DE LA PART DE CLAUDE SENOUF POUR DAFINA
FESTIVAL GNAOUA D'ESSAOUIRA 2008
L'importance du Festival Gnaoua à Essaouira n'est certainement plus à démontrer. Cet évènement a maintenant acquis une notoriété mondiale. Il était fascinant de rencontrer pendant cette édition 2008 des gens venant de toutes latitudes, de milieux, d'origines et de professions tellement diverses. La liste en est fascinante . Peut-on imaginer que ce couple venu de Nouvelle-Zélande soit devenu des passionnes du Festival au point d'y assister pour la troisième fois ?
Jeudi en fin de journée le cortège inaugural se mettait en route, traversant sereinement la haie d'honneur constituée par la foule et les différentes formations de musiciens, aux costumes bigarrées ; Les poignées de main chaleureuse succédaient aux accolades d'une ville pleine d'une reconnaissance et d'une émotion qui pouvait se lire sur tous les visages.
Car depuis une douzaine d'années la constance et le travail ont payé. La petite graine a germé, un arbrisseau puis est sortie de terre constituée de ces petites pousses d'un vert tendre et fragile, tellement fragile.
Poursuivant sa croissance, la plante est montée vers le ciel en ouvrant ses bras, donnant les premières années une belle floraison puis une moisson dont les fruits n'ont pas fini de murir. Ce travail gigantesque s'est mis au service d'une imagination et d'une créativité remarquables. La ville d'Essaouira a constitué l'avant-poste d'une réflexion sur un lieu virtuel de la pensée plurielle. Il y a quarante ans un groupe d'universitaires et amis contemplaient la signification culturelle, littéraire et politique de cette configuration prémonitoire de l'alliance des métissages et de leur relecture par la sociologie contemporaine. Le regard rassis des intellectuels français trouva dans un deuxième souffle un espace où se conjuguaient des valeurs de liberté, de justice et d'amour. C'est en ces termes naïfs mais authentiques que naissaient certains contours du Printemps de Mai 68. Car ce sont bel et bien ici au regard de mon témoignage vécu , que les courants de pensée perçu comme un exotisme africain ont parcouru le chemin de la révolution culturelle des années 60 culminant par ce qu'il est convenu d'appeler « Les évènements de Mai 68 ».
C'est ici que naquirent un certain nombre d'idées qui furent régurgitées à la Sorbonne, à Jussieu u a la Faculté de lettres de Tours
particulièrement dans la salle Louis XI. Il ne faut pas ignorer cette dimension de l'histoire d'Essaouira et il ne faut pas ignorer aussi que la réflexion était aussi inspirée par un romantisme d'exclusion et de solitude. Le monde fantastique pointait a l'orée de ces digressions ou les chalutiers a sec ressemblaient a des géants endormis. Le sentiment qui prévalait était la remise en cause de l'enseignement dogmatique. La découverte des rites de la transe et de la macumba avec ce qu'elles représentaient de transgression absolue fut un véritable choc : « Nos fantasmes de liberté retrouvée se confondaient avec celle de l'affranchissement de la négritude disait le sociologue Georges Lapassade.» La pensée monolithique des maitres de conférence avec leur discours théorique qui ne souffraient aucune contradiction avait fait son temps.
C'est dans ce creuset que ces divers éléments vont se bonifier en en passant a travers le chinois de la raison. De transgression il n'est plus question:
la construction méticuleuse s'est substituée aux désordres du corps et de l'âme. Il reste la restitution d'un espace de vie a une jeunesse qui en est trop souvent privée. C'est l'espoir que l'on peut donner a des dizaines de milliers d'adolescents qui regardent passer le train du confort et du progrès sans que jamais ils puissent même rêver d'y accéder . Voilà, me semble-t-il une démarche a même de constituer un rempart contre l'extrémisme. Il serait souhaitable que le modèle d'Essaouira puisse essaimer dans le Royaume et constituer périodiquement un ensemble de rendez-vous pour la jeunesse de ce pays. Il ne s'agit pas d'être des donneurs de leçon mais au contraire de répondre avec justesse à certaines attentes. Au delà de cette signification pédagogique il y a toutes celles que l'on peut décoder dans les choix musicaux. En premier lieu le questionnement déterminée par ce que l'on appelle un peu pompeusement la fusion. « Ah la fusion par ci et la fusion par la » . Plus simplement ce sont des genres musicaux distincts, qui ont souvent par ailleurs une similarité rythmique et qui se livrent a l'exercice de jouer ensemble.
Cela donne souvent une cacophonie sympathique ! Mais lorsque les échanges, par une forme de magie se complètent se prolongent et créent une émulation on arrive a des sommets de l'émotion. La démarche est audacieuse et courageuse et elle illustre ce que les hommes et les femmes issus de culture différentes peuvent conjuguer ensemble.
Il s'agit d'un débat qui est au cœur de la réflexion contemporaine sur « L'Alliance des civilisations ». il est temps de citer l'homme qui par sa réflexion et sa sagesse est le véritable mentor de ce projet et par la suite celui de l'ensembles des autres activités culturelles liées a la Ville . « Dans l'environnement qui est le notre , disait André Azoulay, qui est parfois fait de sang et de tragédie parce que l'on ne serait pas de la même région du même pays ou de la même spiritualité Essaouira est une démonstration éclatante que l'on peut en Pays Arabe en Terre Musulmane en Afrique du Nord et dans la mouvance du Monde Arabe réunir des centaines de millier de personne pour un festival de musique qui est aujourd'hui l'un des plus grands a la fois dans la région et dans le monde et qui ne cache pas ses choix idéologiques . Nous sommes ici pour apporter une réponse, la plus déterminée, à tous ceux qui prêchent la haine. »
Cet apport est inestimable et il s'inscrit dans un échiquier de plus grande dimension qui est le rapport que les divers courants spirituels ou politique entretiennent, soit qu'ils choisissent de s'affronter, soit qu'il choisissent d'unir leur différence par la complémentarité Le public lui a souvent une lecture, au premier degré et s'enthousiasme dans ce qui transparait comme une virtuosité. La diversité des programmes proposes est remarquable et fait preuve d'un véritable éclectisme.
C'est en osant présenter un musicien comme Wayne Shorter à un public qui n'est pas nécessairement constitué de puriste du Jazz que l'on tire les masses vers le haut. Saluons l'audace de la démarche. Il faut dire que Wayne Shorter même pour ceux qui connaissent bien sa musique nous a lui même déconcerté en explorant un phrasé qu'il a d'emblé déterminé comme une locution inachevée. Le sens de cette démarche est là aussi, la
contemplation d'un langage intérieur désarticulé. En ce sens il y avait une adéquation fortuite mais harmonieuse avec les objectifs du Festival. Wayne Shorter a joué avec miles Davis et Herbie Hancock et l'expression de ses recherches est le fruit d'une vie entière et donc pour ceux qui en douterait un travail d'une grande maturité. La qualité de la musique présentée s'améliore incontestablement d'année en année. Hormis la notoriété de Wayne Shorter qui constituait l'attente la plus soutenue des mélomanes certains musiciens ont suscité un enthousiasme unanime. Le duo argentin constitué de Fermin et Nelson ainsi que la troupe coréenne Samulnori Molgae se sont partagés la vedette et furent les plus appréciés de cette onzième édition du Festival.
Certains exercices sont plus sereins et déclinent les atouts de mélodie plus familière comme le Trio Joubran qui se produisait a Dar Souiri avec un invite surprise en la personne de Ibrahim Maalouf , jeune trompettiste libanais virtuose dont le nouveau CD Diasporas a remporté un vrai succès en Europe .
Les différents Festivals de musique qui se déroulent à Essaouira, que ce soit les Andalousies Atlantiques, les Alizes ou les Gnaouas ont tous en commun cette dimension centrale de pluralisme. La ville change et se développe tout en restant de dimension humaine. Elle sait gérer son développement sans débordement. Contrairement à l'hystérie anarchique qui touche le développement d'autres viles du Royaume, Essaouira progresse à un rythme mesuré. Le groupe Accor est très présent et il faut saluer la réalisation d'un Hôtel Ibis qui conjugue agréablement modernité et petits prix. La Royal Air Maroc n'est pas de reste avec la réalisation d'un Hôtel Atlas situé en bord de mer. Le Festival s'est terminé dimanche avec L'Orchestre National de Barbes toujours avec ce sentiment que l'on aurait voulu encore un peu prolonger ces moments . Comme la solitude du coureur de fond !..
Claude Senouf
Modifié 2 fois. Dernière modification le 08/08/2008 08:55 par Dafouineuse.