Liban : quand les moutons applaudissent leurs bouchers (info # 010708/10) [Analyse]
Par Michaël Béhé à Beyrouth © Metula News Agency
La tragicomédie libanaise, dont les acteurs sont les leaders politiques, a franchi, cette semaine, le mur du son. De gauche à droite et des chrétiens aux chiites, on s’est félicité du "retour en grâce" de l’armée libanaise.
Si souvent décriée, jugée (avec raison) à peine capable de régler la circulation, rampant aux pieds du Hezbollah et de la Syrie, transparente face à l’ "ennemi sioniste", son "action d’éclat" à Adayssé a redoré son blason.
Sans se rendre compte du ridicule de sa posture, la classe politique parle "de redistribution des cartes" face à Tsahal. Elle affirme que, si, jusqu’à présent, les officiers israéliens pouvaient faire comme si elle n’existait pas, depuis la "leçon" qu’ils ont reçue mardi, ils vont devoir changer de doctrine et compter avec notre "fière armée".
Il ne viendrait ici à l’idée de personne de déclarer publiquement que le fait d’assassiner un lieutenant-colonel adverse, occupé à la supervision de travaux de jardinage, n’a rien d’un exploit militaire.
C’est plutôt un acte mafieux sommaire, digne des républiques bananières, qui ne mesurent pas les conséquences de leurs agissements.
Un acte qui ne change rien au rapport de force de un milliard à un qui prévaut entre les deux armées. Non seulement au niveau des armes en présence, mais également à celui du courage, de l’intelligence et de la dignité.
Et si l’assassinat, de sang froid, du lieutenant-colonel Harari (à une lettrer près, cela fait Hariri, tiens tiens, on dirait que le maktoub et la mort se jouent encore des hommes et de leurs frontières !) ne modifie strictement rien sur le plan du rapport de force, en revanche, il a des conséquences désastreuses pour le Liban dans tous les domaines.
A commencer par les deux mille cinq-cents types, portant l’uniforme national dans la région frontalière, qui, depuis la semaine dernière – et sans en retirer le moindre bénéfice d’aucune sorte – sont devenus des cibles pour les snipers expérimentés de Tsahal.
A poursuivre par la perte de crédibilité du gouvernement, du président et du commandement de l’armée à l’échelle internationale. L’Amérique d’Obama et les Nations Unies nous traitant de menteurs sur la scène internationale ; c’est non seulement une claque sonnante pour nos institutions, mais aussi une prise de risque incroyable pour notre sécurité nationale : quand l’offensive du Hezb contre les autres Libanais débutera – et tout le monde ici sait que c’est une question de temps -, personne ne s’intéressera à notre sort, pas même à son extension humanitaire.
Pas Israël bien sûr, pas l’Europe ni l’Amérique, et pas la Finul, qui, comme lors du dernier putsch de la milice, ne traversera pas le Litani pour venir à notre secours.
Notre armée de héros ? Ils la laisseront tous se débrouiller seule. Le monde a tant de préoccupations, qu’il ne va pas ses soucier de prêter main forte à une bande d’illuminés, pathologiquement atteinte du syndrome de Münchhausen, et meurtrière de surplus.
Quant aux armes que les Etats-Unis et l’Europe fournissaient à notre armée, jusqu’à présent, nous pouvons mettre une croix et une étoile coranique dessus. Il est plus efficace, si l’on entend soutenir le terrorisme et affaiblir ce qui reste de l’autorité de l’Etat, de les envoyer directement au Hezbollah.
Un politicien local, se doutant de ce qui va arriver, a ironisé sur le fait que les USA peuvent garder les Hummer (grosses Jeeps blindées) qu’ils nous envoient (gratuitement), car leur consommation assèche les finances nationales.
Encore un génie ! Le moment venu, nous protégerons nos femmes et nos enfants de la milice avec des arcs et des flèches...
Question factualité, la croyance sincère en notre bonne foi a duré moins d’une journée. Jusqu’à mercredi midi, il était encore possible, à Beyrouth, de croire que les Israéliens avaient franchi la frontière.
Ensuite, c’est devenu de la propagande orientale. A court d’arguments face aux accusations précises de nos détracteurs, nos officiels se sont mis à balbutier des thèses de mauvaise foi ; le chef de l’armée, le général Kahwagi, un chrétien de l’école du Président Souleiman, à la solde des Syriens et à deux doigts de l’internement psychiatrique, a inventé un néologisme pour définir la route des patrouilles de Tsahal : la "frontière technique".
Plus qu’un néologisme, c’est un libanisme : nous avons assassiné un père de famille, perdu deux hommes et hypothéqué notre reste de crédibilité, parce qu’une pelle mécanique des Hébreux a "franchi la frontière technique".
Le gouvernement a ressorti à l’air libre des documents "prouvant" qu’en 2000, au moment du retrait israélien, le Liban avait fait valoir des revendications quant au tracé de la frontière internationale, dans trois régions, dont Métula et Adayssé.
C’est absolument exact, mais nos représentants ont "oublié" que ces revendications avaient été postérieurement levées, suite à l’arbitrage que notre pays avait demandé à l’ONU. Dès lors, le tracé de la frontière internationale – la ligne bleue – a été officiellement adopté par notre exécutif, et c’est faire dans l’autodérision que de brouiller volontairement la chronologie des événements.
Sur le plan international, il ne s’est trouvé que l’AFP et Le Monde pour développer l’argument selon lequel le tracé de la ligne bleue serait encore contesté par le Liban. Leur haine d’Israël et de la réalité factuelle atteint des proportions effectivement effrayantes.
L’AFP ajoutant à certaines de ses dépêches concernant les incidents de mardi, le nombre des morts libanais durant la guerre de 2006, et précisant que c’étaient pour la plupart des civils. Que voilà une étrange façon de justifier un assassinat ! A les suivre, on pourrait même légitimement lancer une bombe atomique sur Tel-Aviv.
C’est sans compter que j’avais déjà, à l’époque, démontré, preuves recueillies dans les hôpitaux à l’appui, que la majorité écrasante des victimes participait de l’appareil de guerre de la milice.
De plus, chaque fois qu’un journaliste de bonne foi évoque la guerre de 2006, il a l’obligation éthique de rappeler précisément qui fut à l’origine de l’agression préméditée qui la déclencha. Car c’est celui qui déclencha cette guerre, qui est seul coupable de tous ses morts et de tous ses blessés, tant au Liban qu’en Israël.
Au temps pour l’AFP, qui s’occupe de la propagande des ennemis d’Israël et de ceux qui s’opposent au Liban démocratique, indépendant et libre !
Le mensonge colporté par cette agence concernant l’envoi, mercredi et jeudi, de renforts massifs israéliens à Adayssé, et révélé par la Ména est énorme en termes professionnels. Dans une situation équitable, il devrait valoir l’éviction des journalistes en faute et la démission de la direction de l’agence française. Mais la France ne se trouve pas dans une situation d’information équitable en ce qui concerne le Moyen-Orient (notamment).
A Beyrouth, on veut maintenant ignorer les circonstances de l’affrontement de mardi pour n’en retenir que l’affrontement lui-même. "Notre armée a fait face à Tsahal !". Les imbéciles !
Les politiciens libanais sont, dans ce travestissement, encouragés par un article de Gideon Lévy dans Haaretz. Un papier incroyable, qui encense le comportement de l’armée libanaise et dénonce celui de Tsahal, sans s’embarrasser des contingences factuelles de l’incident et de savoir qui en fut coupable.
Cet article a été reproduit tel quel dans plusieurs de nos media. Mes confrères locaux restent bouche bée devant la liberté d’opinion existant en Israël, comme l’exprime Ziyad Makhoul dans l’Orient-le-Jour :
"On peut reprocher une quantité de choses à l'État d'Israël. Mais pas, définitivement pas, ses médias en général et sa presse en particulier, leur somptueuse liberté d'expression et cette apnée dans la praxis démocratique que même un Hassan Nasrallah a condescendu un jour à applaudir (...)".
On lit énormément la presse israélienne à Beyrouth, et, particulièrement, la Ména, dont on attend chaque nouvelle analyse avec impatience. Témoin cet autre passage trouvé dans l’Orient-le-Jour :
" La presse israélienne, pour sa part, n'a pas hésité à accuser le commandement de la brigade déployée dans le secteur d'être chiite et lié au Hezbollah, manifestant son inquiétude de voir 60 % de la troupe libanaise appartenir à cette communauté".
En fait de presse israélienne, cette information n’est parue que dans la Ména, et c’est naturel, car c’est moi qui ai obtenu, d’un chef de notre armée, de connaître l’étonnante composition de l’armée libanaise au sud du Litani, et l’origine communautaire de son commandant.
La citation est correcte à deux détails près : nous n’avons pas parlé de brigade, car 2 500 hommes ne constituent pas une brigade, et n’avons pas écrit que ledit commandant était "lié au Hezbollah", mais que c’est de lui qu’il recevait ses ordres et non du commandement de l’armée libanaise.
Un fait confirmé depuis par des sources libanaises, et, entre autres, implicitement par le même Orient-le-Jour.
Et c’est bien là le plus grand souci à propos de l’incident de mardi : ceux qui ont perpétré l’assassinat ne répondent pas de monsieur Kahwagi mais de M. Nasrallah. Ce sont des miliciens portant l’uniforme de l’armée ou des militaires ralliés à la milice. C’est kif-kif. Ce qui signifie, singulièrement, que la milice peut, quand elle le désire, non plus uniquement déclencher un conflit entre elle et l’armée israélienne, mais désormais, entre Israël et le Liban.
Les analystes de fonds des poubelles de Beyrouth feraient bien mieux de se pencher sur ce risque existentiel que de se réjouir de leur "victoire" à la Pyrrhus.
Saad Hariri, 1er ministre libanais et Béchar Al-Assad, le commanditaire présumé de l’assassinat de son père, peut-être en train d’organiser le sien : mêêêêêh !
Jérusalem va officiellement demander à Beyrouth, au vu des éléments désormais connus, de traduire en justice le commandant en question. Mais Beyrouth ne pourrait pas, même s’il le désirait, car passer en jugement un affidé du Hezbollah, même s’il porte l’uniforme national, équivaut à déclencher une nouvelle guerre civile.
C’est précisément ce qui se passa lorsque le cabinet Siniora exigea de remplacer l’officier hezbollah/armée qui commandait l’Aéroport International du Liban.
De toute manière, si le Liban n’obtempère pas à la légitime requête de Jérusalem, les soldats de Tsahal recevront probablement l’ordre d’abattre le commandant assassin à vue, dès qu’ils l’apercevront à travers le grillage de la "frontière technique". Les Hébreux ont la mémoire tenace et ne pardonnent pas aux assassins.
Le gouvernement, le président et Kahwagi ne commandent plus rien. Ce sont le Hezbollah, l’Iran et la Syrie, par son truchement, qui font la loi. Toute la loi.
Les ennemis du Liban, ceux qui planifient sa perte, ce ne sont évidemment pas les Israéliens, mais ceux qui les ont agressés mardi : la milice chiite et ses tentacules. Israël constitue un des rares éléments de stabilité dans ce pays, c’est ce que les bons à rien qui nous dirigent devraient s’empresser de comprendre. De cette compréhension dépendra peut-être notre salut.
Nous nous trouvons dans la situation ubuesque, où des moutons promis à l’abattoir applaudissent aux exploits de leurs bouchers. Du libanais pur cru. L’inconséquence fièrement poussée à son paroxysme. Le suicide en douceur, en y prenant le temps.
Mais pas tous les Libanais ne sont dupes. La nouvelle endémie est celle de l’arrestation d’agents israéliens. C’est un tsunami ; ils ne se comptent pas en dizaines mais en centaines, venant des villages et des villes, de toutes les régions, de toutes les couches sociales de la population, mais surtout, des cadres supérieurs à la retraite de l’armée, de la Sécurité Intérieure et de la police.
Et c’est encore sans intégrer au calcul les milliers de mes compatriotes qui ne demanderaient pas mieux que de renseigner Israël sur les préparatifs de la milice et les activités des "conseillers" iraniens qu’ils n’ont pas invités chez eux.
Des traitres ? Ce sont les meilleurs d’entre nous, les authentiques patriotes ; ils n’agissent pas pour de l’argent et ils s’exposent à la peine de mort. Ce sont les Libanais qui savent qui s’apprête à nous asséner le coup fatal et ne sont pas disposés à jouer les candides sur le chemin de la boucherie.
Il suffit de regarder et d’entendre ce qu’on nous prépare, inutile de briguer un Prix Nobel pour saisir ce qu’on nous accommode. Depuis un mois et plus, la milice et la Syrie martèlent que, si le Tribunal international Sur le Liban émet un acte d’accusation impliquant des miliciens, le Liban cessera d’exister. Ils savent de quoi ils parlent, car ce sont eux qui nous tueront.
L’assassinat de la semaine dernière participait d’une initiative béotienne de la part du Hezb de raviver artificiellement le risque d’une intervention israélienne. Un risque totalement fictif – qu’est-ce que les Hébreux auraient-ils à gagner à s’emparer d’une portion de notre bourbier ? – sauf si on les agresse intentionnellement ; si on lance sur leurs civils des centaines de roquettes ou si on assassine leurs officiers supérieurs, comme mardi.
Durant la semaine qui va s’ouvrir, les Libanais auront droit à un grand show de Nasrallah, lors duquel il exposera les "preuves" que ce sont les Israéliens qui ont abattu Rafic Hariri.
Foutaise : c’est le Hezbollah lui-même, sur commande de la Syrie, qui a commis ce crime. Le show en question s’adressera à des enfants retardés du Moyen-âge, selon l’expression consacrée d’Ilan (Tsadik), mais certains feront semblant d’y croire, car ils se situent à la mauvaise extrémité du fusil.
A croire Nasrallah et Al-Assad, le TSL serait l’expression d’un vaste complot américano-israélien dirigé contre les Arabes. Sur ce point également, ils omettent de se souvenir que c’est le gouvernement libanais qui a demandé la constitution du TSL au Conseil de Sécurité de l’ONU.
Considérer les enquêteurs et les juges internationaux comme des "agents sionistes" et crier fort et à l’unisson que nous croyons aux balivernes dont nous abreuvent la milice et la Syrie, c’est leur condition pour maintenir le Liban en vie. Pour ne pas nous massacrer immédiatement.
Et pour ne pas trop réfléchir à ce qui nous attend, certains d’entre nous applaudissent à l’assassinat par les Hezbollah déguisé de Dov Harari, qui nous place à genoux devant nos voisins et nous éloigne de nos amis naturels. Les cons.