INRI - le procès de Jésus, par Raphaël Draï
Une recension de Jean-Pierre Allali
Une fois n'est pas coutume. Raphaël Draï, qui, tout au long des années, nous a offert aussi bien des ouvrages de pensée juive d'excellente qualité que des écrits politiques remarquablement construits, se lance dans le théâtre avec un thème pour le moins délicat, celui du procès de Jésus, Yéchou pour les Hébreux. Et pour un coup d'essai, c'est un coup de maître. Cette pièce, indubitablement, mérite d'être représentée dans les théâtres les plus réputés.
On sait le prix abyssal que le peuple juif a payé au cours des siècles en raison de l'accusation de « déicide ». Et, malgré la déclaration conciliaire « Nostra Aetate » qui a abandonné ce concept mortifère, nombreux sont les Chrétiens qui, encore aujourd'hui, continuent de penser que « les Juifs ont tué Jésus ». S'il est impossible de reconstituer les faits qui ont précédé la crucifixion de Yéchou, rien n'empêche l'historien, ici par le biais du théâtre, d'échafauder d'autres hypothèses et d'autres conjectures ayant conduit au drame, que celle des Juifs déicides. Raphaël Draï y parvient avec talent. La pièce en cinq actes qu'il nous propose, si elle ne consacre finalement que peu de pages au procès lui-même, la dernière scène en fait, brosse un portrait psychologique de Jésus qui explique bien les raisons de l'issue fatale. Tout repose sur le caractère déterminé, on pourrait dire suicidaire, de Jésus. Fortes de leur pouvoir militaire, les autorités romaines, autour de Pilate, ont décidé de punir de mort par crucifixion, toute personne se proclamant « roi ». C'est ce dont on accuse Yéchou. Bien avant d'être conduit devant les Romains et bien qu'on soit au début de Pessah, la Pâque juive, Yéchou-Jésus est auditionné par le Grand prêtre et le conseil Juif. On le presse, on le supplie de ne pas commettre l'irréparable. Hélas, il garde le silence ou, quand il se décide à parler, c'est de manière énigmatique : « Je suis le Fils de Dieu et je siège à la droite de mon Père, dans la nuée de sa Puissance ». En désespoir de cause, le Grand prêtre supplie Yéchou de ne pas prononcer le mot fatal : « Rex ». Jésus n'en a cure. Sa décision est prise : « Face à Pilate, s'il fallait que je le dise, je le dirais ». « Dans ce cas, conclut Rabban Gamliel, éploré, je déchire mon vêtement en signe de deuil ».
Conduit face au tribunal romain, Jésus conserve la même attitude. Pilate se confie à Lucius : « Quel étrange personnage ! Rien ne semble avoir prise sur lui ». Ce même Lucius qui aura l'idée pernicieuse de faire porter la responsabilité du meurtre de Jésus sur les Juifs : « Cet homme, qui défie l'autorité de Rome, doit être crucifié. Soit. Mais il faut faire porter le poids de sa croix par le Conseil du Grand prêtre » et, un peu plus loin : « Que Rome apparaisse comme son bras armé ! Nous dirons et nous ferons dire que c'est lui qui nous l'a livré pour que nous l'exécutions »... »Nous dirons que les Juifs nous l'ont déféré parce que, devant eux, il aurait blasphémé le Dieu d'Israël ». Cette stratégie, attribuée dans la pièce à Lucius sera, on le sait, à l'origine des malheurs millénaires du peuple juif. Sur la croix du supplice de Yéchou, un panneau portera l'inscription acronyme INRI, « Iesus Nazarenus Rex Iudaerum », « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs ». INRI, une très belle pièce.
(*) Éditions Hermann. Septembre 2014. 140 pages. 18 euros.
CRIF
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