SI JE VOUS PARLE, AUJOURD'HUI DE LA LEPRE, C'EST QUE J'AI CONNU , UNE FAMILLE DE LEPREUX, QUI ETAIENT ASSIS, AU ROND POINT SHELL AVANT DE TOURNER A LA RUE DUPLEIX, ET JE LES RENCONTRAIS , LORSQUE J'ALLAIS ACHETER MON PAIN A LA BOULANGERIE, QUI SE TROUVAIT SUR CE ROND-POINT LA VUE DE CES GENS, SANS DOIGTS, ENTRAIN DE DEMANDER L'AUMONE, PIEDS NUS, ET A MOITIE COUVERT AVEC DES GRANDS HABITS, A BOULVERSEE MON JEUNE AGE J'AVAIS 10-11 ANS.
Reportage au Centre national de Léprologie, à Casablanca
La maladie des pauvres
La lèpre, “maladie sociale” qui naît essentiellement du manque d’hygiène et de la sous-alimentation, demeure entourée de beaucoup de préjugés et de superstitions. Une visite au Centre national de Léprologie démontre qu’on peut facilement la guérir, si on la dépiste à temps.
Elle tend son bras, soulève la manche de sa chemise. Elle est charmante et adorable. Mais ce beau visage est pourtant rongé par la crainte, celle d’un terrible diagnostic qui ne tardera pas à tomber. Il y a de quoi s’inquiéter parce que, entre le coude et l'épaule, une petite auréole se dégage. Une minuscule partie insensible au toucher. Cela fait environ deux mois que la tache a fait son apparition. Pas de doute, il s’agit de la lèpre.
Fatiha, 25 ans, apprend le diagnostic en ce matin de janvier, dans la petite salle de consultation du Centre national de Léprologie, situé à Ain Chok, à Casablanca. Pour elle, c’est presque une confirmation, peut-être une délivrance. À Taza même, sa ville natale d’où elle n’est jamais sortie, elle savait déjà ce qui l’attendait.
Quelques jours avant qu’elle vienne à Casablanca, c’est le Centre régional de diagnostic de Taza qui avait fait le dépistage. Cette inquiétude est cependant teintée d’espoir. Parce que, en réalité, Fatiha, en apprenant sa maladie par la bouche de son médecin traitant, emprunte le chemin de la guérison. Cette terrible infection se soigne, à condition d’être dépistée très tôt. Sa maladie sera guérie après trois mois de traitement gratuit à base d'antibiotiques. D'autres ont eu moins de chance qu’elle.
Séquelles
Sous l’ombre d’un arbre, Fatima 42 ans, soignée il y a cinq ans, montre une main amputée de son pouce et des doigts atrophiés. Son visage est tout boursouflé. On ignore à quoi elle ressemblait avant d’attraper la lèpre. Atteinte depuis une dizaine d’années, elle ne s'est soignée que très tard: «Dans ma famille, on m'a dit de ne pas aller à l'hôpital, que la maladie était incurable et qu'on brûlait les mains». Issue de la région montagneuse du Rif, Fatima a vu sa peau se transformer et ses muscles fondre. Bien que l’évolution de la maladie ait été stoppée, puis guérie, elle en gardera à jamais les séquelles. Les marques du bacille de Hansen, germe causant la maladie, sont indélébiles. Elle en est la preuve.
Un peu plus loin, des enfants, eux aussi atteints par cette maladie à la fleur de l’âge, se préparent à quitter le centre dans une grande explosion de joie. Ils ont entre cinq et quinze ans. Ils s’apprêtent à rentrer chez eux pour passer l’Aid en compagnie de leurs familles. Cette sortie ne durera qu’une semaine, car ils devront reprendre les cours dans leur école, située à quelques pas de l’hôpital
En effet, la lèpre a toujours fait peur depuis l’aube des temps. Il y a une dizaine d’années, quand on évoquait cette maladie, les gens pensaient directement aux mutilations catastrophiques qu’elle entraîne. C’est la raison de l’exclusion des malades lépreux par la société.
Si la maladie n’a plus la gravité d’autrefois, la mentalité des gens n’a pas forcément suivi. Dans les alentours de ce centre même, l’avis de certains sur la lèpre équivaut à une malédiction divine: «Les lépreux sont dangereux pour les gens normaux. Ils transmettent leur maladie partout où ils sont. On devrait les enfermer loin de la ville pour protéger la société de leur mauvais sort», dit un voisin du centre, sûr de son fait.
Pourtant, la lèpre n’est plus une maladie terrifiante, comme c’était le cas par le passé. Elle guérit actuellement, en quelques mois de traitement, grâce à une poly-chimiothérapie moderne. Le lépreux n’est plus rejeté et marginalisé comme au Moyen-Âge. Les léproseries des temps passés, sortes de prisons pour lépreux, n’existent plus.
La dignité des patients est respectée. Le climat de compréhension et de tolérance qui règne dans ce centre en est le plus grand témoin.
Les médecins et les infirmiers sont en parfaite entente avec les malades. Ces derniers sont mis en confiance. Ils communiquent parfaitement et expriment la volonté de guérir.
Pour un responsable du centre, «la lèpre est une maladie comme les autres parce qu'elle se soigne, mais c'est une maladie «spéciale», parce qu'elle est sociale. Elle entraîne l'exclusion des personnes atteintes, qui sont condamnées à se cacher ou vivre de mendicité.»
Le traitement moderne guérit la lèpre en peu de temps, et les patients sont entièrement pris en charge par le ministère de la Santé. Les ONGs sont tout autant impliquées dans la lutte contre cette maladie. L’Association marocaine d’Application Agricole et de Formation (AMAAF), est un bon exemple. Elle assure une assistance sociale notable aux malades et à leurs familles.
L’AMAAF contribue également à l’alphabétisation des malades et assure leur réinsertion sociale après la guérison, pour une formation professionnelle appropriée. D’autres organisations internationales ont également consenti beaucoup de sacrifices dans cette lutte, telles l’OMS et l’ALES.
Les indéniables progrès enregistrés ces derniers temps pour la lutte contre cette maladie au Maroc nous rassurent, nous confortent et nous indiquent que nous sommes sur la bonne voie pour en finir définitivement avec cette maladie sociale. Cette situation exige de nous tous de demeurer vigilants et de redoubler d’effort; de tolérance, surtout.