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Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM

Envoyé par cohenelie 
Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 14:47
ROBERT GAMZON dit "Castor soucieux"






HOMMAGE à ROBERT GAMZON
On connaît la parole du Talmud : "Jacob notre Père n'est pas mort : tant qu'il revit dans sa descendance le patriarche est de ce monde"; de même pour Robert Gamzon. Il reste vivant dans le coeur des innombrables Eclaireurs Israélites qui, fidèles à son enseignement, se transmettent le flambeau du Judaïsme.

La communauté juive française a une reconnaissance indéfectible envers Robert Gamzon pour l'avoir dotée du mouvement des Eclaireurs Israélites qui a essaimé dans toutes nos cultuelles et forme tant de nos jeunes dans un esprit d'attachement à notre culte. Elle lui doit aussi d'avoir sauvé nombre de nos enfants de la persécution nazie et pris une part si active et si courageuse avec ses éclaireurs dans la libération de notre pays.

Le Judaïsme français lui est reconnaissant du magnifique exemple d'idéalisme qu'il a donné avec d'autres jeunes animés d'une même foi et d'une même ardeur en allant s'établir en Israël pour mieux servir D. et la Tora, associant ainsi intimement nos coreligionnaires de France à l'oeuvre miraculeuse de résurrection juive qui s'accomplit en Eretz Israël.

J. KAPLAN
Grand Rabbin de France
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 14:48
PREFACE
Dix ans après sa mort, "Castor" est entré dans la légende. Ses petits éclaireurs devenus des hommes ont régénéré le judaïsme, donné à la France des héros à l'image de leur chef, et plus tard certains l'ont suivi en Israël.

Après sa disparition prématurée, ses amis ont pieusement conservé son message et médité son exemple. Symbole de leur fidélité, un Foyer Robert Gamzon est en construction en Israël et sera inauguré en 1972 ; il fait partie de la Maison de France, bâtie au sein de l'Université de Jérusalem.

Nourrir et entretenir cette légende et porter témoignage de cette épopée exaltante au bénéfice des jeunes générations, tel est le but du petit ouvrage que voici. Il m'est agréable de le présenter à tous ceux qui ont foi en l'homme et qui croient vraiment que la générosité et l'enthousiasme peuvent surmonter tous les obstacles.




*****

Robert Gamzon avait 17 ans quand il créa les Eclaireurs Israélites de France en réunissant à Versailles les garçons d'un patronage. A l'âge où les jeunes pensent en général aux divertissements frivoles, il conçut le projet de créer une Association où les jeunes Juifs pourraient, eux aussi, pratiquer le scoutisme.

Certes, les jeunes Juifs étaient admis largement dans deux ou trois associations déjà existantes, mais il estimait fort justement que pour un enfant juif, héritier d'un patrimoine incomparable, on ne saurait séparer éducation et judaïsme ; bien au contraire, il entendait user de la méthode de Baden-Powell pour actualiser et exalter la mission d'Israël chez les jeunes.

Mais qui était donc cet homme, capable d'une telle diversité dans l'action, d'une telle influence sur les jeunes de sa génération ? Quel était le moteur profond de ce petit homme sec et nerveux comme un sarment de vigne, aux traits aigus et volontaires, aux yeux vifs et souriants, à la voix chaude et caressante ?

C'était un Juif ardent et sincère, animé d'une profonde et fervente vie intérieure. Il était imprégné de notre tradition et la voulait vivante et sans compromis. Edmond Fleg qui l'a aimé et inspiré tout au long de sa carrière, disait un jour que Castor avait créé une nouvelle mystique, un "'Hassidisme" moderne.

Castor était aussi et avant tout un homme de coeur tout simplement. Il aimait les hommes profondément, au sens de la Tora; il avait confiance en eux et pensait qu'ils étaient naturellement bons. Il pensait que tous les désaccords, toutes les haines proviennent d'un défaut de compréhension réciproque et c'est pourquoi tous ses efforts tendaient vers l'harmonie.

L'harmonie, (Tivliout en hébreu), c'est le petit livre qu'il écrivit à la fin de la guerre. Là, il écrit :

"...qu'il rêve de la Cité d'Amour qui n'aura ni lois ni magistrats, où chacun produira et recevra avec ardeur, donnera et recevra, et passera le reste du temps avec ses amis. Car l'amitié sera en honneur dans cette Cité, les amis seront sûrs ; et on déversera le trop plein de ses mains dans les mains d'autrui..."



*****

Pour évoquer une personnalité aussi riche que celle de Robert Gamzon, il fallait un écrivain d'une grande sensibilité, qui l'ait connu intimement et qui ait partagé ses rêves, ses inquiétudes et ses luttes. Isaac Pougatch remplit parfaitement ces conditions.

Né à Kiev, il a fait ses études à Genève. Spécialiste de la culture et de la littérature Yiddich, c'est grâce à ses remarquables traductions que nous connaissons la poésie tendre et ironique du ghetto, si bien illustrée par le "Juif aux Psaumes" de Chalom Ash et par le "Tailleur Ensorcelé" de Chalom Aleichem.

Mais c'est aussi un Educateur, dans le sens plein du mot. Comme Robert Gamzon, il a le secret de la communication avec les Jeunes, secret qui n'a jamais paru aussi mystérieux qu'aujourd'hui...

Il les aime et il sait les entraîner derrière lui.

Sous l'occupation il a dirigé le Chantier Rural de Charry près de Toulouse. Il a raconté cette passionnante aventure dans un livre plein de finesse et de délicatesse.

Après la guerre il a dirigé l'Ecole des cadres de Plessis-Trévise près de Paris. Cette nouvelle expérience a donné lieu à un autre livre : "Les Educateurs à l'Ecole" où le lecteur se trouve associé à la tâche complexe et subtile d'apprendre à enseigner, et surtout celle de faire des hommes.

Pougatch se rattache ainsi étroitement à Robert Gamzon par ces deux pôles essentiels : la fidélité à la tradition juive et la foi inébranlable dans la jeunesse.
Il avait tous les atouts pour faire une évocation fidèle et authentique. Je souhaite que le lecteur trouve, à la lire, la même émotion que j'y ai trouvée moi-même.

Robert MUNNICH,
Ingénieur général de l'Armement.



NOTE DE L'AUTEUR

L'auteur remercie chaleureusement les anciens dirigeants ainsi que les jeunes chefs E.I.F. pour leurs précieuses indications biographiques et techniques.

Il exprime aussi sa gratitude à la Direction de "Yad Vachem" (Jérusalem) pour les microfilms du journal de bord de Robert GAMZON, obligeamment transcrits et mis à notre disposition par Anny LATOUR qui, dans son substantiel ouvrage "la Résistance juive en France", a réservé au chef du Maquis E.I., la place qui lui revenait.

Dans le cours de l'ouvrage, on a évité, autant que possible, de nommer les vivants




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UN BATISSEUR : ROBERT GAMZON
1- L'ATTAQUE DU TRAIN
2- LE MOUVEMENT DES EEIF & SON FONDATEUR
3- A L'OMBRE D'EDMOND FLEG
4- UNE CHAINE DE JOIE ET D'AMITIÉ
5- RÉVOLUTION SILENCIEUSE
6- LA TEMPÊTE
7- TENIR POUR SURVIVRE
8- FACE AU MOLOCH
9- LE MAQUIS JUIF
10- "CAPTAIN GAMZON"
11- TIVLIOUT
12- L'ÉCOLE D'ORSAY
13- L'APPEL D'ISRAEL
14- LE "FINALE" INTERROMPU
15- L'ARME SECRÊTE D'UNE VICTOIRE
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 14:51
2. LE MOUVEMENT DES ECLAIREURS ISRAELITES DE FRANCE ET SON FONDATEUR




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Avoir préparé la Résistance durant douze ans, l'avoir menée sur plusieurs plans pendant toute la durée de la guerre, avoir brillamment participé à la Libération et se retrouver au moment de la victoire, cloué sur un lit d'hôpital, le torse emprisonné dans un corset de plâtre, tel fut le lot de Robert Gamzon.

Tous les événements de sa vie, récents et lointains, se déroulaient devant lui, maintenant qu'il était condamné à l'inaction.

Il se voyait encore enfant, à Saint-Eloi, gros bourg industriel du centre de la France, où son père travaillait en qualité d'ingénieur des mines. Celui-ci s'était tué dans un accident de la route. Robert, qui avait alors sept ans, vint avec sa mère habiter chez son aïeul maternel, le Grand Rabbin de Paris, Alfred Lévy.

Pendant la première guerre mondiale, il étudia dans un lycée de province, puis revint terminer brillamment ses études secondaires dans la capitale où son grand-père mourut peu après la victoire de 1918, laissant la famille dans une situation matérielle des plus modestes.

Robert a toujours eu la passion du bricolage. A la maison, il installait toutes sortes de "gadgets". Participant, à l'âge de 13 ans, au concours Mécano, il avait gagné un prix en construisant un régleur automatique de charbons d'une lampe à arc. Rien d'étonnant donc qu'il optât, plus tard, pour l'Ecole Supérieure d'Electricité, qui délivrait le diplôme d'ingénieur plus rapidement que d'autres établissements.

Il avait d'abord penché pour la médecine et aussi pour l'agronomie, mais là les études duraient plus longtemps et il était fils de veuve "économiquement faible"...

Au cours d'un séjour de convalescence dans le Massif Central, Robert approcha un camp d'éclaireurs protestants et l'idée lui vint de créer un mouvement de scouts israélites. Il lui semblait, en effet, qu'une lacune devait être comblée au sein de la communauté juive française.

Hanté par son projet, en parlant à tout venant, repoussé par les instances dirigeantes, il finit par obtenir l'appui du Grand-Rabbin Liber et trouva quelques adeptes avec lesquels, en 1923, il fonda le Mouvement des Eclaireurs Israélites de France (E.I.F.).

Avec cette douce obstination qui est devenue proverbiale, sans ménager son temps ni ses forces, sacrifiant au besoin ses devoirs scolaires, Gamzon se voua à son groupuscule dont il devint le chef. Ce n'était pas encore le vrai scoutisme. Les premiers éléments, il les a recrutés dans un patronage. Mais peu à peu, il jeta les bases administratives du mouvement qui grandissait.

Gamzon avait raison de penser que quelque chose manquait à la jeunesse juive locale. Celle-ci entendit son appel. Il y eut des jeunes qui vinrent spontanément. Les nouveaux venus en entraînèrent d'autres. Avec l'aplomb de l'adolescence qui ne doute de rien, on s'attaqua assez tôt à l'aristocratique 16e arrondissement, passablement déjudaïsé. Là, il n'était pas question de prononcer le mot "juif".

C'est d'un mouvement "israélite" (terme choisi par Castor lui-même) qu'on parlait. Alors, il ne semblait pas trop compromettant. L'adhésion de plusieurs élèves du Séminaire rabbinique donna plus de poids au jeune mouvement qui ne tarda pas à gagner la périphérie de la communauté, à savoir les fils et filles d'émigrés habitant les quartiers populaires.

Bien vite, il y eut amalgame d'éléments qui jusqu'alors ne se rencontraient jamais. Venant d'horizons différents, ils étaient coulés ici dans le même moule, s'enrichissaient mutuellement, créant peu à peu un type nouveau de juif français où les jeunes d'origine alsacienne, russe, polonaise, roumaine, hongroise, salonicienne et nord-africaine, parlaient une langue commune, forgeant lentement, à toute la communauté, un visage nouveau.

Le seul fait que les premiers membres du Mouvement aient fait leur "promesse" scoute tous ensemble à la synagogue de Versailles, tendait à prouver qu'ils plaçaient délibérément leur groupe dans le cadre de la Communauté.

Ce fut d'abord une poignée d'amis qui s'offraient des sorties chaque dimanche, puis ils firent un premier cantonnement d'un jour ; ensuite on décida qu'un camp plus important aurait lieu en été. Des résolutions étaient prises "à peu près comme on se risque à se jeter à l'eau, connaissant seulement la théorie de la nage"...

Pourtant ces initiatives se révélèrent payantes. Rapidement le groupe prit forme : le Comité de Protection initial se mua en Comité Central qui devint plus tard le Conseil Directeur. Il y eut des statuts, des polices d'assurance, des cotisations, l'uniforme scout, bien sûr, l'indispensable journal qui ne pouvait s'intituler que E.I.F.". Pour tout cela, on bénéficia de l'aide trouvée près des autres mouvements scouts.

Le scoutisme, comme tout mouvement de jeunesse, comporte un certain nombre de problèmes à résoudre, mais le scoutisme juif se trouva d'emblée aux prises avec d'autres problèmes encore. ("Qu'il est donc difficile d'être Juif !" proclamait déjà Chalom Alei'hem)

E.I.F. c'est vite dit. S'initier à la vie au grand air, s'acquitter avec soin de la direction d'une petite troupe, l'habituer à la discipline scoute, s'occuper de la nourriture, du couchage, du secourisme, surtout quand tout incombe au chef, et à lui seul, voilà qui représente déjà une charge honorable. Mais c'était peu de chose par rapport aux difficultés spécifiquement juives qui commençaient à assaillir l'animateur principal.

Que de controverses au sujet de ces trois petites lettres : E.I.F. !

L'initiale E. signifie éclaireur. "Est-ce à dire, demandaient certains parents, qu'on doive être scout de bout en bout, c'est-à-dire traîner sur les routes, s'écorcher en grimpant aux arbres, se salir en pataugeant dans la boue ?" Pour Gamzon, cependant, être Eclaireur ne signifiait pas seulement se rattacher au mouvement scout. C'était-au-delà des grands jeux, des batailles de foulards, des marches de nuit, apprendre à agir, devenir un homme de pensée et d'action.

La deuxième initiale : I. veut dire israélite. Qualificatif innocent et bien pensant s'il en fut, mais qui donna lieu aux réclamations les plus véhémentes et les plus contradictoires. "Israélite, affirmaient les uns, ne signifie pas qu'on doive initier nos enfants à trop de matières religieuses. Ils auront bien le temps, plus tard, d'apprendre l'essentiel ! Que le petit fasse du scoutisme, nous le voulons bien, mais vous n'allez tout de même pas en faire un rabbin ! Or, on dirait que vous en prenez le chemin en multipliant les pratiques rituelles..."

"C'est cela, votre groupement israélite ? fulminaient d'autres parents avec indignation. Qu'est-ce qu'il y a d'israélite là-dedans ? Quelques timides rites cultuels, des bribes de bénédictions. Est-ce pour arriver à cette parodie que vous avez créé un mouvement spécifique ? Est-ce pour cela que nous vous confions nos enfants ?...

La troisième initiale : F = France, semblait devoir mettre d'accord tout le monde. Eh bien non ! Il y eut là aussi moult contestations. "Etes-vous israélites français ou français israélites ?", demandaient les uns en donnant aussitôt (à la manière juive), la réponse eux-mêmes. Et dans cette réponse, on affirmait que la raison d'être du Mouvement est sa spécificité religieuse au sein d'un pays qui comporte diverses familles spirituelles, comme le proclamaient déjà maintes personnalités françaises non-israélites.

"Pardon, rétorquaient les autres, nous sommes Français d'abord, c'est le national qui prime ; la religion vient après et ne doit jamais prendre le pas sur le patriotisme. Nous exigeons que nos enfants soient éduqués dans ce sens et n'admettrons aucune équivoque."

Ce ne sont là que des contestations générales. Il y en eut d'autres, beaucoup d'autres : trop ou pas assez de réunions, de liberté, de démocratie, de sorties, de discipline, et j'en passe... Tout cela tombait dru sur le chef, toujours lui. C'est alors que se révélèrent ses qualités proprement stupéfiantes qui allaient des prouesses corporelles aux audaces pédagogiques.

Cet homme, adolescent d'allure, donnait l'impression de douter en même temps de tout et de rien. Doué d'une force de caractère insoupçonnée, il tenait tête à tout le monde : aux contestataires du dedans et à ceux du dehors. Il était présent partout avec son regard mouillé et son visage qu'il voulait parfois rendre de bronze alors qu'il demeurait débonnaire et même empreint de tendresse.

Ce qui le faisait prendre au sérieux, malgré toutes les critiques dont on l'abreuvait, c'était son empressement à payer de sa personne. Comme un médecin scrupuleux qui expérimente sur son propre corps les médicaments encore douteux et les opérations délicates, ainsi Castor prêchait par l'exemple, se faisant volontiers cobaye.

Selon le mot de Bergson, il se gardait bien de "prendre la paille des mots pour le grain des choses."

Maigre et souple, il enseignait, toujours par l'exemple, à ne pas être douillet, à supporter un effort prolongé, un jeûne, une période irrégulière pleine d'aléas. Ah, comme cela a servi plus tard, à nos E.I.F. ! Au cours des sorties en forêt, c'est Gamzon (totémisé : Castor soucieux) qui grimpait le mieux sur les arbres ou sur les parois rocheuses, construisait le plus vite et le mieux un four primitif, montrait comment, étant assis sur une table, on pouvait en faire le tour en passant par-dessous sans toucher terre...

Seul avec un ami, il s'était lancé avec succès à l'assaut du Mont-Blanc. La fatigue n'avait pas longtemps prise sur lui : quelques heures d'un sommeil réparateur, une bouffée d'amitié au sein de ses E.I. qu'il affectionnait entre tous (et qui le lui rendaient bien), le remettaient d'aplomb.

Sur un autre plan, cet étrange Castor semblait ignorer l'amour-propre. Lui, petits-fils de rabbin, avait, au cours des années, oublié le texte des actions de grâce (par coeur). Sans fausse honte, il s'évertuait à les réapprendre tout comme le faisaient ses Eclaireurs. Aux yeux de ces derniers, leur chef était le modèle à suivre ; et ils le suivaient.

Il se trouvait que ce jeune idéaliste, conscient d'être un produit russo-lorrain et qui, en cette qualité, rêvait d'unir tous les juifs dans une seule communauté, avait effectivement hérité la piété interne de même que le verbe persuasif de son aïeul maternel, le grand-rabbin.

L'autre aïeul, qui avait été relieur de son état, dans une bourgade lithuanienne, avait dû lui léguer l'enthousiasme des Juifs russes, leurs visions généreuses, et aussi les brusques abattements auxquels parfois Castor était sujet.

Il y avait en lui un poète, un homme d'action, un scientifique et un éducateur né. Aussi était-il passé maître dans l'art de négocier, de concilier. Il vous avait une façon d'énoncer de sa voix mélodieuse : "Mais nous sommes d'accord, voyons, nous sommes tous bien d'accord", et cela alors que la tension générale était à son comble.

On avait envie de rire aux éclats ou de demander à notre angélique Castor s'il n'était pas en train de se moquer du monde. Puis, la discussion se poursuivait ; Castor revenait à la charge avec la même douce insistance et peu à peu son affirmation de tout à l'heure devenait réalité : pour finir, tout le monde, sans trop savoir comment, se trouvait d'accord...

C'était alors le moment où, dans l'auditoire apaisé, soulagé, réceptif, Gamzon-Castor émettait quelque idée nouvelle ou concrétisait un projet qui lui tenait à coeur. Non, ce n'était plus un chef scout qui parlait, mais un chef tout court, un visionnaire soucieux de l'avenir de toute une jeunesse, de tout un peuple qu'il voulait exemplaire. Voici une de ses exhortations qui est demeurée dans la mémoire et le coeur de tous les E.I.F. :
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 14:54
3. A L'OMBRE D'EDMOND FLEG


Edmond Fleg, comme Théodore Herzl, André Spire et d'autres grands esprits, avait été sensibilisé par l'Affaire Dreyfus. Il prit alors conscience de sa vocation juive à laquelle il demeura fidèle pour le restant de ses jours.

Issu d'une famille alsacienne venue s'installer à Genève après la guerre franco-allemande de 1870, Edmond Fleg avait été imprégné, dans son enfance, de culture française quelque peu teintée de judaïsme. Il compléta ses études à Paris où il s'établit définitivement dès avant la première guerre mondiale et, fidèle à la tradition familiale, il combattit en qualité de volontaire dans l'armée française.

Une de ses oeuvres marquantes, brève mais dense, qui est un acte de foi émouvant, porte le titre : "Pourquoi je suis Juif". Dans ce livre édifiant, dédicacé "à mon petit-fils qui n'est pas encore né", l'auteur explique avec force et clarté à son descendant éventuel, les raisons de sa propre fidélité au judaïsme. Hélas, l'interlocuteur supposé, l'héritier tant souhaité et déjà nanti d'un riche legs spirituel, n'a pas vu le jour, car les deux jeunes fils d'Edmond Fleg sont morts tragiquement en 1940, presque en même temps, l'un sur le front et l'autre à Paris.
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 14:57
ROBERT GAMZON
dit "Castor soucieux"
4. UNE CHAINE DE JOIE ET D'AMITIÉ


Fort de l'approbation sans réserves d'Edmond Fleg, Robert Gamzon lustra ses ailes et s'élança vers de nouvelles conquêtes. Cette fois, c'est l'espace qui le tenta. Une unité E.I. existait déjà à Mulhouse, mais il avait appris qu'avec l'aide de scouts catholiques et protestants, une troupe d'éclaireurs juifs avait été formée à Strasbourg, cette "citadelle du judaïsme".

Pourquoi, se demanda-t-il, deux mouvements d'éclaireurs juifs dans le même pays ? Ne valait-il pas mieux fusionner? Mais les Alsaciens se montrèrent jaloux de leur autonomie. Il fallut toutes les ressources dialectiques dont disposait Gamzon pour venir à bout de la résistance strasbourgeoise. Finalement, tout le monde trouva son compte dans la fusion. Une "hora" endiablée scella cette mémorable discussion.

Ayant conquis l'Est, ce qui augmenta substantiellement les effectifs du mouvement et le consolida, Castor se tourna vers le Midi. Au-delà de la Méditerranée, en Afrique du Nord, une importante communauté juive vivait, politiquement et spirituellement liée à la Métropole. Très attachée aussi aux traditions ancestrales, elle recélait une jeunesse ardente et sans doute disponible. Il y avait là un trésor à découvrir. Castor y alla.

Le trésor l'y attendait. Il n'eut qu'à le cueillir. Les groupes nombreux et enthousiastes d'E.I.F. ne tardèrent pas à essaimer un peu partout en Algérie, en Tunisie et au Maroc.

Ainsi, en Afrique du Nord comme en France, des chants religieux et " 'haloutziques " (du mot 'Haloutz : pionnier d'Israël), retentirent les jours de sortie scoute sur les routes et dans les bois. Un lien fraternel s'était forgé entre jeunes juifs des deux continents qui maintenant se reconnaissaient par leur uniforme, leurs refrains et leurs objectifs communs.

Puis il y eut un recrutement imprévu venu de l'extérieur. Depuis toujours, les malheurs de telle communauté juive obligée de se disperser, augmentaient les effectifs de telle autre. Au début de 1933, Hitler prit le pouvoir en Allemagne, supprimant toutes les libertés démocratiques et décrétant un antijudaïsme d'Etat. Aussitôt, les Juifs allemands furent l'objet de toutes sortes de mesures discriminatoires les obligeant d'émigrer en masse.

Bon nombre d'entre eux s'installèrent en France, de sorte que de nouveaux jeunes vinrent grossir les rangs des E.I.F. Il y eut là des recrues fort intéressantes dont la plus remarquable était sans conteste Léo Cohn. Le Mouvement lui doit un bond en avant inespéré. Bien qu'il eût pris de l'extension et se fût assuré des appuis dans divers milieux, il n'en manquait pas moins de consistance.

L'esprit y était, les techniques se perfectionnaient, mais la substance juive demeurait maigre. Léo y remédia providentiellement .

C'était un jeune juif allemand nouveau style. Très pieux, artiste dans tout ce qu'il entreprenait, il se révéla un 'Hassid (en hébreu : fidèle, fervent) de la plus belle eau. A la science et au savoir-faire germaniques, il joignit des qualités d'entraîneur hors pair. Castor, qui savait repérer des collaborateurs de choix, fit de Léo son alter-ego et même son maître.

Celui-ci amplifia et approfondit le contenu judaïque du Mouvement. Aidé par son épouse, musicienne comme lui, Léo organisa des offices chantants, des réunions Chabbatiques de qualité. Il dirigea une chorale, enthousiasma les jeunes par des airs 'hassidiques importés de l'Europe orientale, mit au point des fêtes, initia maints jeunes au savoir juif et finit par s'imposer à tous grâce à sa vitalité, son esprit de service, son obstination de bon aloi.

Paradoxalement, alors qu'une aube noire se levait sur l'Europe, une ère nouvelle s'ouvrit pour le Mouvement, ère de prospérité et d'euphorie. Les plus fermés parmi les dirigeants de la communauté, durent admettre l'apport positif des boy-scouts juifs. Un rabbin, mi-bougonnant, mi-admiratif, nomma ce nouveau développement : "le Léo-" 'hassidisme ". L'appellation E.I.F. était encore israélite, mais le fonds s'affirmait juif, par l'atmosphère des réunions et leur contenu.

Aujourd'hui encore, assis en rond autour d'un feu de camp, des jeunes de 12-13 ans, un peu ébahis par les événements qui ont marqué le début du Mouvement, écoutent avec intérêt les anciens leur parler de cette époque.

Ah ! Ces "ongué-chabbat" des années 30 dans les locaux de la rue Vital ou en plein air ! Ce n'étaient plus les quelques chants-toujours les mêmes-timidement égrenés, mais des airs en grand nombre lancés à tous les vents par une jeunesse à la fois disciplinée et libre, unie dans la diversité. Quel merveilleux amalgame on trouvait là ! Et quelle pépinière d'animateurs et d'animatrices !

Voici une ravissante Séfardite, de seize ans tout au plus, qui mène le jeu avec un entrain communicatif.

Les "numéros" se succèdent. Ils sont connus et suivis par tous. Les airs nés dans la cour de quelque rabbi d'Ukraine ou de Podolie, sont repris par l'ensemble des jeunes comme s'ils n'avaient jamais chanté que cela. La gaîté et la tenue de ces agapes étaient chabbatiques, dans le sens le plus élevé et le plus pur du terme.

Et quel accueil réservé aux "visages pâles" (les invités non scouts) par les jeunes chefs dont l'un, d'origine russe, allait être déporté quelques années plus tard...

Ces "clairs Chabbat" se déroulaient ainsi à Paris et à Strasbourg, à Alger et à Casablanca, en une chaîne de joie et d'amitié.
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 15:01



La désastreuse bataille de France venait de s'achever. Hitler coupa le pays en deux. Il en occupa une partie et laissa s'installer dans la "zone libre" un gouvernement français sur lequel il veillait et qu'il surveillait...

Ce qui restait de l'armée française était disloqué, dispersé.

Gamzon se trouvait devant un dilemme : son tempérament combatif le poussait à poursuivre la lutte armée en allant rejoindre le général de Gaulle à Londres. Son sens des responsabilités et sa conscience juive exigeaient qu'ils restât au pays pour s'occuper de ceux qu'il avait pris en charge. Il décida de rester.

Voici quelques notes prises par un adjoint de Castor, devenu, depuis, un de ces "kiboutzniks" cultivés, courageux, efficaces dont Israël s'honore :

"Clermont-Ferrand, Juillet 1940. Nous sommes encore tous les deux en uniforme, Castor et moi. Sur son uniforme de lieutenant du génie, le ruban de la Croix de guerre.

Mais ce n'est pas d'exploits de guerre que nous parlons dans cette chambre de "réfugiés". Nous parlons avenir... Nous savions déjà, nous sentions, longtemps avant la parution des textes et l'apparition de la Gestapo, que la vie des Juifs serait menacée..."

Redevenu Commissaire National des E.I.F., Castor réunit son "staff" à Moissac (nom prédestiné) où se trouvait la principale maison d'enfants évacués. On y entérine le programme élaboré à Clermont-Ferrand, à savoir : l'extension en zone libre de ces refuges pour les petits, mais aussi et surtout la création de centres ruraux juifs.

Castor distribue des ordres de mission. Ses adjoints, actifs et silencieux, se répartissent les tâches. On constate que le Mouvement, mis au point au cours des dix dernières années, "s'est aussitôt transformé en instrument de défense et de combat."

La débacle ayant entraîné un grand déplacement de population, des groupes d'éclaireurs se constituent dans toutes les villes du sud de la France où se sont installées des familles juives. Les enfants des homes collectifs sont déjà organisés en unités scoutes, ce qui les aguerrit et les prépare à la clandestinité.

Ah, ces enfants juifs du temps de guerre et de persécution ! Quelle inoubliable leçon ils ont donnée aux adultes qui les approchaient ! Ils flairaient le danger les tout premiers, comprenaient à mi-mot, exécutaient les ordres avec une sorte d'allégresse mystique. Comment oublier ce premier Ticha be Av (jeûne commémorant la destruction des deux Temples de la Jérusalem antique) après la débâcle ?

Tous les garçons voulaient jeûner, malgré les appels des moniteurs à la modération. Le matin, en plein champ, on avait évoqué la destruction du Temple avec toute la gravité que commandaient les circonstances. Mais l'après-midi on reconstruisit tout : la maison de Dieu, la communauté juive, le pays d'Israël ; cela avec un entrain redoublé et sans vouloir absorber une bouchée de pain ni une goutte d'eau...

L'arrivée de Castor était chaque fois une fête pour les enfants. Il était pour eux le Grand Chef, mais aussi le protecteur et un peu le copain. Assister à une conversation entre le Commissaire et quelque jeune était un régal. Père et fils, maître et disciple, aîné et cadet, on avait devant soi toutes ces images à la fois, révélant une confiance et une affection mutuelles.

Le samedi qui suivit Ticha be Av et qui est appelé Chabbat Nahmou (Chabbat de la consolation), Castor participa à l'ONEG (réunion Chabbatique) des enfants. Le temps était radieux. On s'en alla à travers champs pour s'installer au bord d'une paisible rivière. Il y eut, comme toujours, les airs du 7e jour entonnés en choeur. Puis Castor lut un chapitre de l'ouvrage devenu son livre de chevet : "Le Juif aux Psaumes" de Chalom Asch.

Ce chapitre s'intitule : "Maman quotidienne et maman Chabbat". Il s'agit des sentiments que Jehiel, le petit Juif polonais, éprouve pour sa mère. Le garçonnet est tourmenté par la différence entre l'aspect que présente sa mère les jours ouvrables et la grâce dont elle est parée dès le vendredi soir.

Finalement il comprend : à cause de l'exil du peuple juif, sa mère est condamnée, la pauvrette, à se changer en une maman quotidienne, avec son visage dur et soucieux, sa tenue quelconque, ses mille et une servitudes. Mais quand viendra le Messie, il n'y aura plus, pour l'éternité, qu'une seule maman qui sera resplendissante : celle du Chabbat !...

Cette lecture se fit dans un silence impressionnant. Castor y mit toute sa dilection. Bravement il tint jusqu'au bout; seule la dernière syllabe lui resta dans la gorge...


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On était entré dans une nouvelle période : celle de la défaite. Apparemment rien n'avait changé. L'occupant se montrait "correct" (comme on le répétait complaisamment à la ronde), ce qui rendait la population confiante au point que certains parents juifs, habitant la zone nord, venaient reprendre les enfants que les E.I. avaient mis à l'abri des bombardements.

Pourtant des indices, de plus en plus fréquents, filtraient dans la presse et à la radio, qui annonçaient les persécutions redoutées.

Sur une des collines qui entouraient Moissac, Castor avait organisé un camp de chefs scouts. Cela rappelait une période de service militaire, mais la portée spirituelle de cette rencontre était exceptionnelle. On passa là une dizaine de jours en pleins bois; dormant sous la tente, installé pour les repas sur des bancs et devant des tables confectionnés avec des branches d'arbres, assis, pendant les séances, sur l'herbe ou dans des hangars abandonnés.

Mais quel programme ! Et quelle atmosphère !

Là se sont révélés quelques jeunes du monde scout (chefs et cheftaines) frisant la perfection. Celui qui se présente d'emblée à la mémoire, c'est Simon Lévitte "l'homme-horaire" du stage. Il s'avéra simplement prodigieux en tant qu'organisateur et responsable du déroulement harmonieux des diverses activités. De haute stature, toujours impeccable dans sa tenue scoute classique qui lui donnait l'air d'un grand seigneur s'occupant de sa résidence de campagne, il était le premier levé et le dernier couché. Il n'a donné, je crois, aucun cours aux stagiaires, bien qu'il eût les connaissances et la compétence voulues pour les donner tous...

Nous nous surprenions parfois à le regarder faire : une vraie horloge, mais une horloge pensante par la ponctualité efficace, intelligente, unanimement appréciée, qui accompagnait tout son travail. C'était l'esprit de service fait homme, avec le tact, le sérieux, l'élégance, la discrétion et la minutie apportés à une tâche d'autant plus difficile qu'elle s'accomplissait dans des conditions volontairement primitives.

Cette tâche, apparemment d'importance secondaire, constitua une leçon imprévue pour tous les participants. Une fois sa mission accomplie, Simon Lévitte, assidu et silencieux, se replongea dans le Centre de documentation qu'il avait créé de toutes pièces dans la Maison d'enfants de Moissac. On devine tous les autres services que cet homme a pu rendre plus tard, au cours des années noires.

Sur ces mêmes collines commença, symboliquement, un travail de défrichage. On avait adopté le mot d'ordre : défrichons ! Et cela en vue des centres agricoles qu'on allait inaugurer. Il y en eut d'emblée trois : le principal se situait à Lautrec, près de Toulouse, un autre dans la région de Lyon et un troisième au-dessus de Moissac. Ce sont les éclaireurs qui en devinrent les premiers membres, mais d'autres jeunes se joignirent à eux.

Il se trouvait que ces chantiers agricoles entraient dans les desseins du gouvernement de Vichy. Celui-ci, pressenti par Gamzon, ne put refuser aux scouts israélites, l'aide officielle fournie aux institutions similaires nouvellement établies un peu partout dans le pays.

Les scouts, en général, étaient bien considérés par le nouveau régime. Aussi Castor ne cessait-il de se réclamer du "Scoutisme français" pour l'obtention de l'appui matériel nécessaire à la marche de ses centres. Ceux-ci devinrent des modèles du genre, en dépit des conditions de travail parfois extrêmement difficiles : terrains pierreux ou en pente, équipement insuffisant, main-d'oeuvre inexpérimentée.

Les services gouvernementaux étaient sans doute persuadés que nous ne tiendrions pas longtemps dans nos entreprises rurales. Ils ne savaient pas que le miracle se renouvelle chaque fois que les Juifs reviennent à la terre. Ces derniers, contre toute attente, réussissaient, en montrant aux Français que leurs concitoyens juifs étaient capables de faire fructifier le sol du pays.




A Lautrec, pendant la fenaison


Les paysans voisins en furent étonnés, eux aussi. Ils regardaient d'abord avec méfiance ces jeunes citadins venus, pensaient-ils, flirter avec le travail des champs, mais peu à peu, ils se mirent à les prendre au sérieux.

D'autant que Castor n'était pas de ceux qui s'acquittent d'un travail comme d'une corvée, qui laissent volontiers l'ouvrage inachevé, espérant que d'autres feront le reste. Il aimait commencer et finir convenablement toute chose. Cette satisfaction du travail bien fait, il tâchait de la transmettre à ses jeunes compagnons. Et il y arrivait bien souvent.

Les inspections d'experts l'ont confirmé. Car on n'a pas manqué de nous envoyer des officiels pour se rendre compte du travail que fournissaient nos jeunes. On visita ainsi les trois chantiers E.I. que l'on trouva en pleine activité, et prospères ! ; alors que l'on aurait sans doute tant désiré en constater la faillite !

Quand les fonctionnaires vichyssois vinrent sur les hauteurs de Charry, près de Moissac, ils voulurent aussi visiter la maison d'enfants d'en bas. On leur dit qu'une chorale y avait été créée, ce qui les amusa fort.

Ils demandèrent à entendre ce que ces petits Juifs pouvaient bien chanter par le temps qui courait. A leur grande stupéfaction, l'ensemble vocal leur offrit un extrait de "Juda Maccabée", l'oratorio de Haendel. Garçons et filles en chemisettes et corsages blancs, jupes ou culottes bleues, se rangèrent en bon ordre. Puis, de toutes leurs voix et de tout leur coeur, ils lancèrent à la face des visiteurs cet appel triomphant :


"Lève la tête, Peuple d'Israël,
Que ce chant de fête,
Monte jusqu'au ciel !"


Les inspecteurs eurent, malgré eux, un mouvement de recul, se regardèrent gênés, et quittèrent les lieux en marmonnant des compliments...


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Durant les deux premières années de l'occupation, les centres ruraux et les maisons d'enfants comptaient parmi les grands privilégiés. On les laissait fonctionner presque normalement. Il n'en était nullement de même quant à la population juive dans son ensemble.

A celle-ci on s'en prenait méthodiquement, graduellement, à la manière germanique. De la zone occupée arrivaient depuis longtemps des nouvelles alarmantes. Les mesures antijuives décrétées là-bas, peu après la débâcle, allaient être prises aussi, à plus ou moins longue échéance, dans la zone libre. Il faudrait donc y parer au fur et à mesure des événements.

L'occupant avait exigé la création, dans les deux zones, de l'Union Générale des Juifs de France : l'UGIF (ou le Judenrat). Longtemps les E.I.F., comme les autres organisations juives, débattirent sur l'opportunité d'y entrer. Finalement, une décision positive fut prise et c'est naturellement Gamzon qui y fut délégué.

Le contact avec les coreligionnaires responsables était à la fois utile et attristant. Toutes les misères juives, toutes les félonies de l'occupant, de même que l'obédience de Vichy, se reflétaient dans cette UGIF, et mettaient tout le monde mal à l'aise.

On s'y sentait protégé à court terme et menacé de mort à la longue. L'Allemand s'en servait comme d'un instrument qui lui facilitait son oeuvre destructrice. Les membres de l'UGIF, eux, tentaient de gagner du temps, de sauver ce qui pouvait encore l'être, bien que, peu à peu, leur conformisme s'avérât néfaste.

Gamzon revenait souvent déprimé des séances de l'UGIF. Autrement affligeantes étaient ses visites à Vichy après lesquelles, il s'empressait de gagner un des principaux centres E.I. Dès qu'il se retrouvait seul avec ses intimes, il laissait éclater sa colère et sa révolte. Ce jeu constant du chat et de la souris, comment allait-il finir ?

La marge de manoeuvre se rétrécissait de jour en jour. Pour une nouvelle quelque peu rassurante, pour un avantage laborieusement acquis, que de brimades de funeste augure ! Tout ce que l'on pouvait faire, c'était de replâtrer, de soulager quelque souffrance qui ne tardait pas à reparaître ailleurs plus aiguë encore et exigeait de plus grands moyens. Où les prendre, ces moyens, et combien de temps pourra-t-on tenir ?

On serait en droit de se demander pourquoi diable Castor passait un tiers de son temps auprès de ces Messieurs de Vichy, dont l'hostilité envers les Juifs se manifestait de plus en plus clairement. Ces contacts étaient pourtant inappréciables.

Outre les multiples démarches pour obtenir autorisations et subsides, Castor s'acquittait d'une tâche souterraine particulièrement délicate et dangereuse, mais d'une importance capitale pour la communauté juive tout entière : il s'assurait le concours d'hommes de confiance qui le prévenaient à temps des rafles prévues.

Ainsi s'était constitué, dans diverses préfectures, et à Vichy même, un service de renseignements qui a fonctionné pendant presque toute la durée de l'occupation et grâce auquel nombre de nos jeunes (d'adultes aussi) ont eu la vie sauve.

Par ses relations avec les autorités et le contact maintenu avec les dirigeants juifs, Castor contribuait à l'oeuvre de secours sur divers plans.

Déjà vers la fin de 1940, des appels de détresse venaient des camps de concentration installés à Gurs et à Rivesaltes, dans la région des Pyrénées. On y avait enfermé des Juifs allemands démunis de tout. Aussitôt Castor battit le rappel et sept cheftaines se rendirent là-bas en tant qu'assistantes sociales agréées par la direction du camp. Donc victoire !...

Tout de suite après, autre alerte. Le gouvernement de Vichy venait de décréter l'élimination des enseignants d'origine juive. Quantité d'intellectuels étaient ainsi jetés sur le pavé. Parmi eux, certains s'avouaient complètement déjudaïsés. Jamais il ne leur était venu à l'idée qu'un jour ils souffriraient en tant que Juifs, eux qui ne se sentaient plus juifs du tout...

Cependant, la communauté juive, qui ne les avait pas reniés, se gardait bien de les repousser maintenant. Depuis toujours, elle accueillait dans son sein ceux de ses fils que le malheur lui restituait. Une aide intelligente et efficace fut entreprise en zone libre, à Lyon notamment, sous la direction de Léon Algazi. Elle consistait à rémunérer les intéressés pour le travail qu'ils fournissaient, travail édifiant de surcroît.

En effet, afin de les occuper dignement et fructueusement, on demanda à chacun de ces professeurs, de préparer ; selon le domaine et le niveau de chacun ; un texte sur une personnalité ou un courant de pensée judaïque. Ce fut une révélation pour bon nombre de nos frères de misère qui, sachant beaucoup de choses sur les autres groupes humains et presque rien sur le leur, étaient enfin initiés à la pensée, à la science et aux lettres juives.

Gamzon eut à coeur de participer à cette aide et à cette initiation. Il le fit à sa manière. Avisant un certain nombre de jeunes professeurs révoqués qui, plus tard, entrèrent dans les centres agricoles E.I., il les convia à un camp scout organisé sur le littoral méditerranéen, tout près de Beauvallon, charmant village méridional habité par Edmond Fleg. Quinze jours durant, Beauvallon fut un centre d'études où la plupart des participants (qui avaient été juifs sans le savoir) vécurent aux côtés de Juifs, savants, militants ou simplement conscients de leur judaïsme.

La rayonnante personnalité d'Edmond Fleg dominait ce stage insolite auquel il conférait sa naturelle et affectueuse distinction ; le jeune rabbin Samy Klein révélait aux participants la science juive ; Léo Cohn, plus "Léo-'hassidique" que jamais, maintenait la joie et la chaleur dans les offices et les moments de loisirs ; l'avocat Léonce Bernheim faisait connaître sa riche expérience de militant sioniste.

Quant à Robert Gamzon, il avait simplement rajeuni. Déchargé pour un temps de ses responsabilités, de ses épuisantes fonctions habituelles, il faisait plaisir à voir dans sa tenue légère de scout en vacance, chantant, dansant, discutant, accourant aux réunions en plein air avec cet entrain juvénile qu'il communiquait à nous tous.

C'est là qu'il fit une série d'exposés intitulés "Harmonie" où il démontrait l'unité et l'accord profonds de la foi et de la pensée juives.

Chaque matin on montait les couleurs nationales, comme avant la guerre. Le régime en vigueur ne nous était pourtant guère favorable et les "enfants prodigues" à qui nous devions ce stage, constituaient les premières victimes de cet "ordre nouveau". Ah, si le monde savait à quel point les Juifs, dans leur immense majorité, prennent au sérieux leur rôle de citoyens ! "La loi du pays que vous habitez est la loi !" avaient décrété nos sages à l'aube du Talmud... Et l'on s'y tient toujours !

Gamzon restait fidèle à la loi de son pays, même quand un matin, on lui apporta le Journal Officiel qui spécifiait que, en vertu des prescriptions racistes, le lieutenant Robert Gamzon n'était plus officier français. "Cela m'a fait un coup, soupira-t-il, et pourtant ils se sont bien battus, les officiers juifs !" Il ne se sentit pas moins français pour cela, mais son devoir envers ses frères juifs qui souffraient, ne lui en parut que plus impérieux.

Beauvallon marqua un sommet dans cette période entre la débâcle de l'armée française et l'écrasement de la population juive demeurée en France. Il y eut encore de longs mois de tranquillité relative qui furent mis à profit. Les centres agricoles devenaient, à l'occasion, des centres d'accueil. On y cultivait la terre, mais aussi l'esprit.

A Lautrec, quartier général des E.I.F., fleurissaient les cercles d'études bibliques et talmudiques, sans parler des techniques polyvalentes. Il en était de même à Talluyers. Moissac était réputée pour son dynamisme. Souvent les "défricheurs" du chantier de Charry (connu dans nos milieux pour sa pédagogie et son ambiance "'haloutzique" descendaient et se joignaient aux enfants du home pour célébrer ensemble telle solennité.

Les "mercredis littéraires" de Moissac réunissaient non seulement les pupilles de la maison, mais encore les Juifs réfugiés dans les environs, pour qui ces soirées étaient un régal. Ils se croyaient pour un moment revenus au bon vieux temps !

Une autre maison d'enfants installée à Beaulieu, en Corrèze, constituait elle aussi un foyer spirituel. Elle était dirigée par une pédagogue émérite dont le mari, Jacob Gordin, penseur original et profond, marqua de façon durable les jeunes chefs E.I. du temps de guerre et de l'après-guerre immédiat.

Repliés sur eux-mêmes, ces Juifs français, occasionnellement et discrètement groupés, continuaient à nourrir leur espoir en maintenant vivant le culte et la culture de leurs ancêtres.

Tout en travaillant vigoureusement la terre qu'on leur avait concédée et tout en faisant lever le meilleur blé, le plus abondant maïs de la région, ils ne se laissaient ni endormir par ce qui ne pouvait être qu'un répit, ni abalourdir par le dur travail des champs, ni désespérer par les nouvelles qui parvenaient de l'autre côté de la ligne de démarcation. Ils savaient bien qu'un jour ou l'autre ce serait leur tour...
Pièces jointes:
gamzon4.gif
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 15:05
Un bâtisseur
ROBERT GAMZON
dit "Castor soucieux"
9. LE MAQUlS JUIF


(Extraits du Journal de bord de Robert Gamzon)

a) Veille de Chabbat.


Une route contournée serpente dans la montagne. Ma petite moto rouge ronronne allègrement et, tournant après tournant, la vallée se découvre plus profonde et plus large. En bas, le Jigou coule, tantôt paisible, tantôt tumultueux. A mi-pente, de chaque côté de la vallée, des bosquets et des bois. Les sommets forment des courbes arrondies, couvertes de bruyères et de genêts.

Les fermes sont nichées dans les creux et les ondulations du terrain, pour se protéger du vent rude qui souffle en hiver.

Je suis en civil : culotte de cheval, blouson de cuir. Ma carte d'identité et mon P.C. (permis de circuler en moto) portent comme indications : "Henri Lagnes, Délégué du Secrétariat à la Jeunesse pour les Chantiers ruraux."

Une lettre officielle du Secrétaire à la Jeunesse m'accrédite; elle porte la signature authentique d'un authentique fonctionnaire, M. Moreau, Directeur des Mouvements de Jeunesse. C'est courageux de sa part, d'ailleurs, car si je suis pris, il aura probablement à m'accompagner en déportation. Bien entendu, j'affirmerai avoir imité sa signature ; mais me croira-t-on ?

Ma moto est une petite Peugeot dernier modèle, "réquisitionnée" chez le Maire de Lacaze, petit village tout proche. Dans la sacoche, roulé dans de vieux chiffons, un Colt dernier modèle (ça peut toujours servir si on rencontre un Fritz tout seul). Mais si je suis arrêté par une patrouille, M. Lagnes criera hautement qu'il est fonctionnaire de M. Laval. Ça prendra ou ça ne prendra pas.

Il y a huit jours, le Commandant Dunoyer de Segonzac, commandant de la zone, a été arrêté par un détachement allemand. Il avait des papiers analogues aux miens. Ça a pris.

Mais au dernier moment, un feld-gendarme soupçonneux a voulu le retenir et lui a demandé poliment de l'accompagner. Il a fait semblant de ne rien comprendre, a dit : "merci beaucoup", avec son plus charmant sourire, et, enfourchant sa moto, il est parti à 80 à l'heure, sans laisser aux Boches le temps de réfléchir s'ils allaient tirer ou pas... Dans notre boulot, il faut de la présence d'esprit si on tient à la vie !

L'air est léger et frais, le ciel est bleu, les arbres commencent à bourgeonner... Dire que la vie pourrait être si belle s'il n'y avait pas ces sacrés Boches ! Jamais je n'ai savouré la vie aussi intensément que pendant ces mois de maquis, cette vie si facile à perdre : un tournant, le crépitement des mitraillettes, et c'est fini. Tout bêtement.

Hier, une auto-mitrailleuse boche traversait Vabre ; les Fritz étaient de mauvaise humeur. Un garçon de dix-huit ans en voyant les Boches, a eu un mouvement instinctif de recul et est parti en courant. Posément, froidement, le mitrailleur a visé et une salve de mitraillette a transformé ce gosse plein de vie en une loque sanguinolente. C'est tout... Bête comme le destin.

Avant d'arriver au carrefour de Saint-Rémy, je ralentis. Autant ne pas tomber à l'improviste sur une colonne allemande, car j'ai l'air tout de même un peu "maquisard".

Personne. La route est déserte. Je prends un petit sentier, sans descendre de moto, et ma petite moto nerveuse s'engage dans un véritable sentier muletier. On grimpe de plus en plus. Je suis en plein dans la lande. Genêts et bruyères... A un tournant, un claquement d'arme et un cri :

"Halte !" Ici commence le maquis !

Un garçon de vingt ans est devant moi et me barre la route. Il est un peu ému, car il n'a pas entendu ma moto à cause du vent, et, au début, voyant mon blouson de cuir, il m'a pris pour un garde mobile. En me reconnaissant, il se met très correctement au garde-à-vous et me présente les armes.

- "Bon voyage, mon lieutenant ?

- Oui, très bon. J'ai obtenu une nouvelle attribution de pinard au P.C. et cinquante couvertures neuves.

- Chic alors ! Tu sais, Castor, il fait bigrement froid la nuit, avec une seule couverture."

Après le salut réglementaire (les traditions de l'armée française sont parfaitement respectées dans la Compagnie Marc Haguenau), on se parle en copains, en copains qui se connaissent parfois depuis des années, par une vie scoute commune, une vie commune dans nos groupes ruraux, et qui, hélas, connaîtront peut-être une mort commune...

La "sentinelle" se retourne et crie derrière elle :

- "Jean ! Téléphone au poste d'entrée que le lieutenant arrive.

Il y a là un tas de jeunes idiots qui risquent de ne pas l'entendre à cause du vent et vont lui tirer dessus comme j'ai failli le faire !"

Maintenant, le chemin descend et entre dans une espèce de petite vallée. Nouvel arrêt. Poste de garde. Les garçons sont habillés à peu près impeccablement en soldats français (les uniformes ont été "récupérés" dans un ancien dépôt militaire). Ils sont armés de fusils américains parachutés. Les casques et les ceinturons ont été collectés un à un chez les fermiers des environs qui les avaient rapportés comme souvenirs de la guerre de 14 ou de 39. Tous les garçons du poste de garde, en tenue particulièrement réglementaire (ça ne vaut pas la garde du Palais de Buckingham, mais on fait ce qu'on peut) ont le brassard tricolore F.F.I. avec la Croix de Lorraine rouge.

Je lâche la moto. Le chemin, cette fois, est vraiment impraticable, et cent mètres plus loin, j'arrive au P.C. C'est une ferme abandonnée qui a été transformée en cantonnement. Elle est si bien cachée dans un creux de rocher et derrière les arbres, qu'on arrive dessus sans s'en apercevoir.

Il est midi. Autour de grandes tables de bois placées sur le terre-plein devant la ferme, les garçons sont assis et attendent la soupe.

La soupe est servie. Personne ne commence. On distribue le pain ; le chef de secteur le coupe en petits morceaux, l'asperge de sel et, calot sur la tête, toute la section chante la "Bera'ha" (bénédiction sur le pain).

-"Bon appétit, messieurs", dit le chef de section, et on commence à manger.

Les voilà, les "bandits", les hors-la-loi, "ramassis de criminels de droit commun", dont parle la presse de Vichy ! Ils viennent de tous les coins de la terre. Tous sont Juifs; tous étaient dans des centres agricoles E.I.F., ou placés par eux, et même au maquis, je dirai : surtout au maquis, ils essaient de maintenir leur style de vie, leur correction, leur dignité, leur honneur.

C'est curieux d'ailleurs, comme tous ces garçons qui parfois ont vécu comme des bêtes traquées, dont beaucoup sont les évadés des camps de concentration du gouvernement de Vichy, les ignobles camps de Gurs ou de Rivesaltes, ont soif de dignité, de discipline consentie. Je n'ai eu aucune difficulté à obtenir d'eux "les marques extérieures de respect" chères au règlement militaire français, et que j'ai voulu appliquer rigoureusement, justement pour bien marquer qu'ici nous commencions une vie militaire. Ceci n'empêche pas la camaraderie et l'amitié.

Mais "le règlement est le règlement" et deux heures de retard à un retour de permission, ça vaut deux jours de "taule".

Parfois cependant, un petit "yid" (familièrement : Juif) traditionnellement rouspéteur se rebiffe, veut absolument se rendre intéressant, être "un cas". Mais l'opinion publique, la réaction de ses camarades, ont vite fait de le remettre dans le droit chemin.

Entre eux, entre nous tous, règne une camaraderie simple et chaude ; et quand, le soir, à la veillée, on chante : "Qu'il est beau, qu'il est doux de voir l'amitié régner entre frères", on sent profondément la valeur de ce vieux psaume. Oui, elle est bonne et elle est belle, l'amitié des frères de combat !


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-"Aujourd'hui, dit Adrien, le chef de section, un Alsacien placide et lent, prisonnier évadé et ancien chef de corps franc de la drôle de guerre de 39, "aujourd'hui vendredi, programme spécial pour l'après-midi comme d'habitude : nettoyage général des armes, des cantonnements et des hommes. Le lieutenant Lagnes passera la revue avec moi à 4 heures."

On récite le "Birkat Hamazon" (les actions de grâce), raccourci d'ailleurs (sauf le vendredi soir et le samedi) et les garçons s'en vont au travail.

Pendant ce temps, je m'installe dans la tente légère qui est montée à côté du cantonnement et qui me sert de bureau quand je suis avec cette section (car mon P.C. permanent est dans un autre cantonnement, de l'autre côté de la vallée). Je discute le plan de travail et d'instruction avec le chef de section et ses adjoints, et je reçois les rapports des services de renseignements et des filles de liaison.

Voici justement Liliane, leur cheftaine. Elle arrive de la montagne, toute couverte de sueur, brune, petite et boulotte, toujours affairée, rapide, autoritaire :

- "Castor ! il faut que je te parle. C'est très, très urgent."

Elle vient de sauter de son vélo, elle porte un sac de paysanne, et tous les garçons se précipitent :

- "Liliane, tu as du courrier?

- Liliane, est-ce que tu m'as trouvé des lames Gillette ?

- Liliane, tu n'as pas oublié d'écrire à ma mère ?"

Mais Liliane n'a pas de temps à perdre avec ces babioles aujourd'hui. Elle semble sombre et soucieuse.

- "Fichez-moi la paix, les garçons ! J'ai des choses graves à dire à Castor. C'est beaucoup plus urgent que vos lames de rasoir et les lettres de votre petite amie".

Et dès que nous sommes seuls, je lui demande anxieusement ce qu'il y a.

- "On a des nouvelles du voyage en Espagne. Cigale est revenue hier, elle a couché à Castres, chez moi, car elle tombait de fatigue. Voici ce qu'elle m'a raconté : les garçons sont partis de Toulouse sans savoir que Léo avait été pris à la gare avec André et Paul. Les types de la Gestapo ont parcouru tout les trains en regardant tout le monde ; mais ils n'ont arrêté personne.

Le voyage jusqu'à Sainte-Marie s'est passé sans encombre. Là, un camion les attendait, qui les a amenés dans la montagne. Mais le passeur attendu n'est pas venu. Les Allemands l'ont tué. Et nos garçons sont restés dans le maquis.

- Et pour Léo?

- Eh bien, suivant les instructions, j'ai mis Sancho sur l'affaire ; elle est partie à Toulouse avec mission d'essayer coûte que coûte d'avoir des nouvelles. Elle rendra compte chez Nicole. Mais c'est inutile d'y aller avant quatre ou cinq jours, parce qu'il lui faudra au moins ce temps-là pour savoir quelque chose.

- Et la permanence de Castres?

- Rien à signaler. C'est Mariette qui s'occupe de la Sixième. Il y a beaucoup de travail.

- Et toi ?

- Moi, rien de spécial, sauf que Maman est de plus en plus nerveuse et dit qu'on va être pris. C'est assommant comme les gens d'un certain âge ne savent dire que des choses négatives... Tu ne crois pas qu'il faudrait tout de même la faire déménager avec le petit et les beaux-parents? Mais où?

- Ecoute, amène-les tous les quatre à Vabre. C'est peut-être aussi dangereux, mais ils auront au moins le sentiment d'un changement."

Liliane est repartie et je reste un moment seul, à penser tristement : Léo est pris, Léo, notre maître, notre rabbin ; le convoi est manifestement repéré par la Gestapo ; combien arriveront vivants en Palestine ? Et là, pour se battre encore, se battre toujours, partout, indéfiniment... Bon ! ça ne sert à rien de se lamenter; on n'a pas le temps ; il faut agir.

- Adrien, montre-moi ton programme d'instruction. Est-ce que tes types savent démonter dans le noir la mitrailleuse Browning ? Où en êtes-vous en judo ?

- Ça emballe les garçons, mais j'ai deux bras de foulés dans la section. Si on continue, le professeur de Judo les aura tous esquintés avant le premier combat avec les Boches !

Il faut maintenant passer la revue d'armes et de cantonnement, comme chaque vendredi. Dans la grange transformée en chambrée, les hommes s'agitent et s'affairent ; les uns sont encore à nettoyer leur armes avec amour (et aussi avec un chiffon gras, ce qui est au moins aussi important...) ; d'autres se rasent, se lavent, brossent leurs affaires. Quand je rentre à quatre heures, très digne, suivi d'Adrien, un "Fixe !" retentissant immobilise chaque garçon au garde-à-vous au pied de son lit.

La grange a un air de fête ; on sent que le Chabbat est proche. Ils n'ont vraiment pas l'air trop gourdes, mes petits soldats juifs... Encore bien novices, il est vrai : certains, quinze jours avant, ne savaient même pas tenir un fusil, et n'en avaient même jamais vu de leur vie ! Mais ils y mettent une telle ardeur, une telle passion, qu'en quinze jours, ils apprennent autant qu'une recrue normale en trois mois.

Ceux qui sont là depuis le début, c'est-à-dire depuis novembre 1943, les vétérans qui ont passé déjà tout l'hiver au maquis, sont devenus en six mois des hommes splendides : quatre heures d'éducation physique à mille mètres d'altitude, avec une ration individuelle qui, en ville, devrait suffire pour toute une famille, ça bâtit un homme.

La section comprend trois groupes de combat : deux groupes de mitrailleurs et un groupe de grenadiers voltigeurs. Chaque groupe a une chambre. Dans les chambrées de mitrailleurs, la mitrailleuse américaine, légère, browning, est placée sur la table, reluisante comme une pièce de musée, et elle darde sa petite gueule menaçante vers la porte. Mais ceci n'a qu'une valeur symbolique, car elle n'est pas protégée et ne peut pas pratiquement être utilisée à cette place.

Par contre, un fusil mitrailleur est monté à l'étage au-dessus, dans une monture en sacs de sable, et peut efficacement protéger une retraite éventuelle par un souterrain creusé dans le roc et qui débouche dans un buisson à quelques mètres de là. Espérons que l'on n'aura pas à s'en servir, car si on en était réduit là, il ne faut pas se faire d'illusions, bien peu en sortiraient vivants...

D'ailleurs, toute une série de dispositifs d'alerte concentriques doivent protéger notre groupe de maquis. D'abord, un service de guet existe à Castres, à 40 km de là. Toute sortie importante de troupes est signalée et alerte les postes de montagne à Brassac, à Labruyère, au pied de la montagne.

Ceux-ci à leur tour alertent les P.C. des secteurs par un réseau téléphonique spécial que les agents de la Résistance des P.T.T. (c'est-à-dire, en fait, presque toute l'organisation des P.T.T. qui a toujours été syndicaliste et anti-nazie) ont monté dans le réseau général.

Ce réseau fonctionne avec des phrases conventionnelles. En outre, pour plus de sûreté, toute la zone profite du réseau téléphonique du petit train départemental dont tout le personnel est avec la Résistance. Ça devrait donc marcher; ça a marché souvent; sauf, hélas, la seule fois où... Mais n'anticipons pas.

Enfin, entre nos sections du maquis juif, au nombre de trois :`

- une sur le réseau sud de la vallée, deux sur le réseau nord
- un système de signalisation optique existe, très simple :
2 feux : alerte ; 3 feux : danger, nous sommes attaqués.
Mais aujourd'hui, c'est Chabbat et on pense à autre chose. Maintenant, les hommes ont un peu de temps de libre. Après la revue, les uns écrivent des lettres ou écoutent la radio (en plus, d'ailleurs, de l'homme responsable de l'écoute, qui doit écouter en permanence) ; d'autres, avec le rabbin, préparent l'office qui va avoir lieu dans quelques heures.

Je suis de nouveau dans ma tente P.C. et j'essaie consciencieusement de me raser avec une lame qui coupe mal (chaque fois, j'oublie de m'en faire acheter par Liliane, qui en trouve d'ailleurs difficilement).

Tout à coup, une voix claire, féminine mais tonitruante, crie :

- "Castor ! Où est Castor ?"

Mon coeur se met à battre : c'est la voix de Jojo. Jojo ! mon enfant prodigue qui est revenue de Suisse ! Je n'en crois pas mes oreilles ! Mais c'est bien elle, toujours la même, toujours aussi bondissante, qui entre et me saute au cou. "C'est moi ! Me rev'la !" Jojo est revenue. C'est chic tout de même, cela !

Jojo était une de nos agentes de liaison, la première et la plus active, qui travaillait depuis la dissolution de son groupe rural. Elle a été une des plus énergiques organisatrices du maquis E.I. C'est elle qui, la première, allait de garçon en garçon, de groupe en groupe, en disant : "C'est très joli, le planquage, les faux papiers... mais les autres se battent, et vous, vous vous cachez !

Les communistes se battent, les catholiques se battent, et nous les Juifs, tout ce qu'on sait faire, c'est du camouflage. C'est nécessaire, d'accord. C'est aussi dangereux pour ceux qui font le boulot. Mais il faut aussi que nous nous battions..."

Et Jojo allait, ses cheveux en broussaille, ardente, impétueuse, et les garçons, émus par sa parole enflammée (et sa jolie frimousse) se disaient : Tout de même, cette fille, elle est plus énergique que beaucoup d'hommes.

Elle ne faisait pas que parler, d'ailleurs ; elle transportait des armes, participait (ce qu'elle se gardait bien de m'avouer) à pas mal de "coups" en ville, faits par ses petits copains communistes.

Je ne peux pas dire la joie que m'a causée ce retour de Jojo, qui avait quitté fiancé et sécurité pour venir se battre avec nous, avec les copains ! Personne ne l'a su. Elle n'a pas été citée ni décorée. Mais pourtant, cela valait la peine d'être dit.

Et maintenant, dans le soir qui tombe, c'est l'office des "gars du maquis" ; office facultatif bien sûr, mais auquel participent presque tous les garçons ; en hébreu et en français. Les garçons chantent et prient. Le soleil disparaît et de grandes ombres bleues s'étendent dans la vallée. Les croupes des collines ressemblent à de grosses bêtes, immenses et paisibles, couchées. De petites fumées blanches montent des cheminées des fermes et s'élèvent dans le calme soir de printemps. Les clochettes des vaches tintent doucement dans le lointain. Comme tout cela est paisible...

Et comme ils sont paisibles, ces garçons qui chantent de vieux chants chabbatiques :


"Viens, ma fiancée, viens, ma fiancée..."

"Relève-toi, Israël, Relève-toi et chante,

La majesté divine s'est révélée sur toi..."



La fiancée Chabbat entre dans le camp. Tout est calme. Comme la guerre est loin ! Comme les Boches sont loin !...

Une agente de liaison arrive de Valence : il y a un message urgent. Je prends le message : "Alerte générale. Les maquis de la Montagne Noire sont attaqués par des effectifs importants. Prenez dispositions départ. attendez ordres". Décidément, aujourd'hui, c'est le régime de la douche écossaise !

Je rentre dans la salle commune et, à ce moment-là, la radio anglaise annonce :

-"Voici maintenant quelques messages personnels. :

"Le cheval d'Henri IV est blanc (ce n'est pas pour nous).

Trois chouettes au merle blanc... (Ah ! c'est pour notre zone, cela).

"Le chasseur n'a que vingt balles. Trois amis verront ce soir que le chasseur n'a que vingt balles'...".

Ça, c'est le bouquet ! Il y a à la fois alerte générale et parachutage sur notre terrain, avec peut-être même trois types importants... Il est joli, notre Chabbat...
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 15:14
Le corps est (momentanément) perclus, mais l'esprit ne s'accorde point de répit. Ne sommes-nous pas à l'époque fiévreuse de la reconstruction ? Que de tâches à accomplir ! Et toutes plus importantes, plus urgentes, plus écrasantes les unes que les autres...

Il faut éduquer les orphelins dont les parents ont disparu, leur apprendre un métier. Le Centre de Moissac y pourvoit ; il faut accueillir ceux qui reviennent des camps de concentration ; ce sera le travail du Centre d'Accueil des Déportés. Pour ce qui est des multiples cas tragiques nés de la guerre, le Service Social des Jeunes s'en occupera.

Il importe d'insuffler immédiatement la vie et l'esprit à tout le Judaïsme français. Bientôt une maison d'édition E.I., "Le Chant Nouveau", verra le jour. Une troupe théâtrale, "Les Compagnons de l'Arche", fera parler d'elle. Deux journaux seront publiés : Lumière, journal des chefs, et Contacts, journal des aînés.

Et puis il y a le Mouvement des E.I. lui-même.

Il s'agit de réorganiser les provinces, les groupes locaux, les unités; de repenser les méthodes, les activités, les programmes, car une guerre change les goûts, les centres d'intérêt des jeunes. Il faut regrouper notre monde scout, lui donner une nouvelle impulsion.

Cette remise en marche de l'appareil E.I.F., conçue par Gamzon, est clairement énoncée par son épouse dans une communication destinée aux jeunes chefs : déjà sont de nouveau réunis des gosses "avides de jeux, de joie saine et d'un judaïsme qui peut se manifester librement, au grand jour, pour continuer les traditions de ceux d'entre nous qui se sont sacrifiés et qui ont disparu". Déjà "un groupe d'études juives sérieux et d'un niveau élevé s'est créé à Paris". Il est dirigé par Edmond Fleg en personne.

Surmontant son immense peine, l'écrivain est demeuré fidèle aux jeunes E.I.F. Il remplit d'une façon émouvante son rôle de Président et de guide spirituel. S'adressant lui aussi aux jeunes chefs, il a entrepris d'approfondir pour eux et avec eux l'éternelle pensée d'Israël. Il les exhorte à trouver eux-mêmes la solution du problème juif.

"Créons en nous, leur dit-il, ce peuple de prêtres, ce peuple de créateurs, que nos aïeux, au pied du Sinaï, ont juré de créer, et les hommes, recréés, cesseront de nous persécuter.

"On prétend supprimer Israël, l'anéantir ? Israël va finir, dit-on, Israël est fini ? Non, Messieurs, Israël recommence, Israël se sent toujours recommencer, commencer..."

Et Edmond Fleg de conclure :

"Oui, que chacune de vos minutes nouvelles soit pour vous le commencement d'un commencement, un commencement de vous-mêmes, de vos communautés, de vos patries, un commencement d'Israël, un commencement du monde !"


******

Après de longs mois d'immobilité, Castor est de nouveau sur pieds. Parbleu, peut-on concevoir un camp national des E.I.F. sans Castor ? Ce camp de Chambon-sur-Lignon, dans la Haute-Loire, réunit toutes les unités E.I., les chefs, les commissaires, qui représentent six mille membres. Comment Castor a-t-il réussi à l'organiser, alors que le matériel fait défaut, que les trains roulent rarement et que le ravitaillement est difficile, c'est le secret du chef-magicien. Enfin, le départ est redonné "pour de vrai".

Mais il n'y a pas que la France, il y a encore l'Afrique du Nord qu'il faut aider à redémarrer. Castor n'hésite pas. Il entreprend un périple à travers toutes les communautés du Maghreb : Algérie, Tunisie, Maroc sans oublier la célèbre île de Djerba avec sa population juive menant une vie qui nous rappelle les temps d'Abraham, d'Isaac et de Jacob...

Ces retrouvailles entre Castor et les jeunes de l'Afrique du Nord furent bénéfiques pour tout le monde. Le chef des E.I.F. sentit plus encore qu'auparavant toutes les richesses humaines en puissance dans ces communautés, tandis que les Juifs de là-bas étaient émerveillés par cette personnalité si rayonnante représentant à leurs yeux le judaïsme français.

"Nous étions tellement heureux, dit l'un d'eux, émigré, depuis, en Israël, de voir un chef qui nous parle de la jeunesse juive de France et du "yichouv" (population juive) palestinien, qui nous raconte des épisodes poignants de la Résistance en France et qui, en plus, crée un lien entre nous et la jeunesse juive à travers le monde.

"Le nom de Castor restera toujours lié à l'histoire du relèvement physique moral, social, intellectuel et spirituel de la jeunesse juive d'Afrique du Nord".

Cette tournée africaine s'avéra fructueuse, plus tard surtout, au moment de l'exode algérien. Elle le fut pour les deux parties, car les communautés francophones avaient besoin de nous comme nous avions besoin d'elles.

Le mérite supplémentaire de Castor est de l'avoir constaté avant les autres et d'avoir ainsi fait oeuvre de pionnier. Il pressentit ce que son Mouvement scout, le judaïsme français et l'Etat d'Israël, allaient découvrir quelques années après dans les communautés de l'Afrique du Nord, si singulièrement négligées jusqu'alors.

Rentré en France (et sans transition), Robert Gamzon fut sollicité pour un voyage outre-mer. Cette fois, il ne s'agissait pas d'éveiller des âmes, mais plus prosaïquement de recueillir des fonds. Or, nul n'ignore l'aide providentielle que les Juifs américains, par l'intermédiaire du Joint Distribution Committee, ont apportée au judaïsme européen, avant, pendant et après la catastrophe.

Ce sont ces mêmes Juifs des U.S.A. qui suggérèrent à Castor, au "Captain Gamzon", comme ils l'appelaient, de venir participer à leur campagne financière d'après-guerre qui revêtait une importance toute particulière, en raison des secours urgents dont avaient besoin tant les rescapés pris individuellement que les communautés délabrées.

Voilà donc le "Captain Gamzon" s'envolant pour les Etats-Unis où une tournée grandiose l'attendait, dont il fut la grande vedette en tant que héros de la Résistance française.

On imagine aisément ce que fut cette randonnée et l'hyperbolique présentation du héros : haut-parleurs, projecteurs, superlatifs en vrac : "the most important", "the biggest", "the greatest", "the Chief" et j'en passe.

On traînait notre Gamzon de ville en ville, d'un meeting monstre à un meeting plus colossal encore, de "party" en "party" et à des conférences de presse. Il y avait là de quoi essouffler, voire mettre K.O. de bien plus robustes que le frêle Castor. Mais, malgré son terrible accident, les opérations subies, la longue immobilité, le récent voyage en Afrique du Nord, il tint bon.



Captain Gamzon


Quand il voyait s'avancer ce petit homme maigre, en tenue d'officier français, présenté de la façon la plus fracassante, le public judéo-américain applaudissait de confiance. Il attendait la suite, la confirmation de ce qui avait été annoncé. Déjà ce visage rieur et pensif à la fois, suscitait la sympathie, mais que sa voix était donc menue ! C'est cela un héros ? C'est là, le "greatest Jewish Chief in France".

Cependant cette voix si peu militaire sonnait agréablement, se révélait ferme, prenante. Dans un anglais appris, mais en termes précis et mesurés, l'orateur informait son auditoire, le conquérait peu à peu, et lorsqu'il avait fini, un tonnerre d'applaudissements éclatait chaque fois. La partie était gagnée.

"A force de répéter mon laïus, je savais qu'à tel moment, immanquablement, tous les mouchoirs allaient sortir du sac des dames et se porter vers les yeux"... disait Castor, à son retour à Paris.

Les responsables du "United Jewish Appeal" n'auraient pu faire de meilleur choix. Robert Gamzon, ses mérites mis à part, était fait pour plaire à la gent américaine. Sa blondeur virile, son visage ouvert, sa démarche alerte, rappelaient les plus captivants d'entre les "boys" américains. Il se dégageait de cette personnalité si ténue à première vue, une force calme, une humanité chaleureuse, une modestie souriante dont Castor ne fut pas le seul à bénéficier moralement.

Par voie de conséquence, tout le judaïsme français, toutes les malheureuses populations juives d'Europe, prenaient un visage éminemment noble dans leur incommensurable détresse. Castor symbolisait ainsi le reste d'Israël mutilé, mais digne et bien vivant.
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 15:18
En effet, quelques mois plus tard, il repartait pour l'Afrique du Nord accompagné, cette fois, par un membre de la "Hagana" (Corps de défense qui fut à l'origine de l'armée israélienne). But du voyage : y créer des réseaux juifs de défense en prévision de temps troublés qui malheureusement ne se firent pas attendre

Scouts, eclaireurs israelites de Fez, autour de 1958
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 15:22
ROBERT GAMZON
dit "Castor soucieux"
12. L'ECOLE D'ORSAY



Captain Gamzon" revint des Etats-Unis étonnamment sauf, tant au point de vue physique que moral et... financier. Il ne ressentait pas une trop grande fatigue et les vivats américains ne lui étaient nullement montés à la tête. Un autre que lui aurait peut-être profité des circonstances pour s'octroyer au moins un avantage matériel.

Il n'en fut rien. Modestement, Castor retourna auprès de ses E.I.F. et reprit le travail interrompu. A l'occasion, il évoquait son voyage outre-Atlantique, mais sans s'y attarder. Un sourire, un instant de réflexion et la parenthèse était fermée.

Il avait bien autre chose en tête, depuis son retour : l'école de cadres éducatifs et sociaux.

D'autres avaient eu cette idée avant Gamzon. Il y eut même ; dans divers milieux juifs ; quelques tentatives d'application qui ont plus ou moins avorté. Une seule école de cadres éducatifs demeurait : celle ouverte à Plessis-Trévise, près de Paris, par l'OPEJ ("oeuvre de Protection des Enfants Juifs"winking smiley.

Elle se proposait de former, en un temps record, des moniteurs pour les maisons d'enfants de déportés, tandis que Gamzon pensait plutôt à l'encadrement des E.l F.

L'idée de ces deux centres de formation était pourtant simple et répondait à une nécessité urgente ! Elle aurait dû, semble-t-il, être accueillie avec empressement, avec gratitude même, par les responsables de la Communauté.

Hélas ! Les notables ouvraient de grands yeux quand on leur parlait de la formation de cadres. Ils flairaient là un déséquilibre budgétaire... N'osant dire : non, eux-mêmes, ils se dissimulaient volontiers derrière leurs maîtres-serviteurs, les technocrates dont les avis étaient péremptoires.

Par extraordinaire ; la clairvoyance et l'énergie de quelques-uns ayant eu gain de cause ; Plessis-Trévise d'abord, Orsay ensuite, virent le jour en 1946 ! Ils avaient bien des points communs. Tous deux étaient des internats d'un style nouveau. Leur mode de vie et l'enseignement qui s'y dispensait s'inspiraient des méthodes d'éducation active.

C'étaient des collectivités joyeuses, entreprenantes, propres, dont les membres trouvaient leur plaisir à servir l'ensemble sans le moins du monde se sentir asservis. Vingt ans après, devenus parents ou grands-parents, ces anciens élèves déclarent avec émotion que leur stage à l'école de cadres avait été la plus belle période de leur vie.

Tandis que Plessis-Trévise penchait pour le "kibboutz", Orsay faisait penser à une Yéchiva moderne. Castor donna à son école le nom de Gilbert Bloch, cet ancien de Lautrec polytechnicien promu à un grand avenir, tombé au maquis E.I.

Installée dans un petit château, à Orsay, cette école accueille une vingtaine de jeunes gens et jeunes filles à qui elle donnera, en un an, une formation de moniteurs pour maisons d'enfants ou de chefs scouts responsables ; formation à la fois pédagogique et juive. Castor voudrait aussi susciter des vocations d'assistantes sociales : quatre filles de la première promotion entrent dans une école sociale spécialisée.

A Orsay, Castor s'occupe de tout : des petits détails pratiques, de l'organisation des cours, de la culture générale. Il y établit une tradition de travail, de gaieté, d'enthousiasme. On discute ferme sur tous les aspects du judaïsme. Sous son influence, et celle de son adjoint, l'école s'oriente vers une vie religieuse intense, presque orthodoxe.

Castor est sur la brèche du matin jusque tard dans la nuit. Souvent la soirée se termine par une de ces conversations intimes (dans lesquelles il excelle) avec l'un ou l'autre des élèves.

Les pédagogues célèbrent le "grand coeur maternel" de Pestalozzi, qui s'est révélé au lendemain d'une guerre courte, mais meurtrière "faiseuse d'orphelins". Ces orphelins abondaient alors dans la Suisse centrale et nécessitaient à la fois un coeur généreux et un esprit ouvert, qui se trouvaient si heureusement réunis en Pestalozzi.

Après la guerre de 39-45, alors qu'une telle détresse, à l'échelle mondiale, était sans précédent, la générosité ne fit point défaut. Mais on avait besoin de plus que cela. Gamzon était de ceux qui l'ont compris. A son coeur maternel, il ajouta le grand souci des pédagogues que hantaient non seulement les ruines présentes, mais l'impératif de préparer des lendemains vivables.

Parmi les élèves de nos écoles-express, on comptait d'anciens maquisards, des rescapés de camps allemands, des fils et des filles de déportés qui allaient devoir s'occuper d'autres enfants de déportés, plus jeunes qu'eux. La tâche de telles écoles était double. Il fallait régénérer, consoler, assister des jeunes qui n'avaient plus rien au monde, puisque parents et foyers avaient disparu.

En même temps, on devait faire de ces jeunes abandonnés des consolateurs, des régénérateurs, des reconstructeurs. "La pierre rejetée est devenue la pierre d'angle principale". Cette belle formule du Psalmiste revenait souvent à l'esprit des hommes décidés et isolés qui s'étaient chargés de transformer les plus pitoyables d'entre les victimes du cataclysme en pionniers compétents, joyeux et convaincus, en bâtisseurs d'un monde nouveau.

Travail ardu s'il en fut, qui dévorait le temps et les forces, mais combien exaltant ! Les sceptiques qui étaient nombreux et avaient prudemment pris leurs distances, prédisaient un échec, un double échec même, à ces éducateurs impénitents. Dans une certaine mesure, I'entreprise était vraiment une gageure !

Bergson oppose la "Morale close", qui est individuelle et égocentrique, à la "Morale ouverte" ; ouverte sur le monde, sociale, désintéressée. A première vue. ces deux Morales paraissent en parfaite contradiction.

Cependant, le philosophe, guidé par sa claire intuition, remarque ceci : "Au-dessus de l'activité intelligente qui aurait en effet à opter entre l'intérêt personnel et l'intérêt d'autrui, il y a un substratum d'activité instinctive, primitivement établi par la nature, où l'individuel et le social sont tout près de se confondre."

Or, dans l'Ecriture, ils sont déjà confondus...

Le texte constituant la profession de foi juive résumée dans le Pentateuque, contient à lui seul et tour à tour l'interpellation individuelle et collective :


"Ecoute, Israël, l'Eternel notre Dieu...

Tu aimeras l'Eternel...

Si vous écoutez mes commandements..."





A l'heure de "Ecoute Israël"


Les préceptes s'adressent indifféremment à tous et à chacun puisque la grande, l'unique "Ecole du Désert" doit produire un peuple de prêtres...

Au sein de ce peuple de prêtres, l'individu est indissolublement lié au corps social "qui est la somme dans l'espace et le temps de tous ses enfants". Le salut individuel est impensable s'il ne participe au salut de la collectivité. Ce ne serait alors qu'une fuite, une dérobade, non une solution exemplaire.

Le salut collectif doit, certes, commencer par l'individu, c'est-à-dire par une prise de conscience personnelle de la solidarité mutuelle. On ne résoudra jamais les problèmes collectifs sans le concours des individus. Voilà pourquoi chacun doit travailler à son perfectionnement afin de constituer ce "peuple de prêtres" préconisé par la Bible.

Se bien garder d'esquiver les problèmes personnels des jeunes, mais intéresser ceux-ci aux problèmes du monde; ne pas faire fi du présent, mais faire penser nos cadets à l'avenir : le leur propre et aussi celui de la communauté, du peuple, de l'humanité dans son ensemble. Telle est la tâche du pédagogue de tous les temps et en tous lieux.

Gamzon savait écouter les jeunes qui, volontiers, se confiaient à lui. La collectivité mixte à laquelle il tenait tant ; si propre qu'elle fût sur tous les plans ; n'en a pas moins ses problèmes. Déjà à Lautrec en plein déluge, alors qu'il était question de "rattraper par les cheveux" un gars qui allait être déporté, des problèmes sentimentaux se posaient, parfois pressants.

Toutefois, gare à nous ; et gare aux jeunes ; si nous nous complaisons à leurs défoulements ! Ceux-ci se perpétueront, ils nous submergeront et l'intéressé trouvera tout naturel que l'univers entier tourne autour de sa petite personne et de ses problèmes. C'est dans le dépassement que réside le vrai remède. Castor ne l'ignorait pas. C'est bien dans cette voie du dépassement qu'il se proposait de les engager une fois délivrés d'eux-mêmes !

Ce qui l'aidait ; ce qui nous aidait puissamment tous, à cette époque encore confuse ; c'était ce fameux substratum évoqué par le philosophe et qui agit depuis la plus haute antiquité. Mûs par "l'entraînement collectif, la création d'une atmosphère de dévouement allègre et d'enthousiasme, par notre propre "foi en la supériorité de ce qui est ouvert sur ce qui est clos, de ce qui est aspiration sur ce qui est contrainte" (André Berge), les élèves de Gamzon l'ont aisément suivi.

Il est des moments dans l'âge pré-adulte où l'être est si merveilleusement perméable aux grandes aspirations humaines que les aînés seraient impardonnables de ne pas l'y associer. Si on y arrive, c'est un viatique dont on le pourvoit pour la vie. Quel que soit le déroulement de cette vie, le souvenir d'une communion supérieure, même éphémère, demeure chez le bénéficiaire comme un âge d'or, comme un coin de paradis que rien ne saura effacer.

Le résultat de cette initiation au social et au spirituel ne se faisait d'ailleurs pas attendre. A la conviction et à l'enthousiasme de Castor répondaient bientôt ceux de ses élèves, tant il est vrai que se sentir intimement rattaché à un groupe humain, se référer à un grand passé et être promu bâtisseur d'un avenir lumineux, donne de la joie.

L'école d'Orsay, comme celle de Plessis-Trévise, était donc un foyer de joie et de ferveur. Toutes deux engendrèrent d'autres foyers semblables.

Au cours d'une fête enfantine donnée un peu plus tard dans une maison d'enfants de déportés, fut reconstituée l'histoire d'Esther. Un garçonnet (Mardochée) lança à une fillette (Esther), la fameuse mise en garde du héros biblique contre la lâcheté et le reniement. Le texte original, quelque peu malmené et teinté d'un fort accent de Belleville, mais dit avec quelle conviction ! ; résonne encore à nos oreilles :

"Et puis tu sais, faut pas t'imaginer que tu échapperas seule d'entre tous les Juifs, parce que tu es dans la maison du roi : si tu ne fais rien pour ton peuple, nous, on sera sauvés quand même, mais toi et la maison de ton père vous serez pris..."

Robert Gamzon dirigea l'école d'Orsay durant trois années. C'est son adjoint, un philosophe judaïsant exceptionnellement doué, qui prit la suite et qui donna à ce centre une impulsion nouvelle. Savant et conférencier brillant, il devint le maître à penser de toute une génération de jeunes, partis d'Orsay ou s'y étant ralliés.

Les "Orsayens" débordèrent peu à peu le cadre des E.I.F., firent barrage à plusieurs velléités d'abjuration, jouèrent un rôle positif dans la vie estudiantine juive du pays. Certains d'entre eux occupent encore des postes responsables dans la communauté juive en France, aux Etats-Unis et en Israël.

Sur le point de passer la main, Gamzon fit un voyage de "tourisme" en Palestine, juste avant la proclamation de l'Etat d'Israël. Il y noua de précieuses relations, tant pour lui que pour le pays.

En effet, quelques mois plus tard, il repartait pour l'Afrique du Nord accompagné, cette fois, par un membre de la "Hagana" (Corps de défense qui fut à l'origine de l'armée israélienne). But du voyage : y créer des réseaux juifs de défense en prévision de temps troublés qui malheureusement ne se firent pas attendre.

En 1948, prenant en considération les services rendus par Gamzon à la France avant, pendant, et après la guerre, tant en sa qualité de résistant qu'au titre de pionnier du scoutisme et de technicien émérite, la République française le faisait Chevalier de la Légion d'Honneur.
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 15:25
L'Appel d'Israel!

C'est tout un pays qui est à ressusciter, pour soi-même, pour les siens, et aussi pour tous les autres qui attendent dans diverses contrées inhospitalières, pour les populations juives de l'Afrique du Nord dont la situation périclite dangereusement. C'est un sauvetage, une rénovation physique, morale, nationale qu'il faut leur préparer. Est-il besogne plus exaltante ?
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 15:28
ROBERT GAMZON
dit "Castor soucieux"
13. L'APPEL D'ISRAEL



Robert Gamzon était bien trop engagé pour ne pas être tenté par la grande aventure humaine qui se déroulait, une fois de plus, en pays biblique. Bien sûr, comme tout le monde, il savait tout sur ce pays avant d'en avoir foulé le sol.

Depuis longtemps, il était acquis au travail gigantesque qui s'y faisait et avait aiguillé son mouvement dans le sens d'un soutien permanent aux fonds d'aide à Israël.

Cependant, lorsqu'il fit lui-même le voyage de Jérusalem, ce fut tout autre chose. A son tour, il renouvela l'expérience de ce modeste militant sioniste qui, après avoir collecté pour la Palestine pendant vingt ans, s'était décidé à y aller faire un tour.

Quand il revint, ses proches lui demandèrent ce qu'il avait vu en Terre Sainte. Et le vieux militant de répondre :

- "C'est bien simple, tous les bobards que je vous raconte sur le Pays depuis vingt ans, eh bien... c'est vrai !"

Au premier abord, cela semble pure folie que d'acquérir à prix d'or des montagnes pierreuses ou des marécages, puis de se mettre à dépierrer les uns ; souvent avec les mains nues ; à assécher les autres en y employant tout un peuple de pionniers.

Mais trouver quelque temps après, à cette même place, des vergers, des villes et des villages, des jardins anglais, des maisons de culture, des nurseries-modèle ; tout cela édifié pour ainsi dire sous nos yeux ; quel enchantement ! Le voilà, le travail de défricheur, tant vanté, tant prêché aux scouts juifs de France. Et cela à l'échelle nationale !

Déjà, pendant la guerre, en zone libre, nos Eclaireurs s'y étaient attelés sérieusement, gravement. Ici, ce travail est permanent : bâtir est le pain quotidien, la guerre y est installée à demeure, la résistance est une question de vie ou de mort. L'action préconisée par les E.I.F. y est centuplée. Il y a de la place et de l'occupation pour tous les mouvements scouts de la terre.

En tant que technicien expérimenté, Gamzon découvrait un champ d'action incomparable pour maintes réalisations, adaptations, innovations. Tout est à faire dans ce pays vieux-neuf, tout est disponible pour les entreprises les plus hardies dans tous les domaines. Défricher, ce mot magique en vogue au lendemain de la débâcle de Juin 1940, s'applique, en Israël, on ne peut mieux et pas seulement à un menu bout de terrain.

C'est tout un pays qui est à ressusciter, pour soi-même, pour les siens, et aussi pour tous les autres qui attendent dans diverses contrées inhospitalières, pour les populations juives de l'Afrique du Nord dont la situation périclite dangereusement. C'est un sauvetage, une rénovation physique, morale, nationale qu'il faut leur préparer. Est-il besogne plus exaltante ?

Et puis, comment résister à l'appel venant du fond des âges, formel, lancinant, qui vous cloue à ce pays qu'on n'a jamais vu et où l'on se sent chez soi dès la descente d'avion !

Cette terre brûlante, ce ciel criblé d'étoiles énormes, vous ensorcellent. Un sentiment profondément enfoui en vous, se réveille, fait surface, submerge tout. Gamzon se sent prêt à tout quitter pour venir vivre là, y travailler, y combattre, s'il le faut.

"Tu aimes les difficultés ? se raisonne-t-il. En veux-tu, en voilà ! Ici, il n'y a que ça. Et du danger par-dessus le marché. Du danger de tous côtés. Aujourd'hui comme au temps de Néhémie, on y travaille en tenant l'outil d'une main et l'arme de l'autre. Après tout, le scoutisme, la résistance même, n'auront-ils pas été la préparation rêvée pour la grande oeuvre de reconstruction, de régénération entreprise au pays d'Israël ?

Tout ce qui reste de notre travail en France ne le retrouve-t-on pas ici ? Le Kibboutz français Nevé-Ilan n'est-il pas une suite directe de Lautrec ? Et Ein Hanatziv ne prolonge-t-il pas Talluyers ? Ici, au moins, on construit pour durer ; on a enfin le sentiment que c'est définitif. Voilà près de deux millénaires que nous sommes frustrés de ce sentiment-là !

Quelle joie de voir les "Kibboutzniks" d'Israël travailler et lutter aussi simplement que les paysans de France ! Et cela en dépit des ombres qui veulent assombrir l'horizon".



Gamzon ne s'en tient pas au choc émotionnel après quoi nous reprenons, presque tous, le chemin de la "Gola" (Diaspora). Non, lui ne l'entend pas ainsi. Il sent la nécessité de se joindre à l'effort d'Israël et se souvient de la devise qui a cours à l'école Gilbert Bloch, d'Orsay : "Chaque Juif doit y apprendre qu'il ne peut pas vivre sans judaïsme, mais aussi que le judaïsme ne peut pas vivre sans lui".

Or, l'Etat d'Israël vient de naître. La face du monde juif s'en trouve changée. Et Castor pourrait vivre en dehors de ce prodigieux mouvement? Ce n'est pas possible !

Mais il y a Orsay ! Gamzon y a mis tant d'efforts, tant d'espoir ! Il y a créé un style de vie original et d'un niveau spirituel et humain très élevé, grâce à sa remarquable faculté de synthèse. Sa grande joie n'est-elle pas de se pencher sur l'âme des jeunes, de recevoir leurs confidences, de les aider à se réaliser ? Et quelle satisfaction pour un éducateur, pour un chef que de "faire école" ! Castor semble être comblé.

Eh bien non. Il lorgne maintenant d'un autre côté. Comment se réinstaller à Orsay dans son relatif confort, alors que brusquement retentit dans le monde l'appel d'Israël ? Alors qu'Israël se présente, en toute logique, comme l'aboutissement, la synthèse ultime de toute son activité, de sa vie ?

Se trouvant, une fois de plus, à un tournant dramatique, Gamzon est guidé par trois considérations majeures :

1° L'immigration en Israël, en provenance d'Afrique du Nord qui commence et qui a besoin de recevoir une aide éclairée et fraternelle.

2° L'apport de la culture française ; le sens de l'analyse et de la synthèse qu'il admire tant chez les Français et qui ferait merveille en Israël.

3° L'aspect militaire : demeurer hors du pays, menacé de toutes parts, constituait à ses yeux une lâcheté.

Et Castor prend sa décision : il ira s'établir en Israël. Rentré en France, il prépare son "Alyah" (sa montée au pays biblique). Or, ce candidat "Oleh" (Immigrant) avait son idée. Il aurait pu émigrer seul, évidemment, mais ce qu'il a toujours souhaité, c'était une Alyah collective, une Alyah E.I.F. avec ce que cela comporte d'amalgame franco-israélien. Le moment lui semblait venu de réaliser ce vieux rêve.

Cependant, à Orsay, il trouva un climat peu favorable à une telle réalisation. "A l'école tout marche très bien, confiait-il à des amis, je suis ravi du travail qui s'y fait sur les divers plans. Il n'y a que le sionisme qui n'y trouve pas sa place. Je constate avec chagrin le manque d'élan pour Israël"...

Castor n'était pas homme à renoncer, même ; j'allais dire : surtout ; si tout semblait se liguer contre lui. Il parla de son projet à la ronde. En vérité, il n'eut pas à parler longtemps. Son enthousiasme, sa conviction et par-dessus tout son propre élan qui consistait non pas à dire : "faites !" mais : "faisons !" produisirent leur effet habituel.

Bientôt une cinquantaine d'adhérents, parmi lesquels il eut la joie de compter huit élèves de l'Ecole d'Orsay, se déclarèrent prêts à le suivre. Dès lors, cela ne traîna pas.

Comme trente ans auparavant, Joseph Trumpeldor, le héros de la guerre russo-japonaise, quittait la Russie pour la Terre Promise, emmenant avec lui une quarantaine de pionniers ; tous et toutes épris de lui, ainsi Robert Gamzon monta en Israël, accompagné d'environ le même nombre de jeunes des deux sexes, fervents, eux aussi, et amoureux de leur chef, transportés à l'idée de réaliser dans le Pays le rêve de Castor : créer un Kibboutz E.I.F.

Ce groupe devait aider surtout à l'intégration des masses venant de l'Afrique du Nord. Selon la tradition déjà établie, il se constitua en "garhine" (noyau), prit le nom de "Léo Cohn" et se joignit au Kibboutz religieux de Sdé-Eliahou, dans la vallée de Beth-Chean.

Castor rentre alors dans le rang. C'est pour lui une vie entièrement nouvelle : de directeur d'école, de leader presque tout puissant du mouvement qu'il avait fondé, il devient "Haver" (membre), même pas : seulement candidat dans un kibboutz ; à l'intérieur du garhine il est l'égal de ses camarades.

Tout en demeurant l'âme de son groupe, il s'astreint aux besognes quotidiennes les plus élémentaires. A 44 ans, il se fait simple électricien participant à l'installation du réseau intérieur de Sdé-Eliahou.

Affublé d'un pantalon rapiécé et d'une chemise de travail, transportant son échelle, alors qu'il n'était pas tout à fait remis de son terrible accident dans la Montagne Noire, Castor passe parfois des journées en plein soleil à monter des lignes, à poser des câbles entre les poteaux.

Un jeune scout ayant travaillé à l'époque avec le chef, écrit ceci : "Je n'ai peut-être pas appris le métier d'électricien, mais j'ai appris bien plus : la simplicité, la modestie, l'intégrité alliées à une énergie et à un dynamisme à toute épreuve. Jamais je n'oublierai ces quelques mois."

Les conditions dans lesquelles Castor vit et travaille sont les plus mauvaises possibles. La région où il s'est installé est connue pour son climat très dur. Il doit faire face à des nécessités toutes nouvelles pour lui. De plus, le sort semble s'acharner sur le groupe. Un de ses garçons meurt d'une tumeur au cerveau. Un autre est écrasé par un tracteur à chenilles et tué sur le coup...

Après plus d'un an passé à Sdé-Eliahou, Castor et ses jeunes s'en vont à Nir Etsion pour fusionner avec le groupe déjà en place. Ce groupe, composé d'anciens déportés et des rescapés du kibboutz Kfar Etsion, détruit par les armées arabes, est en pleine crise. Il cherche son fondement et sa forme, hésite entre le kibboutz et le "Mochav" (travail individuel avec un certain nombre d'heures données à la collectivité).

Castor, lui, s'en tient fermement au principe de la communauté totale. Dans son groupe même, les avis s'opposent non moins fermement : les uns optent pour le Kibboutz, les autres pour le "Méchek Chitoufi" (terre et travail en commun, mais chaque famille aura sa maison, sa cuisine particulière). Finalement la collectivité se scinde et une partie retourne à Sdé-Eliahou.

Castor est ulcéré par cette séparation. Il décide, la mort dans l'âme, de quitter le groupe initial et de tenter sa chance en ville...


Denise Pivert, son epouse et sa compagne de toujours.
Pièces jointes:
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 15:35
JUIFS, FRANÇAIS, ET SCOUTS :
L'HISTOIRE DES E.I. de 1923 aux années 1990"

par Alain MICHEL

L'AUTEUR : Alain Michel a été responsable national des EEIF dans les années 1970. Historien, rabbin, il est installé à Jérusalem où il enseigne au I.A.S.A. (Israeli Art and Science Academy), à l'Institut pluraliste d'études du Judaïsme et à l'Institut Rothberg de l'Université hébraïque.


4 février 1923: quelques jeunes scouts juifs se réunissent pour la première fois pour une sortie dans un bois de la région parisienne. Novembre 1989: 160 responsables des Eclaireuses et Eclaireurs Israélites de France se retrouvent à Jérusalem pour leur Conseil National. Entre ces deux dates, des aventures, des débats, des jeux mais aussi des drames, marquent les péripéties d'un mouvement de jeunesse unique en son genre.

A travers son évolution, c'est toute une partie du destin du Judaïsme français et d'Afrique du Nord qui s'est joué. S'appuyant sur les archives du mouvement et sur de très nombreux documents inédits, Alain Michel retrace les péripéties qui ont animé la vie de cette organisation pendant plusieurs décennies, rendant aussi hommage aux leaders de cette aventure.

Des balbutiements des premières années aux temps héroïques et tragiques de la seconde guerre mondiale, des interrogations sur le pluralisme aux débats sur le sionisme, en passant par la pédagogie du jeu, voici le roman vrai des El.
Plusieurs dizaines de photographies et de documents complètent cet ouvrage indispensable pour mieux comprendre les Juifs de France, mais également la relation complexe de la France à ses Juifs.

Préface du professeur Antoine Prost, spécialiste de l'histoire de la famille et de l'enseignement.
Pièces jointes:
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 15:40

Les E.E.I.F. ont su, depuis 1923, s'illustrer, en tant que mouvement de jeunesse juif, scout, actif et engagé, à travers de multiples actions.

- Naissance des E.I.F. créés par Robert GAMZON-Castor (petit-fils du Grand Rabbin de France Alfred Lévy).
- Aide à l'insertion des immigrants juifs d'Allemagne et d'Europe de l'Est en leur apprenant un métier dans des ateliers professionnels (reliure, menuiserie, cuir,…).
- Mise en place du Minimum Commun pour la pratique du judaïsme.

- Dissolution des E.I.F. par le gouvernement de Vichy.

- Actions de Résistance (présence dans le Maquis, fabrication de faux-papiers, libération de la ville de Castres... ).

- Création des Maisons d'enfants et sauvetage de nombreux enfants.


- Création du Service Social des Jeunes (SSJ) pour l'aide à la recherche d'emplois.

- Création de l'Association des Maisons d'Enfants (AME à Moissac/Laversine).

- Montée en Israël de cadres du mouvement qui partent pour aider à la construction de l'état et d'un kibboutz E.I.F.
- Participation à l'accueil des jeunes et aide à l'intégration des Juifs d'Afrique du Nord.

- Actions en faveur du Tiers-monde (voyages humanitaires, collectes d'argent, envois de vêtements et de médicaments au Sénégal, Cameroun…).

- Les Eclaireurs Israélites de France deviennent les Eclaireuses Eclaireurs Israélites de France.
- Actions en faveur d'handicapés (intégration d'un groupe d'aveugles au sein des E.E.I.F.).

- Actions sociales, culturelles et éducatives en Israël et travail dans des villes de développement.

- Actions pour les communautés juives en péril (URSS, Syrie, Ethiopie et Yougoslavie).
- Lancement de l'opération Hag Sameah le Pessah (confection et distribution de colis de nourriture pour aider les familles juives en difficulté à passer dignement la Pâque juive).

- Création du groupe Arc-en-ciel (Keshet) pour l'intégration de handicapés physiques et mentaux aux E.E.I.F.

- Partenariat avec l'association “Little Dream” pour l'accueil d'enfants de familles nécessiteuses pendant les activités et les camps.
- Mise en place de visites régulières aux personnes âgées au moment des fêtes juives (Chabbat, Séder de Pessah et de Roch Hachana, Hanoucca...).
- Partenariat avec l'association “Les Rendez-vous du cœur” à Jérusalem (soutien aux enfants des quartiers défavorisés de Jérusalem).

- Création d'une Branche Aînée.

- Projet d'un forum international des scouts juifs.

- 80 ans du mouvement: Un colloque sur l'engagement, un Gala avec Elie Semoun et le grand Klezmer et un grand rassemblement de plus de 4000 EI à Périgueux ont ponctué cette année anniversaire.
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:04
Denise Gamzon
"Pivert"

Repères biographiques
26 avril 1909 : naissance à Paris.

Les Eclaireurs Israélites de France(avant la guerre)

4 février 1923 : Création de la première patrouille de scouts juifs à l'initiative de Robert Gamzon, âgé de 17 ans.
janvier 1926 : Création de la première section d'éclaireuses.
janvier 1927 : La Société devient le mouvement des Eclaireurs Israélites de France.
1929 : Premier Conseil national : adhésion complète des E.I. de Strasbourg au Mouvement.
1931 : Les E.I. organisent un camp mondial du scoutisme juif à Colleville (Caen).
1932 : Lors du conseil national de Moosch (Haut-Rhin), les E.I. adoptent une conception du judaïsme (le "minimum commun"winking smiley comprenant à la fois l'idéal religieux et l'idéal sioniste.
1933 : Les E.I. intrègrent de jeunes juifs en provenance d'Allemagne, tels que Léo Cohn.
1934 : Création d'une troupe-école de chefs : Montserval.
octobre 1938 : Création d'un atelier collectif de menuiserie au siège national des E.I., avenue de Ségur.
Les E.I. sont officiellement affiliés au bureau interféréral du Scoutisme français.
1939 : Les E.I., répartis essentiellement dans trois secteurs géographiques : la région parisienne, l'Alsace-Lorraine, quelques grandes villes (Lyon, Marseille), et quelques villes d'Afrique du Nord, regroupent environ 2500 personnes.
Début de la seconde guerre mondiale.
Source : Revue d'Histoire de la Shoah, No 161 septembre-décembre 1997 : Les Eclaireurs Israélites de France dans la guerre.

1917 : début des études au Lycée Molière.
1926 : Baccalauréat
Entrée aux Eclaireuses Israélites de France
Début des études en Khâgne au Lycée Henri IV.
1928 : semestre d'été à l'Université de Francfort-sur-le-Main ; découverte du peuple juif.
1929 : séjour à Berlin pour préparer la licence d'Allemand ; rencontre de Castor (Robert Gamzon) à Berlin
4 août 1930 : mariage de Denise et Robert Gamzon.
1931 : naissance de Lilette (Lia).
1932 : naissance de Daniel.
1934 : travaille comme secrétaire au "Comité International pour les Intellectuels réfugiés"
1936 : travaille à la WIZO puis au KKL.
1939 : Commence à organiser les premières maisons d'enfants dans le sud de la France.
juin 1940 : se trouve à Perpignan avec ses enfants en attendant de passer en Espagne puis au Portugal (où ils resteront un an).
août 1940 : Réunion de l'Equipe nationale des dirigeants E.I. pour tracer l'action future du mouvement, à Moissac.
novembre 1940 : création du Chantier rural de Lautrec.
mars 1941 : retour du Portugal, puis installation à Lautrec, où elle prend la direction du Chantier.
juin 1943 : naissance d'Elie.
printemps 1944 : passage en Suisse avec ses enfants (retour en France en octobre). Castor s'engage dans le maquis.
13 novembre : naissance de Myriam.
juin 1946 : création de l'Ecole Gilbert Bloch à Orsay, dirigée par Castor.
été 1949 : alyah en Israël et installation à Sdé-Elihaou.
septembre 1951 : installation à Nir Etzion.
janvier 1953 : installation à Herzlia où Castor a été engagé comme ingénieur.
1954 : professeur de rançais au Petit lycée de l'Alliance Israélite Universelle à Ramat-Gan.
1959 : installation à Rehovoth. Castor engagé à l'Institut Weizmann. Denise enseigne le français au lycée de Ramat-Aviv.
1er septembre 1961 : décès de Castor.
1961 : Nommée Assistante de Français à l'Université de Tel Aviv.
Eté 1963 : invitée au camp du 40ème anniversaire des E.I. (au Mont Lozère).
1965 : début du travail sur sa thèse de Doctorat : Aspects de l'Ancien Testament dans l'oeuvre poétique et dramatique de Paul Claudel".
7 novembre 1970 : soutenance de thèse en Sorbonne ; reçue avec mention "très honorable".
juillet 1972 : décès de Sophie Lévy, mère de Denise, à Jérusalem.
1977 : prend sa retraite de l'Université.
1982 : s'installe à Jérusalem, dans le quartier de Kiriat-Yovel, près de sa fille Myriam.
1993 : installation à Hod Yeroushalayim, dans le quartier de Kiriat-Yovel.
1997 : publication de ses Mémoires
26 octobre 2002 : Décès de Denise Gamzon à Jérusalem.
Pièces jointes:
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:09
Mes premières années avec Castor
Il faut d’abord que je raconte comment nous nous sommes réellement rencontrés : je le connaissais depuis deux ou trois ans, lui étant le Commissaire Général, moi, cheftaine adjointe puis cheftaine d’une section d’Éclaireuses. Il avait, paraît-il, jeté l’oeil sur moi, mais, avec mon manque d’intuition, je ne m’en étais pas aperçue.

De septembre à décembre 1929, j’étais à Berlin pour continuer à préparer la licence d’allemand. Comme j’avais raté l’examen de littérature allemande on juin 1929, mes parents m’ont généreusement payé le voyage Berlin-Paris et retour, pour que je puisse subir avec succès l’épreuve de novembre. J’ai d’ailleurs été reçue.

C’est à ce moment que j’ai un jour déjeuné chez Mme Gamzon avec elle et Castor, qui voulait me mobiliser pour le secrétariat des E.I., afin de superviser la secrétaire appointée. Je lui ai répondu que je retournais à Berlin pour deux mois, mais qu’ensuite je serais à la disposition des E.I..

De retour à Berlin, j’étais logée “au pair” dans une famille juive assez assimilée, pour m’occuper tous les après-midi d’une gentille fillette de 12 ans, lui parler français et l’accompagner à ses leçons. Un soir, je reçois un coup de téléphone; c’était Castor, arrivé à Berlin pour y installer un appareil de musique électrique, le “Radiotone”, que fabriquait la petite usine où il travaillait (cet appareil était d’ailleurs selon moi, assez mauvais). Nous avons déjeuné ensemble le lendemain, et nous sommes sortis presque tous les soirs.

Il a commencé assez vite à parler avenir et mariage. Mais je n’étais pas encore décidée. A ce petit homme maigre et vif, j’aurais préféré un garçon plus grand et plus costaud; je voyais qu’il était plein de plans pour l’avenir, mais je ne pressentais pas encore ses extraordinaires ressources d’énergie.

Sur le judaïsme, d’une manière générale, nous étions d’accord. J’avais découvert le peuple juif durant mes séjours on Allemagne. Lui le sentait instinctivement puisque son père était un juif russe (on réalité d’origine polono-lithuanienne) et sa mère fille du grand rabbin de Lyon très française.

Au moment où j’ai rencontré Robert, j’étais déjà sioniste, surtout sous l’influence de Lily Simon. Un soir, alors que nous arpentions le Kurfurstendamm, j’ai dit à Robert que je voudrais aller en Palestine pour aider à bâtir le pays. Il m’a répondu qu’il voulait faire carrière en France, qu’il était un bon ingénieur, qu’il avait déjà à son actif de petites inventions, et qu’il était sûr de pouvoir avancer dans cette voie: “Je ne dis pas a-t-il ajouté, qu’à l’époque de ma retraite, je ne serais pas prêt à aller m’installer on Palestine pour y vivre sous ma vigne et mon figuier”, comme il est dit dans la Bible. J’y reviendrai plus tard.

Par ailleurs, j’étais socialiste et lui, libéral à la française, pas spécialement préoccupé par les problèmes politiques.

La-dessus, sans que rien n’ait été décidé, il est reparti pour Paris. Quant à moi, je suis allée faire des sports d’hiver à Seefeld près d’Innsbruck, et suis rentrée, début janvier, à Paris. Nos relations ont repris, très pures comme il se devait pour les E.I. d’alors, (il m’a tout de même embrassée dans un taxi), et début mars nous avons décidé de nous fiancer.

Toute sa famille maternelle était d’origine lorraine, et ma belle-mère se targuait que ses grands-parents avaient toujours parlé français, alors que ma grand-mère paternelle parlait plutôt alsacien. Elle était très patriote française et adorait Lyon, ville où elle avait grandi et qui, à moi, ne m’avait jamais paru très sympathique.

Son mari, Lazare Gamzon, était le fils aîné d’une famille polonaise, arrivée vers 1880 à Saint-Etienne où ils avaient déjà des parents. Très jeune, Lazare se révéla un brillant élève, et fut admis à l’École des Mines de Saint-Étienne. Il a été ensuite envoyé comme ingénieur aux mines de Penarroya en Espagne. Après leur mariage, ma belle-mère l’y a suivi pendant près d’un an, mais est revenue accoucher à Lyon. Ensuite, il a été nommé à St-Eloy-les-Mines, près de Montluçon et il est mort très jeune des suites d’un accident de voiture à cheval.

Entre temps, le Grand-Rabbin Alfred Lévy avait été élu grand rabbin de France et ma belle-mère et son fils Robert, sont venus s’installer auprès de lui. La situation matérielle, sans être mauvaise n’était pas brillante; Robert gagnait le salaire normal d’un jeune ingénieur, mais devait aider sa mère qui, comme fille de grand rabbin de France, recevait une petite pension du Consistoire; elle prenait un ou une pensionnaire et faisait des repas casher pour des juifs étrangers pratiquants. Moi-même j’avais une petite dot qui nous a aidés à nous installer, mais qui, par la suite, a été assez rapidement dépensée.

Mais tout cela ne nous préoccupait pas outre mesure. Nous étions jeunes, nous nous aimions, nous pouvions travailler, alors, pourquoi se faire du souci ?

J’ai passé mon dernier certificat de licence début juillet 1930. Mon père, qui avait à s’occuper de clients du Brésil, a voulu retarder le mariage. Finalement, nous nous sommes mariés civilement le 30 juillet (j’avais une très jolie robe pour ce mariage civil), et religieusement à la synagogue de la rue Buffault, le 4 août 1930 (lendemain du 9 Av).

Nous sommes allés en voyage de noces à Guétary, sur la côte basque. A notre retour, en attendant de trouver un appartement à louer, ce qui n’était pas si facile à cette époque, nous avons loué un petit meublé à Viroflay ; Robert devait faire une période militaire à Versailles, et comme il travaillait à Grenelle, Viroflay était à mi-chemin. Mes débuts en cuisine ont été plutôt désastreux et ce que j’ai appris plus tard à cuisiner, je le dois à Mémé Gamzon.

Je crois que fin septembre nous avons trouvé l’appartement cherché, rue Lacretelle, près de la porte de Versailles, au septième étage, un trois pièces très aéré et ensoleillé, où nous avons décidé d’avoir une cuisine casher avec deux vaisselles.
Pièces jointes:
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:13
Denise Gamzon " PIVERT"

En septembre 1938 il y a eu l'alerte de Munich ; le 11 mars 1938, Hitler et l'armée allemande sont entrés en Autriche (l'Anschluss ). La Tchécoslovaquie, alors alliée de la France et garantie par elle, était entourée sur trois côtés par un Reich hostile ; Hitler et les Nazis ont commencé à réclamer que les minorités allemandes de Tchécoslovaquie soient rattachées au Reich. A ce moment seulement je crois, la France et l'Angleterre se sont rendu compte que la guerre avec l'Allemagne était proche et qu'elles n'étaient pas prêtes. En outre, Hitler avait réussi à convaincre les conservateurs anglais, et Chamberlain à leur tête, que l'Allemagne était leur plus sûr rempart contre l'U.R.S.S. et le communisme. Bref, il y a eu tout un mois de négociations entre Hitler, les envoyés de Chamberlain, puis Chamberlain lui-même. Tout cela, pour arriver, début octobre, à la conférence de Munich à laquelle participaient Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier. Ils se sont mis d'accord pour enlever à la Tchécoslovaquie les territoires à majorité allemande, les Sudètes, qui ont été rattachés au Reich, et une petite province a été donnée à la Hongrie, en échange de quoi, Hitler s'était engagé à ne plus présenter d'exigences territoriales.

Denise au Keren Kayemeth - 1938
Vers la fin du mois de septembre, une mobilisation partielle a été décrétée en France, mais Robert n'a pas été appelé. Quelle fut notre réaction après cette capitulation de Munich ? D'un côté, nous étions soulagés que ces incidents n'aient pas provoqué la guerre, mais de l'autre, nous savions que la guerre serait déclenchée un jour ou l'autre, et nous avions honte devant la lâcheté des gouvernements anglais et français.

Au retour des vacances, j'ai eu plusieurs accrochages avec mon patron et j'ai plus ou moins décidé de le quitter, mais entre temps je suis tombée malade et j'ai eu une salpingite (inflammation des trompes près de l'utérus). J'ai dû rester couchée un mois et demi et ai été opérée plus tard par mon cousin, le gynécologue Maurice Mayer.

Pendant ce temps j'ai été contactée pour aider les jeunes juifs d'Autriche; l' Anchluss avait été imposée depuis mars 1938 et les juifs étaient pris au piège ; peu de frontières s'ouvraient pour les accueillir. Un jeune chef du Maccabi de Vienne, le docteur Adolf Brunner, est arrivé à Paris pour chercher de l'aide et est venu me voir. Nous sommes allés ensemble chez la baronne Édouard de Rothschild qui s'est tout de suite attelée à ce projet.

En fait, les Rothschild étaient assez motivés pour aider les jeunes, car leur cousin, le Rothschild de Vienne, avait été arrêté par les Nazis et leurs banques de Londres et de Paris ont dû payer une forte rançon pour le libérer. Elle a donné des coups de téléphone et nous a mis en contact avec des donateurs éventuels. En quelques semaines, nous avons réuni un million de francs, ce qui était une somme assez importante pour l'époque. Le Maccabi de Vienne a frété un bateau qui est parti de Varna (Bulgarie) et a amené ces jeunes, illégalement, en Palestine Eretz Israël.

Plus tard, j'ai été contactée par des gens de la Haganah pour le même travail de collecte de fonds. Leur délégué à Paris était un kibboutznik de Givat Brener, Naftali Unger; mais nous n'avons pas pu obtenir que la banque Rothschild augmente sa contribution.

En avril 1939, étant rétablie, je suis entrée à l'Alliance Israélite Universelle pour aider au recrutement de membres plus jeunes et à la collecte de fonds. Je n'y ai finalement travaillé que cinq mois sans grand succès. L'atmosphère de cette maison un peu compassée, et qui se prenait pour une annexe du Quai d'Orsay, ne m'enchantait pas et je n'avais pas les mêmes motivations.

En été, le même Dr Brunner, en récompense de mes efforts passés, m'a invitée à venir au Congrès Sioniste à Genève à la mi-août 1939 et m'a remboursé une partie de mes frais.

Depuis la crise de Munich, Castor avait l'idée de fonder une ferme-école (sorte de Hakhchara ) pour les jeunes juifs français et étrangers. Le docteur Joseph Weill de Strasbourg, un homme assez extraordinaire avait acheté une propriété près de Saumur où il avait installé une famille de réfugiés allemands, cousins de sa femme, qui avaient des notions d'agriculture. Il était prêt à mettre à notre disposition une des annexes du “château” pour nos jeunes, qui pourraient s'initier à l'agriculture. Le Comité d'Assistance aux Réfugiés a promis de soutenir cette entreprise qui a démarré juste après Pessa'h.

ll y avait là six réfugiés allemands, quatre polonais menacés d'expulsion de France, et une dizaine de jeunes E.I. sionistes de Strasbourg et de Paris, dont quelques-uns étaient membres du “Maccabi Hatsaïr”. Pendant ces mois (mai, juin, juillet), Castor allait tous les dimanches à Saumur, en train, pour aplanir les difficultés avec le gérant du domaine, mais aussi entre les jeunes. Il y avait facilement des conflits entre les jeunes juifs français et les polonais qui étaient socialistes de gauche, entre les sionistes et les non-sionistes, entre les quelques religieux sionistes (un jeune couple de chefs E.I., les Lifchitz, de tendance “Mizra'hi” - religieux sionistes - avec leur bébé), et les non-religieux. Tous ces jeunes travaillaient dur mais maladroitement.

Début août, nous sommes partis en vacances au Chambon où les enfants étaient déjà chez Mlle Matile depuis le début de juillet. Avec Robert, nous avons fait l'ascension du Mezenc et avons couché en haut dans un refuge assez éventé.

Du Chambon, je me suis rendue à Genève pour assister au Congrès Sioniste. La langue la plus utilisée était le “Congress-Deutsch” que je comprenais. J'avais commencé à apprendre l'hébreu mais ne saisissais que quelques mots de temps à autre. Nous avons élaboré un plan de rapports plus étroits entre les E.I. et le “Maccabi Hatsaïr” de l'ex-Autriche, mais la guerre allait balayer tout cela.

Je suis rentrée à Paris, et Robert aussi. Nous avions laissé ma belle-mère et les enfants au Chambon en attendant les événements. Le 21 août 1939 a éclaté la bombe du Pacte germano-soviétique signé par Ribbentrop et Molotov. Hitler, ayant la hantise d'un second front, avait réussi à amadouer Staline en s'entendant avec lui pour se partager la Pologne. Donc la guerre était inévitable. Le même soir, j'ai eu une scène assez dure avec mon mari. il a téléphoné à nos jeunes à Saumur et a parlé longuement de miel à recueillir, de pots en grès pour mettre ce miel et je trépignais et l'ai interrompu, en lui disant que les communications pouvaient être interrompues avec la province, et qu'il pourrait peut-être donner des instructions plus générales à ce groupe. Et il a continué avec son histoire de miel. J'étais tellement énervée que je suis sortie, me suis promenée, suis même entrée au cinéma, mais je n'y suis pas restée longtemps car un type est très vite venu me faire du coude. Bref, au bout de deux heures, je suis rentrée à la maison.

Une grave question se posait. Par crainte réelle d'une attaque de gaz lancée par les Allemands sur Paris en particulier, il avait été décidé d'évacuer les enfants des grandes villes exposées; ils étaient envoyés avec leurs institutrices ou profs de lycée surtout dans la région de la Loire. Mais cette mesure ne concernait que les enfants français et pas les étrangers. A Paris, il y avait au moins 100.000 juifs étrangers dont les enfants ne seraient pas évacués avec leurs camarades. Donc, nous avons cherché en toute hâte à organiser des centres d'accueil pour ces petits juifs parisiens.

Par une relation politique, j'ai obtenu de Mr A. de Monzie, Sénateur du Lot, une lettre de recommandation pour le Préfet du Lot, à Cahors. J'y suis partie un soir avec une autre cheftaine, Renée Hess (plus tard Renée Haguenau, qui n'est plus de ce monde). Nous avons été bien accueillies par le préfet, qui nous a proposé un château appartenant à la Préfecture dans le nord du département, à Gagnac. Il était situé sur une butte. Il y avait l'eau courante dans la maison, et seulement deux w-c, mais cela nous a paru suffisant pour un accueil d'urgence ; et nous avons repris le train, le soir, à Souillac après avoir fait là un excellent et mémorable repas.

Nous avons commencé à organiser le groupe à partir du centre des E.I. de l'avenue de Ségur. Le “Platzel” en a eu connaissance et des dizaines de mères sont venues nous supplier d'inscrire leurs enfants. Nous avons constitué un groupe de monitrices avec Renée Hesse (TP) à la tête, assistée de plusieurs cheftaines. Le groupe est parti le samedi 2 septembre au soir, et j'ai obtenu le tarif; “colonie de vacances” (75% de réduction), et un wagon réservé.

La veille, 1er septembre, la mobilisation générale avait été décrétée et mon mari devait partir pour Nancy. Il était ingénieur électricien et était mobilisé dans le service des transmissions. Il est venu avec moi assister à l'embarquement des gosses à la Gare d'Austerlitz, ce qu'une mère de cheftaine a trouvé héroïque, et je l'ai accompagné à la Gare de l'Est pour son départ pour la guerre. Son train partait tard, et il a même pu avoir un wagon-lit. A Nancy, étant lieutenant, il a été affecté au bataillon de transmissions du quartier-général de la 4éme Armée. Leur P.C. était installé à Château-Salins (Moselle).

Moi-même, je crois bien être allée le lendemain voir nos jeunes à Saumur et, de là à Angers où j'ai essayé de joindre les représentants du “Joint” ; et à Angers, le 3 septembre, j ‘ai entendu à la radio que la Grande-Bretagne et la France avaient déclaré la guerre à l'Allemagne, qui avait la veille envahi la Pologne.

De retour à Paris, j'ai reçu de mauvaises nouvelles de ma belle-mère restée au Chambon. Le lundi 4 septembre, assise dehors sur un banc, elle n'a plus pu se lever. Elle est encore restée une quinzaine de jours au Chambon et a ensuite été transportée à Lyon. Lilette et Daniel sont restés au Chambon et ont suivi les cours des écoles du village.

Entre-temps, nous avons réussi à fonder un deuxième centre d'accueil à Villefranche-du-Rouergue (Aveyron) et plus tard un troisième à Saint-Affrique (Aveyron). Mais un peu plus tard Bouli (Édouard Simon) est allé voir le centre de Gagnac et a trouvé que l'état sanitaire était assez déplorable. Il a été décidé de fermer ce centre. Les filles ont été regroupées à Beaulieu/Dordogne (Corrèze) et les garçons non loin de Gagnac à St-Céré.
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:16
Munich, prélude à la guerre (suite et fin)

Entre-temps, j'étais sans job et je suis entrée, grâce à Marc Jarblum (grand dirigeant sioniste à Paris) au bureau du Congrès Juif Mondial comme traductrice d'allemand en français. Le bureau était dirigé par Albert Cohen (qui avait déjà publié Solal mais n'était pas encore le grand écrivain de Belle du Seigneur) et Nina Gourfinkel, qui était plus au courant des problèmes des Juifs russes et polonais. Il y avait une autre secrétaire, Berthe Zaclade qui avait été l'excellente aide de Gide et de Saint-Exupery.

Au moment des vacances du Jour de l'An, je suis partie voir mes enfants au Chambon, et Robert a pu y aller un peu plus tard. Au printemps, il a eu une vraie permission, et nous sommes allés ensemble voir les enfants. Une cousine de St-Étienne nous a prêté une voiture et du coup, nous avons fait avec les petits une belle balade. Nous sommes allés voir notre centre de Sainte-Affrique en passant par les Gorges du Tarn, puis nous avons ramené les enfants au Chambon.

A ce moment-là, Robert travaillait sur une invention pour la Défense Nationale. Le Grand État-Major avait très peur que les Allemands creusent des tunnels, et essaient de miner la ligne Maginot. Il cherchait comment repérer d'avance les endroits où les Allemands feraient ces travaux souterrains. Deux systèmes ont été en concurrence : celui de Robert qui cherchait des indices acoustiques, et celui de la firme Schlumberger, (grande firme s'occupant de forages de pétrole) qui travaillait sur le plan sismographique (légers tremblements de terre). La méthode de Robert avait été préférée, et au début de mai 1940, il devait être affecté au Grand État-Major pour développer son projet.

Le 10 mai, la Wehrmacht a attaqué la Belgique, la Hollande et la France par les Ardennes, au nord de la ligne Maginot. Les réfugiés ont commencé à affluer certains venant de Hollande, beaucoup plus, de Belgique. Après la capitulation de Léopold III, roi des Belges, le 29 mai 1940, les Allemands ont avancé dans le nord de la France au sud d'Amiens et sont entrés à Paris le 14 juin, six semaines après le début de l'offensive.

(...)
Vers le premier juin, j'ai emmené ma belle-mère, toujours semi-impotente au Chambon où étaient déjà les enfants. Nous avons logé dans une petite pension puis dans une autre. Depuis le 20 mai à peu près, je n'avais plus de nouvelles de mon mari et ne savais pas s'il était mort, blessé, ou prisonnier.
J'écoutais la radio tous les soirs et d'après le ton du Premier Ministre, Paul Reynaud, nous comprenions que la situation de la France était très difficile. Le 19 juin Robert est entré dans la chambre de ma belle-mère et je me suis évanouie : toute l'armée française était en pleine retraite. Il était cantonné pas très loin de Clermont-Ferrand et il avait obtenu de son colonel une voiture et un chauffeur pour venir nous rassurer sur son propre sort. Au bout de quelques minutes il m'a dit: “La France est foutue. Hitler va venir ici, il va falloir trouver des solutions”.

La guerre, printemps 1940 : Castor avec Lia et Daniel
Le même jour, nous sommes allés voir Mlle Matile qui nous a dit que le Général de Gaulle avait parlé à la radio de Londres la veille au soir. C'est ce qu'on a appelé depuis : “l'Appel du 18 juin”. Le même soir, ayant demandé à Mlle Matile si elle pouvait s'occuper de ma belle-mère, nous avons décidé que je partirai avec les enfants pour le Portugal et que Robert essaierait d'aller rejoindre de Gaulle. Nous sommes donc partis la même nuit et j ‘emmenais aussi le jeune Gérald, petit-fils d'une amie de ma belle-mère qui était aussi au Chambon, et dont les parents étaient divorcés. Sa mère était retournée aux U.S.A. et j'avais pour mission de lui envoyer son fils, âgé de treize ans - ce que j' ai pu faire plus tard de Lisbonne.

A peu près en même temps, mon mari avait rejoint notre centre de Moissac où il avait rencontré Bouli (Édouard Simon) qui lui avait dit: “C'est très bien de vouloir aller combattre avec de Gaulle, mais ici, en France, il y a 300 000 juifs désorientés, perdus et toi, Castor, tu es un des seuls qui sait négocier”. En quelques minutes Castor a décidé de rester et de nous faire revenir, moi et nos gosses. Mais pour des raisons administratives, cela a pris plusieurs mois.

Le 25 juin, le nouveau gouvernement dirigé par le Maréchal Pétain avait signé un armistice avec l'Allemagne : le Reich reprenait l'Alsace-Lorraine et occupait les 3/5e de la France : tout le Nord avec Paris et les côtes de la Manche et de l'Atlantique, de Dunkerque à la frontière espagnole. Les 2/5e, c'est-à-dire le sud-ouest (sauf Bordeaux), mais Lyon et Marseille et le sud-est étaient plus ou moins libres sous la direction du Maréchal Pétain. Une ligne de démarcation a été délimitée, véritable frontière intérieure entre les deux zones; le Maréchal Pétain a fait accepter les conditions de l'armistice par les députés, puis il a dissous le Parlement ; et a substitué à la Troisième République 1' “État Français”.

Le 26 juin j'étais à Perpignan avec les enfants, Lilette, Daniel et Gérald attendant de pouvoir passer en Espagne. J'avais su la veille qu'il y aurait au cimetière une cérémonie près du monument aux morts de la Première Guerre Mondiale, et j'ai tenu à y amener les enfants. Sont venus le Préfet, le Général commandant la place, une compagnie de soldats et une bonne centaine de spectateurs. La cérémonie fut brève et simple. En repartant je suis passée près du Général, qui pleurait car il connaissait les termes de l'armistice, qui n'ont été publiés que le lendemain. Ce général qui pleurait est devenu pour moi l'image de la France à ce moment-là.

Le pays était complètement désorganisé, il y avait huit millions de réfugiés sur les routes, qui étaient installés provisoirement un peu partout. Fin août, ces réfugiés ont pu franchir la ligne de démarcation et regagner leur domicile, sauf les Juifs. Mes parents par exemple, qui étaient réfugiés chez une amie non loin de Moulins, n'ont pas pu regagner Paris et sont allés d'abord à Valence, puis à Lyon.

En août 1940, Castor a pu convoquer l'Équipe Nationale des dirigeants E.I., qui n'étaient pas prisonniers, et ensemble ils ont tracé l'action future du mouvement dans trois directions :
- Continuer avec les maisons d'enfants (qui ont été réduites plus tard à Moissac et Beaulieu).
- Organiser des groupes scouts dans toutes les villes de la zone libre, (ou non occupée, ou zone Sud), des villes où auparavant il n'y avait pas ou extrêmement peu de Juifs : Nîmes, Montpellier, Limoges, Périgueux, Grenoble.
- Créer des fermes-écoles, pour les E.I. et les jeunes juifs qui voudraient y venir, et donner à ces jeunes une formation agricole ou artisanale (menuiserie, électricité...)

Très vite, Castor a organisé un premier camp pour recruter ces jeunes à Viarose, près de Moissac, dans des conditions matérielles difficiles : maison aux vitres cassées, pas d'électricité, eau à tirer d'un puits à 50 mètres....

Chameau (F. Hammel) a trouvé une petite ferme à louer à Taluyers, non loin de Lyon et s'y est installé avec femme et enfants et une dizaine de jeunes; il a tout de suite donné à ce groupe une nuance très religieuse.

Près de Viarose, un autre groupe s'est constitué à Charry, toujours non loin de Moissac, dirigé par Isaac Pougatch et sa femme Juliette Pary. Ce groupe avait une tendance yiddish et socialisante.

Enfin Marc Haguenau a trouvé à Lautrec un assez grand domaine en mauvais état, mais où les communs du château pouvaient abriter une quarantaine de jeunes, et une ferme à deux kilomètres où notre groupe était métayer ; on achetait avec le propriétaire le cheptel (boeufs, vaches, et poules) et on se partageait moitié-moitié le produit de l'année agricole.

Notre premier groupe s'est installé dans cette ferme de la Grasse à la St-Martin, le11 novembre. Un peu plus tard, une équipe a aménagé les locaux de ce que nous avons appelé “Chantier Rural de Lautrec” : Dans ce qui était la sellerie (car le précédent châtelain avait beaucoup de chevaux), nous avons installé la salle à manger et, plus tard nous avons même construit une belle cheminée.

Entre-temps Léo Cohn qui, comme citoyen allemand avait dû s'engager dans la Légion Étrangère, avait été démobilisé, et était rentré d'Algérie. A Moissac, il a retrouvé sa femme Rachel, sa fille Noémie et le dernier né, Ariel. Ils sont venus à Lautrec et se sont installés dans une maison à 400 mètres du centre où sont arrivés très vite le ménage Pulver avec leurs deux jumelles, et plus tard le ménage Gamzon avec ses deux enfants.
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:18
Notre arrivée à Lautrec en mai 1941

A Lautrec, comme déjà dit, nous devions habiter la maison d’Estampes construite en 1691. Au rez-de-chaussée habitaient Léo et Rachel Cohn avec leurs deux enfants, en haut dans la grande pièce, les Pulver et leurs jumelles. Nous disposions d’une pièce plus petite et les enfants, au début, couchaient dans un grenier, en face de notre chambre.

Il y avait l’électricité, ce qui était un grand bienfait, mais il fallait tirer l’eau d’un puits à cent mètres de la maison. L’atelier nous construisit des réservoirs d’environ cinquante litres avec robinet, et les garçons nous les remplissaient chaque matin. Les hivers sont très froids dans le Tarn et pour le chauffage nous avions des petits poêles à bois où il fallait mettre des bûches.

Le premier hiver, je vois encore Léo Cohn, cassant avec une hâche du bois pour le poêle de sa famille. La première année, le service de l’eau et du bois pour une famille prenait à peu près toute la matinée. L’année suivante, le Chantier avait acheté une scie circulaire qui permettait de débiter rapidement ces fameuses bûches.

(...)

Rachel et Léo Cohn
A Lautrec le paysage était beau, nous aimions voir les petits des poules, des brebis et des vaches grandir et profiter. Mais les conditions matérielles de la vie quotidienne étaient assez dures pour des citadins.

Nous, les Gamzon, avons fêté Pessach 1941 en famille à Valence avec mes parents et ma belle-mère. Le Consistoire Central replié à Lyon, n’avait pas alors de machines à faire les matzoth (pain azyme) et a fait un accord avec la biscuiterie “Brun” de Grenoble pour faire nettoyer les machines et confectionner des matzoth ; celles-ci se présentaient sous forme de crackers avec la marque “Brun” inscrite dessus.

Nous avons rejoint Lautrec fin avril et mes enfants ont commencé à aller à l’école à St-Pierre, dans un hameau, à deux kilomètres de chez nous. Il y avait là, une quinzaine d’élèves dans une seule classe, et une institutrice remarquable, pour faire la classe successivement aux grands élèves de 12 ans et aux petits qui apprenaient à lire. Lilette, 9 ans et demi, et Daniel, 8 ans et demi, se comportaient comme de vrais petits paysans et, de temps à autre, allaient traire les vaches, pour leur compte personnel.

Tout de suite, j’ai pris en main la direction du Chantier. Castor n’était pas souvent là, et Jacques Pulver s’occupait plutôt des problèmes administratifs. Edmond Fleg et Robert Gamzon en 1941 à Beauvallon



Au même moment, c’est-à-dire du 28 avril au 14 mai, Castor avait organisé un camp (on dirait aujourd’hui un séminaire) d’éducation juive destiné spécialement aux “statufiés”, c’est-à-dire des jeunes profs et fonctionnaires qui avaient été chassés de leur poste par le “statut des Juifs”. Ils étaient six qui, par la suite, ont occupé des fonctions d’instructeurs ou de chefs de groupe local. S’y sont ajoutés des commissaires et chefs qui travaillaient activement dans le mouvement et éprouvaient un besoin de retour aux sources, d’approfondissement, et de “recharge des batteries”. Étant donné mes nouvelles fonctions à Lautrec, je n’ai pas pu y participer. Les campeurs étaient logés dans deux vieilles maisons, non loin de la maison des Fleg à Beauvallon. Et Edmond Fleg, déjà plus très jeune, venait tous les matins à bicyclette donner un cours ou prendre part à une discussion.

Les cours étaient variés et intéressants, assurés par Fleg, Castor, Pougatch, Joseph Fisher, Simon Lévitte, Léo Cohn et Samy Klein. D’après les participants, l’atmosphère était emballante et leur a beaucoup donné. Castor a fait une série d’exposés sur sa conception de l’harmonie dans le judaïsme, qu’il a édités après la guerre sous le nom de Tivliout.

Au mois de juin, Robert a dû être opéré d’une hernie, et Lilette de l’appendicite, dans une clinique de Toulouse. Lilette s’est rapidement remise, mais Robert a commencé une phlébite et a dû être ramené en ambulance à Lautrec. Il est resté couché plus d’un mois; j’étais très prise par la direction du Chantier; et c’est Monique Pulver qui l’a soigné avec dévouement et gentillesse, comme il le raconte dans son livre.

Le plus gros problème que nous avions sur place, c’était celui de la nourriture. Dès l’hiver 1940-1941 un rationnement sévère avait été introduit: par mois et par personne, 500g de sucre, 200g de matière grasse, un peu de viande etc... Les paysans d’alentour n’en souffraient pas trop, car s’ils ne cultivaient pas énormément de blé, ils avaient du maïs qu’on écrasait en farine et dont on faisait une sorte de galette appelée “millat”, et ils avaient des poules, des oies, des lapins et des cochons.

Au début, nous avons élevé des lapins - non pour les manger, mais comme monnaie d’échange - mais plus tard Léo a réussi à faire supprimer cet élevage.

Cette première année, on ne trouvait pratiquement pas de pommes de terre, on les remplaçait par du rutabaga, grosse rave fourragère pleine d’eau, des topinambours qui donnaient facilement la colique et des vesces, grosses lentilles fourragères difficiles à digérer. Lorsque nous recevions des haricots secs ou des nouilles, on les réservait pour le repas du vendredi soir. Un samedi soir d’été, avec l’économe, nous avons préparé un dîner : un demi oeuf dur, une sardine et un triangle de “Vache qui rit”, et les garçons, qui travaillaient dur à bêcher, à labourer et à la menuiserie, ont alors demandé: “Ça c’est le hors-d’oeuvre, où est le plat principal ?”.

Par la suite, la nourriture s’est un peu améliorée, car nous avions nos propres légumes frais (radis roses, salades, petits pois) et nous avons embauché un garçon licencié ès-lettres, un peu bohème, mais qui s'est révélé être un très bon ravitailleur. Nous touchions, au titre de “Chantier de Formation de Jeunes”, des bons de “monnaie-matière” pour du fil de fer, des clous, des vis..., et en échange d’une partie de ces bons, nous avons pu obtenir à Albi, une sorte de saucisse dont le fabricant jurait qu’il n’y mettait pas de porc car c’était trop cher. Dans la région, on trouvait facilement des oeufs à acheter et le vin ne manquait pas non plus.

Je n’ai pas toujours été à la hauteur comme directrice, surtout sur le plan de la propreté minutieuse des lieux, mais par ailleurs, j’essayais toujours d’être juste et de ne pas avoir de “chouchous” et cela, les jeunes l’appréciaient.

Il y avait d’ailleurs une équipe de filles qui était là depuis le début et qui connaissait mieux que moi le travail ménager: Annette, Liliane, Janine (qui s’est révélée être une pâtissière hors-classe), Feu-Fo et Hérisson (celle-ci, cadette de la famille Donoff, avait pu poursuivre ses études jusqu’au bachot), qui travaillait comme un homme et était aussi une jeune poétesse d’une grande sensibilité. Ensuite se sont jointes à nous encore plusieurs filles, en général travailleuses, mais qui n’avaient pas, comme celles nommées ici, le titre de “Fondatrices”.

Entre ces filles et la vingtaine de garçons qui étaient là, il y a eu, évidemment, des amitiés, de grandes amitiés, et même de l’amour, des fiançailles plus ou moins officielles, quelquefois des ruptures, mais finalement rien de bien dramatique.

Rachel et Leo Cohn,
Pièces jointes:
leocohn.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:22
Lautrec,

Notre arrivée à Lautrec en mai 1941

A Lautrec, comme déjà dit, nous devions habiter la maison d’Estampes construite en 1691. Au rez-de-chaussée habitaient Léo et Rachel Cohn avec leurs deux enfants, en haut dans la grande pièce, les Pulver et leurs jumelles. Nous disposions d’une pièce plus petite et les enfants, au début, couchaient dans un grenier, en face de notre chambre.

Il y avait l’électricité, ce qui était un grand bienfait, mais il fallait tirer l’eau d’un puits à cent mètres de la maison. L’atelier nous construisit des réservoirs d’environ cinquante litres avec robinet, et les garçons nous les remplissaient chaque matin. Les hivers sont très froids dans le Tarn et pour le chauffage nous avions des petits poêles à bois où il fallait mettre des bûches.

Le premier hiver, je vois encore Léo Cohn, cassant avec une hâche du bois pour le poêle de sa famille. La première année, le service de l’eau et du bois pour une famille prenait à peu près toute la matinée. L’année suivante, le Chantier avait acheté une scie circulaire qui permettait de débiter rapidement ces fameuses bûches.

(...)

Rachel et Léo Cohn
A Lautrec le paysage était beau, nous aimions voir les petits des poules, des brebis et des vaches grandir et profiter. Mais les conditions matérielles de la vie quotidienne étaient assez dures pour des citadins.

Nous, les Gamzon, avons fêté Pessach 1941 en famille à Valence avec mes parents et ma belle-mère. Le Consistoire Central replié à Lyon, n’avait pas alors de machines à faire les matzoth (pain azyme) et a fait un accord avec la biscuiterie “Brun” de Grenoble pour faire nettoyer les machines et confectionner des matzoth ; celles-ci se présentaient sous forme de crackers avec la marque “Brun” inscrite dessus.

Nous avons rejoint Lautrec fin avril et mes enfants ont commencé à aller à l’école à St-Pierre, dans un hameau, à deux kilomètres de chez nous. Il y avait là, une quinzaine d’élèves dans une seule classe, et une institutrice remarquable, pour faire la classe successivement aux grands élèves de 12 ans et aux petits qui apprenaient à lire. Lilette, 9 ans et demi, et Daniel, 8 ans et demi, se comportaient comme de vrais petits paysans et, de temps à autre, allaient traire les vaches, pour leur compte personnel.

Tout de suite, j’ai pris en main la direction du Chantier. Castor n’était pas souvent là, et Jacques Pulver s’occupait plutôt des problèmes administratifs. Edmond Fleg et Robert Gamzon en 1941 à Beauvallon



Au même moment, c’est-à-dire du 28 avril au 14 mai, Castor avait organisé un camp (on dirait aujourd’hui un séminaire) d’éducation juive destiné spécialement aux “statufiés”, c’est-à-dire des jeunes profs et fonctionnaires qui avaient été chassés de leur poste par le “statut des Juifs”. Ils étaient six qui, par la suite, ont occupé des fonctions d’instructeurs ou de chefs de groupe local. S’y sont ajoutés des commissaires et chefs qui travaillaient activement dans le mouvement et éprouvaient un besoin de retour aux sources, d’approfondissement, et de “recharge des batteries”. Étant donné mes nouvelles fonctions à Lautrec, je n’ai pas pu y participer. Les campeurs étaient logés dans deux vieilles maisons, non loin de la maison des Fleg à Beauvallon. Et Edmond Fleg, déjà plus très jeune, venait tous les matins à bicyclette donner un cours ou prendre part à une discussion.

Les cours étaient variés et intéressants, assurés par Fleg, Castor, Pougatch, Joseph Fisher, Simon Lévitte, Léo Cohn et Samy Klein. D’après les participants, l’atmosphère était emballante et leur a beaucoup donné. Castor a fait une série d’exposés sur sa conception de l’harmonie dans le judaïsme, qu’il a édités après la guerre sous le nom de Tivliout.

Au mois de juin, Robert a dû être opéré d’une hernie, et Lilette de l’appendicite, dans une clinique de Toulouse. Lilette s’est rapidement remise, mais Robert a commencé une phlébite et a dû être ramené en ambulance à Lautrec. Il est resté couché plus d’un mois; j’étais très prise par la direction du Chantier; et c’est Monique Pulver qui l’a soigné avec dévouement et gentillesse, comme il le raconte dans son livre.

Le plus gros problème que nous avions sur place, c’était celui de la nourriture. Dès l’hiver 1940-1941 un rationnement sévère avait été introduit: par mois et par personne, 500g de sucre, 200g de matière grasse, un peu de viande etc... Les paysans d’alentour n’en souffraient pas trop, car s’ils ne cultivaient pas énormément de blé, ils avaient du maïs qu’on écrasait en farine et dont on faisait une sorte de galette appelée “millat”, et ils avaient des poules, des oies, des lapins et des cochons.

Au début, nous avons élevé des lapins - non pour les manger, mais comme monnaie d’échange - mais plus tard Léo a réussi à faire supprimer cet élevage.

Cette première année, on ne trouvait pratiquement pas de pommes de terre, on les remplaçait par du rutabaga, grosse rave fourragère pleine d’eau, des topinambours qui donnaient facilement la colique et des vesces, grosses lentilles fourragères difficiles à digérer. Lorsque nous recevions des haricots secs ou des nouilles, on les réservait pour le repas du vendredi soir. Un samedi soir d’été, avec l’économe, nous avons préparé un dîner : un demi oeuf dur, une sardine et un triangle de “Vache qui rit”, et les garçons, qui travaillaient dur à bêcher, à labourer et à la menuiserie, ont alors demandé: “Ça c’est le hors-d’oeuvre, où est le plat principal ?”.

Par la suite, la nourriture s’est un peu améliorée, car nous avions nos propres légumes frais (radis roses, salades, petits pois) et nous avons embauché un garçon licencié ès-lettres, un peu bohème, mais qui s'est révélé être un très bon ravitailleur. Nous touchions, au titre de “Chantier de Formation de Jeunes”, des bons de “monnaie-matière” pour du fil de fer, des clous, des vis..., et en échange d’une partie de ces bons, nous avons pu obtenir à Albi, une sorte de saucisse dont le fabricant jurait qu’il n’y mettait pas de porc car c’était trop cher. Dans la région, on trouvait facilement des oeufs à acheter et le vin ne manquait pas non plus.

Je n’ai pas toujours été à la hauteur comme directrice, surtout sur le plan de la propreté minutieuse des lieux, mais par ailleurs, j’essayais toujours d’être juste et de ne pas avoir de “chouchous” et cela, les jeunes l’appréciaient.

Il y avait d’ailleurs une équipe de filles qui était là depuis le début et qui connaissait mieux que moi le travail ménager: Annette, Liliane, Janine (qui s’est révélée être une pâtissière hors-classe), Feu-Fo et Hérisson (celle-ci, cadette de la famille Donoff, avait pu poursuivre ses études jusqu’au bachot), qui travaillait comme un homme et était aussi une jeune poétesse d’une grande sensibilité. Ensuite se sont jointes à nous encore plusieurs filles, en général travailleuses, mais qui n’avaient pas, comme celles nommées ici, le titre de “Fondatrices”.

Entre ces filles et la vingtaine de garçons qui étaient là, il y a eu, évidemment, des amitiés, de grandes amitiés, et même de l’amour, des fiançailles plus ou moins officielles, quelquefois des ruptures, mais finalement rien de bien dramatique.

Le defrichage sur le chantier a Lautrec,
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