Bonsoir,
Sylvain a proposé des photos des panneaux en relief qui ornent le piédestal de la statue de Lyautey à Casablanca.
En complément, je joins un article, daté de 2002, relatif à la statue et relevé sur Internet.
Au delà de la description de la statue, il est fait état des traits de caractère du maréchal, autoritaire, volontaire et ambitieux, mais aussi idéaliste, diplomate et humaniste.
Sur l'article, la description des faces du piédestal est indiquée en fonction de la direction de la mer ou de la terre. Je pense qu'il s'agit de l'emplacement initial de la statue, avant son déplacement en 1959.
Amicalement,
henri
La statue de Lyautey à Casablanca :
une image du protectorat
Par Jean-Luc Pierre (bulletin de Liaison des Professeurs d'Histoire-Géographie de l'Académie de Reims. n°26, 2002)
En août 1907, au moment où l'armée française débarque à Casablanca, le général Lyautey, commandant de la division d'Oran, pacifie les confins algéro-marocains et occupe Oujda au Maroc. En 1908, il est choisi pour accomplir une mission d'inspection à Casablanca. C'est surtout comme Résident Général au Maroc, entre 1912 et 1925, qu'il marque de son empreinte l'Empire chérifien et le paysage urbain de Casablanca.
La statue équestre du Maréchal Lyautey, envisagée à la mort de Lyautey en 1934, est inaugurée en 1938 au centre de la Place de la Victoire appelée aussi Place Administrative, l'actuelle place Mohamed V. Entre 1907 et 1912, les généraux Drude, D'Amade puis Moinier, ont installé à cet emplacement le quartier général du corps expéditionnaire français. Lyautey décide de rassembler les fonctions administratives de Casablanca sur l'espace des anciens camps militaires.
Comme pour les anciennes places royales, l'ordonnancement de la Place de la Victoire met en harmonie les axes et les monuments. Les architectures s'inspirent de l'art islamique transfiguré par une vision résolument moderne. Les façades monumentales et les axes de la place convergeaient vers la statue équestre du Maréchal Lyautey. En une nuit de novembre 1955, à l'issue des accords de la Celle-Saint-Cloud, la statue est déplacée d’une centaine de mètres et entre dans le jardin de l'Hôtel du commandement militaire qui est, depuis 1959, le Consulat Général de France.
Une statue sans équivalent
Cet énorme mobilier urbain représentant un personnage de l'histoire contemporaine à cheval n'a, à ma connaissance, aucun équivalent. La statue, signée de l'architecte Marchisio et du statuaire François Cogné, apporte un témoignage de l'idéologie élaborée par la Résidence. Le cheval est fin et racé, son cou laisse voir la tension des muscles. Attentif, ses quatre pieds sont posés au sol ; aux ordres, la bride est relâchée. Svelte et sans arme, le Maréchal de France salue de son bâton étoilé. Lorsqu'il reçoit son maréchalat en 1921, un Comité de souscription des Français du Maroc lui offre un bâton et il déclare à cette occasion : « Cet insigne que vous remettez en mes mains ne me rappellera pas seulement l'honneur que vous me faites, mais ces obligations et ces devoirs ». Il pourrait rappeler aussi qu'il doit cet honneur à son passage malheureux au ministère de la guerre en 1917, mais surtout qu'il le doit à aux soldats marocains morts au combat.
Lyautey aime le faste, le panache. Il est en permanence en représentation et manie à merveille la séduction. Cette représentation équestre correspond bien à l'idée que les hagiographes se font de Lyautey. Comme Plutarque dans les « Vies parallèles », on le compare à César bâtisseur d'empire ou Alexandre fondateur de villes. Il y a quelques chose d'antique dans cette mâle assurance ; on pense à la statue équestre de Marc Aurèle sur la place du capitole à Rome. Il y a des réminiscences des statues d'Auguste dans le profil et ce n'est pas par hasard qu'Albert Laprade, l'architecte du bâtiment du consulat, dira de lui, plagiant la célèbre formule des Res Gestae, les Hauts Faits du divin Auguste : « Le général Lyautey avait trouvé une ville en pisé et en tôle ondulée ; il la laissa dix ans après en béton et en marbre ». Il y a du souverain enfin dans cette représentation semblable aux statues des rois trônant au centre des places royales. Dans tous les cas, l'image de Lyautey incarne les valeurs aristocratiques -au sens étymologique du mot - dans lesquelles il croit profondément.
Le piédestal porte des citations bilingues et sept reliefs de bronze historiés illustrent les points forts de l'idéologie et de l'action du proconsul du Maroc. Chacun de ces reliefs comporte deux registres de taille inégale. Un grand motif occupe la partie basse de chaque panneau tandis qu'une petite représentation complète le thème général. La face vers la mer évoque l'apport de la France : le port, la ville, les transports et la santé. La face vers la terre représente les activités traditionnelles des Marocains. Des hommes et des femmes aux amples vêtements, des uniformes militaires contrastent avec la nudité des enfants potelés, sorte de putti mauresques.
L'homme et les mots
Animée d'une idéologie à la fois conservatrice et humaniste, l'œuvre marocaine de Lyautey vise à pacifier et à restaurer le Maroc traditionnel dans le strict respect du régime du protectorat qu'il définit ainsi : « Un régime non pas transitoire mais définitif, qui a comme caractéristique essentielle l'association et la coopération étroites de la race autochtone et de la race protectrice dans le respect mutuel, dans la sauvegarde scrupuleuse des institutions traditionnelles ».
Les citations bilingues de Lyautey inscrites sur l'important piédestal de la statue évoquent, dans un style volontairement imprécis et fait de bons sentiments, les apports mutuels des deux composantes de la population : « Plus je fréquente les Marocains plus je vis dans ce pays, plus je suis convaincu de la grandeur de cette nation ». La plus longue citation est à la fois plus complexe et ambiguë : « Je crois avec tout mon cœur, toute mon âme et avec toute mon expérience que la meilleure manière de servir la France dans ce pays, d'y assurer la stabilité de son établissement, c'est de lui apporter l'âme et le cœur de ce peuple ».
La citation inscrite sur la face tournée vers la terre traduit bien l'ambition, l'autorité et le charisme de Lyautey ainsi que sa volonté de modeler l'espace marocain : « Etre de ceux auxquels les hommes croient, dans les yeux desquels des milliers d'yeux cherchent l'ordre, à la voix desquels des routes s'ouvrent, des pays se peuplent, des villes surgissent ».
Enfin, la citation qui regarde aujourd'hui le bureau du Consul exalte l'amour que Lyautey porte au pays et aux hommes : « Cette parcelle d'amour sans laquelle rien de grand ne peut se faire ». Le 2 octobre 1925, dans l'allocution d'adieu à Rabat, Lyautey tient à se rendre au palais à cheval : C'est en sorte sa dernière représentation officielle que la statue fixe ainsi.
Lyautey monarchiste, toujours sensible à la légitimité divine du sultan sur la terre et les hommes, déclare à cette occasion : « C'est avec une profonde émotion que j'évoque les souvenirs qui me lient depuis treize ans à Votre Majesté, auprès de laquelle, depuis le début du protectorat, j'ai toujours trouvé des conseils si éclairés, une clairvoyance si judicieuse, un appui si constant pour réaliser l'œuvre de pacification matérielle et morale, de restauration, d'autorité et de développement économique que la France s'était imposée de réaliser dans ce noble et grand pays, dans le respect absolu de sa religion, de ses hiérarchies sociales et de la souveraineté de Sa Majesté chérifienne ». Si Lyautey affecte de n'avoir été que le premier serviteur du sultan, c'est pourtant le Résident Général qui détenait la réalité du pouvoir.
Le relief de cette face de la statue qui représente l'accolade de Lyautey et du sultan Moulay Youssef est probablement la représentation de cette ultime rencontre. L'un et l'autre sont accompagnés d'une suite dont les intentions pacifiques se lisent sur les visages, dans les attitudes et par les fourreaux sans lames.
Les trois reliefs, côté mer, du piédestal de la statue ou les Hauts Faits de Lyautey
Le premier panneau représente le port et la ville de Casablanca qui ont été les premières préoccupations de la Résidence. Lyautey et Delure se tiennent sur la digue réalisée suivant les plans projetés. Une vue cavalière de Casablanca occupe le registre du haut. Le poids de Casablanca : Port et transports. Le maréchal Lyautey qui a fait de Casablanca la vitrine de son œuvre civilisatrice et l'entrepôt naturel de toutes les régions soumises, déclare le jour de son départ, le 10 octobre 1925 avant de monter sur le paquebot « Anfa » : « Casablanca est le meilleur souvenir que j'emporte du Maroc comme il a été la grande joie de mon gouvernement ». Il y a aussi rencontré quelques-unes de ses plus grandes souffrances !
Malgré la présence à Casablanca de la plus importante communauté française du Maroc, c'est Rabat qui est choisie pour siège de La Résidence. Cette décision prise en 1913 provoque un vif mécontentement à Casablanca qui se traduit par une petite fronde contre le pouvoir. Christian Houel, journaliste et témoin des premières heures de la présence française au Maroc, expose la pomme de discorde : « La place du représentant de la France doit être au milieu du plus grand nombre de Français, industriels, commerçants et colons [...] non dans un château lointain, fut-il historique ». En réalité, on jalouse les dépenses faites pour la capitale en pensant qu'elles démunissent Casablanca. Par ailleurs, le transfert de la capitale chérifienne de Fès à Rabat conforte le choix de Lyautey de séparer les lieux de décision politique et la puissance économique.
Ses espoirs dans les perspectives de mise en valeur du pays passent par le développement d'infrastructures ambitieuses. Une politique de construction de routes et de voies ferrées met en relation l'espace marocain, les sphères du pouvoir et le pôle de Casablanca.
L'observation des réalités économiques et géographiques impose le choix de Casablanca comme interface portuaire. Depuis 1911, Casablanca est submergée par la crue des hommes et des choses. Lyautey, au lieu de saupoudrer les crédits, envisage un grand complexe portuaire, véritable poumon du Maroc. Lyautey écrit lors de la cérémonie du premier kilomètre de la grande jetée du port le 15 juillet 1919 :« Lorsque je suis arrivé au Maroc en 1912, j'étais on ne peut moins convaincu de l'opportunité et de la possibilité du port de Casablanca (…) Malgré ces dispositions, je fus vite convaincu que c'était ici que le port s'imposait. Mais je ne l'étais pas encore des possibilités de sa réalisation ». Le directeur général des travaux publics, Gaston Delure, a su lui montrer comment pallier les difficultés techniques et combattre les nombreuses réticences et les ardents conflits d'intérêts.
Le port, mis en service à la fin des années vingt, matérialise l'essor de la ville-phare du capitalisme colonial français. A la veille de la seconde guerre mondiale, Casablanca est le premier port du continent africain avec des quais en eau profonde sur plus de cinq kilomètres, desservis par une centaine de grues et quatre mille dockers.
Un port, c'est une porte. La découverte du phosphate l'année même de la décision de construire un grand port artificiel implique de concevoir l'interrelation entre les différents moyens de transports, le navire, la route, le rail.
Les routes s'améliorent rapidement et les pistes de plaines sont au fond assez faciles à entretenir. En revanche, dès l'aube de son action au Maroc, Lyautey piaffe d'impatience de réaliser un réseau ferré ramifiant le pays car, dit-il, « le territoire est exploitable presque en entier ». Or, le chemin de fer piétine du fait des freins imposés par les accords internationaux de 1911 qui stipulent que le réseau ferré marocain ne pourra être réalisé que lorsque la ligne Tanger-Fès sera construite. Avec la partition du Maroc entre la France et l'Espagne, et l'orientation résolument atlantique du Maroc colonial, cette ligne ne correspond plus à une nécessité première. Pour arriver à un accord franco-espagnol, on va tordre l'axe en sorte qu'il se rapproche de la côte et de Rabat.
Mais Lyautey n'attend pas la solution financière et politique pour commencer les études et surtout pour imposer en 1912 un réseau Decauville à voie étroite. A vocation militaire au départ, ce réseau devient accessible au trafic civil.
Le développement autour de la ville d'une étoile de voies ferrées et de routes qui la relient aux quatre grandes villes du pays, a conduit à son terme l'évolution qui a fait de la ville le centre économique incontesté du pays.
Sur le deuxième panneau, un navire à quai baptisé « Maréchal Lyautey », une grue, des paquets, des dockers illustrent les échanges de produits avec la métropole. Un crieur de journaux porte sous le bras la Vigie marocaine dont le titre est bien lisible dans le bronze. Ce journal, la voix des colons, ne fut pas un modèle d'objectivité. Son fondateur, Christian Houel avoue : « Je prenais la défense systématique des Français ». Le nombre des journaux est considérable compte tenu du lectorat potentiel. Outre La Vigie, La Presse Marocaine, Le Progrès Marocain, Le Maroc, deux hebdomadaires, L'Information Marocaine et Les Annales Marocaines participent à la formation de l'opinion. Christian Houel, revenant au Maroc au seuil des années vingt après quelques expulsions, accuse : « L'opinion n'était plus libre, mais dirigée par des hommes qui n'avaient guère que le souci de leurs propres affaires ». Souvent les relations entre la Colonie de Casablanca et Lyautey furent tendues, comme en 1919 où l'atmosphère fut si irrespirable que le Résident eut bien l'intention de ne plus y revenir.
Le registre du haut montre une puissante locomotive. Ce n'est, on l'a vu, qu'à partir de 1921 que le chemin de fer pourra aller de l'avant au rythme souhaité par Lyautey.
Le troisième panneau évoque les préoccupations hygiénistes et médicales du premier protectorat. Lyautey visite un malade alité devant une infirmerie. Personnel médical européen et indigène, religieuses et enfants marocains assistent à la scène. L'état sanitaire du Maroc est catastrophique à la veille du protectorat. Fièvres, pestes, variole, typhus emportent rapidement les corps mal nourris. Pour lutter contre les épidémies et les pathologies sociales, Lyautey mène un combat afin d'assurer une couverture sanitaire intégrale du Maroc. Des hôpitaux de campagne ont accompagné la pénétration militaire et les infirmeries sont restées. La peur du Marocain et celle des maladies se confondent souvent. C'est surtout contre le corps malade de la ville musulmane que les médecins du Service de santé publique vont œuvrer : assainissement, dératisation, désinfection, vaccination.
Lyautey rêve de compenser la rudesse de l'expansion coloniale par la mission médicale et met l'accent sur la prophylaxie. Un parc dans la ville orne le registre du haut. La place s'ouvre en effet sur le parc Lyautey (l'actuel parc de la Ligue Arabe), le poumon de Casablanca, où eucalyptus, ficus, palmiers filtrent l'air. Les préoccupations hygiénistes sont manifestes : les immeubles étendent leurs ailes pour absorber les vents d'ouest et échapper aux miasmes des quartiers plus populaires, à la misère et aux maladies qui frappent durement les miséreux.
Les trois reliefs, côté terre, ou une figuration de la vie marocaine traditionnelle
Les trois reliefs de l'autre face sont consacrés aux activités économiques, politiques et spirituelles traditionnelles. Sur le premier panneau, un souk établi en lisière de forêt permet d'exposer, au premier plan, les fruits de la terre marocaine. Le registre du haut montre une scène de labour à l'araire tiré par deux dromadaires, dont l'archaïsme tranche avec à la mise en valeur de l'économie rurale coloniale absente de ces représentations.
Les intérêts des communautés agricoles traditionnelles et ceux des colons ne sont pourtant pas convergents. Dans un premier temps, une politique conservatoire de la tribu et de ses biens est développée, mais elle va à l'encontre de la faim de terre des colons. Alors il faut bien concilier les intérêts et Lyautey déclare : « Les Marocains ne sont pas nomades, beaucoup de tribus ont gardé la coutume antique de la propriété collective des terres. Nous arrivons à les convaincre que la véritable forme de la propriété est la propriété individuelle. Et ainsi, à mesure que nous transformons les terres collectives d'une tribu en terres individuelles, comme nous accroissons la valeur du domaine de chaque membre de la tribu, nous demandons en retour une cession d'une partie de la terre collective à l'État. Et c'est justement sur cette terre collective que nous créons des lots domaniaux pour en faire bénéficier la colonisation française. Lyautey se révèle un apôtre du progrès économique et de l'individualisme agraire qui pourtant doivent bouleverser les mentalités et la société de manière profonde. A quelle pression répond-t-il ? Celle de la rentabilité ? Celle des colons ? Celle de la mise en valeur ? Celle des autorités françaises ? Donne-t-il le change à l'accusation récurrente d'indigénophilie dont il est victime ?
Le panneau central évoque la vie nomade et la tribu avec des tentes et des cavaliers en armes. Le ralliement des tribus, au nom du sultan, s'est obtenu en usant de diplomatie à l'égard des grands Caïds. Le respect des coutumes et des traditions tribales fige une réalité mouvante par essence dans un cadre administratif relié au principe externe de l'autorité. C'est en toute conscience que cette politique est évoquée par Lyautey dans une note à André Tardieu dès novembre 1913 : Gagner quelques personnalités marquantes pour gagner du même coup tous leurs clients [...] la méthode du protectorat, c'est plus souple, moins coûteux, cela réclame moins de personnel, demande moins de temps et assure davantage le respect des coutumes et des traditions.
Une vision historique déformée par l'histoire féodale européenne assimile les grands Caïds à des seigneurs. On veut voir dans l'autre son propre monde perdu, on croit déceler dans les casbahs la silhouette des châteaux forts…
Un dernier panneau présente les produits de l'artisanat marocain au pied de la Koutoubia de Marrakech : reliures d'art, maroquinerie, orfèvrerie, argenterie… Dès le printemps 1912, Le Résident Général nomme Tranchant de Lunel comme conservateur des monuments historiques et crée le « Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques ». « Ce fut la bonne fortune du Maroc d'avoir, dès l'origine cette belle équipe d'artistes et d'hommes de goût, passionnément épris des beautés de ce pays, résolus de se donner à leur sauvegarde » écrit-il en pensant à Gallotti et à Majorelle.
Conscient cependant du risque que présente l'irruption des produits de l'industrie européenne pour la survie des arts marocains, Lyautey ordonne en 1913 une enquête sur les centres de production. Il organise en 1915 une exposition franco-marocaine à Casablanca. Un office des Industries d'art indigène assure à partir de 1918 la surveillance de la production et l'écoulement des produits de l'artisanat. « La reliure, ce bel art marocain traditionnel, a maintenant sa place à Paris, où vous l'admirez et l'achetez ». Rappelons que Lyautey sera commissaire général de la grande exposition coloniale de 1931.
Le registre supérieur représente l'arc de Volubilis, qu'au terme des fouilles, on a remonté en 1933. Cette représentation rattache le Maroc aux cultures méditerranéennes et préislamiques. En effet, une partie du monde berbère avait été intégrée à l'espace culturel méditerranéen antique. Certains idéologues de la colonisation pensaient reconstituer au profit de la France l'unité de l'Afrique du Nord rompue par les Arabes depuis l'antiquité romaine. Cette conception de l'histoire se fondait également sur le mythe de l'antagonisme Arabes-Berbères créé au XIXe siècle pour servir les intérêts des colonisateurs.
Lyautey n'a jamais sacrifié au mythe berbère. En revanche, après son départ, une politique berbère tentera de briser l'unité nationale en divisant les populations arabes et berbères marocaines, au mépris d'une riche histoire commune.
Conclusion
Si les espérances de Lyautey seront brisées par les appétits politiques et économiques de la puissance protectrice, il reste que les choix ambitieux faits pour Casablanca en matière portuaire et aéroportuaire vont s'avérer cruciaux pour les intérêts des Forces alliées au tournant de la guerre. En novembre 1942, après avoir été bombardé par la flotte américaine, le port sert jusqu'en 1945 au débarquement des armes et des hommes pour la reconquête de l'Europe.
Après l'indépendance politique obtenue en 1956, les Européens quittent progressivement Casablanca, laissant les quartiers centraux à une élite citadine marocaine, mais la Médina abandonnée par ses élites traditionnelles se dégrade.
Le recensement de 1971 donnait pour Casablanca une population de 1,5 million d'habitants. A l'instar des grandes villes des pays en développement, Casablanca devient une mégapole : 2,3 millions d'habitants en 1982 et probablement plus de 4 millions aujourd'hui. Son administration a cherché à maîtriser sa croissance par un réseau de larges boulevards et l'installation de nouveaux quartiers. La part des résidents français s'est considérablement réduite alors que de nouvelles nationalités continuent de conférer à la ville son allure cosmopolite.
La littoralisation de l'économie marocaine entreprise il y a deux siècles s'est poursuivie jusqu'à nos jours. Dans cette mégalopole en voie de constitution le long de l'Atlantique, la part de Casablanca reste prépondérante. La construction de la Grande Mosquée dans la dernière décennie du XXe siècle donne à « Casablanca-Dar el-Beida » le symbole essentiel de l'urbanité musulmane et la consacre tout à la fois cité impériale et ville mondiale.
Éléments de Bibliographie
Ce travail doit beaucoup à quelques ouvrages fondamentaux d'où ont été extraites les citations :
- André Adam, Histoire de Casablanca, des origines à 1914, Publications des annales de la faculté des lettres, Aix en Provence, 1968.
- Daniel Rivet, Lyautey et l'institution du protectorat français au Maroc 1912-1925, 3 tomes, l'Harmattan, 1988 et Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, Denoël, Paris, 1999.
- Lyautey : Paroles d'action, Paris, 1995
- Jean-Louis Cohen et Monique Eleb, Casablanca, Mythes et figures d'une aventure urbaine. Belvisi Hazan, 1998.
- Il faut ajouter d'autres ouvrages importants dont ceux de Jean-Louis Miège dont la substance est reprise dans les ouvrages cités supra.