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L’affaire Sarah Halimi

L’affaire Sarah Halimi

L’affaire Sarah Halimi est effectivement productrice d’un sentiment de révolte et d’incompréhension .Il faut connaître les motivations des décisions à défaut d’avoir eu accès aux pièces du dossier.Je vais vous donner mon opinion sur différents aspects .

1er élement de réflexion : les faits , rien que les faits
Le 4 avril 2017, à 05h35, les effectifs de la BAC du 11ème arrondissement de PARIS, assistés d'effectifs de la BAC 75, interpellaient Kobili Traoré , qui venait de commettre un meurtre sur la personne de Sarah Halimi en la balançant dans le vide après l’avoir
rouée de coups.
Les différentes auditions effectuées permettaient de mettre en évidence que l'auteur des faits avait proféré des mots incompréhensibles, récité des sourates du Coran et fait référence au
"Sheitan" (Le diable).
Au vu de son état particulièrement excité,Nobili TRAORE  était dirigé aux UMJ de l’Hôtel-Dieu aux fins d'examens médicaux et notamment d'examen de comportement. Ces derniers révélaient des troubles mentaux manifestes nécessitant un transfert à l'Institut Psychiatrique de la Préfecture de Police de PARIS (I.P.P.P.) et son état était jugé incompatible avec la garde à vue.
Une information judiciaire était ouverte le 14 avril 2017 des chefs d'homicide volontaire et de séquestration avec absence de libération volontaire avant le 7 ème jour au

Il n’était mis en examen par le magistrat instructeur de ces chefs que le 10 juillet 2017, son audition étant jusqu’alors incompatible avec son état de santé mentale.

Les auditions de son entourage familial et amical confirmaient qu’il n’était pas dans son état normal depuis la veille des faits, étant très agité, parlant tout seul et ayant le regard vide, de même que celle de l’auxiliaire de vie venue s’occuper de sa soeur qu’il avait chassée de l’appartement et poursuivie.
Sur le plan toxicologique, il déclarait qu'il fumait du cannabis à raison de 15 joints par jour depuis l'âge de 16 ans.

 

2ème élément de réflexion : le déroulement de l’instruction

Ce n’est que le  20 septembre 2017, que  le parquet prenait des réquisitions supplétives aux fins de mise en examen du chef d'homicide volontaire  avec cette circonstance que les faits ont été commis à raison de l'appartenance vraie ou supposée de la victime à une race ou
une religion déterminée.

Mais les magistrats instructeurs vont écarter le 12 juillet 2019 la qualification d'homicide commis à raison de l'appartenance vraie ou supposée de la victime à une race ou une religion déterminée, et considéraient,  qu’il devait bénéficier des dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal  c’est à dire qu’au moment des faits il avait une abolition de ses facultés mentales excluant toute possibilité de condamnation .

PAR AILLEURS de manière très étonnante les magistrats instructeurs ont refusé une reconstitution des faits alors qu’en matière criminelle celle-ci est quasiment automatique ; cela aurait permis de bien déterminer le déroulement des faits et de vérifier la crédibilité des
propos de Traoré.

Les parties civiles et le parquet ont interjeté appel de cette ordonnance.

Les différentes parties civiles ont sollicité de la cour qu’elle constate que, d’une part, la bouffée délirante aiguë dont était atteint Traore  au moment des faits soit considérée comme ayant altéré et non aboli son discernement, d’autre part, que la circonstance aggravante d'antisémitisme était caractérisée. En conséquence, ils ont sollicité son renvoi  devant la cour d’assises.

Par arrêt du 19 décembre 2019,, la chambre de l’instruction de la cour d’appel  a rendu la décision suivante:

DIT qu'il existe des charges suffisantes contre Traore :
- d'avoir à Paris, le 04 avril 2017 en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, volontairement donné la mort, avec la circonstance que les faits ont été commis à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée;
- mais le déclare  irresponsable pénalement en raison d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits;
ORDONNE, par ordonnance distincte, l'hospitalisation complète de Traore dans un établissement mentionné à l'article L 3222-1 du code de la santé publique ;

Les parties civiles ont formé un pourvoi contre cet arrêt .

3ème élément de réflexion  :  les expertises psychiatriques

En matière criminelle les expertises médico-psychologiques , les enquêtes de personnalité et les expertises psychiatriques sont obligatoires
L’expertise médico-psychologique est destinée à cerner la personnalité de l’accusé
L’expertise psychiatrique est destinée à savoir si l’accusé était atteint  au moment des faits soit d’une abolition de son discernement soit d’une altération ; dans ce dernier cas les poursuites continuent et la condamnation est possible

Les magistrats instructeurs ont ordonné plusieurs expertises psychiatriques.

- en septembre 2017, le premier psychiatre saisi, le Docteur ZAGURY, a conclu à l’altération du discernement de la personne mise en examen.
Selon lui, « en dépit de la réalité indiscutable du trouble mental aliénant, l’abolition du discernement ne peut être retenue du fait de la prise consciente et volontaire régulière du cannabis en très grande quantité ».

- à la suite d’un interrogatoire du mis en examen, les juges d’instruction ont sollicité, en avril 2018, l’avis d’un collège de trois autres experts qui ont conclu, en juillet 2018, à l’abolition du
discernement,Il y avait parmi les experts le Docteur BENSOUSSAN et le Dr MEYER-BUISAN

- en mars 2019, une contre-expertise, faisant suite à la demande des
parties civiles a également conclu à une abolition du discernement

Il ne faut pas oublier les premières constatations médicales au moment des faits ; le dossier médical établi à cette date a été communiqué aux différents experts

Les experts sont tous d’accord pour constater l’existence d’une "bouffée délirante » mais pour deux expertises sur trois elle provoque une abolition du discernement et pour un seul expert elle n’entraine qu’une altération du discernement .
Selon moi la logique voudrait qu’en cas d’expertises divergentes ou contradictoires , l’affaire soit jugée par une Cour d’Assises qui dira en son âme et conscience si la condamnation est possible ou non après avoir entendu les experts à l’audience .Mais la Cour de Cassation écarte cette possibilité dans une jurisprudence constante.

4ème élément de réflexion : Que dit la Cour de Cassation ?
Elle affirme que la décision de la Chambre de l’Instruction , juridiction d’appel est  conforme au droit : il n’appartient qu’au législateur de poser un principe d’exclusion systématique de
l’irresponsabilité pénale lorsque l’abolition du discernement a pour cause une consommation volontaire de toxiques.
Donc elle renvoie la balle au pouvoir législatif c’est à dire les députés et les sénateurs

Ce qui signifie que pour casser il aurait fallu que le texte du code pénal prévoit expressément d’écarter l’irresponsabilité lorsque l’auteur a volontairement consommer soit de l’alcool , soit des toxiques qui auraient provoqué une « bouffée délirante « .

5ème élément : quelles critiques pour cette décision ?

d’une part: Il est intéressant d’examiner le réquisitoire oral de l’Avocate Générale de la Cour de Cassation.
C’est vrai que pendant toutes ses réquisitions elle conclut au rejet du pourvoi mais dans les dernières phrases de conclusion elle  a indiqué   que la responsabilité pénale peut néanmoins être retenue si le projet criminel a été forgé avant l’intoxication ou si celle-ci a été réalisée en toute connaissance des risques de passage à l’acte criminel ; si cela n’était pas suffisant comme argumentation , elle a admis à titre subsidiaire que  la cassation pourrait éventuellement intervenir dans la mesure ou la faute du mis en cause (à savoir la consommation de cannabis, à l'origine de l'abolition du discernement, cause exclusive du passage à l'acte criminel) a été commise alors que le discernement n'était pas aboli et que cette faute est susceptible de qualification pénale au regard de ses conséquences non
intentionnelles.

Mais la Chambre Criminelle n’a pas voulu s’engouffrer dans cette porte entrouverte !!! la question se pose d’autant plus que la Cour de Cassation est souveraine dans ses décisions et peut ajouter à sa jurisprudence.

Cela est si vrai que dans une affaire civile tout à fait différente puisque concernant le droit à indemnisation de la concubine en cas d’accident mortel de son concubin. Le principe était que le concubinage n’était pas une relation légitime visée par la loi . Donc en 1968 , la Chambre civile rejette le droit à indemnisation mais en 1970 la Cour de Cassation , toutes chambres réunies , pose le principe du droit à indemnisation qui devient le principe alors que la loi n’avait pas changé. Elle a donc fait oeuvre de création jurisprudentielle .

Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait dans l’affaire Halimi ?

d’autre part:

Je ne peux m’empêcher de  replacer cette  affaire dans un contexte politique qui a existé et qui génère des conflits très profonds entre le Président , le Premier Ministre et les magistrats notamment ceux du Conseil Supérieur de la Magistrature .

Dans sa Tribune du Figaro du 17 avril 2021le Grand Rabbin de France Haim KORSIA a rappelé qu’à l’occasion de sa visite en Israel pour le 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau ,  le Président Macron avait évoqué la décision de la Cour d’Appel de Paris déclarant le meurtrier irresponsable en indiquant que «  le besoin de procès était là «

Immédiatement cette opinion a été dénoncée dans un communiqué conjoint de la première présidente de la Cour de cassation et du  procureur général près cette Cour rappellant que l’indépendance de la justice, dont le Président de la République est le garant, est une condition
essentielle du fonctionnement de la démocratie iIls ont affirmé que  Les magistrats de la Cour de cassation doivent pouvoir examiner en toute sérénité et en toute indépendance les
pourvois dont ils sont saisis , Haim KORSIA écrit alors qu’il n’ose imaginer que c’est pour se
démarquer de cette réflexion de bon sens que les magistrats de la Cour de Cassation auraient pris cette décision ………….le grand Rabbin de France est trop fin talmudiste pour ne pas indirectement nous faire comprendre qu’en réalité …….IL OSE !!!

Or cet arrêt intervient dans un contexte effectivement de délicatesse entre les magistrats et le pouvoir:

-la nomination de Dupont Moretti ne passe pas
-les déclarations de Macron sont ressenties comme une pression
- le Premier Ministre a été renvoyé récemment dans les cordes par le CSM à propos du Parquet National Financier ; le CSM a considéré  que Jean Castex “ne lui dénonce pas de faits motivant des poursuites disciplinaires” contre Patrice Amar.Il y a quelques jours le Premier Ministre a ressaisi le CSM  visant le premier vice-procureur Patrice Amar, «sous les qualifications de manquements aux obligations déontologiques de loyauté, de prudence, de délicatesse et d’impartialité», a souligné Matignon

Bref l’ambiance  justice et politiques est mauvaise………j’ose croire que ce n’est pas un arrêt d’ambiance !!!

Mais tout de même on a de quoi être inquiets. Rappelons nous ………

- dans l’affaire de la rue Copernic le principal mis en cause a été libéré et se trouve désormais au Canada alors que la Chambre de l’Instruction a décidé de son renvoi en Cour d’Assises ; s’il est condamné il ne sera probablement jamais arrêté et ne fera aucune peine; cette décision du nouveau magistrat instructeur a scandalisé le précédent magistrat instructeur Trévédic .

-dans l’affaire de la rue des Rosiers qui remonte à 40 ans , des documents récemment déclassifiés et livrés à la justice s’ajoutant à l’aveu du Directeur de la DST de l’époque M. Bonnet démontrent qu’un accord a été passé entre le groupe Abou Nidal et le gouvernement de l’époque pour ne pas traquer les auteurs en contrepartie du renoncement à l’accomplissement d’autres attentats.

Envoi de Claude Sitbon

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