LE DOYEN ET LE PLUS GRAND DE NOS CABALISTES N'EST PLUS !
Par le Rav Arié Levy pour Guysen Israël News
Lundi 6 février 2006 à 23:05
J'ai eu cette semaine l'honneur d'assister au dialogue entre le rav Mordékhaï ELIYAHOU et son frère aîné, rav Naîm ELIYAHOU. Qui d'autre que ces deux grands cabalistes pouvaient avec tant d'émotion, faire revivre 70 années de la vie du rav Its'haq KADOURI ?
Alors qu'ils étaient encore enfants, ils ont admiré ce jeune 'Hakham arrivé de Bagdad, dont la volonté de fer ne connaissait aucune limite lorsqu'il s'agissait d'apprendre et d'élargir ses connaissances.
Rav Mordékhaï : Lorsque nous sommes arrivés Motsaé Chabbat auprès de son lit, les médecins hésitaient encore à se prononcer sur son état. Je pris à part le médecin en chef du service, Dr Kleinman, qui le soignait avec beaucoup d'abnégation, et je lui dis : son état n'est pas bon. Nous avons une méthode pour le savoir, c'est de toucher les pieds afin de voir s'ils refroidissent. Le docteur Kleinman consulta le matériel médical auquel le rav était branché, craignant que la nouvelle de la dégradation de son état n'arrive aux oreilles des centaines de personnes qui s'étaient groupées à l'entrée de l'hôpital Bikour 'Holim à Jérusalem.
Deux semaines plus tôt, je lui avais rendu visite à un moment où il paraissait absent. Je m'adressai quand même à lui : Rabbi Its'haq, comment désires-tu que nous procédions ? " Ana békoa'h ", " Yochèv bésétèr " ou " Chir hamaâlot " ? Il s'agit de trois façons différentes de dire le vidouï qui se lit au moment où l'âme quitte le corps. A la grande stupéfaction des médecins, il souleva sa main et me fit signe en me montrant trois doigts. Ce qui voulait dire qu'il désirait que nous agissions selon les trois méthodes. Cette image reste gravée dans ma mémoire.
Rav Naïm : Vingt minutes plus tard, son âme pure a quitté son corps. Nous avons agi selon ses instructions et nous avons commencé la lecture des versets. Je dois vous dire que ce fut un moment particulièrement unique et émouvant, et je pense que ceux qui étaient présents ne l'oublieront jamais.
J'ai eu le grand privilège de m'occuper avec six autres de ses disciples de la purification de son corps. Je dois vous dire que pendant tout ce temps, son visage était lumineux comme la lumière du jour, et si quelqu'un était entré dans la pièce, il aurait eu du mal à croire que Rabbi Its'haq n'était plus parmi nous.
Rav Mordékhaï : Il est écrit que " celui qui recherche les honneurs les voit fuir devant lui ". Sa mort et son enterrement nous ont donné une image de ce que peut être l'honneur dû aux Sages, lorsque plus de deux cent mille personnes lui ont rendu l'hommage qu'il méritait.
La longue et très forte amitié qui nous a liés au rav KADOURI a vu le jour dans la prestigieuse Yéchivat PORAT YOSSEF il y a quelques décennies. Notre famille logeait dans l'enceinte de la yéchiva, où un appartement nous avait été alloué par la direction. A la famille du rav KADOURI ainsi qu'à celle de Rabbi Avraham Yé'hèzqel avaient été allouées des dépendances, comprenant également un atelier où 'Hakham Its'haq ainsi que nous l'appelions, s'occupait de relier les livres de la yéchiva. Il ne se contentait pas seulement de relier les livres abîmés, il les étudiait à fond. Et il a ainsi continué tout au long de sa vie lorsqu'on lui apportait un livre précieux pour son détenteur. Il l'étudiait d'abord, il prenait des notes, puis il le reliait. On l'appelait " Its'haq hakorèkh-Ists'haq le relieur ". Il avait une méthode particulière pour préparer la colle, utilisant des morceaux de cuir qu'il laissait cuire jusqu'à l'obtention d'une colle particulièrement forte. Un livre relié par lui pouvait être utilisé pendant des années par les étudiants sans que les pages ne se décollent.
Un soir, nous avons découvert que la capacité du relieur ne résidait pas seulement dans ses mains, mais aussi dans sa parole. La direction de la yéchiva avait décidé d'ajouter au programme un cours de Moussar (morale, éthique) une fois par semaine, qui serait donné en alternance par le Roch Yéchiva, le directeur et l'un des professeurs. Ce jeudi-là on nous a annoncé que le cours serait assuré par le rav KADOURI. Nous étions étonnés ; le relieur allait-il nous donner un cours de Moussar ? Nous étions tous présents à ce cours, et la façon dont 'Hakham Its'haq nous l'a transmis nous a prouvé qu'il n'était pas seulement un maître en matière de reliure.
Rav Naîm : Pourquoi assurait-il ce travail ? Lorsqu'il arriva de Bagdad, il se présenta à la Yéchivat Porat Yossef de la Vieille Ville afin d'y être reçu. Devant le refus de la direction par manque de place, il s'était proposé de s'occuper également de l'entretien de la bibliothèque et de la reliure des livres. On le reçut. Nous aimions le voir travailler, il me demandait quelquefois ainsi qu'à rav Avraham RAFOUL d'aller l'aider et nous le faisions avec plaisir. Il exécutait ce travail avec beaucoup de sérieux et de précision. Mais bien sûr, en dehors de ses heures d'étude. Il étudiait la guémara toute la journée et le soir, il étudiait la cabale avec mon rav et maître, notre père Rabbi Salman ELIYAHOU.
Rav Mordékhaï : Le bâtiment de la yéchiva PORAT YOSSEF était ainsi conçu : au rez-de-chaussée, les appartements ; au premier étage les salles d'étude et la synagogue ; au second étage, l'appartement du trésorier, rav Ben Tsion 'HAZANE. Dans la synagogue, une aile était consacrée à l'étude de la cabale, où mon père et son disciple 'Hakham Ephraïm HACOHEN étudiaient avec d'autres cabalistes. Le Ben Ich 'Haï a déclaré un jour qu'une néchama comme celle de notre père n'était pas encore descendue en ce monde.
Losque Rabbi Its'haq est entré pour la première fois dans l'enceinte de l'aile réservée aux cabalistes, tout le monde a souri et s'est demandé ce qu'il venait chercher là. Mais le rav KADOURI était un homme sérieux. Mon père, qui avait pressenti la volonté de son élève, investit tous ses efforts et il ne fut pas déçu. 'Hakham Its'haq KADOURI devint le meilleur élément de ce cours, puis il devint un grand cabaliste et j'ai eu le privilège d'étudier avec lui tous les vendredis soir avec le grand Gaon que fut le rav Ben Tsion ABBA CHAOUL et le non moins grand Gaon que fut le rav ADDES. Lorsque nous échangions nos réflexions, il émettait quelques sons, il écoutait nos questions. Puis il nous disait : vous avez tous raison, mais je vais à présent vous donner la solution complète.
On m'a demandé quelles étaient les méthodes employées par le rav CADOURI et s'il utilisait la cabale pratique. Ainsi que son nom l'indique, cabala en hébreu (du verbe léqabèl : recevoir) veut dire recevoir de son rav. De la même façon que Moché Rabbénou a reçu la Torah de D., Rabbi Chimône bar Yo'haï a été choisi pour recevoir la compréhension de l'essence de la Torah également des Cieux. Le rav KADOURI a commencé à écrire des camées après avoir quitté la Vieille ville lors de l'occupation par la légion jordanienne. Au début, il écrivait un camée sur une pomme, avec les instructions au malade de la consommer et de lire tel et tel Psaume à des jours précis. Lorsque réflexion lui fut faite que l'encre pouvait être nuisible, il se mit à écrire sur des langues de papier qu'il découpait lui-même, et les instructions en général étaient d'enrouler ce papier, de le tremper dans un verre de thé et de boire ce thé. Je dois dire que j'ai souvent assisté à la visite chez le Tsadiq de couples stériles, de malades ou de personnes qui avaient perdu tous leurs biens, et qui venaient lui annoncer qu'ils avaient été exaucés.
Il possédait des livres très anciens sur les camées et les prières particulières selon les cas. Déjà à la yéchiva, il étudiait ces livres minutieusement et il les recopiait pour lui-même. Il ne distribuait pas de camées dans tous les cas qui lui étaient exposés.
Savez-vous ce qu'est la cabale pratique ? C'est transformer un verre en eau. Il ne s'est jamais occupé de cabale pratique. Ses extraordinaires possibilités de voir très loin lui venaient des comptes qu'il savait effectuer selon le nom de la personne, sa date de naissance et le nom de ses parents. Ce qui n'a rien à voir avec la cabale pratique.
Rav Naîm : Nous avions un frère, rav Ménaché, qui a participé à la guerre du Sinaï. Un jour, nous avons reçu un télégramme nous annonçant qu'il avait disparu. Notre famille était dans une grande détresse et nous nous sommes tous rendus chez le rav KADOURI. Il a demandé à notre mère d'écrire son nom complet, et il lui dit : ne crains rien, il reviendra à la maison. Moins de deux semaines plus tard, nous avons reçu un second télégramme nous annonçant que notre frère avait été fait prisonnier et qu'il se portait bien.
Rav Mordékhaï : A l'époque où le poste de Grand Rabbin d'Israël (Richone léTsione - le Premier de Sion) me fut offert, je le refusai, craignant toutes les contraintes d'une telle charge. Un matin, le rav KADOURI me rendit visite et il me dit : je tiens à ce que tu acceptes ce poste. Je lui répondis que mon étude en serait perturbée, et il me dit alors : nous allons faire un pacte : toutes les misères qu'on viendra t'exposer, envoie-les moi, et toi, tu t'occuperas des charges inhérentes à ton ministère.
On m'a demandé qui pourrait aujourd'hui lui succéder. Je pense que 'Hakham Naîm ici présent est le seul qui soit le plus apte à lui succéder. Mais devant l'humilité de mon frère qui refuse d'acquiescer à ma remarque, je dirai que Baroukh Hachèm notre peuple n'est pas orphelin. Le rav Bénayahou CHMOUELI ainsi que son père sont les successeurs de Rabbi Mordékhaï CHARÂBI. Le rav David BATSRI et le rav Yaâqov HILLEL sont également des gaonim en cabale.
Le jour anniversaire de notre maître et père rav Salman ELIYAHOU tombe le second jour de Roch haChana. Chaque année en ce jour, rav Its'haq venait prier avec nous. Lorsque ses forces ne lui permirent plus de faire le chemin à pied, nous nous déplacions et nous priions selon les Kavanot et les remarques qu'il y avait faites. Le livre le plus précieux que nous possédions était le livre des Kavanot avec les remarques de notre père, mais ce livre disparut. Je suppliai le rav KADOURI de me diriger vers celui qui l'avait pris. Il refusa d'abord puis il me cita un nom et il me dit : va vérifier s'il l'a pris. J'hésitai. Va, me dit-il, enquête et tu trouveras. Je me rendis chez cet homme qui nia avoir pris ce livre. Quelques années plus tard, un livre parut avec pour auteur le nom de ce même homme, et je remarquai que les kavanot et les remarques citées étaient celles de mon père. Je me rendis chez lui et lui dis : rends-moi immédiatement ce livre. Ce qu'il fit.
Rav Its'haq avait un esprit d'une grande subtilité, et c'était un grand Gaon. Deux vertus ont dirigé sa méthode d'investigation : sa droiture et son intégrité.
Lorsque le Sidour du RACHACH (Rabbi Chalom CHARÂBI, un grand Maître de la cabale) a été édité, on le présenta au rav KADOURI afin d'obtenir sa dédicace. Où sont les remarques du rav Salman ELIYAHOU demanda-t-il. Elles figurent à part lui répondit-on. Tant qu'elles ne figureront pas en place honorable répondit-il, le livre ne pourra pas paraître.
Rav Naîm : Lorsque j'étudiais avec lui les nuits au Beit haKénéssèt " Chochanim léDavid ", il me prenait à part quelquefois et il me disait : cette question tu ne peux pas la poser. Pourquoi lui disais-je. Lorsque tu grandiras, tu comprendras me répondait-il. Chaque groupe et sa manière d'étudier. Chacun selon son âme. La voie que tu dois suivre est celle que ton père t'a enseignée.
Il aimait citer et raconter les merveilles de la Création du Ben Ich 'Haï. Que son âme repose au Gan Eden. Nous avons perdu un grand Tsadiq, il était la couronne des cabalistes. C'est vrai, ainsi que mon frère rav Mordékhaï l'a dit, Israël n'est pas orphelin, il y a aujourd'hui beaucoup de cabalistes, mais ils sont tous d'un même niveau, la distance qui les sépare de lui est aussi grande que celle qui sépare l'orient de l'occident.
Pièces jointes: