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Le petit fils du Rabbin, par Victor Ihyia Assouline

Le petit fils du Rabbin, par Victor Ihyia Assouline

 

La vie est un labyrinthe, envloppée d’un mystère et entourée d’une énigme. (Shlomo kezbour)

Le site Dafina.net vient de republier un article (j’suis pas touriste, moi ! Dans lequel je racontais ma première visite au Maroc après plus de cinquante ans. J’ai pensé donner suite à cette belle aventure.

L’histoire est vraie et c’est peut être pour ça qu’elle est dénuée de tout style littéraire ou de discipline sémantique.

Donc c’est mon histoire et je la raconte.

J’habite au Maroc après un demi-siècle d’absence à Los Angeles.

Pourquoi ? Le soleil, la menthe, la Loubia ? Oui.

La gentillesse des gens, le respect de la famille et des coutumes ?

Oui aussi. !

Peut être parce que je suis né ici et que mes ancêtres sont enterrés ici ? Très possible.

En tout cas, j’habite maintenant dans la Palmeraie de Marrakech, tout prés de la rivière Tensift et du pont du même nom.

(Construit en 1170, après que le fleuve ait débordé et retardé 25.000 chameaux et leurs hommes à rejoindre l’Andalousie. D’ailleurs la légende dit que tout ces chameaux régurgitant les dattes ont créé 40 km2 de la palmeraie d’aujourdh’ui.)

Une maisonnette isolée, très bohème, d’un charme fou.

Toute de blanc vêtue avec beaucoup de terrasses et de jardins et, comme vis-à-vis, un champ de marguerites sauvages.

En fond de toile, les montagnes majestueuses de l’Atlas.

Rien d’autre sauf des levées du jour spectaculaires et des couchers de soleil qui aident à croire en Dieu.

Des grandes portes fenêtres à petits carreaux partout dans la maison, ce qui me donne l’impression de vivre dehors.

C’est la petite, petite fille de Ferdinand de Lesseps qui me loue le tout pour une demi-bouchée de pain. La riche héritière en voulait une bouchée. Elle m’a donné les clefs avec un « Ah ! Vous les juifs ! Sympathique….en tout cas je crois. !

Je suis à 10 minutes du centre de Marrakech où l’air est pur et la nature chante.

Je préfère la solitude et le calme, surtout que je viens de célébrer mes 70 ans.

L’heure est grave.

Le roi David a dit que les années de l’homme sont de 70 ans et si on pousse, quatre vingt.

« Chnot Adam chiviim chana ou be gvourot chmonim ».

J’ai fait la yeshiva moi.

 La yeshiva du marsan dans les hauteurs de la ville de tanger.Wallah !

C’est un grand privilège que d’atteindre cet âge. Une bénédiction, un zkhout. Surement béni par mes deux frères qui n’auront pas eu cette chance car la mort les a happés trop tôt.

Je pense a eux toujours et ces jours ci plus que jamais.

Et je leur dois de mettre a jour qui je suis et de vivre ma vie sereinement.

Donc pour moi maintenant chaque jour est un miracle, chaque nuit la dernière peut être. Ou l’avant dernière, si je considère les gènes.

Mes deux parents étant partis à l’âge de 98 ans.

C’est vrai que j’ai subi des revers et des tragédies.

Que certaines aventures ont coûtés cher à mon âme.

Quelqu’un a dit que réussir sa vie c’est de passer d’échec en échec  sans jamais perdre son enthousiasme. C’est un peu moi, sauf que ma vie a été parsemée de tournants et de rebonds assez spectaculaires.

Si me permetrais-je une rare fleur.

Il fait bon vivre au Maroc.

J’habite seul mais c’est une solitude choisie et non subie.j ai quelques connaissances et des voisins. A mon âge on ne se fait plus d amis.

On a ceux que l’on a et je suis béni à ce niveau là.

Il y a aussi Hada, ma Sahraouia, ma saharienne, ma mère de ménage.

Elle est noire comme du charbon avec des goulots de bouteille en guise de lunettes.

Elle nettoie, elle arrose, elle repasse tout sur son passage. Les torchons, les calecons, les draps. Elle nourit la chienne et les chats. Mes armoires sont impecablement rangees.

Avant sa retraite, Hada travaillait pour un juif richissisme chez qui elle dirigeait une équipe de 5 cuisinieres. Sa dafina est légendaire. Elle l’a fait pour moi, tous les samedis en hiver, au feu de bois et le matin elle ajoute les œufs et un peu de bois ; ils sont trop durs autrement.

Je sais, je sais. La halakha dit que……., j ai fait la yeshiva moi aussi.

Et il y a aussi Layla, ma grande amie, mon âme sœur.Une femme admirable dans tous les sens du mot. Elle est jeune et belle, au teint pâle comme toutes les filles du Nord.avec un accent chamali (Tetouan) qui déroute même les plus stoïques.Genereuse jusqu’à l’oubli de soi, spirituelle, un peu mystique. Une âme pure. Finalement.

Certains l’apellent la muse, d’autres la fée, je l’apelle tout simplement mon témoin de vie.

Elle sait tout de moi et elle pourrait vous raconter ma vie dans les plus petits détails.Ca tombe bien car moi je commence à avoir des gros trous de mémoire.

Je ne sais qui me l’a envoyée mais je suspecte une intervention du ciel. En tout cas j ai beaucoup de chance de la côtoyer.

Mon vécu l’impressione et elle le respecte.

Quand elle a réalisé que j’etais seul au Maroc,sans famille,ni amis,et juif,en plus (y en a qui pleurent dans la salle), elle en a fait sa mission  de se soucier de mon bien être.

Elle me dit que l’instant est précieux, que la peur est notre pire ennemi, que Dieu par n’importe quel autre nom est le même pour tous et que l’amour est sa foi.

J’avoue que pour un premier contact avec un représentant du peuple élu, elle aurait pu faire mieux.

La pauvre. Mais je suis marocain et je parle la darija. Ça compte double.

Vous allez peut être dire que je me suis un peu trop attardé sur Layla, et pour cause.

Et pour cause, Elle a été l’instigatrice de beaucoup de belles choses et de surprises pour moi au Maroc.

En voila une. Et c’est la plus belle des surprises.

Il fait bon vivre au Maroc vous ai-je dit. J’aime a le redire.

Nous avons eu un bel hiver à Marrakech et le printemps est déjà là. Marrakech exhibe toute sa splendeur pendant ces deux saisons.

Une belle occasion pour faire une petite balade,et me sortir de ma tanière.Aujourdhui elle veut aller au mellah où j’ai été mille fois et ensuite visiter la vielle synagogue où mon père,enfant,avait étudié la torah et le talmud, et peut être, si ça me dit,(ou dimanche) d’aller au cimetière au fond du mellah.

Moi, j’avais abandonné l’idée qu’un jour je retrouverai la tombe de mon grand père. A chacune de mes visites ces trois dernières années,j’en ressortai bredouille et dégoûté.

Beaucoup de tombes étaient inaccessibles surtout près des grandes murailles. Il fallait aussi faire attention aux scorpions, d’après le gardien.

Je ne suis pas un bon pèlerin. Je n’aime pas les cimetières, même si j’ai ai été brièvement fossoyeur a une époque de ma vie chez les Chabadniks. Je ne rigole pas. C’est vrai !!

J’ai peur d’y voir mon nom un de ces jours.

Je rentre, j’échange quelques mots rapides avec les morts et puis je file vers la sortie pour fumer ma clope.                                   

Elle avait quand même réussi à me trainer dans plusieurs cimetières et quelques synagogues.

Le cimetière d’Essaouira, où Layla se recueille souvent sur la tombe du grand Rabbin Haïm Pinto, est bâti sur la roche face à la mer. Les sépulcres blancs, le mausolée au milieu et l’azur de la mer et du ciel qui se confondent.

C’est beau à en mourir.

Et la synagogue d’itshak ben Woualid a Tetouan qui nous a secoués à tous les deux. Quelque chose de puissant se dégageait de cet endroit. Une vraie charge spirituelle Layla avait dit en sortant.

Mais ce jour là, le cimetière de Marrakech avait une toute autre allure.

Il y avait des chemins qui menaient jusqu’au bord des hautes murailles, les tombes avaient été réparées et peintes à la chaux.

Il était évident qu’un effort considérable avait été mis en route pour réhabiliter ce cimetière.

J’imagine que les directives de sa Majesté et ceux de la petite communauté juive y sont pour beaucoup.

Il y avait aussi à l’entrée un gros livre dans une grande boite en plexiglass avec un trou au milieu pour pouvoir le feuilleter sans, pour autant qu’on essaie de le ramener avec soi. Bonne idée.

Le livre n’était pas là les dernières fois que j’étais venu. je me suis rapproché, pour voir inscrit.

 “Pierres tombales des sages de Marrakech.Un témoignage sur leur vie.

Entre temps Layla m’avait ramené un livre de tehilim et une kippa

pendant qu’elle expliquait au gardien les problèmes que j’avais eu à retrouvé la tombe de mon grand père. j’avais mis la main dans la boite en prenant une bonne poignée de pages à la fois.

Une poignée, deux poignées, et je jure avec temoin, qu’à la troisieme poignée, j ai vu apparaitre devant mes yeux ces mots.

Le Rabbin Habib Assouline, Dayane, dont la signature côtoie celles des sages de Marrakech. Décédé 1926.  Et une photo de sa tombe sur la page de droite.

Mon père Jacob Assouline.zl.qui était plutôt taciturne m’avait seulement dit que son pere était un homme humble, un érudit, qui pratiquait sa foi loin du bruit et des polémiques.

Un trait de charactere que j’ai trouvé chez mon père aussi.

Ah ! Et qu’il avait de grands yeux bleus. Comme nous dans la famille.

C’est dur de croire au hazard dans ces circonstances.    

Que je me retrouve au Maroc, à Marrakech, que je rencontre Layla, qu’elle me traîne à un cimetière que j’avais visité mille fois déjà, que le livre soit là et que je tombe sur la page 92 presque immediatement.

Ça ne peut être que la main de Dieu. Le hasard c’est Dieu qui signe en incognito nous dit Einstein. C’était exactement ça.

Plus aucun doute, mes racines étaient là quelque part dans ce cimetière.

Quelq’un avait identifié et répertorié la tombe de mon grand père

Maintenent il s’agissait de la localiser.

Le guardien, peu enthousiaste au départ pour avoir vu trop de monde dans ma situation, était tombé sous le charme de Layla.

Il lui faisait signe de le suivre. Moi je suis resté près du livre.

La main sur la page 92. Juste en cas. !

Au bout de dix minutes, ils avaient trouvé la tombe tout près des hautes murailles ocre de ce beau cimetierre.

Le cœur battant, je me dirigeais vers eux.

C’était une très belle tombe et en très bon état après presque cent ans. Je lisais les inscriptions hébraïques pendant que Layla allumait, dans un petit coin au bas de la tombe, des bougies qu’elle ramène toujours avec elle, là ou on va.

J’étais ému aux larmes et elle aussi. J’ai dit bravo et un peu plus au gardien.

Sans Layla il est certain que tout ça n’aurait été qu’un rêve.

J’ai lu un peu de Tehilim et j’ai fais un petit Kaddich même si je n en avait pas le droit.

Il faut un minyan (dix personnes) pour un kaddish à haute voix

Je sais. j’ai fait la yeshiva moi aussi. !

J’étais fier. J’imagine que j’étais le seul visiteur depuis très très longtemps. Mon père et sa mère ayant quitté la ville très peu de temps après sa mort, et ils n’y sont jamais revenu.

Je relisais Habib Assouline, mon frère Félix portait ce nom aussi. Habib Assouline zl.

Enorme cette découverte pour moi. Mes origines étaient bel et bien là..Ce n’était ni une erreur de parcours ni un detour que de m’être installé a Marrakech, mais peut être une destination finale. Je renouais avec un passé lointain.

En éternel romantique j’aimerai penser que le destin en a décidé ainsi et que je n’ai plus le choix.

De plus je suis le dernier de l’union Assouline/Corcos.

J’explique.

Mon père était le seul garcon et il a eu 3 fils. Deux sont décédés sans laisser de progéniture et moi je n’ai qu’une fille. Donc après mon passage, s’éteindra cette branche des Assouline.

Le dernier des Mohicans.

Le fils prodige revient au bercail . Le maillon s’arrête là . Je boucle la boucle.

Et, si à la grâce de Dieu, je devais mourir au Maroc, ce serait un grand honneur de reposer près de lui.  

 Le nom Assouline, un nom noble et respecté , qui veut dire Rocher en berbère , ce nom que portent Pierre et Prosper, le nom de mon père, de mes deux frères et que je porte avec beaucoup de fierté .

Une idée folle a germé dans ma tête et j ai pensé que le jour venu, dans un futur lointain inchallah, enfin si c’est possible, (comme dirait Aznavour),que pour moi, le cimetière d’essaouira serait l’endroit idéal d’y passé l’été ..Une vue sur la mer. Le bleu d’azur du ciel ..Et le vent légendaire d’essaouira qui fouette et réveille les sens, et, de passer l’hiver à celui de Marrakech, avec la vue des montagnes de l’Atlas enneigées et le soleil de plomb qui réchauffe les os.

Je m’en vais de ce pas m’enquérir auprès du Rabbinat. Sinon il y a toujours Layla qui me dit que c’est très possible et qu’elle connaît du monde.

Entre temps, elle m’agace avec son histoire de livre de Psaumes que j’aurais, soit disant, emprunté au cimetière ce jour là et que je n’aurais,soit disant,jamais rendu. Véridique.

En tout cas, comme dit Gad Elmaleh, j’ai beaucoup de casquettes a mon arc,mais celle qui me va le mieux et que je porterai toujours avec grande fierte, c’est…Victor Ihyia Assouline, petit fils du Rabbin …..Habib Assouline zl

 

Victor Ihyia Assouline

victorassouline48@gmail.com

Commentaires

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Bravo Victor , tu m'as ému aux larmes et j'ai lu ton récit avec beaucoup d'intéret et ai vécu avec toi ton souvenir et oui , que le hazard fait bien les choses...On a envie de connaitre Layla et d'aller se recueillir sur la tombe de ton grand père et de vivre avec toi quelques jours à Marrakesh ...Quelle ne fut ma surprise de savoir que tu as été dans une Yéshiva...Lol...Amicalement...Daniel

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