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Israël : les victimes de viol dans le milieu juif ultra-orthodoxe font leur #MeToo

Israël : les victimes de viol dans le milieu juif ultra-orthodoxe font leur #MeToo

 

Après le scandale, le suicide fin décembre du "rabbin star" Chaïm Walder, accusé de dizaines de viols, provoque un véritable électrochoc. Peu à peu la parole se libère et brise l'omerta qui fait loi dans le milieu juif ultra-orthodoxe.

Le geste funeste. Le scandale énorme. La parole libérée. Dans la nuit du 27 décembre 2021, Chaïm Walder se suicide d’une balle sur la tombe de son fils. Le rabbin israélien, accusé de dizaines de viols qui remonteraient jusqu’au milieu des années 1990, laisse une dernière lettre. Il nie les faits et donne rendez-vous à ses accusateurs «devant le Tribunal d’En Haut». Privant ainsi ses victimes présumées d’une justice devant les tribunaux d’ici-bas.

Chaïm Walder s'est donné la mort le 27 décembre 2021, en laissant une lettre dans laquelle il nie toutes les accusations de viols, et d'agressions sexuelles portées contre lui.
Chaïm Walder s'est donné la mort le 27 décembre 2021, en laissant une lettre dans laquelle il nie toutes les accusations de viols, et d'agressions sexuelles portées contre lui. 
©DR

En Israël, les juifs ultra-orthodoxes sont secoués par une affaire dont l’ampleur doit beaucoup à la personnalité du suspect. Chaïm Walder, 53 ans, était précisément la voix des enfants dans le milieu haredi («craignant-Dieu», le nom hébreu des ultra-orthodoxes). Auteur de livres pour enfants, il avait fondé le centre pour l’enfant et la famille de Bnei Brak, une ville ultra-religieuse à côté de Tel-Aviv. Il avait aussi reçu la médaille des «Protecteurs des enfants» décernée par le cabinet du premier ministre pour l’ensemble de son action. Dans son bureau convergeaient en toute confiance couples en difficulté, adolescents en crise et enfants turbulents.

«Chaïm Walder, le héros de mon enfance»

Chaïm Walder a écrit de nombreux ouvrages destinés aux enfants.
Chaïm Walder a écrit de nombreux ouvrages destinés aux enfants. 
©DR

«Cette situation est tragique, car Chaïm Walder est le rabbin qui, grâce à ses livres, a fait entrer dans le monde juif très religieux l’idée qu’il est nécessaire d’écouter les enfants. C’est lui qui a introduit les premières bribes de psychologie dans un monde hermétique aux influences extérieures», décrypte Noémie Issan, une doctorante en sciences religieuses qui vit à Jérusalem.

«Chaïm Walder était le héros de mon enfance. J’ai moi-même été victime d’abus sexuels et j’ai grandi en lisant ses livres, qui m’ont donné la force de parler et de partir», confirme Noga Tal, 33 ans, qui a fui le monde ultra-orthodoxe à l’âge de 19 ans. Aujourd’hui, la musicienne vit avec une femme et milite dans une association de «sortants», pour aider ces ex-religieux à s’intégrer dans le monde laïc.

«Il disait qu’il était Dieu»

Tout commence avec Aaron Rabinowitz, un homme aux petites lunettes, à la chemise blanche et à la kippa noire, signes d’appartenance au monde orthodoxe. Ce journaliste est, avec sa consÅ“ur Shira Elk, une autre «sortante», à l’origine des révélations sur Chaïm Walder, publiées en novembre dernier dans les colonnes de Haaretz, le journal de la gauche laïque israélienne.

Imaginez le choc pour un enfant à qui l’on a appris depuis tout petit que les rabbins sont fondamentalement sans défaut !
Une religieuse, anonyme

Les victimes, souvent des proches des journalistes, se sont longuement confiées sur le modus operandi de Walder qui a bouleversé l’opinion israélienne. Parmi les témoignages, il y a celui de Talia, 13 ans au moment des faits, qui était en thérapie auprès de Walder. «Il disait qu’il était Dieu», rapporte la jeune femme, qui relate qu’après une période d’attouchements le rabbin l’avait invitée à l’hôtel pour «célébrer» ses premières menstruations. Dina, 20 ans au moment des faits, rapporte quant à elle que Chaïm Walder prétendait avoir «beaucoup de crédit auprès de Dieu».

«Imaginez le choc pour un enfant à qui l’on a appris depuis tout petit que les rabbins sont fondamentalement sans défaut!» écrit une autre victime, demeurée religieuse et qui a souhaité rester anonyme. Dans une lettre ouverte à plusieurs rabbins, elle raconte son «enfer», ses viols «sur un lit pliant dans l’entrepôt de Chaïm Walder, entre des piles et des piles de ses livres, dont les thèmes étaient d’aider, de protéger et de responsabiliser les enfants». Elle y détaille l’impossibilité d’en parler à ses proches, qui l’enviaient à l’idée de ses rencontres régulières avec le célèbre rabbin.

Même les bons rabbins peuvent être des prédateurs sexuels, des narcissiques, des coureurs de jupons qui pourraient tenter de vous violer.
Une religieuse anonyme

Aujourd’hui, elle milite pour que soit brisée cette immunité morale, cette aura de perfection, qui entoure les autorités rabbiniques. «Personne ne nous a jamais prévenus à l’école religieuse en nous disant: «Méfiez-vous les filles, même les bons rabbins peuvent être mauvais. Même les bons rabbins peuvent être des prédateurs sexuels, des narcissiques, des coureurs de jupons qui pourraient tenter de vous violer», poursuit-elle.

De très nombreuses agressions

Et pour cause, avance Gabriel Abensour, chercheur au Shalom Hartman Institute en pensée juive contemporaine: «Pour les ultra-orthodoxes, ce genre de comportement est propre au monde extérieur, laïc. Le dévoiler en témoignant devant la justice ou les médias revient à donner des armes aux adversaires du monde haredi, qui se perçoit comme une citadelle assiégée.»

Selon Yaïr Hess qui dirige Hillel, une association aidant les «sortants» dont font partie Noga Tal et la journaliste Shira Elk, «il y a davantage d’agressions sexuelles dans le monde religieux, car l’éducation sexuelle n’y existe pas». Pour lui, «la majorité des enfants élevés dans les courants les plus stricts ne savent pas comment on fait un bébé, encore moins ce qu’est un abus». Selon lui, «plus de la moitié des «sortants» ont été victimes d’agressions sexuelles».

Un tabou pesant que cette sombre affaire pourrait contribuer à lever. «Cette fois-ci, les parents sont en colère. Ils ne laisseront pas le silence retomber facilement sur les victimes. Aujourd’hui, un #MeToo secoue le monde ultra-orthodoxe israélien», assure Yaïr Hess.

L’interdiction de médisance, arme de l’omerta

Retour au lendemain du suicide de Chaïm Walder. Shoshanna Keats Jaskoll, qui vit dans un quartier religieux de la ville de Beit Shemesh, reçoit ce jour-là un coup de téléphone inquiet. D’origine américaine, elle a créé une association religieuse féministe, Chochmat Nashim, soit la «Sagesse des femmes». Bien qu’orthodoxe – elle porte jupe et manches longues et se couvre la tête –, elle ne fait pas partie des cercles les plus stricts, contrairement à son interlocutrice, en colère au bout du fil. «Le matin même, le rabbin-professeur de son fils, étudiant dans une école ultra-orthodoxe, a expliqué que Chaïm Walder était mort de médisance. Sans dire un mot au sujet d’abus sexuels !»

Le judaïsme interdit le lashon hara, le terme hébreu pour médisance. Et si cette médisance fait du tort à une autorité rabbinique respectée et la discrédite vis-à-vis du monde extérieur, c’est encore pire. L’injonction religieuse a été utilisée massivement pour étouffer des affaires comme celle de Chaïm Walder. Avec pour effet boomerang d’attiser la colère des parents appartenant à ce milieu ultra-orthodoxe, qui représente plus d’un million de fidèles en Israël.

«Une image m’est venue à l’esprit: celle d’un petit garçon assis au heder [école religieuse pour les enfants, ndlr] se disant: «Merci mon Dieu, je n’ai jamais transgressé en racontant que quelqu’un m’avait touché. Et je ne le dirai jamais.» C’est terrible», raconte Shoshanna Keats Jaskoll, émue.

Un #MeToo, des dizaines d’appels

L’Américaine décide alors de passer à l’action. En quelques jours, son association récolte 250 000 shekels (environ 71 000 francs suisses). Elle imprime un million de prospectus et recrute quelques figures rabbiniques déjà militantes pour donner une légitimité religieuse à sa démarche. Elle monte ensuite une dizaine d’équipes qui écument de nuit les boîtes aux lettres des quartiers les plus religieux de tout le pays. «De jour, j’aurais eu peur de me faire cracher dessus, ça m’est déjà arrivé», sourit-elle. Sur les prospectus, un numéro de téléphone d’urgence et un message: «Dénoncer n’est pas de la médisance. Ecoutez les victimes.»

Aujourd’hui la peur a changé de camp. C’est ça que nous voulions.
Shoshanna Keats Jaskoll, militante féministe

Le soir même, la hotline reçoit plus de 50 appels, en provenance de la ville de Beit Shemesh uniquement. Le lendemain 150. Parfois personne ne parle au bout du fil. Parfois une victime trouve le courage de se confier. Alors que parfois encore, c’est un agresseur qui appelle pour avouer et se dire prêt à coopérer pour éviter que son nom ne soit dévoilé. «Aujourd’hui la peur a changé de camp, triomphe Shoshanna Keats Jaskoll. C’est ça que nous voulions.»
 

Article original à retrouver sur le site Le Temps

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