La récupération après leurs évasions d'aviateurs et autres militaires qui avaient été arrêtés par les autorités de Vichy , pour "tentative d'engagement dans une armée étrangère" ou "tentative de vol d'avion" mena à la création d'un réseau de "planques" en attendant de pouvoir les faire partir. Parmi eux, nous relevons les noms de La Grandiére, BrunswickLeclerc, Cermolace, Morisson, Witmer, July... les trois derniers participant, pour meubler leurs loisirs forcés, au collage et à la distribution de tracts.
Le meilleur moyen à l'époque pour rejoindre sans trop de risques les Armées Alliées avait été imaginé par Pascouët père. Quelques wagons de marchandises avaient à une extrémité une niche à chien signalée par un panneau noir sur lequel on inscrivait à la craie la destination de l'animal: Chien pour/ Perro para... Une niche fut modifiée: fond amovible créant un emplacement supplémentaire où un homme pouvait rester accroupi (lui souhaitant de ne pas avoir à cohabiter avec un animal trop encombrant ou hargneux); il lui était remis un crochet bricolé pour ouvrir la porte de la niche depuis l'intérieur, car il n'était pas prévu de comité de réception à l'arrivée. Comme un seul wagon avait été modifié, il fallait attendre qu'il soit affecté au trajet vers Tanger, ce que pouvait facilement savoir Pascouët de par son emploi aux C.F.M. L'embarquement avait lieu à la gare de marchandises de Rabat Agdal. Le candidat à l'évasion y était amené par Mickey, pris en charge pas le père qui l'installait dans la niche avec les instructions pour le voyage: rien à faire jusqu'à une heure peu avant l'arrivée à la gare de Tanger, quand le train ralentissait fortement dans une montée. C'était le moment d'ouvrir la porte avec le crochet et de sauter dans la nature. Ensuite, à Dieu va... jusqu'au Consulat d'Angleterre à Tanger pour transiter sur Gibraltar. Paluat, alors, devait accuser réception en termes convenus.
Ce voyage clandestin fut utilisé plusieurs fois avec succès, puis fut abandonné subitement à la suite d'une disparition. L'énigme ne fut élucidée que longtemps après. Le train avait pris beaucoup de retard en cours de route, ce qui avait déréglé la "navigation à l'estime" du passager. Par manque de chance, il se trouva que le train ralentit fortement vers l'heure où il aurait dû arriver à destination, si bien que le débarquement eut lieu en pleine nature et au Maroc espagnol. Complètement perdu, notre évadé entreprit de continuer à pied vers Tanger; il fut arrêté à un pont par les Gardes Civils, et dût croupir dans les geôles espagnoles jusqu'à fin 43. Sans nouvelles de lui, et craignant que la combine n'ait été éventée, Pascouët préféra ne pas prendre de risques inutiles et arrêta cette filière.
En Mai 1941, l'évasion "primaire" d'un militaire du 1er Régiment de Chasseurs d'Afrique mérite d'être racontée (nous disons "primaire" car il s'agissait de passer de l'incarcération à la vie civile, l'évasion secondaire étant le ralliement à la France Libre). Etienne July était retenu à la caserne du 1er R. C. A. et une soit disant "tante" (Madame Nicolas) vint lui rendre visite. L'évasion fut alors mise au point: lors de la promenade matinale dans la cour de la caserne, où la surveillance n'était pas très sévère, il devait simplement se rendre à un coin retiré du mur d'enceinte, se faire reconnaître par un signal convenu, "faire le mur" de l'autre coté duquel Mickey l'attendait avec un vélo. Pas plus difficile que çà: et un colleur d'affiches de plus.
Parallèlement, la propagande continuait, par tractage et affichage. Ces manoeuvres "séditieuses" et répétées, en particulier dans le quartier de la Résidence où se trouvaient les services gouvernementaux, l'Etat Major et la somptueuse villa du Général Noguès (tout acquis aux idées vichystes), irritaient fort ce dernier. Il fut appris après la guerre, mais on s'en doutait bien à l'époque, qu'il avait donné des ordres très stricts pour que soit mis fin à ces provocations. Ce qui amena la rafle de Juin 1941, où les 4/5èmes du réseau furent interceptés (27 membres sur 32).
Procédant par ordre, les services de police recherchèrent d'abord la source des tracts, et mirent ainsi la main sur Thouret, l'imprimeur. Au cours d'un interrogatoire musclé, et devant la menace de représailles sur sa famille, le malheureux fut bien obligé de reconnaître ses activités et la participation de fils, puis d'autres membres du Réseau.
Le 24 Juin, vers midi, Mickey fut arrêté à son guichet des P.T.T. et conduit, menottes aux mains et à pied, à travers la ville jusqu'au Commissariat Central. Interrogatoire serré (sur un gamin de 17 ans, çà aurait dû payer). A la forme des questions qui lui étaient posées, Mickey comprit que Thouret avait lâché le morceau. Il en fut convaincu lors de la perquisition à son domicile, quand les policiers se dirigèrent directement vers les boites à chaussures rangées dans sa chambre où il avait caché les plaques ayant servi à confectionner les affichettes, ainsi qu'un certain nombre d'entre elles. Preuve accablante.
Par chance, tout polarisés qu'ils étaient sur l'enquête des tracts, et satisfaits de la tournure qu'elle prenait, les policiers ne s'étaient pas aperçus de la présence, dans une pièce voisine, à la porte entr'ouverte, de Morisson et Wittmer, deux aviateurs recherchés pour "tentative de vol d'avion" et qui étaient hébergés chez les Pascouët. Faut-il préciser que dès qu'ils eurent compris qui étaient ces visiteurs, ils se dépêchèrent de filer par la fenêtre pour aller chercher refuge ailleurs, chez Madame Nicolas en l'occurrence ?
Pour fignoler l'enquête; les policiers recherchaient à présent les complicités éventuelles, et les activités de chacun. Impossible de croire Mickey quand il prétendait avoir diffusé tout seul une telle masse de tracts; mais pas question de lâcher les noms des militaires en cavale et dont c'était l'activité principale. Force lui fut de donner dans l'équipe de jeunes mentionnés plus haut: après tout, pour eux, ce n 'était jamais qu'une faute vénielle. Pensant faire encore plus petite la part du feu, Mickey indiqua le nom de Gabrielli, dont il pensait que le père, Contrôleur Civil (équivalent de Préfet en France), aurait suffisamment de poids pour faire relâcher rapidement son fils. Il n'en fut rien malheureusement. Gabrielli rejoignit les autres résistants arrêtés.
En définitive, à l'exception des jeunes affectés au collage de tracts, l'ensemble du Réseau se retrouva sous les verrous. L'enquête, menée avec diligence selon les instructions données en haut lieu avait en effet réussi à démasquer tous les membres de la filière et débusquer les militaires en situation irrégulière.
Incarcération à la prison civile de Rabat, mélangés avec les droit commun, puis transfert à Casablanca où nos amis réussirent à se trouver regroupés en un quartier gaulliste. Instruction pendant tout l'été par le Capitaine Voituriez, et jugement attendu pour octobre, novembre.
Dans la même prison se trouvait Maître Guedj, avocat ayant ses entrées au Palais du Sultan et incarcéré pour avoir correspondu avec son fils Max, pilote des F.A.F.L. (Max et Félix Guedj, deux héros qui donneront leur nom à une artère de Casablanca); également un allemand opposant au régime nazi et qui avait travaillé pour le S.R. français (on l'avais mis à l'ombre pour le soustraire aux recherches des Commissions d'Armistice, puis on l'avait oublié !); l'équipage au grand complet d'un paquebot transportant de l'or de la Banque de France, et qui avait puisé dedans pour subvenir à ses besoins.
L'audience est fixée au 28 Octobre 1941. En raison de l'animosité officielle contre les "gaullistes" il fallait s'attendre à des verdicts sans complaisance aucune, et pouvant même aller très loin en sanction des accusations d'atteinte à la sécurité de l'Etat, surtout en temps de guerre.
Comme il y a une trentaine de prévenus dans le box, il faut s'attendre à de nombreux incidents d'audience. Entre autres, Pascouët père prend le tribunal à partie: "Rappelez vous bien: un jour, c'est vous qui serez à ma place et moi à la vôtre". Le Commissaire du Gouvernement, Colonel Laroubine, n'apprécie pas.
Jugement rendu le 30 au soir (voir coupure de presse). Gabrielli et Mickey, en raison de leur jeune âge, et quelques autres délinquants primaires bénéficient du sursis et sont relâchés aussitôt. Les condamnés sont transférés vers la prison centrale de Port Lyautey. Dans le lot des condamnés, quelques Marocains, employés de Aillaud, qui avaient eu le seul tort d'être en contact avec des militaires cachés chez lui. Vraiment pas de quoi fouetter un chat. Mais qu'importe: il fallait faire des exemples...
Voilà donc notre jeune Mickey sur le pavé, sans situation, mais avec charge d'âmes (sa marâtre et ses deux jeunes frères). Dans un premier temps, les P.T.T. refusent de reprendre ce pestiféré de gaulliste. Huit jours plus tard, ils se ravisent. On l'amène, manu militari, devant le chef du personnel (un personnage à la Dubout) qui lui annonce son affectation à Ouarzazate, poste disciplinaire de la Légion Etrangère dans le grand sud Marocain, où il sera plus facile de le tenir à l'oeil. Transport sous escorte policière jusqu'à Marrakech, puis embarquement dans l'autocar pour Ouarzazate.
Dans cette villégiature, ce sont plutôt les distractions qui manquent. En plus de Mickey, deux autres agents des P.T.T. y sont bannis pour raisons disciplinaires. Le poste n'est relié au reste du monde, outre les moyens télécom civils et militaires, que par un autocar quotidien dont les passagers sont étroitement contrôlés, au départ comme à l'arrivée. Cette partie de la haute vallée de l'oued Draa est vraiment désertique, et il n'est pas question de s'y aventurer à pied. Une vraie prison naturelle.
Des camions benne y transitent régulièrement, transportant du minerai vers Marrakech. Mickey songe alors à une évasion comme celles qu'il mettait sur pied quelques mois auparavant: les bennes sont équipées dans le fond d'un vaste coffre à outils où un homme peut facilement tenir. Le tout est de s'assurer la complicité du chauffeur car la cachette n'est accessible que lorsque la benne est vide. C'est arrangé avec l'un d'eux, jeune ancien combattant de la guerre de 14-18 (il a tout juste la quarantaine). Il se charge quand même auparavant d'assurer un minimum d'aération par quelques trous percés dans le fond. Heureusement, fin avril, ce ne sont pas encore les grosses chaleurs, et le voyage ne sera pas trop pénible.
A fond de benne, Mickey descend donc vers la mine, pour le chargement, puis retour vers Ouarzazate, d'où, sans s'attarder, le chauffeur file vers Marrakech . Douze heures de voyage, mais, à l'arrivée, c'est la liberté sur le quai de la gare.
Retour discret à Rabat où Mickey retrouve sa famille et celles d'autres condamnés (Thouret, Salmon, entre autres) dans le plus complet dénuement car tous leurs biens ont été confisqués à la suite du jugement. Les relations, voire même les amis leur tournent le dos. Au bout de deux semaines pendant lesquelles il a logé dans un foyer de jeunes, comme la police ne s'est pas manifestée auprès de ses proches, Mickey en déduit qu'il n'est même pas recherché pour son évasion. Il s'enhardit - la faim chasse le loup du bois - à rechercher un emploi. Pas question de s'adresser aux P.T.T. Mais un ami lui trouve, comble d'ironie, un emploi de gratte papier dans un mouvement de jeunesse créé depuis l'armistice.
Pour un gaulliste, il faut le faire !
Les Gardes sont l'équivalent des Compagnons de France en métropole. Modérément engagés sur le plan idéologique, leur dessein est de rassembler les jeunes, leur fournir des activités identiques à celles du scoutisme, mais avec une orientation un peu plus militaire, car leur objectif occulte est la préparation de la revanche. Leur encadrement est essentiellement militaire, avec des officiers provenant surtout des Chasseurs Alpins et mis en congé d'armistice, tels les capitaines Th.D., D.F. dont certains s'illustreront par la suite lors des combats de la Libération. Mickey y est présenté comme le fils prodigue, repenti de ses erreurs gaullistes dues à son jeune âge.
Mickey propose à ses chefs de créer une section de Gardes Marins (il avait été avant la guerre dans une troupe de Scouts Marins dirigée par son père). L'idée fut retenue et Mickey chargé de lui donner corps. Il y avait parallèlement une section de Gardes de l'Air, dirigée comme par hasard par un jeune du Réseau, et qui s'adonnaient pour l'instant au modélisme.
Premier travail : recruter des volontaires parmi les Gardes, ce qui fut facile. Ensuite, commencer l'entraînement à terre et trouver des bateaux, ce qui l'était moins. Arrière pensée: organiser des croisières le long de la côte, et un jour, pousser jusqu'à Tanger et disparaître...
Des pourparlers sont en cours avec la Marine pour le prêt de deux baleinières. Et puis, fin septembre, tout tombe à l'eau: Mickey est à nouveau mis en état d'arrestation.
Parallèlement, comme on aurait pu s'en douter, Mickey avait repris ses activités de résistance. Avant perdu le contact avec Londres par l'intermédiaire de Paluat qui était en train de moisir dans les geôles vichystes, il essaye de renouer par le canal du Consulat Général U.S. à Casablanca, à qui il demande de prévenir Londres qu'il est à nouveau disponible, et prêt à recréer un Réseau de résistance. Peu nous importe de savoir si les Américains ont transmis l'offre à Londres, mais tout porte à penser qu'ils ont repris l'affaire à leur compte. C'est normal car ils sont en train de préparer le débarquement de leurs troupes pour dans quelques mois.
Un vice-consul donne rendez vous à Mickey devant le cimetière européen à l'entrée de la ville de Rabat, le prend en stop pour le déposer le plus innocemment du monde en plein centre de la ville après avoir discuté en cours de trajet. L'Américain avait promis de transmettre le message à Londres, mais avait fait savoir également qu'il serait intéressé par certains renseignements. Le contact à Casablanca serait un Polonais, et le moyen de reconnaissance les deux moitiés d'un billet de cinq francs.
Mickey reconstituait rapidement un petit groupe avec moi-même, un nouveau du nom de J.A., un Belge, et Simone N. , épouse d'un gaulliste détenu à Port Lyautey. Cette dernière devait servir de courrier en contact avec le Polonais de Casablanca, lui transmettre les renseignements et en recevoir les instructions du Consulat U.S. A la nature des renseignements demandés, il fut vite compris qu'un débarquement était en train de se préparer: il fallait fournir en effet des cartes à grande échelle de toute la côte Marocaine depuis Port Lyautey jusqu'à Agadir (dans les 600 Km), et des photographies de toutes les plages, voies d'accès, etc...
Je fournis l'appareil photo (un Kodak Scoutbox 6 x 9 reçu en cadeau de communion), ainsi que l'ensemble des cartes topographiques au 1/50000ème subtilisées à mon père qui avait fait carrière comme géomètre.
Mickey prospectait le nord de la zone jusqu'à Casablanca, et J.A. s'occupait de tout le reste jusqu'à Agadir. Tout était terminé pour fin Août, et transmis immédiatement au Consulat U.S.
D'un autre coté, par M.C., sympathisant qui travaillait à l'Etat Major (mais qui était surtout anti-allemand et ne comprenait pas pourquoi on s'y intéressait), Mickey obtenait régulièrement les listes secrètes de tout ce qui était envoyé en France. Un fonctionnaire de la Résidence Générale, de son coté, faisait état avec fierté de l'effort du Maroc pour fournir la Métropole en conserves de poisson et charcuterie. Il était patent que la majeure partie de ces envois était déroutée vers l'Allemagne. Les troupes soviétiques avaient du reste découvert des boites de conserve marquées "Maroc". Les commandements Alliés en avaient été avertis et menacèrent de bombarder les usines Géo de Fedhala. Menaces sans suite...
En Août, Mickey s'attelait à une autre entreprise, qui ne concernait pas les Américains: il s'agissait d'une évasion massive de tous les détenus gaullistes de la Centrale de Port Lyautey (parmi lesquels figurait son père). L'opération devait avoir lieu fin 4192, avec le concours de vedettes anglaises (?) qui auraient évacué tout le monde sur Gibraltar (y compris le gardien chef, qui était sympathisant; de toutes façons, après un coup pareil, il aurait mieux valu pour lui ne pas avoir à donner trop d'explications à ses chefs.) Pour commencer, il fallait confectionner d'après un dessin une copie de la clef passe-partout utilisée par les gardiens pour le quartier des gaullistes. Au second essai, la clef était au point, et elle fut confiée à N. qui devait la cacher jusqu'au jour J.
A la même époque, Mickey reçut une information concernant l'installation de D.C.A. pour protéger la base aérienne de Salé. Une pénétration fut entreprise avec J.A. vers le 20 Septembre. L'information était partiellement exacte car des emplacements étaient préparés, mais les pièces pas encore installées.
Un courrier avec le rapport de cette "visite" et celui sur les "fournitures" exportées vers la France (tous renseignements top secrets) fut confié à Simone N. vers le 24 ou 25 Septembre. Elle fut interpellée à sa descente du train en gare de Casablanca. Le courrier qu'elle transportait ne laissait aucun doute sur ses activités. Tant soit peu rudoyée, elle finit par avouer. Ses contacts et complices furent aussitôt arrêtés et firent connaissance avec la brigade du commissaire Dubois, chef de la D.S.T. au Maroc. Interrogatoires sans discontinuer, mais sans violences physiques, contrairement à ce qui s'était passé l'année précédente.
Mickey ne comprit qu'après le Débarquement la genèse de ces arrestations. N., qui détenait la clef des champs, avait un beau soir mis à exécution, mais à son seul profit, le programme d'évasion. Ce lui fut chose facile: deux ou trois portes à ouvrir sans difficulté pour arriver à la cour extérieure, passer ensuite par la maison du gardien chef, et vive la liberté. Bien entendu son épouse, qui n'était pas au courant de son évasion, fut aussitôt mise sous surveillance car on pensait que l'évadé viendrait la rejoindre sous peu. En gare de Casablanca, la police ne mit pas la main sur celui qu'ils recherchaient; mais en compensation, elle rafla des documents tout aussi intéressants.
Mickey fut incarcéré à la prison civile de Rabat (il commençait à connaître les lieux) sous l'inculpation d'organisation d'évasion, en attendant celle d'espionnage au profit d'une puissance étrangère. Tout cela risquait de motiver un verdict assez dur si bien qu'il lui valait mieux chercher à s'évader. Technique habituelle: grève de la faim pour motiver une hospitalisation au cours de laquelle la surveillance risquait d'être moins stricte. Le 8 Novembre 1942, Mickey entendit bien le bruit des combats, mais il était très affaibli, presque aveugle, et avec des étourdissements. Tenu au courant de la situation par un jeune gardien, il espérait bien être libéré peu après la fin des combats.
C'était compter sans le commissaire Dubois et ses séides. Dés le 12 Novembre, des soldats américains se présentaient à la prison pour le libérer: "Sorti depuis hier" leur fut-il répondu. Le lendemain, tôt le matin, Mickey fut transféré vers un commissariat de quartier où il fut enfermé toute la journée et ramené à la prison tard le soir. Le jour suivant, nouvelle partie de cache-cache, et ainsi de suite jusqu'au 16 où il réussit à faire savoir à son père, par l'intermédiaire du jeune gardien, ce qui était en train de se passer. Précisons que Pascouët père et les autres gaullistes de la centrale de Port Lyautey avaient été libérés dés la fin des combats.
Le 17 Novembre au matin, un jeune sous lieutenant U. S. flanqué d'un immense M.P., et tout deux armés jusqu'aux dents se présentaient à la porte de la prison, où on leur annonçait comme précédemment que l'oiseau n'était plus là. Munis d'un plan de la prison, ils demandaient alors à être conduits à telle cellule. Mickey y était bien...
Retour à la maison et remise en forme dans les meilleurs délais. Puis, en coopération avec le jeune officier U.S. qui appartenait au G.2., dépistage des tenants du régime Vichy qui risquaient de constituer une cinquième colonne sur les arrières des armées alliées.
A sa sortie de prison, Pascouët père ne savait pas que son fils était à nouveau en détention. Il ne l'apprit que par le jeune gardien dont nous avons parlé plus haut. Il entreprit évidemment de régulariser les choses au plus vite. Puis il organisa une filière de départs vers l'Angleterre avec l'aide, assez tiède il faut bien le dire, du G.2.
Les autorités avaient donné l'ordre aux militaires incarcérés de rejoindre leurs unités d'origine dés leur élargissement. Les autres, réservistes pour la plupart, s'attendaient à être mobilisés d'un moment à l'autre dans une armée issue de l'armée d'armistice, et aux ordres de Darlan. Perspective des moins attrayante.
Une navette aérienne par Lockheed Hudson fait une navette quotidienne Gibraltar-Port-Lyautey. Il fut proposé de faire partir les anciens internés quand il y aurait de la place. L'occasion était trop belle, si bien que Pascouët en profita pour y ajouter les noms de résistants n'ayant jamais été arrêtés.
Un premier regroupement était fait à Rabat, d'où les gens étaient convoyés par groupe de 4 ou 5 chez une famille de gaullistes de Port Lyautey.
Famille admirable que ces B. dont un membre servait déjà dans les F.F.L. sous le nom de O'Cottereau. La quarantaine passée, directeurs d'école, royalistes et une famille de 6 ou 7 filles, plus un garçon d'environ dix ans à l'époque, auditeurs assidus de la B.B.C. dont ils diffusent nouvelles et instructions (ce qui leur avait valu quelques démêlés avec la police). La liste d'attente était donc hébergée chez eux, et les postulants au départ étaient prélevés par un ou deux quand il y avait de la place sur la navette de Gibraltar. Sans aucun préavis, et embarquement immédiat dans l'avion dont les moteurs tournaient déjà.
Le système fonctionnait assez bien, et Pascouët père embarqua vers le 15 Janvier 43, le dernier des ex-prisonniers, laissant à Mickey la charge de faire partir à présent les Résistants n'ayant pas connu les prisons vichystes, mais qui, pour les Américains, étaient quand même présentés comme d'ex prisonniers.
Le 13 Février, Mickey convoyait sur Port Lyautey ce qui devait être son dernier groupe (en réalité, le premier à ne pas partir). Car le lendemain, vers 13 heures, visite surprise du lieutenant U.S. qui avait libéré Mickey quelques semaines plus tôt. Il l'emmène en jeep, et, en cours de route, lui annonce qu'il devait partir illico. Faute de quoi les autorités françaises l'attendaient pour le remettre à l'ombre le soir même, sous l'inculpation d'organisation de désertion.
Le choix de la décision ne demande pas longtemps en réflexion. Deux heures plus tard, Mickey était enfin en territoire britannique. Engagement dans les Forces Navales Françaises Libres, école de radio aux U. S. A. , puis missions de guerre dans le Coastal Command.
Le petit groupe qui attendait encore chez le B. n'est jamais parti, car, pendant la semaine qu'il a passée à Gibraltar en attendant un convoi pour l'Angleterre Mickey n'en a vu arriver aucun.
Fin de l'épopée de résistant de Maurice Pascouët fils.
En ce qui me concerne, ayant perdu tout contact avec les Pascouët , et dans l’impossibilité de rallier la France Libre, force me fut de suivre le sort des camarades de mon âge: rejoindre l’Armée d’Afrique de Giraud.
Mais revenons à 1940.
Vivait à Rabat un cousin du Général De Gaulle (grand-mère commune), dont rien à priori ne pouvait indiquer une parenté avec le "chef rebelle". Mais la rumeur eût bientôt fait de révéler cette particularité, dont il faut convenir qu'elle était, en pays vichyste, plutôt lourde à porter pour un père de six enfants (4 garçons et 2 filles) employé de l'Administration et nullement porté de prime abord à une quelconque action subversive. L'eut-il cherché, qu'il se serait fait rapidement repérer. D'ailleurs, il prétendait avoir souvent un guetteur sur le trottoir d'en face, pour surveiller ses visiteurs. Un véritable piège à conspirateurs !
Ses enfants, tous des adolescents (l'ainé de ses garçons dut attendre ses 17 ans pour s'engager dans la 2ème Division Blindée de Leclerc) se faisaient à l'école des amis ou des ennemis, selon les opinions des uns ou des autres. Comme j’étais intervenu violemment lors d'une altercation entre le fils Maillot Etienne et un jeune tenant du régime en place, M. Maillot m’invita à lui rendre visite pour me remercier personnellement. Quoi de plus naturel, en dehors de toute implication politique ?
C'est ainsi que je fis la connaissance de la famille Maillot, ce qui me permit par la suite de commenter abondamment les émissions de la B.B.C. et surtout d'admirer une, puis deux photographies qui trônaient à la place d'honneur sur la cheminée. L'une d'elles était le portrait du sous secrétaire d'Etat à la Guerre nouvellement nommé Général de brigade. L'autre montrait la prise d'arme du 14 Juillet à Londres.
Je n'eus de cesse de me faire confier ces photos afin d'en reproduire des tirages qui pourraient être diffusés. Je réussis dans un premier temps à avoir celle de la prise d'armes. Mes connaissances en photographie étant des plus rudimentaires, et préférant ne pas prendre de risques en m'adressant à un professionnel de la place, je fis exécuter la besogne par un de mes jeunes amis, pétainiste mais expert en travaux photo, en lui expliquant qu'un de mes parents était un des militaires présentant les armes et pris "presque" dans l'alignement du Général. Le visage de ce dernier étant peu connu à l'époque, le subterfuge réussit... et les Maillot se trouvèrent en possession de nombreuses reproductions de la photo de la prise d'armes.
Restait à en faire autant pour le portrait.
Moi, qui m'étais entraîné entre temps à la mise au point sur dépoli avec un vieil appareil à double tirage découvert au fond d'une malle, je me trouvais en mesure de mener l'opération tout seul. On consentit à me prêter le précieux portrait pour quelques heures, le temps de la prise de vues.
Quels transports de joie et de fierté chez les Maillot quand ils eurent en main tous ces portraits du Chef de la France Libre ! Quel inestimable outil de propagande! Ils prétendirent prendre à leur charge les frais qui avaient été entraînés. Et le dévouement à la "cause" ?
Par la suite, ayant découvert un photographe qui pouvait être favorable à nos idées, on lui confia à exécuter quelques agrandissements du portrait. Ce qui fut fait, livré et payé sans commentaire de part ou d'autre: on s'était compris. Mais le commerçant, voyant le parti qu'il pourrait tirer d'un tel document s'en fit un exemplaire qu'il retoucha façon "Studio Harcourt", comme les stars de cinéma : visage légèrement incliné, atténuation de quelques rides et détails; mais lamentable résultat, qui fut bien entendu désavoué par la famille Maillot.
Bien qu'il n'en eut jamais fait état à l'époque, évidemment, Monsieur Maillot avait des correspondants qui lui fournissaient à l'occasion des renseignements et des documents intéressants. C'est ainsi qu'à l'été 42, il avait une série de vues montrant ce qui se passait dans les camps de prisonniers russes. Ce qui frappait, c'était l'état de dénutrition de ces malheureux squelettes ambulants (images vulgarisées après la libération des camps nazis). Eh bien, l'état d'esprit des gens était tellement vicié par Vichy que ces photos furent prises pour des montages de propagande même par des émigrés russes restés néanmoins patriotes convaincus !
Après la Libération du 8 Novembre 42, la famille Maillot put enfin afficher sa parenté et ses activités au grand jour. C'est ainsi qu'on apprit qu'elle avait été en relation avec divers Patriotes qui cherchaient à rallier les F.F.L., tels que R.G., A.B., M.C. logés clandestinement chez Mlle de P. (tous faits qui sont rapportés dans les "Lettres, notes et carnets" du Général de Gaulle).
Madame Maillot créa la " Famille du Soldat" pour y accueillir les blessés venus en convalescence à Rabat, et dont la famille était en France occupée. Et il y en eut ! Pour l'anecdote, il y passa un militaire de l'Armée de l'Air, un jeune breton du nom de Ker... qui, pour rallier les F.F.L. s'était engagé dans l'armée de Vichy, fait affecter au Maroc qu'il rejoignait par voie maritime. Au passage du détroit de Gibraltar, quand une vedette britannique passa suffisamment prés de son bateau, K. se jeta à l'eau pour la rejoindre. Malheureusement, un autre bâtiment, vichyste celui là, s'interposa et le récupéra à coups de gaffe. Mise aux fers, Conseil de Guerre, emprisonnement... puis libération après le Débarquement du 8 Novembre.
Pour en revenir à Madame Simone Maillot, ses activités de résistance avaient été partagées avec, entre autres, Mlle de P. (déjà citée) et Madame Magny. Cette dernière, professeur agrégé d'histoire et de géographie à Tanger servit souvent à la transmission de renseignements.
Compte tenu de ses compétences et de son allant, Madame Maillot fut nommée au Conseil Municipal, puis ensuite au Conseil du Gouvernement.
Le Général de Gaulle, de passage à Rabat, rendit évidemment visite à la famille Maillot ce qui fut fixé sur la pellicule. Dans ses "Lettres, notes et carnets", il donne les appréciations les plus flatteuses sur la conduite de Mesdames Magny et Maillot, ce qui leur valut la Médaille de la Résistance, plus la Légion d'Honneur pour cette dernière.
Depuis le printemps 1942, les reconnaissances aériennes se multipliaient le long des cotes Marocaines, provoquant l'intervention des groupes de chasse de Vichy équipés de matériel fatigué et dépourvu de pièces de rechange.
Le 30 Avril, un Lockheed Hudson survole la base de Casablanca, et s'éloigne dès le décollage des Curtiss. Le 8 Mai, poursuite au large d'un chasseur embarqué Fairey Fulmar. Le 29 Août, un Vickers Wellington est engagé. Pour la seule journée du 2 Septembre, sont interceptés: un Short Sunderland (gros hydravion anglais) un Wellington et un Hudson. Touché, le Wellington se crashe au Nord de Safi.
A la même époque, le réseau Arthur Richard photographiait au sol les plages que les avions reconnaissaient depuis le ciel. Les photographies terrestres et les cartes topographiques transitaient par de Consulat U.S. de Casablanca.
Le 8 Novembre 1942, date devenue historique, à 2 heures du matin, heure locale, les forces alliées déclenchaient l'opération "Torch" qui devait ramener l'Afrique du Nord Française, puis le reste de l'Empire Français, dans la guerre aux cotés des Alliés. Dans le même temps, Montgomery en Egypte avec sa 8ème armée et le concours des Forces Françaises Libres réglait son compte à l'Afrique du Nord Italienne.
Les turpitudes "roosweltiennes", les rancunes "churchilliennes" peut-être, écartèrent la France Combattante de ces opérations, comme si elle n'existait pas. Les Alliés eurent quand même la psychologie de faire porter l'effort principal par les forces U.S. (en totalité en ce qui concerne le Maroc).