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Juif et pauvre, la double peine, par Laurent Sagalovitsch 

Juif et pauvre, la double peine, par Laurent Sagalovitsch 

 

Je ne sais pas si je suis né sous une mauvaise étoile, mais les faits sont là: non seulement je suis juif, mais en plus, je suis pauvre.

Ah, que la vie est ingrate parfois!

Ah, qu'eus-je voulu naître catholique ou protestant, musulman ou bouddhiste, chrétien ou même rien du tout, afin de ne pas avoir à subir cette opprobre d'être constamment ramené à ma condition de juif opulent, d'individu dont par principe il faudrait se méfier, associé que je serais au monde de l'argent, de la finance, du grand capital.

Mais où donc tout cet argent se trouve-t-il? Où ?!!! C'est ce que je voudrais bien savoir, à la fin!

Vérité universelle

Je passe mes journées à m'interroger: se pourrait-il que je sois sans le savoir assis sur un tas d'or, que je possède en un paradis fiscal situé dans des îles lointaines et exotiques des lingots d'or en des proportions si extravagantes que je pourrais à moi seul éponger la dette mondiale et régler d'un coup de baguette magique le problème récurent de la faim en Afrique, voire même racheter le PSG des mains du Qatar? Suis-je donc le seul Juif sur cette terre à ne posséder aucun bien, aucune propriété, aucune cave à vins, aucune action boursière qui me consacrerait comme le seigneur des Sicav?

Parfois, pris de frénésie, plein d'une rage de découvrir cette fortune qui me tend les bras et dont tout le monde me parle, je fouille les moindres recoins de l'appartement, je retourne matelas et coussins, je scrute les lattes du parquet, j'inspecte les placards de la cuisine, mais je ne trouve jamais rien, hormis de la poussière et des punaises de lit.

Je lis les journaux, je regarde la grande messe du 20h, je me promène sur les réseaux sociaux, je m'installe à la terrasse des cafés, j'écoute mes voisins et partout, j'entends la même sempiternelle rengaine: les juifs –tous les juifs– sont riches comme pas permis; les juifs –tous les juifs– possèdent un capital grand comme la surface de la mer Morte; les juifs –tous les juifs– tirent les ficelles de la finance mondiale et se répartissent entre eux les dividendes de leurs actions, qui se comptent par milliards.

Évidemment, à force de lire de tels propos, d'entendre de pareilles prophéties, je finis par le croire.

Il ne se passe pas une journée sans que je n'appelle ma responsable de compte, Madame Courault, afin de connaître l'état de mes finances. Quand elle finit par me répondre de sa voix lasse que je suis toujours dans le rouge, je proteste, je lui dis que c'est impossible, que c'est une erreur, qu'elle ment ou bien qu'elle a mal cherché, qu'en tant que juif, je ne peux être que riche, que c'est là une vérité universelle sur laquelle le monde entier s'accorde, le monde entier, vous m'entendez, Madame Courault, quelque chose qui est scientifiquement prouvé: là où l'eau bout à cent degrés, le juif, lui, a les poches pleines de pognon.

De tous tes fils, le seul à tirer le diable par la queue

Je vais de synagogue en synagogue, j'interroge les rabbins, j'interpelle directement l’Éternel: «Je t'en prie, je pourrais savoir, pourquoi de tous tes fils, de tous les descendants de Moïse, je suis le seul à tirer le diable par la queue, le seul, tu entends, le seul à manger, repas après repas, des pommes de terre bouillies, le seul à ne jamais partir en voyage à bord de yachts privés qui mouilleraient dans les eaux turquoise de la Barbade? Que t'ai-je donc fait pour mériter pareille infortune? Que sont-ce ces manières d'enrichir ton peuple, de le consacrer comme le roi du pétrole, de l'enfouir sous des océans d'argent et de me laisser végéter, seul dans mon coin, occupé à maudire ma race et mon sang?»

Quand je dis à mes créanciers que je n'ai pas quoi de les payer, ils ne veulent jamais me croire. Ils me regardent d'un air entendu: «Allons, allons, Monsieur Stabilovitch, on connaît la chanson, on sait de quel bois vous vous chauffez, vous n'allez tout de même pas prétendre qu'avec un nom comme le vôtre, vous ne possédez pas ici et là quelques millions qui dorment au soleil?»

Je leur jure que non, ils s'emportent, ils me traitent de tous les noms, ils me menacent de m'envoyer des huissiers qui n'hésiteront pas à se saisir de mes biens immobiliers, de mon duplex à Cannes, de mes chevaux d'Arabie, de mes pièces d'or planquées dans des banques zurichoises, de mes châteaux en terre promise.

Harpagon enjuivé

Même mes conquêtes féminines ne s'en laissent pas compter: quand je leur offre des bouquets de fleur, c'est tout juste si elles ne me les renvoient pas à la figure, si elles ne me traitent pas de radin, d'Écossais, d'Auvergnat, supposé que je serais de leur offrir, au regard de ma fortune forcément considérable, non point de vulgaires roses, mais des émeraudes par milliers, des bijoux aux carats si nombreux qu'ils éclaireraient à eux seuls les phares de mes Rolls-Royce stationnées dans les plus grands palaces de la terre.

Elles finissent par me quitter, en me disant que je ne suis qu'un Harpagon enjuivé.

Ce n'est pas une vie.

Quand je réserve une simple chambre d'hôtel, le directeur de l'établissement croit à une erreur et, d'office, me loge dans des suites princières où j'erre comme un rat mort, à la recherche de mon or perdu.

Même un simple crédit à la consommation, on me le refuse.

Et quand je demande une augmentation, on me rit au nez.

Désespéré, pauvre comme jamais, j'ai rempli un formulaire en ligne pour toucher le RSA. La page a planté et un message d'erreur s'est affiché: «Veuillez changer votre patronyme sans quoi votre demande sera automatiquement rejetée.»

Pauvre de moi!

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