujours au beau fixe.

Le chalet de la plage avec son propriétaire, le gros Woisnard, personnage légendaire, et sa moto BMW qui se faufilait entre les calèches d’Oja. Le club oú l’on passait des heures entre deux parties de cartes, à refaire le monde, à anticiper sa vie, à arranger un mariage ou à comploter un départ. Le café de France, l’unique café de la ville, et bien sûr la plage avec ses dunes, et ses longues promenades qui finissaient immanquablement aux vestiges du Fort portugais.

Un port de pirates où les embarcations ressemblaient à ces galions du temps jadis. Elles rapportaient comme des trésors des poissons d’argent dansant dans leurs filets et des images grandioses dans les yeux des pêcheurs de Mogador.

 

Les habitants? Des gens à l’attitude particulière, aux manière diffèrentes, avec une façon de parler bien à eux, une espèce de noblesse, de dignité, de détachement, qui n’existe nulle part ailleurs que chez ces gens, ces gens de Mogador.

 

Le passage des Anglais au siècle dernier a dû y être pour quelque chose car ils émaillent leur conversation arabe de quelques mots gentiment empruntés à cette langue, ce qui leur donne encore davantage de charme.

Sur le chemin de Oualidia, j’avais insisté pour visiter cette ville que je ne connaissais pas mais dont tout le monde vantait le caractère spécifique et la beauté unique.

C’est là, pour la première fois, que j’entendis parler de l’île-aux-faucons.

Une colonie de faucons pèlerins peuplait en effet ce rocher. Des oiseaux rapaces d’une grande beauté et, chose remarquable, nombreux, pour cette espèce en voie de disparition.

Le vent qui souffle de façon quasi permanente entre les feuilles d’arganier et d’olivier raconte des histoires bien étranges.

Pourquoi, par exemple, les faucons décidèrent-ils de quitter définitivement l’île, eux qui vivaient là depuis des siècles?

Etait-ce la peur? Etait-ce la peur de la peur?

Etaient-ce les vents houleux, les vents chargés de sel marin et d’odeurs de poisson grillé qu’une enfilade de marchands vendaient dans le dédale des rues autour du port? Ces vents qui rendaient fou!

Nul ne le sait, tout ce que je peux vous dire, c’est qu’ils partirent inéluctablement, comme si inconsciemment, confusément, ils sentaient que désormais, leur destin se situait ailleurs, sous des cieux plus cléments, moins tourmentés, moins hasardeux. Alors ils prirent leur envol, un grand vol large et majestueux, poussant des cris puissants et comme désespérés qui déchiraient le ciel clair. Puis, petit à petit, les uns après les autres, ils partirent pour ne plus revenir.

Pourtant, où  retrouveraient-ils jamais la poésie de cette ville blanche aux accents bleus comme la mer,  cette ambiance si chaude, si paisible?

Des enfants jouaient là, indifférents au passage du temps.

Pour un dirham, la monnaie locale, ils mangeaient des sardines, un oignon, un piment, du pain.

Quelquefois, ils achetaient pour trois fois rien des gâteaux aux oeufs de goéland de chez Driss, dont ils raffolaient.

Puis pendant des heures, ils allaient observer les faucons.

À l’exception de quelques spécimens, l’île se dépeupla inexorablement. Ne restèrent que les mouettes et les goélands qui suivent encore, indolents, les bateaux revenant  du large. Ce fut la fin des faucons pèlerins sur le rocher de Mogador.

Les quelques-uns qui restèrent, accrochés à leur rêve, rattachés à leurs souvenirs, conscients, semble-t-il, de leur fragilité attendent je ne sais quel messie pour leur indiquer le chemin.

 

En attendant, le rocher se vide comme se vide Mogador.

Ainsi en est-il de certaines communautés qui rétrécissent comme peau de chagrin, qui essaient, malgré l’histoire, de survivre, qui tentent de se fondre, de se confondre avec leur environnement mais qui finissent par partir comme sont partis, et partent encore, contre leur gré, ces grands faucons pèlerins, beaux et nobles, sur le rocher de l’île de Mogador.

Seul un vieux faucon, solitaire et triste, le dos voûté, le regard vague fixé sur l’horizon, attend, avec de moins en moins d’espoir, que ses enfants reviennent.

 

Bob Oré Abitbol

boboreint@gmail.com

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