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Mohamed Khair Eddin l'enfant prodigue de tafraout

Envoyé par toufitri 
Mohamed Khair Eddin l'enfant prodigue de tafraout
17 novembre 2008, 10:09
Mohamed Khair Eddine: l'enfant prodigue De Tafraout:


Un poète, une ville:


« la ville semble plutôt disséminée, mais où les rescapés s'attachent profondément au moindre éboulis de leurs anciennes demeures... »



Disons que j'ai commencé à écrire en classe de 5ème secondaire (...). Je publiais dans la Vigie marocaine, il y avait même des professeurs qui m'encourageaient mais la famille était contre (...). J'étais plutôt fort en sciences et en français, nul en arabe, sauf en poésie. J'ai même écrit des tragédies que mon père a vendues à des marchands de cacahuètes qui en ont fait des cornets.MKE


Un fils d’Azrou Wadou! Mais pour simplifier on dit qu’il était de Tafraout !

Cette bourgade qui n’a donné en termes d’ « hommes actifs » que des épiciers et commerçants, qui n’avaient que faire de la littérature, encore moins de la poésie !

Tafraout à deux monuments : le Lion et le Sphinx :

Le lion lui, témoigne malgré le façonnage du béton et des couleurs bariolées, des demeures démesurées, d’un cirque hercynien qui est la depuis quelques centaines de millions d’années, avant que âmes ne soufflent, que cette région est bien cette région et rien d’autre !!

Le Sphinx, est notre Chechanq à nous, que la générosité de la pensée a crée. Un monument unique, mais alors vraiment unique, car depuis sa disparition plus personne ne peut se vanter d’écrire de la sorte : sauf quelques personnes encore attachées à cette francophonie berbère et qui donnent à la langue de Molière cette belle couleurs ocre, qui sent le thym et l’argile ! Des mots abrasifs et doux, c’est notre poète national Mohamed Khair Eddine !

Ce Rimbaud amazighe, a connu l’amertume de l’exil, et a écrit sans jamais cesser durant sa solitude d’ouvrier parisien, des chefs d’œuvres que beaucoup de Tafrtaoutis méconnaissent !

Aucun monument, aucune rue, ne porte le nom de notre âme sensible, qui a donné à Tafraout, ce que personne n’a encore donné, si ce n’est quelques @#$%& par ci par la qui ont écrit quelques ouvrages jaunes effacés !

Et bien sûr notre ami Mohamed Farid Zelhoud, qui essaie de porter le flambeau de cette belle poésie franco amazighe dans son beau oasis ombragé par l’amour et la sensibilité, il demeure actuellement le seul et l'unique poète à succéder à Mohamed Khair Eddine.

Mohammed Khair-Eddine est l'un des grands écrivains de la littérature francophone marocaine.

Il est né en 1941 à Azrou Wadou à Tafraout.

Très marqué par le séisme de 1960, il s’installe à Agadir en 1961 et y vit jusqu’en 1963. Il est chargé par la Sécurité sociale d'enquêter auprès de la population. Jeune écrivain, il fréquente ensuite le cercle des Amitiés littéraires et artistique de Casablanca. En 1964, il fonde, avec Mostafa Nissaboury, le Mouvement "Poésie Toute".

Il s'exile volontairement en France en 1965, et devient, pour subsister, ouvrier dans la banlieue parisienne. A partir de 1966, il publie dans la revue "Encres vives" et collabore en même temps aux "Lettres nouvelles" et à "Présence africaine". En 1967, c'est la révélation de son roman "Agadir", salué par le prix "Enfants terribles", qu'avait fondé Jean Cocteau.

En 1979, il s'installe à nouveau au Maroc. Il meurt à Rabat le 18 novembre 1995, jour de la fête de l'Indépendance du Maroc.


Chroniques et correspondances


Etats d’âme :

de Mohamed Khair Eddine à Abdellatif Laabi 1966

Il faut que je me sente assez dégoûtant et assez dégoûté pour continuer ma Nausée ; il faut que celle-ci dépasse le domaine du noir. Quoi, nous sommes des aigles ou non ? Je crevais d'asphyxie. Tu ne t'imagines pas à quel point je souffre de vivre dans ces bas-fonds avec une meute de chacals qui en sont encore à dévorer les vieilles brebis du Seigneur. Avec eux point de discussion, on ne peut pas même se faire entendre. Leurs problèmes ? L'argent, la bouse, le chiendent et le froid. Pas de vie potable, pas d'âme (Mohammed en pâtirait). Mais ce choc brutal m'a finalement réouvert sur le vrai gouffre. J'ai pu reprendre mon travail. Je projette d'écrire un roman assez complexe où poésie et délire seraient un. J'ai trouvé du phosphate, aux consciences de s'ouvrir aux tonnes de vices qui m'effritent. Je suis quasiment sacrifié, par saccades : un malchanceux de premier ordre, un aveugle qui hurle à péter. C'est pourquoi j'ai écrit "sangs". Je cherche une piste, je suis devenu flic-chirurgien. B.J. t'avait parlé de mon déséquilibre. Il avait raison. Mais mon désarroi ne se voit guère, ne se sent pas, c'est dans mon sang un bacille imbattable, une poignée de baroud prête à sauter, bref c'est moi-même, avec mes tiraillements intestinaux et mes bouches tordues ; moi-même pas fichu de rendre visite à mes collègues poètes ou borgnes ici présents...

Nous devons nous imposer, il est temps. Nous dénoncerons les malfaiteurs qui strient les chairs de notre peuple, essayer d'abolir les traditions les plus proches des ferrements. Proclamer la Liberté. Ce n'est pas sans raison que je m'exile ici. D'abord je voudrais faire un chemin à suivre. Et en même temps attirer l'attention du voleur et du volé, du crocodile et de la victime, des nouveaux sorciers de l'Afrique et des hypnotisés...

Tous ceux d'ici qui se réclament de l'avant-garde se leurrent. L'avant-garde c'est tout ce qui se fait en Afrique. On ne fait ici que continuer une certaine écriture qu'on arrange tant bien que mal, et une philosophie stérile qui n'a de prise sur l'homme que par la confiance qu'il place en elle.

Mohammed Khaïr-Eddine Paris 1966


Histoire d'un bon dieu:

Souffles pp. 26-30 numéros 10 et 11, 2e et 3e trimestre 1968

Le Bon Dieu se tenait contre une colonne de bois de cèdre qui étayait depuis des temps lointains le plafond de cette taverne où j'avais coutume de me rendre pour remplir, comme tout homme qui veut jouir malgré le temps et les bourrasques, ma triste petite vie. Il léchait un mégot jaune qu'il avait allumé et éteint pas mal de fois. Il portait des guenilles goudronnées et un turban très très blanc. C'est, me dit-il, la seule chose qui m'appartient vraiment; la seule chose que je lave tous les matins à la fontaine publique; heureusement que j'avais ordonné à mes sbires de placer des fontaines un peu partout. Le Bon Dieu sentait l'urine, l'alcool à brûler et le kif. Il dégageait un relent à la fois spirituel et putréfiant. Je ne parvenais que trop mal à endosser ce manteau d'odeurs, mais chaque mot qu'il prononçait me rendait le souffle. Le Bon Dieu hantait les bas-fonds de la ville et n'aimait pas montrer son nez ailleurs. La ville elle-même était très curieuse. Elle était divisée dès l'origine en plusieurs quartiers différents. Jadis, le Bon Dieu s'était fait bâtir pour ses besoins personnels un quartier où personne, hormis ses proches, ne pouvait se promener sans se sentir traqué. Le Bon Dieu entretenait alors une police très avisée et quelques centaines de chiens gros et gras qu'il avait lui-même dressés à l'instar des cerbères mythologiques. Ces chiens étaient en perpétuelle liberté. Ils se nourrissaient d'avortons, de vieillards, et parfois même de jeunes gens incapables de se défendre. Le portrait du Bon Dieu était partout placardé et les très respectables sujets de sa couronne pouvaient aisément l'aborder soit dans leurs rêves, soit dans la rue et lui baiser le front, le pubis et les orteils. En guise de réponse, le Bon Dieu souriait et partait d'un rire qui secouait à merveille les bâtisses des quartiers pauvres et décrépits. Il avait honte de voir qu'il était considéré comme un nouvel hercule et il s'en méfiait. Mais tant que ça peut durer ça va, se disait-il. Il battait et faisait battre jusqu'au sang les mégères qui brodaient sur son compte des anecdotes et des poèmes louangeurs. Car, vous répondait-il, c'est l'une des causes pour lesquelles j'en suis arrivé là, et c'est pourquoi je ne veux plus qu'on me chante n'importe comment; je paie des poètes bien éclairés pour ça. J'ai connu le Bon Dieu dans ses meilleurs moments. Il m'avait paru étrangement seul, en dépit de ses offices, de ses gardes, de ses richesses. Je le lui avais expliqué et il semblait me comprendre. Mais la plupart du temps, il faisait grise mine et me demandait d'effectuer à sa place quelques arrangements que sa situation d'omnipotence absolue ne lui permettait pas. Je passais aux yeux de ses sujets pour un maquereau habile et un homme d'affaires très astucieux. Les gens venaient à moi par milliers. Je rapportais au Bon Dieu, dont j'étais devenu le meilleur et le plus digne conseiller, tout ce qui se mijotait dans la ville. Si je viens à disparaître, me confia-t-il à l'oreille au cours d'une assemblée nocturne à laquelle assistaient ses chiens et ses policiers, c'est toi qui prendras ma place. Je n'ai confiance en personne d'autre. Les gens que tu vois ici sont des bâtons rompus. Ils ne produisent plus aucune espèce de son. Tu t'en serviras donc pour toi-même. Mais j'ai bien peur que tu ne t'en tires pas aussi bien que moi. Mais tu pourras, vu ton intelligence, avoir raison de cette racaille. Car ce n'est pas la gloire qu'il nous faut à nous autres, nous n'en avons que faire. Nous sommes au-dessus de tout ça; ce qu'il nous faut, ce qui nous importe le plus, c'est d'écraser méthodiquement et sans aucun intérêt ces têtes, comme des figues tombées sur le chemin. Si on jure par ton nom, si on te confond avec mes prophètes, tu feras cuire les deux testicules du coupable, tu flagelleras les mégères sur la poitrine. J'ai dans un tiroir de mon bureau un répertoire complet des récidivistes, y compris le nom et l'adresse des commères et des croquemorts. Tu n'as pas besoin d'hôpitaux, ni d'ambulances, mais d'ânes, élève le plus grand nombre d'ânes, tu en auras besoin. Et tâche de faire en sorte que les gens meurent assez rapidement pour être remplacés par des ânes. Les temps peuvent s'enrouler vite, retourner à l'état initial de la pelote. Avant de voir venir ta mort en pelote, tu feras mieux de comprendre pourquoi tu t'appelleras le Bon Dieu. Je ne vais certainement pas mourir, je demeurerai, j'ai toujours demeuré, je ne me rappelle pas qu'un certain jour il m'ait été donné de naître, je suis perpétuellement comme tu me vois, solide, important et maître absolu des choses et des ruines; je n'avancerai pas, nous ne sommes pas dans une administration quoique j'aie nommé quelques hommes dignes d'être mes porte-parole. Mais ce qui arrivera, ce qui va sûrement arriver, ce qui est déjà arrivé, c'est que je suis déjà amené par je ne sais quelle transmutation profonde à ne plus désirer quoi que ce soit. Tu t'installeras donc sur ma gloire et tu obligeras les autres à subir ton image à la place de la mienne. J'en ai assez! Le Bon Dieu renonça comme prévu à sa propre continuité. Il partit un beau matin sans que personne ne s'en aperçût. En même temps, je m'épatai sur son trône en insistant sur le fait qu'il me l'avait légué verbalement; mais je finis par me rendre compte que je n'étais pas assis sur un trône, il n'y en avait pas, mais sur un ramassis de mensonges et de complots qui s'étaient ourdis autour de moi.

Le Bon Dieu ne travaillait plus. Il passait le plus clair de son temps à faire les poubelles. Certes, il réussissait à écouler par-ci par-là les vieux objets qu'il récoltait. Il était devenu grisonnant, maigre et sale. Toute la saleté du monde s'était abattue sur ses épaules. Je l'ai voulu, me dit-il. Je l'invitai à boire à la santé de notre décrépitude. Il refusa. Par contre, il avait des vues assez larges depuis qu'il était passé par la dèche. Il voulait reprendre les choses en mains. Il s'était mis dans la tête qu'en criant qui il était sur les places publiques, il pourrait convaincre les gens et s'instituer Bon Dieu une seconde fois. Je lui fis comprendre qu'il avait perdu son omnipotence. Il me rétorqua qu'il l'avait certainement perdue et qu'il lui était encore possible de la récupérer. Il ne pouvait pas trimbaler ses dossiers partout où il allait, ils les aurait sûrement égarés au cours de ses longues clocharderies. Il me pria de l'aider à mettre de l'ordre dans ses pensées. Non, non, je suis devenu poète depuis ton départ; je ne veux plus entendre parler d'un règne quel qu'il soit. C'est à ce moment-là qu'il me montra qu'il était poète lui aussi. Il sortit de la poche de son lourd manteau un paquet de feuilles grises sur lesquelles il avait transcrit le poème de sa vie. Je pris le manuscrit, en le félicitant. Le Bon Dieu n'avait jamais rien fait de mieux. Pendant que j'y jetais un coup d'oeil, il disparut. Qu'à cela ne tienne! Il est hors de vue, mais nous lirons ensemble ce fameux écrit.

Par moi-même et par ceux qui ne croient plus en moi; par le typhus, les migraines, les ictères, les bosses, les neurasthénies, les coliques, le délirium-tremens, la peur que je leur inspirais, les désillusions, les guerres serviles, les maîtres-chanteurs, les commères, les caméléons, les phosphates que je n'arrivais pas souvent à écouler sur le marché, les émeutes, les poussières de mes comètes d'idées absurdes, les étages un par un jusque dans mes fosses immobiles, les grands pans d'immeubles repeints au cours de ma légende, je commence mon histoire notoire sans rien omettre qui fasse éloigner le but de mon écriture.

Mais s'il est un but auquel j'aspire, je n'y atteindrai pas. Ce but est ni plus ni moins ce qui me semble définir le moi aigri, ravagé par ma conduite antérieure. Que je sois maudit si mon histoire reste incomplète. Je l'aurai voulu, j'aurai décidé d'en faire un fardeau pour four crématoire. Je ne sais plus tuer comme avant. Avant, j'arrachais leurs dents à mes chiens et je me les faisais placer sur les miennes en vue de mordre plus cruellement. J'ai perdu mes dents, je les ai crachées un soir dans le ruisseau. Il n'est plus possible pour moi ni pour quiconque n'a pas les mêmes dents de récupérer les choses perdues. Cependant, j'ai encore une assez grande confiance en moi. Mais ce n'est pas le véritable objet de cet écrit, il n'est pas question d'intercéder auprès de qui le veut, car je ne réclame rien et je n'ai plus besoin de drogue. Naturellement, je vais en venir au vrai sujet de la discussion engagée avec moi-même. Je me raconterai ma vie et je l'écouterai l'écrivant. Mais comme j'ai horreur des boniments et des préfaces, surtout pour étayer une chose aussi importante qu'improbable, je déchirerai mes divers récits, car ils ne sont, à vrai dire, qu'une longue introduction à ma vie. D'abord, j'ai commencé par bannir de ma pensée l'idée d'un règne continuel, absolu et d'une omnipotence exagérée. Puis je me suis installé comme il se doit, en être semblable aux autres, je me suis installé sur ce qu'on avait érigé pour et par moi.

Et alors s'établit mon règne, s'effacèrent les doutes. Mais ce ne fut qu'une vraisemblance, car rien n'était totalement effacé; tout s'était légèrement recroquevillé à l'intérieur de la chair des sens et des pensées, confusément. De sorte que je pouvais éviter tout embarras et toute espèce de crainte. Je payais cher qui s'avérait capable d'assurer mon désordre. C'est la plus grave erreur que j'ai commise. Mais en dehors de quelques erreurs et tentatives aberrantes, il s'est produit une chose bizarre. Une chose inexprimable, dont il me sera difficile de fournir une explication. Je vais me suffire à moi-même, me dis-je. Je n'aurai de paix que tout aura sombré dans mon écho. Et c'est là ma vraie ruine. Quand j'en ai pris conscience, j'ai renoncé à suivre le cours authentique de mes desseins et j'ai remis au premier venu les clefs de ma supériorité. Je n'en avais plus que faire. Je m'étais déjà vu pour la nième fois acculé à cette limite et, malgré les fruits de mes arbres (dans la mesure, bien entendu, où un homme est également un arbre), je ne pouvais plus apprécier la honte infinitésimale des choses. J'ai pris lyre et pipe de terre cuite. Et j'ai longuement sifflé en relevant le col de ma chemise. J'avais du bon et du mauvais. J'avais laissé choir le règne et la régnétude. Je voulais faire le poème dont j'avais toujours rêvé: Ce sera ma création unique, je la donnerai à qui je voudrai.

Je connais parfaitement les mauvais chemins, les transgressions, les pendaisons et les agressions licites ou pas, la chute des dents, d'organes généralement fixes, les tumescences de l'aube et de la procréation créatrice; j'ai profité de ce que tout le monde dormait pour fabriquer le monde en commençant par lui trouver un nombril. Y suis-je parvenu? Suis-je à même d'y arriver? J'ai tabassé les pauvres et les fidèles. J'ai fait couler leur sang. J'ai emprisonné les hommes et les femmes qui ne voulaient pas de moi; je violais tout conformément à mon esprit. J'ai remis les choses utiles à plus tard. J'ai calciné la vérité et donné une place de choix au mensonge et à la rigolade. Si j'avais envie de rire et que je ne pouvais pas le faire moi-même, d'autres riaient à ma place et me faisaient parfois sourire. Si j'émettais une parole, tout le monde devait la répéter jusqu'à épuisement. Je faisais arroser mes fleurs à toutes les heures du jour et de la nuit. J'inquiétais ceux qui me voyaient. J'hallucinais ceux qui me regardaient dans les yeux, je payais grassement les charmeurs de reptiles et les cascadeurs. Je n'avais nullement besoin d'un équilibre. Je n'avais pas de sexe, je l'avais peu à peu coupé au rasoir. Il s'était recroquevillé sur mes testicules et avait fini par s'effacer. J'élevais beaucoup d'ânes. Et j'intimais à mes sbires de se promener nus devant moi. J'étranglais quiconque s'opposait à ce régime. J'arrosais d'essence les poulaillers et les champs de blés pour organiser la famine. En somme, je voulais rester seul debout au centre des ruines que je provoquais. Je m'abreuvais d'étoiles, de mescaline diluée dans des menstrues, de lait d'ânesses. J'étais fort, cuivré, cotonneux, léger, rampant et retors. J'avais tout pour être calme et sans histoire. La suite n'est guère indifférente. Mon règne valait moins que ça. Il ne pouvait d'ailleurs convenir à personne.
De la suite, que dire? sinon que j'ai connu tout ce qu'il y avait de mieux dans la ville: les mendiants, les balayeurs, les prostituées, les voyous, les porteurs d'eau, les petites pucelles assises sur les pas de portes qui ne sont pas les leurs, les marchands repoussants mais tellement sales et avides de gagner dix vies à la fois, les grilleurs de mais, les chanteurs et la folklorité de l'esprit régnant dont je pouvais discerner les défauts majeurs... J'ai vécu dans une hutte près du port. Je ne travaillais pas. Je n'avais pas besoin d'argent. Je fréquentais les marins-pécheurs, les bandits et les chauffeurs de taxis. On me payait à boire de temps en temps. En contrepartie, je disais de bonnes choses. Par exemple, la façon dont l'idée m'était venue de construire le monde. L'élaboration rapide et systématique des plans. La Révélation. Le Premier jour. La Découverte de l'Homme et de la Soif. L'Utérus de la femme. On m'accordait une très grande attention. On ne m'insultait pas, si si, un vieux barbu m'a une fois insulté. Il m'a dit, notamment, que le monde avait été fait par un autre et que, pour le voir, il me suffisait de me tourner vers le levant. Ce que je n'ai pas fait. On n'a plus besoin, maintenant, de répéter cela, je n'ai plus de force, je ne peux même plus prétendre à quoi que ce soit. Je ferai mieux de continuer à vivre en me taisant.

Mohammed Khaïr-Eddine Paris 1966

La crème des poèmes 1966

horoscope

la roue du ciel tue tant d'aigles hormis toi
sang bleu
qui erres dans ce coeur oint de cervelle d'hyène
voiries simples — du mica dérive une enfance fraîche
et scinques mes doigts de vieux nopal
en astre noué péril à mes nombrils
vieux nopal
mal couronné par mes rêves de faux adulte
sans chemin
le simoun ne daigne pas réviser ma haine
pour qui je parle de transmutations en transes
pour qui j'érige un tonnerre dans le mur gris du petit jour

cadavres — que parmi le basilic où je me gave
du camboui des peurs géologiques
s'ouvre en volte-face
l'oubliette qui me démange sous l'ongle du pouce

la roue du ciel et les pucelles à bon marché
par les barreaux fétides de la cage de ma gorge
par ma voix de marécage endossant subrepticement
une histoire d'anse perlière
par le lait amer des pérégrinations

je vous crève famines de pygmée
dans un rythme où les mains se taisent
je vous écrabouille

hommes-sommeils-silos-roides
vous dégueulez nos dents blanches salissant
la vaisselle onéreuse de par mes sangs sacrés
du midi exigu d'où fuse mon tertre populeux

terre sous ma langue
terre
comme la logique du paysan
silence sciant les têtes de lunes tombant
dans mes caresses de serpent
et mors à même les lèvres noires du douanier
giclé d'un hors bâtard de seps corruptible
reste ami quand même
canaille de tous temps
de tes serrements d'algue vétuste
de tes normes
de tes soldes de nom ayant gardé
un éclat du pur cristal des noms
de ces bouges plein tes vingt jambes
de ton humidité
sors comme une aile

l'Europe te fabrique un asthme de sable
et de gouttières
l'Europe
avec sa queue de rat fatal
sors pour entendre le dernier acte de l'hiver
le miracle ne soudoie pas la roue du ciel

mémorandum

salves
et trafics de sangsues noires sous mes rétines
soleil laisse s'infirmer tes mains dans mon sang inaudible
et moi te boire en une giclée de délirium

le ciel complice des belles astuces de ta luette
et l'esclave aux yeux gelés qui joue de la flûte
à merveille dans mes peaux succintes
les vices inédits du sirocco
qui te font soleil mufle de détresse
quand mon sperme catastrophique
étourdit ton sexe de gekko
quant le vent décrète une insurrection sans visage
comme une mutinerie immémorialement espérée
la teneur du Temps
craque en scolopendre à ras des paupières malfamées
de l'estuaire incandescent

je t'abjure - tu gerces les aisselles de ce peuple
terre d'écrit droit en harpon très émeutière -
soleil inscrit au sommier de mes audaces
tes affres émeuvent les patiences résignées
caillées à même
ces anneaux d'iguane sachant que ma paume
porte toujours ses arrières de caroubier

ô chevaux intrépides
par les airs comme par le miracle où frétillent
nos âmes marquées du sceau opératoire
chaque pierre appelle un désastre infantile
l'année passée
je me frappais ma bosse de dromadaire
je saignais le placenta de ces éclipses
mais je n'ai pas dit
je n'ai pas vomi
le mot pistolet qui n'a pas froid aux yeux.

tract

l'oeil fini d'un aster nocturne
le mot frileux du monticule
lacèrent le secret mort-né des boules d'abeilles
rêves
entre les incisives du quartz
vols fripés trop loin dans les branches de mes genoux
du haut d'une nausée
au blanc d'une querelle
quel tronc dites ou quelle fable
homme forêt fébrile
fumée lapée par les mâtins exzémateux
du ciel
du nom d'une vague
au nom d'un rhizome
ici le crime achève le vent
lorsque l'absence nous baigne dans le lait des stégomyies
ici la bête
sexes velus des rares astres qui noient mes tempes
quais noirs ta moelle gâtées tes mains nubiles
corps ébréché pourquoi ressac
ton sperme écrit
sous l'arbre vide jeté sur ton corps étiolé
comme une ville inattendue dont on répète
chaque vitre jusqu'à l'île la plus étrange
corps tué par le rythme fugitif du poème
oh
plus loin
la signalisation de ma lymphe claire
les commotions en bas des pistes de ma gauche
les muséums comme des taches d'encre violette
c'est dedans enténébré et pourtant lumineusement
reconnu
où s'affairent des monstres sous l'ordre d'un céraste
que se massacre un peuple souffreteux
entre les trombes d'un jeu royal
l'amour n'est plus tolérable oh bouillie la mort
nichée gazouillant comme au début des roses
et des couronnes de ruisseaux creusant le choc salaire
terre promulgée
vigne et pomme de gorge en sein suivant
la respiration sourde où le songe s'accroisse
jupes de lumière et moi soudain épris d'une arme
de silice qu'un ancêtre a mis des siècles à faire briller
j'intercepte les éclatements
devant tes peurs d'orifices inoubliés
oh matrices divulgées que naisse la chair
non plus charogne furetant autour des roches
et des ruches non plus pardon ni bisegale
vivre ce soufre qui fend nos doigts
saccageur
je t'écroulerai du pied et de la tête
mais
caverne
eau-séisme-de-carne-et-de-caverne
ruisselait sa voix revolver dans le nimbus
de nos sinistres dont nulle planète ne sait le nom
il sortit le verbe l'ayant endommagée de salives malignes
le diable posait ses nasses et soldait la peau
du peuple savamment cousue par le prophète
il se gargarisa de nos sangs trop frais
pour une guerre fraticide (le mulet de l'aube ancienne
fut scellé
Kahina
hissant ta prunelle comme un drapeau
couleuvres grises bidonvilles steppes de globules
d'affiches portant le prix de nos têtes
dérapées
vieux policier qui décèle chaque énigme chaque trace)
bila : mille audace sans recul fusil et ventre
tortures
quand finit l'oeil d'un aster nocturne
dans les involucres du printemps tuberculeux
quand le danger trépide sur les faces
ce drapeau est à refaire
à l'instar du sort du Sebou
et du Sous parfumant la plaine des étoiles englouties
vieux policier qui décèles chaque énigme chaque trace)
j'avance dans la mauvaise tournure du Temps
mais je troque tant pis je troque mes rages
contre la belle bouche bée sur le trottoir de l'émeute.



Ses œuvres ont été publiées, pour la plupart, aux Éditions du Seuil :

* Agadir (1967)
* Corps négatif (1968)
* Histoire d'un Bon Dieu (1968)
* Soleil arachnide (1969)
* Moi l'aigre (1970)
* Le Déterreur (1973)
* Ce Maroc ! (1975)
* Une odeur de mantèque (1976)
* Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants (1978)
* Résurrection des fleurs sauvages (Éditions Stouky et Sedki, Rabat, 1981).
* Légende et vie d'Agoun'chich (1984)
* Il était une fois un vieux couple heureux (1993, première édition 2002)
* Faune détériorée (1997)
* Le Temps des refus, entretiens 1966-1995



Modifié 1 fois. Dernière modification le 17/11/2008 10:10 par toufitri.
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