drame en Norvège, je prends l'analyse de Stephane Juffa de la Mena - Elisabeth
Avec quelques kilos d’engrais et une bonne carabine (info # 012607/11) [Analyse]
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Il faut se garder de procéder à de faux amalgames dans le cas des deux attentats qui viennent de secouer l’Etat modèle norvégien. Ce, car cela amènerait à définir des leçons erronées, et à passer à côté des enseignements qu’il est prudent de tirer de ces événements tragiques. De même, ces assassinats collectifs imposent une réflexion politique et sécuritaire complexe mais profonde, que les responsables ne pourront entreprendre que s’ils sont capables de décrypter correctement la signification de ces actes.
D’abord, évitons les associations d’idées simplistes : l’auteur des tueries, Anders Behring Breivik, est un illuminé ayant probablement agi seul. Son initiative ne s’inscrit dans aucune dynamique menaçante. Bien qu’il se déclare appartenir à l’extrême droite, et que de nombreux sites Internet néonazis se montrent apologétiques à son sujet, voire s’identifient à ces meurtres, le monde civilisé n’a pas à craindre, dans l’immédiat du moins, de vagues d’attentats fomentés par cette exécrable mouvance.
A la différence des assassinats collectifs aveugles perpétrés en Italie durant les années soixante-dix et quatre-vingt contre des gares et des édifices publics, on ne trouve aucune organisation tentaculaire derrière Behring Breivik. En Italie, on avait affaire à de puissantes loges secrètes, qui s’imaginaient qu’elles allaient changer le cours de l’histoire, amener à l’élimination des forces qui les insupportaient, en s’attaquant à des foules innocentes.
L’halluciné norvégien, s’il a tablé sur le même phénomène et sur les mêmes moyens, n’est pas l’émergence ou l’exécutant d’une quelconque organisation de ce type. C’est dans son seul esprit qu’il a conçu et organisé ses exactions, comme il l’explique au long du manifeste de 1500 pages qu’il a mis en ligne pour justifier ses actes.
Il n’existe donc aucun lien direct entre les assassinats perpétrés au centre d’Oslo et sur l’île d’Utoya et les autres formes de terrorisme qui ravagent la planète, à commencer par le plus prolifique d’entre eux, le terrorisme islamiste.
On peut ainsi en conclure, que l’Etat providence propret qu’est la Norvège, avec ses cinq millions d’habitants, son taux de chômage zéro et ses 400 milliards d’euros dans son fonds souverain, issu de l’exploitation des hydrocarbures dans la Mer du Nord, ne connaîtra pas de sitôt semblable catastrophe. D’abord, parce que, comme on vient de l’écrire, l’assassin ne représentait personne, et que les déments de son espèce, disposant de son sens de l’organisation et du sacrifice, ne font pas florès. Ensuite, et cela commence à nous intéresser, parce que la Norvège, suite à ce douloureux réveil, va prendre très rapidement des mesures destinées à renforcer son attention face à des périls de ce genre. Elle va mettre ses services à jour afin qu’ils coïncident avec le niveau réel de violence ambiante, qui menace les sociétés éclairées, et, particulièrement, les plus réussies d’entre elles.
Pour ce faire, les autorités norvégiennes, mais également celles des autres pays scandinaves, je peux vous l’assurer, vont se doter des unités de renseignement adéquates, vont tenter d’infiltrer les réseaux d’extrême droite et d’extrême gauche, et vont cesser de compter sur la providence pour protéger leurs bâtiments officiels, leurs concentrations d’enfants et leurs lieux publics. La Norvège va se mettre au diapason sécuritaire des autres communautés ayant déjà expérimenté les affres de la violence terroriste, qu’elle soit le fait d’organisations, de sectes ou d’individus isolés : La violence-rage : un "insatisfait" abat seul 76 personnes, au fusil, sur l’île d’Utoya.
Elle rejoindra ainsi des Etats comme l’Espagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, la France, et les Etats-Unis, le pays, de loin, le plus touché par les actes de ce genre. Mais il n’est pas question pour nous de nous en tenir à ces seules conclusions et de clore cet article ici, nous manquerions l’essentiel ! Nous, au contraire, d’observer ce que nous annonçons depuis longtemps : la sécurité, tant publique que personnelle, constitue un luxe, non pas un état naturel. En fait, il va de plus en plus s’agir d’un "produit" de luxe, comme on va commencer à le comprendre.
Pour nous y aider, l’instinct de conservation est plus prompt à réagir que les spécialistes avec leurs analyses. J’en veux pour illustration, que, sans attendre les décrets et les directives gouvernementales, il ne viendra plus à personne l’idée d’organiser une université d’été, une manifestation sportive ou une concentration humaine de n’importe quelle sorte, sans les sécuriser par des vigiles. C’était déjà la tendance, elle vient de recevoir une piqûre de rappel. Les murs autour des villas vont grimper d’un bon mètre, et les caméras de surveillance vont devenir un must incontournable.
Mais pas pour tout le monde, uniquement pour ceux qui peuvent se payer le produit de luxe sécurité. Les autres, la masse des gens communs, sera de plus en plus exposée aux Anders Behring Breivik. Les colonies de vacances populaires n’auront pas les moyens de s’offrir des gardes, non plus que les propriétaires de voitures contraints à vivre dans les banlieues maudites.
Les effets du retour de l’état de jungle se feront plus précis encore : ceux qui en auront assez de faire accompagner leur progéniture à leur établissement scolaire, qui ressemble par endroit à un camp retranché, d’aller siroter un cocktail dans un club hyper gardé, et d’exister sous la protection des patrouilles des polices privées, iront poser leur tente dans un lieu qu’ils croient plus sûr. C’est, entre autres – situation ô combien paradoxale ! – l’une des raisons clés pour lesquelles 45 000 Français ont acheté une demeure en Israël.
L’antisémitisme, certes ! L’hostilité ambiante, bien sûr ! L’isolement politique, oui ! L’empathie pour l’Etat hébreu, assurément ! Mais, avant tous ces considérants, peut-être, l’envie de s’assurer un pied-à-terre dans un endroit où la sécurité est devenue un art de vivre. Le danger est proche de Tel-Aviv, mais mieux vaut le voir en face, pensent d’aucuns, dans une société qui s’est préparée pour l’affronter, que dans un lieu comme Oslo, où on s’est fait prendre par une totale surprise.
La généralisation du risque de violence est-elle le fruit du hasard ? Une mode ? Une mauvaise période à traverser ? Non, bien sûr. Elle est la résultante des dérèglements ; ou, plus exactement, la fin du mythe de la sécurité en tant qu’état naturel de l’homme, garantie de tranquillité qui nous viendrait en naissant.
Les dérèglements ont amené la prise de conscience, chez les "insatisfaits", de la facilité qu’il y avait à semer la destruction et le chaos. De là à exploiter cette facilité à des fins politiques, nationalistes ou mafieuses, il n’y a qu’un ru à enjamber. Le forcené norvégien en a fait une nouvelle démonstration : il a fait sauter une bonne partie du siège du gouvernement norvégien avec… de l’engrais agricole. Et M. Jens Stoltenberg, le 1er ministre, d’après ce que nos confrères scandinaves rapportent, a eu beaucoup de veine de s’en sortir indemne.
Sans vouloir affliger une nation en deuil, nous sommes tout de même obligés de constater que les services de sécurité norvégiens, pris à froid, impréparés au-delà du raisonnable, ont commis des erreurs impardonnables dans leur traitement de cette crise.
Comment expliquer autrement que, constatant que le symbole du régime venait d’être attaqué à Oslo, ils n’aient pas immédiatement réalisé que d’autres symboles semblables pourraient encore être pris pour cibles ? Particulièrement, la réunion annuelle emblématique des jeunesses sociales-démocrates du même parti que Stoltenberg ? Comment ont-ils eu l’indolence de croire que l’attaque se limiterait à un seul attentat ? Que n’ont-ils pas mis en place un plan d’alerte générale (cela s’imposait), qui passait par des mesures de protection de toute concentration humaine, particulièrement des meetings politiques, plus particulièrement, encore, des réunions assimilables au premier objectif visé ?
Il est difficile d’envisager, pour un Israélien, qu’un terroriste venant de perpétrer un attentat en plein cœur de la capitale puisse, sans être inquiété, parcourir, de surplus, les 38 kilomètres qui le séparaient de l’île d’Utoya, emprunter un bateau pour s’y rendre, et y perpétrer, au fusil, le carnage que l’on sait.
Pour en revenir aux dérèglements, on se doit de mentionner – parce que le meurtrier l’incrimine abondamment dans son manifeste – la présence de 500 000 immigrés musulmans au royaume de Norvège, soit 10% de la population.
Le parti auquel Behring Breivik avait adhéré durant dix années, le Parti du Progrès (FrP), qui a remporté 22,9% des voix aux dernières législatives, constitue le principal parti de l’opposition de droite aux sociaux-démocrates au pouvoir. Or l’un des chevaux de bataille du FrP est l’immigration, ses leaders définissant régulièrement la minorité étrangère sous les traits des "profiteurs de l’Etat-providence".
L’assassin est "juste" allé plus loin que les slogans du FrP, jugeant que la solution à "l’invasion musulmane" ne pouvait pas être la solution démocratique. Combien d’autres nationalistes chrétiens européens rongent-ils leur frein, incapables qu’ils sont de côtoyer ces personnes issues d’une culture différente de la leur, dont le nombre et la place augmentent partout sur le Vieux Continent. En Norvège, leur nombre a simplement doublé depuis 1997.
Ailleurs en Scandinavie, la présence d'habitants d'origine étrangère, c’est à dire nés à l'étranger ou nés en Suède de deux parents nés à l'étranger, est plus massive. Elle atteint, par exemple, la proportion de 40% des 500 000 habitants de Malmö. Les frictions entre les populations d’origines différentes y sont quotidiennes, et les partis ou mouvements racistes et xénophobes, de même que les obédiences djihadistes, y sont en pleine expansion.
Partout, en Europe, l’immigration musulmane s’accroit, en parallèle avec l’impact des formations populistes d’extrême droite. Ce double accroissement nourrit indirectement le dérèglement que j’évoque, en générant, dans leurs marges, des individus n’excluant pas le recours à la violence et au terrorisme.
En France, en particulier, l’existence de zones de non-droit, sur lesquelles règnent des clans disposant d’armes de guerre, laisse présager une détérioration prévisible de la situation sécuritaire. Le 13 juillet dernier, comme chaque année à la veille de la fête nationale française, de nombreux heurts ont eu lieu avec les forces de l’ordre, accompagnés de déprédations volontaires de biens publics et privés. Comme chaque année, pour protéger les bandits de la fureur des Français, les media tricolores n’en ont pas parlé.
Dans ces zones, les "insatisfaits", issus de l’immigration tout en n’en constituant qu’une petite minorité, ont démontré par la violence la haine qu’ils éprouvent pour leur pays d’adoption.
Autre élément des dérèglements, la condition catastrophique de l’économie de plusieurs pays industrialisés, à l’instar du Portugal, de la Grèce, de l’Italie, de l’Espagne et de l’Irlande, en Europe, participent à l’augmentation des rangs des insatisfaits.
A ce chapitre, le plus sérieux sujet d’inquiétude se situe aux Etats-Unis. La première puissance du globe est virtuellement en ruine, avec ses 16 000 milliards de dollars de dettes. Des Etats de l’Union se sont récemment déclarés en cessation de paiement, et le nombre de municipalités se trouvant dans cette situation se compte déjà par dizaines. Des administrations ont cessé de verser les salaires de leurs fonctionnaires et les retraites des personnes âgées.
Ces éléments sont de nature à booster, à terme, l’indice de violence, accentuant la germination de mouvements extrémistes, ainsi que d’individus poussés au désespoir, ou à la recherche de solutions miracles et violentes, qu’ils pensent à même de sauver le destin de l’humanité en crise.
Des considérants auxquels il est nécessaire d’ajouter les habitants d’Etats et de contrées, que nous considérons comme "abandonnées". Nous incluons dans cette catégorie les personnes vivant dans un environnement social, politique et économique dégradé, ou soumis à la volonté d’organisations et de milices qui oblitèrent leurs libertés fondamentales au profit de la poursuite d’objectifs politiques ou religieux.
Lors, force est de constater que la liste de ces territoires ne cesse d’enfler. Y figurent nombre de pays du Proche et du Moyen-Orient, à l’instar de l’Irak, de l’Iran, de l’Afghanistan, de la Syrie, de l’Egypte, de l’enclave de Gaza, et aussi, de la Libye et du Liban.
Certes, tous ces foyers d’insatisfaction ne sauraient être directement impliqués dans les assassinats collectifs en Norvège. Mais ils contribuent directement, en revanche, à entretenir et même à faire déborder la quantité gérable de violence et de terrorisme sur la planète.
De plus, ils déclenchent des réactions hystériques, de la part des plus fragiles psychologiquement, parmi ceux qui se sentent menacés dans leur identité ou leur sécurité. Et ils favorisent l’adhésion d’individus à des organisations et des mouvances mystico-religieuses, prônant des solutions violentes conduisant à des dictatures de la foi. Des entités ayant abandonné la rationalité, puisque la rationalité n’est pas capable de pourvoir aux attentes de base des populations.
En considération du déséquilibre généré par la multiplication du nombre des insatisfaits, il me semble angélique d’imaginer une amélioration globale de la sécurité. Au contraire, ces indications montrent que la sécurité se fera de plus en plus rare, et que les assassinats collectifs ne peuvent qu’aller se multipliant. La nature du monde et de l’humanité serait le désordre de la jungle ; l’organisation, lorsqu’elle est bien pensée et appliquée, possède la capacité d’instaurer l’illusion du calme et de l’harmonie.
Depuis que les insatisfaits ont pris conscience de la facilité avec laquelle il est loisible de semer la destruction, nous sommes contraints d’apprendre à vivre sous leur menace permanente, et de faire notre possible pour nous en protéger. Nous sommes à la merci de quelques dizaines de kilos d’engrais. Dans les régions les plus prospères, cibles de tous les insatisfaits, il n’est pas même possible de savoir quand le coup adviendra et qui le portera. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer que la quasi-totalité des victimes des attentats du 11 septembre 2001 ont ignoré, jusqu’au dernier moment, ce qui leur arrivait, qui les tuait, et la raison pour laquelle on en voulait à leur existence.