L'esclavage a été aboli au Maroc en 1922.
Article très interressant sur l'esclavage au Maroc écrit par M. Michaux-Bellaire en 1907 (ne pas oublier de remettre dans le contexte de l'époque)
L'Esclavage au Maroc en 1907.
Consulté sur la question de l'esclavage au Maroc, M. Michaux-Bellaire répondait, en 1907, à un correspondant espagnol la lettre suivante:
Vous avez bien voulu me demander des renseignements sur l'esclavage au Maroc ; c'est bien simple : malgré les quelques vœux assez timides émis par la diplomatie européenne, l'esclavage fonctionne encore au Maroc librement et publiquement. Sans doute dans les villes du bord de la mer, comme à Tanger, là où les Européens sont nombreux, à Fès même, depuis quelques années les ventes d'esclaves ne sont pas faites en public, et les marchés d'esclaves n'existent plus ; mais le principe de l'esclavage n'a été atteint en rien, et les ventes d'esclaves, pour avoir revêtu une forme clandestine, n'en sont pas moins parfaitement licites et légitimes, et personne ne pourrait s'opposer à ce qu'elles se fissent en public, en vertu d'un droit quelconque. Si on dissimule ces ventes aux yeux des Européens, c'est par une sorte de sentiment de courtoisie, d'une part, et d'autre part surtout pour éviter des interventions possibles de nature à causer au gouvernement du pays l'ennui d'explications, de pourparlers ; mais il ne faut pas perdre de vue qu'une intervention de ce genre ne pourrait, jusqu'à présent, s'appuyer sur aucun droit réel d'intervenir.
Le principe de l'esclavage, c'est-à-dire de la propriété d'un être humain par un autre être humain, est absolument admis par les lois comme par la mentalité marocaines et ne soulève aucune idée de réprobation ni de pitié chez les indigènes. Les esclaves eux-mêmes ne sentent aucun sentiment de révolte contre leur état. Il arrive parfois qu'ils s'échappent, mais non pas pour essayer de sortir de l'esclavage, et simplement parce qu'ils sont mal où ils se trouvent et qu'ils espèrent, dans un changement, trouver un meilleur maître. D'autre part, il est fréquent que des esclaves affranchis restent dans la maison de leur maître, incapables qu'ils sont de supporter la responsabilité de leur propre existence, trop lourde pour eux.
Le principe de l'esclavage au Maroc est antérieur à l'arrivée de la religion musulmane dans ce pays. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que le principe de l'esclavage a été le premier pas des hommes dans la voie de la civilisation. L'homme à l'état sauvage tue ses prisonniers, et parfois les mange ; il ne les asservit pas. Réduire les prisonniers en esclavage et mettre à profit leur-travail, c'est-à-dire l'exploitation du plus faible par le plus fort, a été le point de départ de toutes les sociétés, et a continué à travers les siècles jusqu'à nos jours, où la force est représentée par le capital. 11 n'est donc pas surprenant que dans un pays comme le Maroc, où l'organisation même de la société est à peine ébauchée, cette société ait conservé l'esclavage qui en était la base primitive, et que l'esclavage social n'y ait pas remplacé encore l'esclavage proprement dit.
J'avais été frappé par ce fait qu'au Maroc les esclaves sont musulmans, et je m'étais demandé s'il était conforme au Coran qu'un Musulman ou une Musulmane pût être vendu comme une marchandise même à un autre Musulman.
J'avais espéré trouver là un moyen de lutter contre l'esclavage au Maroc, en établissant qu'il était contraire à la loi du Prophète de vendre un Musulman aux enchères ou de gré à gré.
Malheureusement, d'après le Coran lui-même, il est parfaitement admis qu'un Musulman soit l'esclave d'un autre Musulman, et je cite : Coran, traduction Kazimirski, page 32, chapitre II, verset 220 : « N'épousez pas les femmes idolâtres tant qu'elles n'auront pas cru, une esclave croyante (c'est-à-dire musulmane) vaut mieux qu'une femme libre idolâtre... un esclave croyant vaut mieux qu'un individu libre, etc.. >
Le Prophète admet donc qu'un Musulman ou qu'une Musulmane puisse être esclave d'un autre Musulman.
Il admet également les eunuques, ainsi qu'on le voit au chap. XXIV, verset 32, page 282 : « Commandez aux femmes qui croient de baisser leurs yeux, etc., de ne montrer leurs ornements qu'à leurs maris ou à leurs pères, etc., etc., ou à leurs esclaves mâles qui n'ont pas besoin de femmes... »
Dans le même chapitre, au verset 33, on trouve ceci : « Ne forcez point vos esclaves à se prostituer pour vous procurer des biens passagers de ce monde, si elles désirent garder leur pudicité. » Il semble résulter de cette prescription qu'au temps de Mohammed, on se servait des femmes esclaves comme de moyens de rapport, même de force ; le Prophète défend de le faire dans ces conditions, mais il parait autoriser cette source de revenus si l'esclave est consentante.
Le Coran admet donc l'esclavage entre Musulmans et avec ses pires conséquences.
Au Maroc, les esclaves mâles sont généralement employés aux travaux des champs et leur situation n'est pas plus mauvaise que celle des domestiques libres employés aux mêmes travaux. Elle est même souvent meilleure. Par le fait que l'esclave est son bien et sa chose, le maître a souvent dans un esclave intelligent beaucoup plus de confiance que dans un homme libre, et certains esclaves arrivent ainsi à la situation de véritables intendants et ont des hommes libres sous leurs ordres. Le fait d'être esclave n'empêche pas d'ailleurs d'arriver aux plus hautes situations, et l'illustre grand-vizir Si Ahmed ben Moussa ben Ahmed, vulgairement connu sous le nom de " Ba Ahmed ", qui était régent de l'empire après la mort de Moulay El Hassan pendant la minorité du Sultan actuel, était esclave, comme son père et son grand-père, qui étaient comme lui grands-vizirs. 11 est vrai qu'ils étaient esclaves du Sultan, mais ils n'en étaient pas moins en état d'esclavage. Le nègre " Faradji ", gouverneur de Fès El Djedid sous Sidi Mohammed, était esclave également, et bien d'autres.
Tous les esclaves grands seigneurs restent la propriété du Sultan leur maître, qui peut, selon sa fantaisie, les dépouiller complètement et les mettre en vente. Il est juste d'ajouter qu'il peut en faire autant pour tout fonctionnaire marocain libre, sauf que dans ce cas la vente est remplacée par la prison. De sorte qu'à tout prendre, la situation d'homme libre au Maroc n'est guère plus enviable que celle d'esclave, et qu'elle en diffère bien peu.
Les esclaves femmes, beaucoup plus nombreuses que les esclaves hommes, comprennent également plusieurs catégories. A la campagne, elles font les mêmes travaux que les femmes libres et vivent exactement de la même vie.
Dans les villes, ou bien elles font les travaux de la maison comme des domestiques, ou bien, si elles sont distinguées par le 'maître, elles arrivent souvent à être les véritables maîtresses de la maison.
Une esclave enceinte des œuvres de son maître est libre par le fait même et ne peut plus être vendue. Son enfant est dans la maison sur le même pied que les enfants légitimes et hérite de son père dans les mêmes proportions.
Tous les gens riches des villes, ou les fonctionnaires du Makhzen, qui, pour leurs affaires ou pour leurs fonctions, doivent se déplacer pour un certain temps, laissent chez eux leur ou leurs femmes légitimes et emmènent avec eux, suivant leur fortune, une ou plusieurs négresses esclaves, ou esclaves qui ne sont pas toujours négresses. Il arrive souvent, en effet, particulièrement à Fès, à Marrakech, à Méquinès, et dans certaines grandes villes, que le commerce des esclaves femmes s'étend aux femmes blanches ou presque blanches. Ce genre d'esclaves ne se trouve guère que chez les hauts fonctionnaires du Makhzen ou chez les riches négociants. Ce sont généralement des femmes berbères vendues par leurs parents, quelquefois par leurs maris, ou des femmes volées. On trouve aussi quelques Circassiennes, mais elles sont très rares. La mère du Sultan actuel « Nour Ech Chems » (Rayon de soleil) que l'on a appelée au Maroc « Lalla Rekia», était une Circassienne achetée à Constantinople.
L'idée de l'esclavage est tout à fait dans les mœurs marocaines et les populations berbères des montagnes ont toutes dans chaque tribu, presque dans chaque village, des ballerines, danseuses et prostituées, qui sont rarement la propriété d'un seul, mais bien d'un groupe de gens qui se sont cotisés pour l'acheter. Ces danseuses sont généralement des femmes volées dans une ville ou dans une autre tribu. Une femme d'une tribu ne peut être vendue ni achetée dans sa propre tribu. Les gens des montagnes volent également des enfants mâles pour un usage analogue.
Le commerce des femmes blanches est certainement dû en très grande partie aux difficultés qu'éprouve aujourd'hui le Maroc à se procurer des négresses. Depuis l'occupation du Soudan par la France et plus particulièrement depuis l'occupation du Touat, la chasse aux esclaves est devenue plus difficile, d'une part, et le passage des caravanes de cette marchandise est à peu près impossible. Le Maroc en est donc réduit à vivre sur ses propres produits. Il y a bien dans certaines régions de véritables entreprises d'élevage de négresses, pour la reproduction et pour la vente, et il se rencontre même des maîtres qui n'hésitent pas à vendre les enfants qu'ils ont eus eux-mêmes avec des négresses, mais tout cela est insuffisant à suppléer aux anciens arrivages du Soudan.
Il arrive parfois que non seulement sont achetées comme esclaves des personnes de condition libre, mais parfois des femmes de noble origine. C'est ainsi qu'on racontait à Fès, il y a quelques années, l'histoire d'une jeune femme provenant d'une razzia ou d'un vol et qui avait été vendue à je ne sais quel vizir. Elle protestait énergiquement contre la situation qui lui était faite, en déclarant qu'elle était chéri/a, c'est-à-dire descendante du Prophète, que sa famille était connue et qu'elle se faisait forte de prouver ce qu'elle avançait. Ce n'est qu'à force de coups que l'on serait arrivé, paraît-il, à la faire revenir sur sa déclaration et à l'obliger à reconnaître qu'elle était effectivement esclave.
Comme partout et comme dans tous les temps, les esclaves marocains sont vicieux et corrompus ; ils ne le sont d'ailleurs pas plus que leurs maîtres. Ce sont surtout les esclaves femmes des villes qui réunissent tous les vices de l'esclavage.
Elles servent généralement à leurs maîtresses pour tromper et pour voler leurs maris. Le but de toute esclave est de devenir la complice de sa maîtresse ; la complicité étant forcément réciproque, il en résulte un rapprochement et presque une égalité complète entre les deux complices, maîtresse et esclave.
Les esclaves nègres des deux sexes amenés du Soudan ont apporté avec eux leurs pratiques religieuses de la confrérie des Guenaoua qui a pour fondateur présumé Sidna Bilal, l'esclave du Prophète, et pour patron apparent le fameux cheikh de Baghdad, Moulay Abdelqader Ed Djilani, mais qui est, en réalité, une confrérie où l'intervention des démons joue un rôle beaucoup plus considérable que les saints.
Le Sultan Semharrodj, Sidi Ibrahim, Sidi Mimoun, Sidi Hammou, Lalla Mira, une diablesse, et d'autres, sont les agents invoqués des divinités souterraines. Des inextricables complications des rites diaboliques de cette véritable religion devenue une confrérie musulmane, se dégage tout un système de possession par les couleurs et par la musique. Les femmes surtout en subissent l'influence, et à Fès, par exemple, il y a peu de femmes des plus grandes maisons qui ne soient affiliées aux Guenaoua et qui, du fait même, ne se trouvent sous la dépendance de leurs négresses. Les pratiques rituelles du guenaouïsme marchant de pair avec celles de Lesbos, très répandues non seulement dans toutes les villes du Maroc, mais également dans les tribus des montagnes, font qu'il y a peu de femmes au Maroc qui ne soient possédées par un diable quelconque.
En résumé, on arrive à ce résultat : que, pour étudier à fond l'esclavage au Maroc, il faudrait étudier à fond le Maroc lui-même, tant l'un fait étroitement partie de l'autre.
L'esclavage est une monstruosité, et l'on ne saurait faire trop d'efforts ni trop de sacrifices pour en débarrasser le monde ; mais, d'autre part, il semble qu'avant de chercher à rendre aux esclaves du Maroc la liberté, il faudrait donner aux gens libres de ce pays des garanties d'existence qu'ils n'ont pas, à tel point qu'ils sont bien près d'être des esclaves eux-mêmes. Ici, comme partout où l'esclavage a existé, il n'est pas une simple verrue que l'on peut extirper sans toucher à l'organisme lui-même ; il fait au contraire partie intégrante de cet organisme. Pour faire œuvre utile au Maroc, je ne crois pas qu'il 'suffise d'obtenir du Sultan une décision supprimant l'esclavage dans son empire ; elle risquerait de rester purement platonique et d'augmenter encore la mauvaise humeur de son peuple contre lui et contre la chrétienté. La loi musulmane autorise les esclaves maltraités à se réfugier chez le qadt, qui a le droit d'obliger le maître injuste ou cruel à vendre son esclave. Que l'on obtienne, dans la mesure du possible, la stricte application de cette loi de garantie pour les esclaves, cela sera déjà un grand pas de fait. Le reste se fera petit à petit, en suivant la marche inéluctable des choses. Je ne dis pas qu'il faille laisser aller ; au contraire, il faut pousser, mais dans une juste mesure, et ne pas tomber dans une précipitation qui risquerait de compromettre le résultat et de le retarder.
En attendant que l'on puisse supprimer l'esclavage, il faut surtout', je crois, chercher à l'adoucir et se préoccuper de faire œuvre de charité plutôt que de révolution sociale.