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À Sarah Halimi, aux juifs et à la France…

À Sarah Halimi, aux juifs et à la France…

TRIBUNE. Arié Bensemhoun fait part de son indignation après la reconnaissance par la Cour de cassation de l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi.

par Arié Bensemhoun*

Il est des personnalités, des événements et des dates qui marquent l'histoire et la mémoire des Juifs de France. Comment ne pas citer à cet égard Racine qui dénonça dans son admirable Esther le sort peu enviable de ses compatriotes juifs du Grand Siècle ? Comment ne pas songer au courage et à la lucidité intellectuelle de Montesquieu, Diderot ou encore Pascal Paoli qui s'élevèrent contre l'oppression et l'exclusion des juifs au siècle des Lumières ? Comment oublier l'engagement humaniste et universaliste de Mirabeau et de l'abbé Grégoire en faveur de l'émancipation des juifs qui aboutira en 1791 à l'acquisition par ces derniers de la citoyenneté française, scellant ainsi le pacte éternel conclu entre les Juifs de France et la République  ?

Ce pacte fut, hélas, plusieurs fois rompu :

En 1894, avec la machination antisémite qui vit la condamnation pour haute trahison du capitaine Dreyfus.

En 1940 et 1941, avec la promulgation du premier et du second « statut des juifs ».

En 1942, avec la rafle du Vél'd'Hiv, la déportation et la complicité du régime de Vichy dans la Shoah, entreprise d'extermination systématique du peuple juif.

En 1967, avec le revirement de la France et l'embargo décrété contre Israël au motif d'une nouvelle politique dite « arabe » personnifiée par la fameuse conférence de presse du général de Gaulle au cours de laquelle ce dernier qualifia, toute honte bue, le peuple juif de « peuple d'élite, sûr de lui et dominateur ».

En 1980, lors de l'attentat contre la synagogue de la rue Copernic qui vit le Premier ministre Raymond Barre déclarer que ce crime visait des juifs, mais tua aussi des « Français innocents qui traversaient la rue Copernic. »

À l'orée des années 2000, face à un nouvel antisémitisme qui ne voulait pas dire son nom et qui prenait prétexte de la haine d'Israël pour déchaîner une violence sans retenue contre les juifs dans l'indifférence quasi générale. Les synagogues brûlaient et les juifs rasaient les murs parce qu'ils étaient quotidiennement menacés, insultés, violentés.

En 2006, cette violence antisémite a franchi un cap dans l'horreur avec le meurtre d'Ilan Halimi qui fut kidnappé, torturé, assassiné parce que les juifs, comme chacun sait, ont de l'argent (sic).

En 2012, des enfants de l'école juive d'Ozar-Hatorah furent tués à bout portant par un islamiste, et là encore, une France apeurée préféra détourner le regard plutôt que de manifester publiquement son indignation collective face à ces crimes ignobles.

C'est la colère et l'indignation qui nous submergent aujourd'hui alors que la justice de notre pays a décidé de ne pas juger l'assassin de Sarah Halimi, au prétexte que cet islamiste et antisémite forcené au casier judiciaire bien rempli aurait été victime, au moment des faits, d'une « bouffée délirante aiguë » consécutive à la consommation excessive de cannabis. La prise de drogue constitue pourtant en d'autres circonstances un facteur aggravant et ne peut donc en aucun cas être considérée comme une cause exonératoire de la responsabilité pénale.

Cette faillite morale et judiciaire semble réveiller la conscience de nos compatriotes non juifs. Car, partout, des femmes et des hommes se lèvent pour dire leur indignation et l'horreur que leur inspire ce crime abominable. Pour dire leur consternation face à un déni de justice qui est une trahison du combat que nous devons mener contre l'islamisme, l'obscurantisme, contre cette haine des juifs qui prend des formes nouvelles, mais que rien ne saurait distinguer de la haine de la France, de la démocratie et des valeurs qui sont constitutives de notre socle républicain.

Non, les juifs ne sont plus seuls. C'est la France qui se retrouve seule face à elle-même. Face à son déni. Face à la trahison de ses valeurs. Face à ses lâchetés, ses compromissions et ses renoncements. Face au défi de son redressement pour continuer à être un phare parmi les nations.
Le président de la République, Emmanuel Macron, tout comme l'ancien Premier ministre Manuel Valls ont rappelé avec gravité que « sans les juifs, la France ne serait plus la France ». Alors, oui, la France qui condamnait injustement le capitaine Dreyfus se déshonorait et celle qui collaborait à la déportation des juifs à Auschwitz commettait l'irréparable. La France qui refuse aujourd'hui de juger l'assassin de Sarah Halimi trahit la confiance des républicains que nous sommes. Elle nous plonge dans un abîme d'incompréhension et ravive de douloureux sentiments d'abandon.

Mais la France a deux visages. La France de Zola et de Péguy qui se battit pour démontrer l'innocence de Dreyfus, la France des résistants et des Justes parmi les nations, est éternelle. Cette France qui fit entendre la « grande voix de la justice » possède une force inaltérable. Elle est et restera dans le cœur de tous les juifs qui ne renonceront jamais à faire vivre ses valeurs, à Paris comme à Jérusalem. Cette France se lèvera ce dimanche pour rappeler le martyre de Sarah Halimi et pour dire non à l'antisémitisme et non à l'islamisme. Cette France proclamera haut et fort son refus de ce déni de justice qui flétrit la mémoire de toutes les victimes de cette haine multiséculaire des juifs, car cette haine contredit la promesse républicaine et défigure le rêve européen.

(*) Arié Bensemhoun est le directeur exécutif d'Elnet (European Leadership Network), un cercle de réflexion qui œuvre au resserrement des relations entre la France et Israël.

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