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Un "converso" c?l?bre

Envoyé par hananiaamar 
Un "converso" c?l?bre
18 janvier 2010, 19:46
Miguel de Cervantès y Saavedra, un génial « converso »
par
Hanania Alain AMAR
Psychiatre, AIHP
Ancien Expert Rapporteur Haute Autorité de Santé
Ancien membre du Comité d’Ethique CHU de Lyon




L’Espagne, mais aussi le monde entier a célèbré en 2006, le quadruple centenaire de la parution du chef d’œuvre de Cervantès, Don Quijote de la Mancha. .La revue Los Muestros est particulièrement concernée par cet événement qui commémore le génial Miguel de Cervantès y Saavedra, un de ses plus glorieux « conversos » d’origine séfarade.
Extraits de mon livre paru chez l’Harmattan – Paris, « De Don Quichotte à Don Juan, ou la quête de l’absolu ».

*****

Miguel de Cervantès Saavedra est le géniteur de Don Quijote. La première partie, écrite entre 1598 et 1604, fut publiée à Madrid en 1605 sous le titre L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de La Manche. Il lui a fallu plus de dix ans pour écrire la seconde partie des aventures du noble hidalgo.
Quelques mots sur l’auteur :
Né en 1547 à Alcala de Henares, en Castille, fils d’un chirurgien, Rodrigo Cervantès et de doña Leonor de Cortinas, descendante d’une vieille famille castillane. Il est le troisième enfant d’une fratrie composée de cinq garçons et d’une fille. Son aïeul était le puissant maire de Tolède, Alfonso Nuño au temps des rois de Castille. Miguel de Cervantès est baptisé en l’église paroissiale de Santa María la Mayor le 9 octobre 1547. Il est élevé chez les Jésuites.
Ses parents étaient nobles et distingués mais pauvres et voulaient que leur fils Miguel devînt un lettré. Miguel entreprend alors des études à Madrid où il publie pour la première fois des poèmes dédiés à Elisabeth de France, reine d’Espagne, fille de Henri II et de Catherine de Médicis, épouse de Philippe II d’Espagne.
Pour Cervantès, commence alors une vie aventureuse à Rome où il entre au service du cardinal Acquaviva, sur la recommandation d’un parent éloigné, le cardinal Gaspar de Cervantès y Gaete. Puis, sous les ordres de Don Juan d’Autriche, il participe activement et très courageusement à la bataille de Lépante contre les Turcs sur lesquels règne Sélim II. Il y perd l’usage de sa main gauche. Il tente de regagner l’Espagne au départ de Naples, à bord de la galère Sol. Mais Cervantès est capturé, non loin des côtes catalanes, par le corsaire Arnaut Mamí. Ce dernier le vend comme esclave au cruel roi Hassan d’Alger pour la somme de 500 ducats. Miguel demeure prisonnier durant cinq années avant que les siens ne puissent payer sa rançon. Son frère Rodrigo contribuera efficacement à cette mission.
L’histoire personnelle de Cervantès a suscité bien des ouvrages, thèses, livres et travaux divers.
Citons pour mémoire le travail « particulier » de Dominique Aubier qui a voulu voir en Cervantès un simple « transmetteur ». En effet, selon Aubier, Cervantès n’aurait été que le traducteur d’un texte écrit à Tolède par un auteur anonyme se dissimulant sous le pseudonyme de Cid Hamet Benengeli1. Aubier défend l’hypothèse ou la thèse selon laquelle le Don Quichotte de Cervantès est à la fois « lisible en castillan et en hébreu ». Elle reprend les rumeurs selon lesquelles Cervantès aurait été un descendant de conversos, à la suite de l’édit d’expulsion d’Espagne des rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon en 1492.
Cette thèse a été soutenue par Américo Castro, en dépit de nombreuses dénégations d’autres commentateurs de l’œuvre et de la vie de Cervantès. On peut toutefois retenir que le grand-père de Miguel, avocat de son état et familier du tribunal de l’Inquisition, avait épousé Leonor de Torreblanca, issue d’une famille de médecins de Cordoue « suspectée » d’appartenir aux conversos.
Jean Canavaggio2 précise dans son article monumental sur le père de Don Quichotte que « … bien qu’il fût tenu pour chrétien de souche, rien n’apporte la preuve tangible de la ’pureté’ [ ?, H.A.A.] de son sang… ».
Il ne m’appartient pas ici de trancher pour savoir si Aubier dit vrai ou non, il m’appartenait simplement de citer ses travaux, à titre de « curiosité ».
Les exégètes plus « classiques » nous apprennent que Cervantès, pendant sa longue détention, ruminant ses déceptions et ses rêves guerriers, créa le personnage d’un chevalier errant, en quête d’aventure et de gloire, concrétisant, en quelque sorte, une projection phantasmatique dont le succès fera le tour du monde, car il semble que le Don Quijote de la Mancha soit le livre le plus lu après la Bible…
À son retour de captivité, Cervantès est saisi d’une frénésie d’écrire. Il rédige alors une impressionnante série de pièces de théâtre et de poèmes. Il fréquente en particulier Pedro Calderon de la Barca – auteur notamment de La Vida es sueño – et Francisco de Quevedo – El Buscón. Miguel se situe totalement dans la littérature picaresque dont le célèbre et pionnier Lazarillo de Tormes écrit par un auteur anonyme, mais attribué à Diego Hurtado de Mendozi, ouvrit la voie d’un genre littéraire nouveau.
Le roman picaresque entame une carrière prometteuse avec Mateo Alemán – appartenant à une famille de conversos – et son célèbre Guzman de Alfarache. Le terme « picaresque » est dérivé du mot espagnol picaro, à partir du sens argotique de picar, vocable à connotation sexuelle. Le picaro est un vagabond, vivant d’expédients, de larcins, de petites filouteries ou de petits métiers. Le roman picaresque, à partir des écrits espagnols, va « déferler » sur l’Europe et l’on verra apparaître des héros picaresques hors d’Espagne tels que Till Eulenspiegel en Flandre, Moll Flanders en Angleterre, Gil Blas de Santillane, héros d’Alain-René Lesage en France…
On peut affirmer que ses travaux de plume ne lui ont jamais véritablement permis d’en vivre. Il occupe alors un modeste emploi administratif aux impôts.
Il se consacre à la rédaction de son œuvre la plus célèbre, Don Quichotte, dont il avait déjà esquissé une trame alors qu’il était captif dans les geôles turques. En dix ans, il publie la première partie des aventures de l’Ingénieux Hidalgo de la Manche en 1605. Cependant, il est victime de plagiaires contrefacteurs : un faux, attribué à un dénommé Alonso Fernandez de Avellaneda, fait son apparition en 1614. Cervantès se bat sans succès contre les faux qui circulent alors.
Dans la deuxième partie du livre, Cervantès fait référence à un imposteur et fait mourir le personnage, non sans avoir déclaré que1 «… les premiers chapitres sont tirés des ‘Chroniques de la Mancha’ et le reste traduit du mauresque par l’auteur Cid Hamet Benengeli – M’Hamid aubergine. Cela (et d’autres références) est une parodie du genre roman de chevalerie ».
À partir de là, on peut se demander très sérieusement si Cervantès n’a pas, ainsi, voulu couper l’herbe sous le pied de futurs plagiaires, à partir d’un canular et donner aussi l’occasion à certains auteurs actuels d’élucubrer des théories ou des hypothèses mêlant la kabbale juive et son œuvre, en se livrant à des interprétations parfois bien surprenantes.
Cervantès achève la rédaction d’un recueil de douze récits sous le titre Nouvelles exemplaires, publié en 1613 et enchaîne coup sur coup Le Voyage au Parnasse en 1614 et la deuxième partie de Don Quichotte en 1615.
Peu de temps avant sa disparition en 1616, il met un point final à son œuvre littéraire avec son dernier roman publié après sa mort, Les travaux de Persilès et Sigismonde.

Le contenu du mythe
Alonso Quijano ou Quixano, alias Don Quijote, se nomme d’abord Don, ce qui veut dire qu’il est un gentilhomme, un hidalgo. Le mot hidalgo est une contraction de deux vocables en langue espagnole, hijo, fils et algo, quelque chose. Cela veut bien dire qu’il a des origines « sûres ». Certes, il est un gentilhomme de la campagne, isolé dans sa demeure, lecteur quasi obsessionnel des romans de chevalerie au point d’en oublier l’existence quotidienne. Cette « monomanie » le conduit à se croire chargé de mission et à devenir un chevalier errant défendant les opprimés, faisant triompher la justice et le Bien. Certes, on le croira fou. C’est là du moins une lecture simpliste et réductrice. Non, Don Quijote est loin d’être fou, il est tout au plus exalté. C’est un idéaliste passionné, mais pas au sens où le décriront beaucoup plus tard les aliénistes franco-allemands. Bien que solitaire, Don Quijote entraîne un compagnon de route, Sancho Pança qui est l’exact contraire de son maître, apparemment du moins. Ce thème est d’ailleurs une constante dans bien des œuvres littéraires allant des romans de cape et d’épée à la bande dessinée.
Sancho Pança est le double de son maître en tant qu’ils sont complémentaires. Opposés souvent de manière passive ou plaintive pour le valet, il est aussi ami ou complice vis-à-vis de son maître. Chez tout être humain, cette problématique du double trouve son origine dans sa double polarité. Tout individu est doté d’une part mâle et d’une part femelle sur un plan biologique. Sur un plan psychologique, des traits de caractère sont affectés à l’un ou l’autre sexe : les traits dits masculins avec les clichés attachés à la fonction du mâle : force, droiture, protection… et ce qui est supposé appartenir à la féminité : la passivité (dont Freud a été le chantre), rouerie, duplicité, manipulation, grâce, sensibilité… Il y a à la fois un lien projectif identificatoire mais aussi une homosexualité latente importante entre Don Quijote et Sancho Pança.
Don Quijote a besoin d’un decorum, il baptise donc son vieux bidet décharné Rossinante, il revêt une parodie d’attirail de chevalier, il sacralise la brave paysanne Aldonza Lorenzo en l’affublant du nom de Dulcinea del Toboso, de même qu’il est Don Quijote de la Mancha !Mais, encore une fois, est-il fou pour autant ? Dans la deuxième partie de l’œuvre, Cervantès nous montre un vieil homme apparemment repenti, « revenu » de toutes ses aventures rocambolesques, qui vient mourir entouré des siens, mais le vieil hidalgo a-t-il pour autant renoncé à ses idéaux de départ ? Sûrement pas ! Don Quijote est-il mort ? Sur le papier, oui et l’on croit savoir que Cervantès le fait mourir pour éviter de nouveaux plagiats mais dans notre imaginaire, Don Quijote est vivant, il est même éternel ! Nous avons besoin de lui, nous avons besoin de son indignation, de ses emportements, de ses cris car il crie, parfois ou même souvent dans le désert et sa voix ne s’éteint pas.


Don Quijote nous sauve, non pas parce qu’il dit ce qui est bien ou mal, mais parce qu’il nous ouvre les yeux. Certes, il a fui la réalité, mais son combat est authentique et son idéalisme contagieux, au moins pour ceux qui ont bien voulu comprendre son message camouflé par la farce.
Le grand écrivain espagnol Miguel de Unamuno a consacré un ouvrage entier à notre héros et bon nombre de ses livres reprennent les idées généreuses de Don Quijote. Citons deux écrits qui ont retenu particulièrement mon attention : La Vie de Don Quichotte et Sancho Pança1 et Le sentiment tragique de la vie2 dont je cite un extrait de la conclusion :
« […] Quelle est donc la nouvelle mission de Don Quichotte aujourd’hui en ce monde ? Crier, crier dans le désert. Mais le désert entend, si les hommes n’entendent pas, et se changera un jour en une forêt sonore, et cette voix solitaire qu’il va jetant dans le désert comme une semence donnera un cèdre gigantesque qui de ses cent mille langues chantera un hosannah éternel au Seigneur de la vie et de la mort ».

Le « donquichottisme »

Non ! il ne s’agit pas d’une pathologie, n’en déplaise aux classificateurs et réductionnistes de tout poil et de toute obédience. Tout au plus, peut-on évoquer des traits de caractère figurant chez la plupart d’entre nous, à l’image des cocktails dans lesquels on verse un trait d’angustura par exemple. En effet, les personnalités sont complexes et me font fortement penser à un subtil cocktail, parfois explosif, de traits multiples de caractère qui vont pouvoir s’exprimer ou non selon les circonstances. Nous sommes là bien loin du structuralisme de la personnalité, conception contre laquelle je me suis toujours rebellé en toute occasion lors de mon parcours de psychiatre. Je défends cette position car j’ai vu si souvent se modifier bon nombre de pathologies et de traits de caractères chez un même patient que d’aucuns avaient étiquetées abusivement et imprudemment de façon quasi définitive voire définitive, ne laissant aucune possibilité évolutive pour le malheureux patient condamné à subir l’oracle du prétentieux praticien se prenant pour un dieu. Les écrits sont légion, mais je me bornerai à ne citer que deux auteurs.
Dans ses entretiens avec Didier Éribon, Lévi-Strauss parle de sa passion de jeunesse pour Don Quichotte et suggère qu'une sorte de donquichottisme l'a toujours animé. Non au sens de la définition du dictionnaire : manie de redresser les torts, de se faire le champion des opprimés. « Le don-quichottisme, me semble-t-il, c'est pour l'essentiel, un désir obsédant de retrouver le passé derrière le présent.
Si d'aventure un original se souciait un jour de comprendre quel fut mon personnage, je lui offre cette clé. » (De près et de loin, p. 134).
Albert Camus :
« […] Don Quichotte se bat et ne se résigne jamais. « Ingénieux et redoutable », selon le titre d’une vieille traduction française, il est le combat perpétuel. Cette inactualité est donc active, elle étreint sans trêve le siècle qu’elle refuse et laisse sur lui ses marques. Un refus qui est le contraire d’un renoncement, un honneur qui plie le genou devant l’humilié, une charité qui prend les armes, voilà ce que Cervantès a incarné dans son personnage en le raillant d’une raillerie elle-même ambiguë, celle de Molière à l’égard d’Alceste, et qui persuade mieux qu’un sermon exalté. Car il est vrai que Don Quichotte échoue dans le siècle et les valets le bernent. Mais cependant, lorsque Sancho gouverne son île, avec le succès que l’on sait, il le fait en se souvenant des préceptes de son maître dont les deux plus grands sont d’honneur :
« Fais gloire, Sancho, de l’humilité de ton lignage ; quand on verra que tu n’en as pas honte, nul ne songera à t’en faire rougir », et de charité :
‘Que lorsque les opinions seraient en balance, qu’on eût plutôt recours à la miséricorde. Nul ne niera que ces mots d’honneur et de miséricorde ont aujourd’hui la mine patibulaire.On s’en méfie dans les boutiques d’hier ; et, quant aux bourreaux de demain, on a pu lire sous la plume d’un poète de service un beau procès du Don Quichotte considéré comme un manuel de l’idéalisme réactionnaire. En vérité, cette inactualité n’a cessé de grandir et nous sommes parvenus aujourd’hui au sommet du paradoxe espagnol, à ce moment où Don Quichotte est jeté en prison et son Espagne hors de l’Espagne’. »
Considérer avec un peu trop de légèreté Don Quichotte comme fou est un moyen expéditif de se débarrasser d’une culpabilité encombrante face à ses propres contradictions nées de ce que le « donquichottisme » de l’Autre trouve en nous comme écho. Certes, assumer une position voisine de Don Quichotte dans la vie quotidienne n’est guère chose aisée et peut même conduire à des drames. L’Histoire de l’humanité est riche en circonstances tragiques au cours desquels de modernes Don Quichotte ont perdu la vie en défendant leurs idéaux, comme Jean Jaurès, Georges Mandel ou le pasteur Martin Luther King, notamment.
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