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A Essaouira, 400 000 fous de musique et de liberté

A Essaouira, 400 000 fous de musique et de liberté

Essaouira (Maroc) Envoyée spéciale - Essaouira, l'ancienne Mogador battue par les flots atlantiques, a gardé ses remparts et son étrangeté souterraine. La ville marocaine s'est agrémentée d'un aéroport international, puis d'un golf, après avoir abrité une génération de hippies en rupture de ban. Ces derniers s'étaient installés légèrement à l'écart de la cité bleu et blanc, dans le village de Diabete, un paysage de dunes.

Chez Sam, le restaurant de poissons posé au milieu du port sardinier, une photocopie d'un portrait de Jimi Hendrix, porte la dédicace "For Sam", dont on doute qu'elle soit vraie. Elle campe la mythologie d'Essaouira, cité juive, berbère, africaine : Jimi, en provenance de Marrakech, y a passé quelques heures, y a écrit la chanson Castles Made of Sand, ce qui fut suffisant pour adouber l'image du Voodoo Chile et celle de la ville dessinée par l'architecte français Théodore Cornut en 1766.

Du 23 au 26 juin, la cosmopolite Essaouira, 70 000 habitants, va sextupler sa population et jeter dans les rues plus de 400 000 jeunes Marocains et quelques touristes, pour la quatorzième édition du Festival Gnaoua-Musiques du monde. De la vaste plage battue par les vents à la place Moulay-Hassan, jusque dans la médina et sur le bastion Bab Marrakech, la musique va fédérer une jeunesse turbulente autour d'une culture minoritaire, celle des gnaouas (les descendants des esclaves noirs) et de leurs invités.

Le Festival Gnaoua a accompagné l'émergence de la démocratie marocaine. Sa 14e édition sera celle du "mouvement du 20 février", version marocaine du "printemps arabe", qui a poussé le roi Mohamed VI à réformer la Constitution. La manifestation a été créée en 1998, un an avant la mort du roi Hassan II (1929-1999), "un souverain, se rappelle Neila Tazi, directrice du festival, dont on n'imaginait pas qu'il puisse mourir, et dont on osait à peine prononcer le nom".

Ancien port de Tombouctou (Mali), Essaouira était alors une ville oubliée du Maroc atlantique, mais chérie par l'un de ses enfants, André Azoulay, conseiller d'Hassan II puis de Mohammed VI. Avec son appui, le Festival Gnaoua ouvre les vannes : dans les rues de la ville assoupie, "on pouvait tout à coup se tenir la main sans certificat de mariage, à une époque où les rassemblements étaient encore interdits. Les parents étaient rassurés : Essaouira était petit, il n'y avait pas de boîte de nuit. En 1998, il fallait arrêter les concerts lors des appels à la prière".

Le Festival Gnaoua est d'abord une bonne idée. Il y a à la base la force de la culture gnaouie : ces hommes au teint foncé qui jouent du luth à trois cordes (guembri), des castagnettes de fer (crotales) de façon entêtante, et emmènent vers la transe dans de drôles de cérémonies de guérison (lilas). Les Gnaouas ancrent l'Afrique du Nord dans le continent noir et rappellent aux Arabes qu'ils ont pratiqué l'esclavage à grande échelle.

Puis il y a la mythologie de la ville, montrée aux yeux du monde par Orson Welles qui y tourne Othello, en 1951. Alors que les Rolling Stones avaient jeté leur dévolu (enfumé) sur Tanger, et que Brian Jones avait enregistré un album avec les maîtres de Jajouka (un village du rif), les hippies quittent Ibiza pour Essaouira.

Les fondateurs du Festival Gnaoua sont à l'image de ce cosmopolitisme : Abdeslam Alikane, un Berbère, qui a appris la musique gnaouie auprès des serviteurs de ses parents, actuel directeur artistique ; deux étrangers "tombés" dans le chaudron souiri, la Britannique Jane Loveless et le critique d'art et écrivain français Pascal Amel. S'y ajoutent deux jeunes femmes modernes et militantes, Neila Tazi et Soundouss El-Kasri, fondatrices à Casablanca de l'agence A3 Communication, à l'origine du Rallye des gazelles, insolite course automobile dans le désert, réservée aux femmes. "Avec le Festival Gnaoua, de suite, nous avons été dépassés par le succès, poursuit Neila Tazi. Le mélange social s'est effectué immédiatement." Les mâalem (maîtres de musique et de cérémonie) vont se retrouver à Essaouira et y croiser des artistes internationaux - cette année, le chanteur malien Salif Keita, le pianiste arménien Tigran, le percussionniste turc Trilok Gurtu.

Le 26 juin, pour le concert de clôture, le souiri Mahmoud Guinia va mener un Gnaoua All Stars sur la place Moulay-Hassan. Fin mai, à Essaouira, de retour d'un concert dédié aux Gnaouas à New York, l'homme noir dont le grand-père "est venu de Tombouctou avec les soldats et le reste de la famille du Sénégal" anime la fin de trois jours de cérémonie à la Zaouia El Hamdouchia d'Essaouira. Le Hmadcha, confrérie soufie éclairée, fête le prophète en musique, avec ses rangées d'hommes dansant et chantant Il n'y a de Dieu que Dieu, avec tambours et hautbois.

La musique et les rituels syncrétiques gnaouas, avec ses divinités proches du vaudou, sont intenses, tourbillonnants. "Auparavant, les confréries soufies n'acceptaient pas les Gnaouas, explique Neila Tazi, ils étaient accusés de sorcellerie. Les familles gnaouies se fréquentaient peu. Le festival les a rassemblées. Nous avons créé il y a deux ans Yerma Gnawa, une association de défense de ces artistes qui n'ont pas de statut précis. Toute la beauté de ce projet c'est la reconnaissance d'une minorité."

Les Gnaouas souiris ont désormais leur zaouïa (lieu de culte) dans le quartier Beni'Antar, au pied des remparts de l'ancienne médina. Ils lui ont donné le nom de Sidna Bilal, l'ancêtre noir, compagnon du prophète Mohammed, d'origine éthiopienne, né en esclavage à La Mecque.

Sur le Web : Festival-gnaoua.net.

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