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Le moment brutal du calife Ibrahim

Le moment brutal du calife Ibrahim

par Daniel Pipes
The Washington Times
 

http://fr.danielpipes.org/14718/calife-ibrahim

Version originale anglaise: Caliph Ibrahim's Brutal Moment
Adaptation française: Johan Bourlard

 

Après une absence de 90 ans, l'antique institution du califat a été ramenée à la vie tambour battant le premier jour du Ramadan de l'année 1435 de l'Hégire qui correspond au 29 juin 2014. Cette renaissance étonnante vient symboliquement couronner l'essor de l'islamisme entamé voici 40 ans. Une situation comparable en Occident serait la restauration de l'empire des Habsbourgs qui fondait sa légitimité sur la Rome antique.

Mais d'où vient cette audace ? Le califat est-il durable ? Et quel sera son impact ?

Pour commencer, faisons un bref retour sur l'histoire du califat (de l'arabe khilafa, signifiant « succession »). Selon l'histoire musulmane officielle, les origines du califat remontent à l'année 632 de l'ère chrétienne, à la mort du prophète de l'islam Mahomet. Le califat s'est alors développé spontanément, répondant au besoin de la communauté musulmane naissante de se trouver un dirigeant temporel. C'est ainsi que le calife est devenu l'héritier non prophétique de Mahomet. Après les quatre premiers califes, la charge est devenue héréditaire.

Dès le début, les disciples se sont divisés sur la question de savoir si le calife devait être le plus apte et le plus pieux des musulmans ou le plus proche parent de Mahomet. La division qui s'est alors produite a donné naissance aux sunnites et aux chiites, deux ramifications qui constituent, aujourd'hui encore, un schisme profond au sein de l'Islam.

Jusqu'en 750, l'ensemble des terres d'islam a été régi par un seul et unique calife mais dès cette date, deux dynamiques ont contribué à diminuer le pouvoir califal. D'une part, les provinces périphériques ont commencé à se détacher de l'ensemble, certaines – comme l'Espagne – allant jusqu'à créer des califats rivaux. D'autre part, l'institution elle-même a décliné et est tombée aux mains d'esclaves soldats et de guerriers tribaux, de sorte que la lignée califale originelle n'a réellement gouverné que jusqu'aux environs de 940. C'est alors que le titre a été adopté par d'autres dynasties comme gage du pouvoir politique.

L'institution, affaiblie, a survécu pendant un millénaire jusqu'à ce que, dans un geste spectaculaire, le fondateur de la Turquie moderne, Kemal Atatürk ne la répudie en 1924, en mettant fin à ce qu'il en restait. Malgré les diverses tentatives de restauration ultérieures, le califat était bel et bien mort et était devenu à la fois le symbole du désarroi des pays à majorité musulmane et l'objectif caressé par les islamistes.

Les choses sont restées en l'état pendant 90 ans, jusqu'à ce que le groupe connu sous le nom d'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) publie une déclaration en cinq langues (version française : Ceci est la promesse d'Allah) proclamant la fondation d'un nouveau califat sous l'autorité du « calife » Ibrahim. Âgé d'environ 40 ans et originaire de Samarra (Irak), le calife Ibrahim (alias Dr Ibrahim Awwad Ibrahim) a combattu en Afghanistan et en Irak. Désormais, il prétend être le chef « des musulmans partout dans le monde » et leur demande de lui prêter un serment d'allégeance. Il affirme que tous les autres gouvernements musulmans ont perdu leur légitimité. Bien plus, les musulmans doivent renoncer « à la démocratie, à la laïcité, au nationalisme et autres parmi les déchets de l'Occident. »

Selon la Promesse d'Allah, la renaissance du califat universel a sonné la fin d'un « long sommeil dans les ténèbres de l'insouciance. […] Le soleil du Djihâd brille, les lumières du bien annoncent la bonne nouvelle et à l'horizon apparait le triomphe et nous voyons les signes de la Victoire. » Les infidèles en sont à juste titre terrifiés. « L'Orient et l'Occident » se soumettront, les musulmans gouverner[ont] la terre ».

Discours grandiloquent, assurément, mais qui n'a aucune chance de réussite. L'EIIL a bénéficié du soutien d'États tels que la Turquie et le Qatar – mais pour combattre la Syrie, et non pour établir leur hégémonie sur le monde. Les puissances voisines – les Kurdes, l'Iran, l'Arabie Saoudite, Israël (et finalement peut-être la Turquie elle-même*) – voient dans l'État islamique l'ennemi par excellence, à l'instar de pratiquement tous les autres mouvements islamiques rivaux, y compris Al-Qaïda, et à l'exception de Boko Haram, des Gazaouis dispersés et d'une nouvelle organisation pakistanaise. Déjà, le califat doit faire face à des difficultés dans la gestion des territoires qu'il a conquis et qui ont la taille de la Grande-Bretagne. Ces problèmes vont augmenter quand les populations assujetties verront toute la misère qu'apporte la domination islamiste (La possible prise du barrage de Mossoul, le 3 août dernier, annonce des crimes sans nom, la privation d'électricité et d'eau, voire des inondations catastrophiques).

Je prédis que l'État islamique, confronté à la double hostilité de ses voisins et des populations qu'il a assujetties, ne durera pas longtemps.

Néanmoins, il laissera un héritage. Peu importe le sort calamiteux du calife Ibrahim et de sa troupe sinistre, en faisant à nouveau du califat une réalité, ils ont réussi à ressusciter une institution fondamentale de l'islam. Désormais, les islamistes du monde entier porteront haut ce moment de gloire brutale et s'en inspireront.

 

Pour les non-musulmans, ces événements ont des implications complexes et à double tranchant. Sur un plan négatif, les islamistes violents seront encouragés dans la poursuite de leurs objectifs funestes, laissant derrière eux des flots de sang. Sur le plan positif, le zèle barbare du califat aura pour effet salutaire d'ouvrir les yeux de ceux qui sont encore aveugles face aux horreurs du programme islamiste.

*Selon l'analyse de Orhan Kemal Cengiz, Ankara a effectivement mis en garde contre la menace que représente l'EIIL pour la Turquie.

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