AL DURA : L’ENFANT ET LES LOUPS DE L’INFO
Le chauffeur de taxi est un indicateur traditionnel des envoyés spéciaux à qui il donne la température locale quand ils arrivent dans un pays en guerre. Mon chauffeur de taxi à moi était une femme et en guise de terrain, je me suis contentée du trajet entre Roissy et la capitale, où le conflit israélo-palestinien prend souvent les dimensions d’une geste héroïque. La preuve ? Au bout de 300 mètres d’embouteillage, ma chauffeuse entreprit d’améliorer le niveau de mes connaissances géopolitiques.
Ainsi, j’ignorais probablement que la moyenne de fécondité en Palestine était de 15 enfants par femme, seul moyen d’endiguer le génocide perpétré par les Israéliens contre ce peuple fier et digne.
Je l’ignorais, je l’avoue. J’aurais même été jusqu’à dire que le quadruplement d’une population en 30 ans d’occupation ne me semblait pas répondre à la définition d’un génocide.
Pourtant, cette femme n’était pas une ignorante : elle écoutait la radio pendant les 8 heures quotidiennes passées au volant de son taxi et ne ratait jamais, m’a-t-elle précisé, un JT de 20 heures.
De là à conclure que son opinion avait été forgée par une orientation médiatique, il n’y a que la distance qui sépare le recoupage d’une information d’un scoop susceptible de précipiter une Intifada…
L’affaire al-Dura, 8 ans après
Au départ, un reportage considéré comme une bonne aubaine par un journaliste un peu trop hâtif. «Scoopy», comme l’appellent ses confrères, reçoit, le 30 septembre 2000, une cassette de son caméraman palestinien, Talal Abou Rahme. Sur cette cassette, la mort en direct d’un enfant palestinien.
Qui l’a tué ? Le caméraman affirme que ce sont les Israéliens. Scoopy n’était pas sur place. Il pose la question au porte-parole de Tsahal. Celui-ci est incapable de confirmer ou d’infirmer : il n’est au courant de rien. Mais il va se renseigner. Et si jamais il s’avère qu’un enfant est bien mort sous des balles israéliennes, cela ne peut être qu’une épouvantable bavure. SI.
Mais Scoopy est pressé. Talal Abou Rahme n’était pas seul sur place : deux autres cameramen (Reuters et AP) vont peut-être sortir le scoop avant lui. Aussi prend-il la décision d’envoyer le film à son employeur après y avoir ajouté sa propre introduction en tenue de baroudeur et son commentaire : l’enfant a été tué et le père blessé par des balles israéliennes.
Ce reportage est ensuite offert à toutes les télévisions du monde. OFFERT. Gratuitement. Parce qu’il serait immoral d’encaisser un bénéfice sur la mort d’un enfant. Certes : l’argent, pouah ! Mais on ne boude ni la notoriété ni les innombrables récompenses pour le journaliste comme pour son cameraman. D’où les tournées triomphales dans de nombreux pays arabes.
Jusque-là, rien de répréhensible. Certes, la scène a enflammé les Palestiniens, elle a conduit, douze jours plus tard, au lynchage de deux réservistes israéliens égarés dans Ramallah. À ce propos, connaissez-vous la chanson «Elohaï Chema Israël» ? Elle a été écrite par la jeune épouse d’un de ces deux Israéliens. Elle a appelé son mari sur son portable au moment du drame. L’un des lyncheurs lui a répondu : «Ton mari? il est entre mes mains. Je suis en train de le découper en morceaux !»
Certes, la photo du petit Mohammed décore la scène d’où Ben Laden recrute des jihadistes et elle figure derrière les égorgeurs du journaliste Daniel Pearl.
Certes, l’enfant, devenu vedette de spots publicitaires à la télévision palestinienne, engage les gamins de son âge à embrasser la carrière de martyr… Tout cela n’est que le fruit - bien naturel - de l’indignation populaire devant un assassinat aussi horrible. Oui, assassinat, car Talal Abou Rahme l’affirme dans plusieurs interviews : les Israéliens ont délibérément visé l’enfant et son père.
Sauf qu’un certain nombre d’experts lèvent un loup. Le professeur Nahum Shahaf, physicien, spécialiste en balistique, démontre que les balles israéliennes ne pouvaient en aucun cas toucher Mohammed et son père, cachés derrière un baril de béton.
Sauf que des rushes provenant d’autres cameramen révèlent que leur confrère Talal Abou Rahme tourne régulièrement des saynètes de propagande où les morts se relèvent pour refaire la prise, où les cadavres sortent leur téléphone portable et où les courageux snipers palestiniens tirent dans la brèche d’un mur qui ne dissimule aucun soldat israélien, mais un hangar désaffecté, servant d’aire de pique-nique entre deux séquences.
C’est là que tout dérape...
L’affaire al-Dura devient l’affaire Enderlin
Si les détracteurs de Charles Enderlin s’étaient contentés de lui reprocher son accusation hâtive et inexacte, peut-être aurait-il fini par avouer son Timisoara personnel. Mais certains ont supputé que l’enfant n’avait jamais été tué. Que le reportage était une mise en scène d’un bout à l’autre.
Enderlin et France 2 étaient déjà du bon côté du manche, celui où se décide ce qui sera rendu public et ce qui restera ignoré. Leurs détracteurs leur ont offert en plus sur un plateau les verges pour les battre.
Prétendre que cet enfant n’était pas mort est apparu au monde médiatique comme un néo-négationnisme. Accusation d’autant plus appropriée que l’image du petit al-Dura devait déjà, selon une éditorialiste d’Europe 1, annuler et remplacer la photo du petit Juif du ghetto de Varsovie mis en joue par les nazis.
D’un côté les contempteurs d’Israël, ravis de leur aubaine, ne démordaient pas de l’accusation de meurtre quasi rituel. En face, les amis d’Israël, atterrés par la mort d’un enfant, se cramponnaient à la possibilité qu’il soit toujours vivant.
Et les deux camps de s’envoyer des invectives inconciliables avec l’examen raisonnable des faits. Comme dans un divorce, la loi a semblé un indispensable médiateur entre les tenants des deux thèses.
France 2, regroupée derrière son journaliste, refuse de produire les rushes incriminés et intente des procès à tous ceux qui la mettent en cause. C’est ainsi que Philippe Karsenty, à travers son site «Media ratings» est devenu le champion du scénario «fausse mort».
L’enjeu de la querelle résidait dans les rushes cachés par la chaîne française.
Ceux-ci avaient-ils vocation à garder discrètes de réelles mises scènes utilisées par ailleurs ? Faisaient-ils partie d’une réserve de prêt-à-diffuser au service de la doxa médiatique : "tout ce qui est riche et fort est mauvais et injuste, tout ce qui est pauvre et faible est juste et bon" ? Une thèse simple et assez facile à illustrer du moment qu’on sélectionne soigneusement les images et qu’on les commente dans le bon sens…
Car cette affaire représente une véritable aubaine pour les journalistes antisionistes: ils profitent d’ailleurs de leur appel en faveur de Charles Enderlin pour réitérer l'affirmation sans preuve selon laquelle les tirs qui ont tué l'enfant et blessé le père étaient israéliens.
Les citoyens qui ont interpellé France 2 uniquement sur les invraisemblances balistiques n'ont pas été écoutés parce qu'on les a amalgamés aux tenants de la thèse de la mise en scène. Indignation véritable ou perfidie ? C'est en tout cas à cause de cette faille que France 2 a très vite fait le choix de se débarrasser du bébé en même temps que de l'eau du bain.
L'information proposée en France depuis quelques années est passée au crible de cette grille de lecture simpliste qui conduit à la diabolisation d'Israël, n’en déplaise aux adeptes du complot judéo-maçonnique et des médias aux mains des Juifs.
L’enfant est-il mort ? Et dans l’affirmative, tué par qui ?
Il est si douloureux de penser qu’un enfant est mort, où que ce soit et pour quelque raison que ce soit, que la tentation est grande de nier l’issue fatale.
Ce qui est sûr, c’est que d’un côté comme de l’autre, la vie ou la mort de ce gosse est devenue accessoire. Il est devenu symbole. De l’inhumanité des Juifs ou de la partialité des médias. Au point que le Nouvel Obs a lancé une pétition pour dénoncer le crime de lèse-majesté commis par ceux qui ne croient pas aveuglément ce que leur disent les médias.
«Vu à la télé» n’est plus seulement une formule publicitaire, mais deviendrait une preuve irréfragable de vérité.
La bonne surprise, c’est que le site du Nouvel Obs a reçu de nombreux courriers mettant en question le fait d’être à la fois juge et partie. Indépendamment de la raison pour laquelle les internautes se prononcent, c’est un signe de bonne santé de la démocratie. Le 4ème pouvoir s’arroge le statut de pouvoir tout court ? Le public se constitue partie civile.
Sur Youtube, un agrégat de rushes intitulé «Pallywood» pose des questions embarrassantes sur le spectacle donné à voir par la chaîne de service public.
Charles Enderlin sur son blog s’attache à le démonter et à défendre sa crédibilité dans un montage concurrent.
«Pallywood» montre le tournage de certaines mises en scène destinées à la propagande pro-palestinienne : indications du metteur en scène, positionnement des acteurs, marques de satisfaction à la fin d’une bonne prise… «Pallywood» note aussi qu’on ne voit saigner ni l’enfant mort ni son père grièvement blessé est souligné.
Dans le montage de Charles Enderlin, un arrêt sur image montre bien que le T-shirt du père présente un impact de balle à la manche qui n’y figurait pas au début de la séquence.
«Pallywood» insiste sur le fait que plusieurs protagonistes crient «l’enfant est mort» avant que celui-ci soit atteint. Sans y toucher, comme en passant, le montage d’Enderlin commente que cette phrase, «en arabe parlé», signifie que l’enfant est en danger de mort.
«Pallywood» démontre, croquis à l’appui, que les balles qui ont touché l’enfant et son père ne pouvaient matériellement pas avoir été tirées depuis la position israélienne. Dans l’autre montage, à l’appui du commentaire originel d’Enderlin, stipulant que les balles israéliennes ont tué l’enfant, «Talal cherche d’où viennent les tirs qui correspondent aux impacts autour de Jamal et son fils» mais «sa caméra revient sur eux» sans qu’il soit dit explicitement qu’il ne voit pas d’où viennent les tirs.
Restent les vraies questions
Il est difficile de croire que «l’enfant est mort» signifie «en arabe parlé» que «l’enfant est en danger de mort», surtout quand cet arabe est parlé par une population dont le quotidien est fait de combats, ce qui rend cette distinction fondamentale.
D’autant que si telle est vraiment la signification de la phrase, pourquoi les témoins ne crient-ils pas «ils sont morts». Pourquoi seulement l’enfant ? Extraordinaire prescience puisque, en effet, quelques secondes plus tard seul l’enfant meurt, alors que le père est blessé.
Cela conduirait à postuler qu’il s’agit effectivement d’une mise en scène qui a mal tourné. Ainsi s’expliqueraient aussi bien les cris intempestifs prévoyant précisément la mort de l’enfant et non celle du père, mais également la chute de l’un et de l’autre.
Que les al-Dura père et fils n’aient pas été tués par des balles israéliennes est maintenant avéré. D’une part, ils étaient absolument invisibles depuis la position israélienne et d’autre part, les Israéliens tiraient avec des M16 des balles à haute vélocité (900 m/sec) dont l'impact crée une onde de choc qui, dans le cas d'un toucher à l'abdomen par exemple, engendre une cavitation faisant éclater d'autres organes.
L’aspect de deux victimes après les impacts est clairement celui de calibre 7.62, avec un petit trou à l’entrée et un gros à la sortie. Comme les balles que les Palestiniens tirent dans «Pallywood».
Mais comment le père et l’enfant ont-ils pu être touchés par des balles palestiniennes ? Ne se trouvaient-ils pas à un endroit où aucun tir croisé n’était possible ? Derrière un baril qui les dissimulait aux Israéliens et adossés à un mur aveugle, exactement en face de la position palestinienne dite de la Pita.
Alors quoi ? Une balle partie accidentellement ? Non, DES balles parties accidentellement. Plusieurs dans chaque victime.
Corporatisme et blasphème
Il est des héritiers installés dans une victimologie ontologique : le sort inhumain fait à leurs parents les a conduits à si fort crier au loup au moindre soupçon d’antisémitisme qu’ils sont tombés dans tous les pièges tendus par les faussaires et les manipulateurs gravitant dans les recoins de la Toile. Désormais leurs appels, même justifiés, ne sont plus pris au sérieux.
Et bien involontairement, leurs excès ont permis aux négationnistes de relativiser jusqu’à l’indicible Shoah. Et à leur retourner l’accusation de négationnisme lorsqu’ils mettent en doute la mort d’un enfant élevé au rang d’icône.
Or dans la réaction de la profession médiatique faisant bloc autour d’un envoyé spécial vécu comme victime de négationnisme, il n’y a pas de position idéologique ou de volonté de nuire à Israël. Il y a simplement l’indignation authentique de professionnels voyant un des leurs accusé à tort.
L’ordre des médecins, celui des architectes prendraient certainement fait et cause pour un des leurs jugé faussement accusé, même s’il n’est pas le plus scrupuleux et le plus qualifié des membres de la profession.
Scoop : l’objectivité n’existe pas !
Bien sûr, l'information est orientée. Mais le recours aux fausses images n’est pas nécessaire. Même si elles sont parfois produites, ce qui influe sur nous à la longue, c’est l’éclairage de la scène toujours semblable, le choix des protagonistes, toujours les mêmes dans les mêmes rôles. Le choc des photos est accompagné du poids des mots, le choix des sujets par celui du vocabulaire codifié qui justifie les attentats des terroristes devenus «activistes» voire «résistants».
Le casting immuable transforme les Palestiniens en victimes infantiles à qui est déniée toute responsabilité. Les «roquettes artisanales» pleuvent en silence médiatique sur Sderot : les «enfants colons» ont 15 secondes pour courir aux abris et quand ils meurent, leur famille souffre loin des caméras.
Il serait peut-être temps de retrouver – de trouver – un minimum de distance avec le conflit le plus médiatisé du monde. Une distance réelle, intellectuelle et raisonnée qui éviterait la passion actuelle, inversement proportionnelle à la distance géographique qui nous sépare du terrain…
Il serait temps aussi que tous les citoyens soient libres et égaux devant la loi. Quand un professionnel quel qu’il soit commet une faute grave, il est licencié. Les journalistes ne jouissent d’une parfaite impunité qu’en France.
En Angleterre, en 2004, Piers Morgan, rédacteur en chef du Daily Mirror, a été contraint à la démission après qu’il ait été établi qu’il avait publié des faux sous forme de photos montrant des militaires britanniques en train de brutaliser un prisonnier irakien.
En 2006, un photographe de Reuters a été licencié pour avoir augmenté artificiellement les volutes de fumée sur Beyrouth, laissant imaginer des bombardements plus importants que la réalité.
Certes, en février 2004, Olivier Mazerolle avait dû présenter sa démission après que David Pujadas ait annoncé le retrait d'Alain Juppé de la vie politique au moment où celui-ci déclarait le contraire sur une autre chaîne. Mais s’il était remplacé à la tête de la rédaction de France 2, Mazerolle continuait à présenter l’émission politique phare de la chaîne : «Cent minutes pour convaincre».
Charles Enderlin a commenté des images qu’il n’avait pas vu filmer. Il a accusé l’armée israélienne de la mort d’un enfant alors qu’il n’avait aucune idée de qui en était responsable.
Depuis, il a été établi avec certitude que son accusation était erronée. Il n’a pas encore été contraint de présenter des excuses. Il n’a pas été licencié. Cette impunité est un privilège inacceptable dans une démocratie.
Nous sommes tous responsables de nos actes.
Les journalistes aussi.
Liliane Messika © Primo, dimanche 8 juin 2008