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les chinois a CASA

Envoyé par ruemozart 
les chinois a CASA
04 juillet 2006, 04:38

Derb Omar : de Abraham à Tchang Kai Tchai
Ou de Formose à Casa sur Tong.

J’ai lu dans le dernier « Marianne » un article de fonds sur la présence chinoise en Afrique dans lequel j’ai relevé cette indication : «… à l’autre bout de la ville, dans le quartier de Derb Omar, un embryon de Chinatown a vu le jour là ou la petite colonie chinoise du Maroc, 2 000 âmes tout au plus, a choisi d’installer son centre névralgique. Ici, on trouve de tout, en gros comme au détail…. ».

Quand un fils de commerçant juif de Derb Omar à Casablanca, lit cet article, comment réagit-il ? Il ne réagit pas, il est assailli de souvenirs.
C’était dans les années 60 ou un peu avant. Derb Omar, c’était un peu le sentier notamment pour le commerce de gros de thé et de bougies.
C’était du moins l’activité de mon père -Zal- Pourquoi les bougies ? Je ne sais plus, vous m’éclairerez peut être.

Les épiciers de tous les bleds du Maroc, chleuh pour la plupart, descendaient à Derb Omar pour approvisionner leurs boutiques. Au départ, les commerçants juifs et fassis, importaient directement de Chine, ou peut être de Formose car cette origine revient dans ma mémoire. Les caisses en bois étaient belles et volumineuses. Puis l’importation fut réglementée et on parla de « bons ». C’était Menara, Oudaiaa, 1 étoile, 2 étoiles…

Il y avait une belle animation, au boulevard de Strasbourg, je crois, ou se concentrait l’essentiel du commerce de thé, bougies et sucres-en pains-
Ce n’était ni Dhl, ni Fedex, mais des carrioles surchargées, ou étaient attelés des chevaux ou des ânes épuisés et tirant la langue quand ce n’était pas les hommes chevaux eux-mêmes. Des talb maachou, criant, transpirant, portant je ne sais combien de fois leur poids, des embouteillages et puis cette odeur d’urine et de crottin que ma mémoire olfactive me fait presque aimer. Il faisait toujours chaud à Derb Omar et on était nerveux.

Puis, on entrait dans le magasin de mon père. Il n’était pas sexy ce magasin, on l’appelait l’hri. Des caisses de calibre identique, empilées et occupant tout l’espace, nous servaient également de sièges. Un comptoir avec une machine à calculer à crans dont j’aimais bien tourner la manivelle jusqu’à la détraquer, des troncs pour les bonnes œuvres et un calendrier hébraïque accroché au mur. C’était plutôt sobre. J’oubliais aussi le gros trousseau de clés fait plutôt pour Fort knox. Nulle fontaine d’eau, mais du thé, en verre cette fois, à profusion.

Les clients entraient ou ressortaient aussitôt à cause du prix ou de la disponibilité des marchandises. Parfois un signe de tête suffisait après quelques politesses.
Mon père était impassible, et invitait les acheteurs à faire le tour du sok, prendre la température en somme. L’affaire se traitait enfin et puis, d’une djellaba lourde et aux multiples replis, émergeait une skara et de cette skara, une masse de billets aux couleurs passées. Termes poétiques, plus concrètement « propres » à intoxiquer mortellement un guichetier à la banque de Genêve.
Ils n’étaient pas matheux les chleus et les juifs mais quelle dextérité pour compter. Quelle osmose et quelle droiture également ! Imaginez un guichet de change au casino de Cannes ou l’automate vomit les pièces ! Ils n’en étaient pas loin. Ibm peut se gratter les puces : leurs mains étaient des machines à trier et vérifier.

Il y avait de l’animation dans notre magasin, des voisins commerçants, des pauvres qui quémandaient, juifs ou pas et puis le personnel. Il y avait Jacob le comptable qui nous quitta pour Israël à la grande tristesse de mon père. Il y avait Laahcen, un grand noir qui était le coursier, l’homme à tout faire, le copain des enfants, et puis il y avait nous, de temps en temps, en été, je crois. Vous pensez probablement que nous étions des enfants merveilleux, prompts à aider leur père… En réalité, il y avait un temps pour la comtesse de Ségur et un temps pour les comptes.

Mes frères et mois, « empruntions » dans la caisse. J’ai honte. Non pas dans les caisses de thé, pour faire du marché vert avec du thé noir, quel intérêt ? Plutôt la vraie caisse ou du moins les fonds de tiroirs, les pièces jaunes ou blanches. A cette époque, elles étaient belles, lourdes et grandes : les rials. Certes, les sommes étaient faibles et l’un d’entre nous le faisait pour la bonne cause. Notre aîné achetait en effet des cadeaux à ma mère ou des BD (Blek le roc, Buck John, Attack, Zembla, Akim…) pour nous les louer. Il a d’ailleurs gardé la bosse du commerce à telle enseigne que nous craignions qu’il ne finisse par nous louer l’eau qu’on buvait. Rassurez-vous tout de même, nous n’étions pas souvent au magasin. Finalement, mon père a été plus affecté par l’affaire Toledano –une spéculation dont il fut victime- que par les piécettes dérobées de ses rejetons.

Mais au fait, pourquoi vous ai-je parlé de tout ça ? J’en étais à Casa sur tongues et aux chinois de Derb Omar. Abraham n’est plus de ce monde, Jacob a apporté le lait et le miel dans la terre de Canaan mais a laissé les dattes au Maroc. Les Tafraout ont fait fortune et le petit fils de Laahcen est devenu interprète bilingue -signes des mains /arabe - pour les chinois. Contrairement à nos pères, ils ne s’intègreront peut être pas. Au demeurant, les juifs n’étaient pas seulement intermédiaires mais prenaient le meilleur aux civilisations d’accueil tout en y contribuant, leur identité demeurant généralement intacte.

Pour travailler avec les marocains, il faut les aimer, leur dire le mot qu’ils aiment entendre et qui change la relation. Eux-mêmes sont des maîtres en la matière.
Quand pour n’importe quel geste de la vie quotidienne, ils vous disent BSAHTEK, à ta santé, au-delà du mot, le cœur parle au cœur.
Mais les chinois ont tout de même su s’intégrer partout, tout en étant respectueux des pays d’accueil, avec honnêteté. On connaissait la région du Souss avec les Agouzal, les Amhal , les Ait Menna. On finira peut être par connaître la région du Fujian d’où sont issus la plupart de ces commerçants chinois avec les Li, les Tseu et les Tang.

Ils devront en tous cas mettre de la menthe dans leur thé et peut être, qui sait, Omar tapera sur l’épaule de Tseu on lui disant, » Tseu khai, kif dair » ? Tseu mon frère, comment vas-tu ?
Ils ne craindront pas quant eux le déclenchement d’une guerre Formose-Chine et ne feront pas profil bas, dans cette éventualité. Pékin ne mettra pas d’embargo à l’exportation des djellabas made in China. Probablement, la seule chose qu’Abraham ne regrettera pas, est, sans conteste, la trouille au ventre lors des conflits du Proche Orient. On l’a aimé ,ce personnage d’Abraham à Derb Omar, j’en suis sûr et le Derb s’en souvient. Il n’y a pas sa plaque, celle-ci est à la synagogue. Mais après tout, internet et éternel, c’est proche non ? Allez papa, je crée un néologisme pour toi uniquement : INTERNEL. Tout de même, de là où tu es, au Gan Eden, dépose-moi vite ce nom. Les chinois vont me le piquer et ils en feront des rizières de verbe.


Lexique pas pour les connaisseurs évidemment

Chleuh : en fait les 1ers habitants du Maroc avant l’invasion des arabes, les berbères
Bons : bons d’importation
Menara : des marques de thé comme Nescafé …

Talb maachou : des porte faix
Dhl et Fedex : boîtes internationales de messagerie
Zal en hebreu zikhrono lebrakha, bénédiction à son souvenir
Skara en fait une sacoche en cuir
Le rial , unité monétaire
Hri, magasin en arabe
Bsahtek littéralement » à ta santé »
Gan eden, le paradis en hébreu
Tong, tongues, chaussures chinoises
Tchai, le thé en chinois je crois
Hommes chevaux, des hommes qui tirent les carrioles
Faire le tour du sok, aller voir les prix ailleurs, dans le souk
Le lait et les dattes sont traditionnellement des symboles d’hospitalité au Maroc
Tafraout, une région d’où viennent les berbères qui ont réussi.
La terre de Canaan : l’Israël biblique
Fort knox, là où est enfermé le stock d’or des usa
Fassis, de fes, la bourgeoisie commerçante et politique du Maroc




Modifié 1 fois. Dernière modification le 27/02/2007 11:52 par clementine.
Re: les chinois a CASA
04 juillet 2006, 06:44
ruemozart, comme à chacune de tes interventions, l'émotion est au rendez-vous.
C'est un magnifique témoignage.
Re: les chinois a CASA
04 juillet 2006, 07:01
tu me fais plaisir et tu m'encourages
en esperant que l inspiration sera toujours au rendez vous
c est en quittant ce pays et en voyant nos enfants , on se dit finalement , dommage qu ils ne l aient pas connu
et quelle richesse que cette double culture
et finalement quelle stabilité acquise pour affronter un monde en perpetuel mouvement
imagine mon pere debarquant a derb omar et se voyant remplacé par un chinois
c est rigolo
le monde bouge
Re: les chinois a CASA
04 juillet 2006, 07:58
Quand je te lis, je "me"lis comme dans un livre ouvert. Tu exprimes et racontes ce que beaucoup d'entre nous gardent au trèfonds de nos souvenirs. Tu les fais remonter, ces souvenirs, et ils reprennent vie comme s'ils avaient toujours été là.

Ce que tu dis à propos de notre culture, de nos racines et de la stabilité acquise, me rappelle cette réflexion des Pirké Avot (maximes des pères) :

un arbre qui a peu de branches et beaucoup de racines; tous les vents du monde se déchaîneraient contre lui, qu'ils ne parviendraient pas à l'ébranler.

Re: les chinois a CASA
04 juillet 2006, 08:38
c est exactement ça
je vais relire les pirké sur ce theme
ca me convient bien
en fait on appelait mon pere au derb omar , tajer braham , le riche je suppose , tijarra , c etait le tresor, pas sur , faut que je demande a mon bof
sacré maroc
j ai bien envie d 'ouvrir une rubrique sur les critiques de livres concernant le judaisme marocain ou le who's who des juifs du maroc
j ai bien dit ouvrir , le contenu , c est autre chose
yallah,bonne soirée sulamith , t 'etais de quelle ville ?
Re: les chinois a CASA
04 juillet 2006, 09:39
Je suis originaire de Casa que j'ai quitté à 18 ans, juste après le bac.

J'ai bien connu Derb Omar (mdr) en tous cas ma maman en parlait souvent. Etait-ce un quartier typique, animé, pas loin de la Place de France ?

Il me semble qu'on longeait une avenue où se trouvait le cinéma "Opéra" à droite, puis vers la gauche derb omar. Est ce que je me trompe ?

J'ai quitté le Maroc depuis plus de 30 ans, habité d'autres villes, visité d'autres pays mais la nuit dans mes rêves, même si les personnes sont celles que je cotoie aujourd'hui, ça se passe toujours dans ma maison à Casa ou dans les rues de Casa.

Bizarre !

Bonne soirée à toi aussi et raconte nous encore avec le talent qui te caractérise tes souvenirs qui sont aussi notre mémoire.

Sulamith
Re: les chinois a CASA
10 juillet 2006, 06:23
Ruemozart, merci pour la promenade et pour tes gammes ;=))
Re: les chinois a CASA
26 août 2006, 04:53
Quel talent de conteur!!vous avez !!
mon père avait un magasin de tissu derb romar! rue de strasbourg !! j'y allais souvent , il faisait du commer ce de gros, il y avait souvent un vieux cousin , qui gardait le magasin, les commerçants voisins, mr chraibi nous aimait mes freres et moi comme de la famille!! quels souvenirs merveilleux d'amitiés d'estime !!
ces descriptions de maitrise du commerce sont troublantes de charme et d'intelligence!!
merci de nous ramener à ces merveilleux souvenirs!!

mon père , avait le certificat d'etude mais son niveau en realité n'était pas loin d'un h e c!! quel finesse d'esprit !

sultana
AZ
Re: les chinois a CASA
26 août 2006, 09:05
Bravo Ruemozart pour ce récit merveilleux qu'était la vie de nos parents au Maroc,qu'importe la ville, c'était partout pareil.
Derb Omar est toujours aussi grouillant de monde, les boutiques n'ont pas changé, sauf leurs propriétaires, l'ambiance, le décor! ! ! !mais que faire ainsi une page a été tournée. Place aux asiatiques et on en reparlera dans 50 ans (du moins nos enfants) ! ! ! ! ! ! !
Re: les chinois a CASA
27 août 2006, 01:16
merci a sultana et a az
votre plaisir est le mien
chalom
Re: les chinois a CASA
30 août 2006, 07:37
merci ruemozart pour avoir revivifié cette magnifique période de mon enfance: Derb Omar toujours bourré de monde et de petits taxis rouge, le trolleybus numéro 4 de Aïn chok.
Après les juifs ce sont les Chleuhs d'Agadir qui reprirent le flambeau
Maintenant ce sont les Chinois ,tout arrive dans la vie.Peut-être nous apprendraient ils quelque chose.



Modifié 1 fois. Dernière modification le 27/02/2007 11:53 par clementine.
Re: les chinois a CASA
25 février 2007, 20:20
bon
jours a tous les casablancais

j m apel david amar j ai habiter le mellah j etais mecanicien dentiste est avoir travailler avec un certain albert malka qui etais associer avec un espagnol du nom de alberto manrique pardo j me rapelle des chinois qui vendait des cravattes a la place de france
Re: les chinois a CASA
26 février 2007, 10:12
bravo bravo bravo ruemozart pour tes souvenirs si magnifiquement raconte, j habitais une rue perpandiculaire a la rue de strasbourg, la rue du general marguerite au 52, face a notre masion se trouvait un marchand de cigarette et de bonbons

l homme de la montagne
Re: les chinois a CASA
27 février 2007, 10:36
Le recit de RUEMOZART : comme si vous y étiez ! Merci.
Je ne pense pas que les relations avec les chinois aient la valeur des relations entre les juifs marocains et les marocains. Et je vs en parle en toute connaissance de cause. Je suis marocain et j'ai tellement entendu parler de ce chinatawn alors l'été dernier j'y suis allé. C'est vrai qu'ily a tjrs des Hris et de l'animation mais les Hris repris par les chinois n'ont pas de "vie". Ils sont au coin, généralement en couple et c'est un marocain qui fait la vente après avis. On m'a dit qu'ils dorment dans ces Hris. Ils ne parlent ni l'arabe ni le français. je ne pense pas avoir vu la femme à la "djellaba made in china" citée dans la presse. peut être ça veudrais dire que les chinois veulent mettre mains basse sur le commerce...je vais essayer de retrouver des photos prises dans le quartier et vous en ferais part.
En tout cas merci.
Re: les chinois a CASA
27 février 2007, 14:10
Tout d'abord, merci Ruemozart pour ton magnifique artcle, qu'on pourrait qualifier aujourd'hui d'ethnographique.Il nous plonge dans les moindres détails de nos coutumes et nos habitudes de lépoque. A Tanger, nous avions aussi quelques khzaïns tenus par des commerçants grosssistes juifs à Calle Tetouan et findq chijra. Nous lisions les mêmes BD en location, Akim, Zembla...
Merci encore d'avoir activé notre mémoire !
très cordialement,
Re: les chinois a CASA
06 mars 2007, 03:39
L HOMME DE LA MONTAGNE a écrit:
-------------------------------------------------------
> bravo bravo bravo ruemozart pour tes souvenirs si
> magnifiquement raconte, j habitais une rue
> perpandiculaire a la rue de strasbourg, la rue du
> general marguerite au 52, face a notre masion se
> trouvait un marchand de cigarette et de bonbons
>
> l homme de la montagne


merci homme des cavernes , pardon de la montagne
je te dedie un autre article sur les bonnes
Re: les chinois a CASA
06 mars 2007, 03:41
ton plaisir es el mio
Re: les chinois a CASA
07 mars 2007, 07:48
A ruemozart,

J'aime vous lire, alors je viens de Fes jusqu'a Casa pour gouter de vos ecrits- Les Chinois a CASA- Je viens de prendre connaissance de cet article grace a celui consacre aux bonnes. Vous etes un "mozart" en descriptions!! Je vous fellicite pour votre talent.

J'ignorais que vous etiez la depuis longtemps.Tant pis! C'est moi qui aurait perdu.

A l'avenir je tacherai d'etre " A l'ecoute".

Merci ruemozart.
Re: les chinois a CASA
07 mars 2007, 17:49
Je me souviens en 2004 à Fez, ou dans un centre de développement photos, il y avait des 'chinois' (?) qui y travaillait.
J'étais rentrer pour développer quelques photos.
Certains marocains étaient à l'intérieur en attente.
Alors le monsieur a parler dans sa langue avec une de ses collègues asiatique (sa femme ?), bref,
Deux jeunes filles de moins de 20 ans on éclater de rire comme des folles en les entendant parler 'chinois'. J'étais très gêné et le monsieur voyait qu'elle riait parce qu'il parlait sa langue.
J'ai trouver la réaction des filles complètement stupide.
Je ne sais pas pourquoi j'en parle, c'est le sujet de 'les chinois à casa' qui ma fait penser à cette histoire.

A Imouzzer ou j'habite ce sont des Japonais qui ont financé et construit une nouvelle partie du centre médicale qui se situe en fasse de chez moi.
On voit le double drapeau japon-maroc à l'entrée.

Bientôt le Maroc et l'Afrique sera dominé par les asiatiques. Cela ne me dérange pas.
Re: les chinois a CASA
07 mars 2007, 17:52
On a pu voir qu'en Algérie ce sont les Chinois qui construisent les nouvelles villes de ce pays. J'avais vu cela dans l'excellente emission de Yvec Calvi 'C dans l'air'.
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