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Apprenez à prononcer "quinoa" !

 

Apprenez à prononcer "quinoa" ! (info # 012203/13) [Analyse]

Par Sandra Ores © Metula News Agency

 

Avez-vous du quinoa dans vos placards ? Du quinoa, tout à fait, à prononcer ki - no - a, cet aliment qui ressemble à une céréale, mais qui n’en est pas une ; ces petites billes fourrées dans un paquet que l’on aperçoit sur les étalages des supermarchés, mais que l’on imagine difficilement dans son assiette, et que l’on laisse aux passionnés de produits bio ; ces pseudo-graines, dont la couleur paille évoque une platitude gustative, mais qui, préparées comme il se doit, craquent subrepticement sous la dent.

 

Ces derniers jours, le quinoa fait couler de l’encre, des colonnes du New York Times aux quotidiens israéliens, en passant par différentes catégories de sites Internet. C’est qu’il y a dispute au sommet, un débat aux ramifications discrètement politico-économico-religieuses : le quinoa est-il casher pour Pessah, la Pâques juive ? Casher, c’est-à-dire propre à la consommation selon les règles de la loi juive. Lors de cette fête, les Israélites sont soumis à des lois alimentaires particulières en plus des autres en vigueur tous les autres jours de l’année.

 

De par ses propriétés, en quelques décennies, le quinoa est parvenu à se hisser au rang de coqueluche mondiale et à gagner l’estomac de l’Homo industrialis. Rien que ça, et pour preuve, l’ONU a baptisé 2013 l’Année internationale du quinoa. Le président bolivien, Evo Morales, a été désigné "ambassadeur spécial" pour la promotion du quinoa à la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation.

 

Le quinoa, qui a d’abord séduit les bobos (néologisme, combinaison de bourgeois et de bohème) et les amateurs d’agriculture biologique, est en train de descendre dans la rue. Un restaurant à la mode ne saurait manquer d’offrir sa propre recette à l’aliment star.

 

Pourtant, depuis plus de 5000 ans, le quinoa est cultivé sur les hauts plateaux d’Amérique du Sud. Mais ce n’est que dans les années 70 que les Occidentaux ont découvert les qualités de cette plante. Si, à l’inverse du haricot, de la pomme de terre ou du maïs, à la base de l’alimentation des civilisations précolombiennes, le quinoa n’a atteint que tardivement dans l’histoire le continent européen, c’est parce que les Espagnols, lors de leur conquête de l’Amérique du Sud, l’avaient laissé derrière eux à cause de sa teneur en saponine1.

 

Le quinoa est très bien noté dans la catégorie nutrition. En dépit de ses allures de céréale, cet aliment, surnommé par les Incas chisiya mama, mère de tous les grains, fait partie de la famille des amaranthacées, soit celle des épinards et des betteraves.

 

Riche en fer, en protéines, en acides aminés essentiels, en vitamines, et, de plus, sans gluten, cette plante représente une excellente alternative aux sources traditionnelles de protéines, notamment à la viande (une qualité qui ne manque pas d’être recherchée de nos jours : en effet, il est difficile de faire ressembler un cheval à un épinard). Herbacée, elle reste légère sur l’estomac, truffée d’éléments constitutifs de l’organisme, elle provoque une sensation de rassasiement.

 

En souvenir de la sortie d’Egypte des Hébreux, la loi de Moïse prohibe à ses sujets de se nourrir de cinq céréales, le blé, l’avoine, le seigle, l’épeautre et l’orge pendant la fête commémorant cet épisode de leur histoire. Au fil des siècles et des péripéties des Israélites, les rabbins ashkénazes – c’est-à-dire des communautés juives ayant séjourné en Europe de l’Est – ont ajouté des coutumes à la loi. Ils ont notamment ajouté à la liste des aliments interdits d’autres céréales ainsi que des graines de l’ordre des légumineuses, comme les lentilles ou le riz.

 

Aux Etats-Unis, la question est d’importance, car y est installée la plus importante communauté ashkénaze du globe : le quinoa s’inscrit-il dans la famille des graines et céréales interdites ?

 

Question hilkhatique difficile, car le quinoa n’avait pas encore atteint les déserts du Moyen-Orient à l’époque biblique, et le livre sacré n’en fait, évidemment, pas mention.

 

Qui se trouve à même d’en décider ? Les autorités rabbiniques ; ainsi que les organismes de certification, qui distribuent des tampons aux entreprises distributrices, sous réserve d’une vérification de la chaîne de production et moyennant une coquette somme d’argent annuelle.

 

Parmi les différentes indications inscrites sur les emballages de vos aliments, vous n’avez peut-être pas encore remarqué un petit sigle, un U entouré d’un O ; il signifie : casher, approuvé par l’Orthodox Union (l’union orthodoxe). Cet organisme juif américain n’est autre que le leader mondial dans le domaine de la certification casher d’aliments distribués sur la surface de la planète. Les grands groupes alimentaires tels Nestlé, Coca-Cola, Kraft ou Heinz s’adressent à cette institution afin d’obtenir le droit de mettre le sigle approprié sur leurs étiquettes.

Il existe d’autres organismes de certification de cacherout, à l’instar de Star K (étoile K), ou encore d’Organized Kashrus Laboratories (les laboratoires organisés de la cacherout - les règles alimentaires prescrites par la bible aux Israélites ; kashrus est la prononciation en Yiddish du mot cacherout). Ces organisations travaillent davantage avec des entreprises locales.

 

C’est là que la controverse fait rage. Le quinoa n’est pas une graine, c’est un parent de l’épinard. Les Hébreux peuvent donc s’en nourrir à Pessah, dixit feu rabbin Moshe Feinstein. Doyen de l’académie talmudique ultra-orthodoxe lituanienne du XXème siècle, expert en halakha (ensemble des prescriptions, coutumes et traditions collectivement dénommées "loi juive"), il est considéré comme une autorité suprême par les Juifs orthodoxes.

 

Différents organismes américains responsables de la cacherout ont autorisé certaines entreprises à appliquer leur poinçon sur des paquets de quinoa. Mais ceci sous réserve d’un contrôle strict : les pousses ne doivent pas avoir grandi à proximité de champs de céréales, car une graine égarée (non casher à Pessah) aurait pu suivre le vent et se déposer parmi ses voisines (potentiellement casher à Pessah). Une nuance tout en finesse !

 

Pourtant, l’Orthodoxe Union refuse de décréter le quinoa casher à Pessah. La raison qu’elle avance : "Cela ressemble à une graine, et les gens pourraient se tromper".

 

Cette explication, outre le fait de prendre les Juifs pratiquants pour des haricots sans yeux ni sens commun, en cache plus que probablement une autre, nettement plus pragmatique.

 

Aux Etats-Unis, les entreprises ayant obtenu l’estampille "casher" annoncent enregistrer une augmentation de 5 à 75% de leurs ventes. Car outre les quelques six millions de Juifs résidant au pays de l’Oncle Sam, le tampon rabbinique rassure une large portion de la population quant à la provenance et à la qualité des aliments.

 

La certification rabbinique convient également aux pratiquants d’autres religions, tels les musulmans ou les membres de l’Eglise adventiste.

 

Les premiers peuvent se contenter d’une viande casher selon la religion juive, car elle l’est, automatiquement, aussi selon les préceptes de l’islam ; les seconds, évitant toute chair animale, apprécient la garantie d’une séparation stricte entre le lait et la viande, prescrite par la Torah. Les individus allergiques aux crevettes s’y réfèrent aussi, étant donné que les crustacés ne répondent pas aux règles d’hygiène alimentaire hébraïques.

 

Le marché est donc conséquent. En outre, des études locales américaines rapportent que les consommateurs de produits cashers sont prêts à payer plus cher pour se procurer des aliments, qu’ils considèrent comme de qualité supérieure.

 

Du côté des entreprises, la certification coûte entre 2000 et 5000 dollars en moyenne.

 

Le refus de l’Orthodox Union pourrait ainsi dissimuler une stratégie commerciale. Son objectif consisterait, d’une part, à affirmer son rôle de garant sérieux de la cacherout auprès des consommateurs, et d’autre part, à renforcer ses positions en vue de futures négociations avec les entreprises importatrices de quinoa.

 

De l’autre côté de la chaîne de distribution, le succès de la "mère de toutes les graines" entraine des changements structurels au sein des pays producteurs. La Bolivie, premier exportateur de quinoa devant le Pérou, en a vendu plus de 26,000 tonnes en 2012. La superficie semée de la plante a doublé au cours des six dernières années, dépassant les 104,000 hectares, à en croire le directeur de l’Institut Bolivien de l’innovation agricole et forestière, Lucio Tito.

 

Cette montée en flèche occasionne des opportunités économiques pour les pays producteurs, mais également des inconvénients. Les indigènes payent aujourd’hui plus cher leur kilo de quinoa, conséquence directe de l’augmentation de la demande du produit (le prix tourne actuellement autour de vingt pesos - deux euros - par kilo).

 

L’explosion de la production se fait en outre aux dépens d’autres activités, comme l’élevage traditionnel de lamas, dont le fumier sert notamment à fertiliser les sols ; ces évolutions sont ainsi susceptibles d’engendrer des conséquences néfastes sur l’environnement.

 

Imbroglio de rabbins à part, serez-vous tentés, si vous ne connaissez pas encore cet aliment vertueux, d’en acheter un paquet lors de votre prochain passage au supermarché ? Lui faire une place dans votre placard est une chose, le réussir dans la casserole relève d’un petit défi. Car si vous souhaitez en extraire la quintessence, il s’agit de savoir l’assaisonner avec créativité. Les recettes ne manquent toutefois pas, salade de quinoa aux concombres, au zest d’orange ou aux raisins, poulet aux abricots avec quinoa aux amandes pilaf… c’est à votre tour de goûter. Bon appétit !

Note :

1Les saponines sont des molécules naturellement produites par des plantes ou des animaux. On les trouve chez de nombreux végétaux, mais elles sont dégradées à la cuisson. Les saponines ont reçu leur nom générique du fait qu’elles produisent une mousse semblable à celle du savon quand on les agite dans l’eau. Elles ont des propriétés émulsifiantes et détergentes. 

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