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Les diasporas

Les diasporas

 

 

 

De l’identité à la solidarité, du lobbying politique à l’influence diplomatique

Historiquement, elles sont nées de la souffrance et de l’exil de peuples qui, là où ils ont élu domicile, ont choisi de rester liés aussi bien entre eux qu’avec leur mère patrie. Les diasporas sont autant le ciment de ceux qui vivent en exil pour éviter l’assimilation, que la manifestation d’une solidarité économique et politique avec l’Etat d’origine. Au fil du temps et des migrations internationales, elles sont également devenues un véritable acteur politique. D’abord comme un défenseur des intérêts de la patrie d’origine mais aussi comme un aiguillon souvent plus libre de critiquer un régime ou ses pratiques. A l’extérieur de l’Etat, mais au sein de la nation, elles s’affirment aujourd’hui comme les vecteurs d’une diplomatie officieuse, aptes à débloquer des situations ou à faire passer des messages lorsque les négociateurs officiels sont arrivés au bout de leurs possibilités.

La réunion s’est tenue durant les derniers jours du mois d’août, dans la plus grande discrétion. Aucun journaliste n’était accepté dans l’enceinte et les participants avaient pour consigne de ne pas s’exprimer sur le contenu de leurs discussions. Pendant 48 heures, hommes d’affaires israéliens et palestiniens se sont assis autour d’une même table et avec la bénédiction de leurs autorités respectives, pour tenter de relancer la coopération économique, première étape vers un dialogue politique, aujourd’hui au point mort. En coulisse, pour l’organisation de cette réunion, la fondation Schwab qui organise chaque année le forum économique de Davos et un homme d’affaires anglais, sir Ronald Cohen.

Créateur du fonds d’investissement Apax Partners, il consacre aujourd’hui une bonne partie de son temps à essayer de rapprocher Israéliens et Palestiniens notamment autour de projets économiques grâce à un fonds d’investissement spécialement dédié, le Portland Trust. Un exemple significatif parmi d’autres du rôle que peuvent jouer les membres d’une diaspora à l’égard de la mère patrie. Longtemps associé à la souffrance et à l’exil, ce terme a depuis quelques années pris une dimension positive. Se revendiquer d’une diaspora est un signe d’appartenance. Dans le même temps, les Etats d’origine se sont mis à accorder une attention accrue à leurs nationaux qui vivent hors des frontières.

Construites sur les notions de solidarité et de souvenir, les diasporas sont, aujourd’hui, en train de devenir des forces politiques, voire les acteurs d’une diplomatie officieuse qui n’est pas moins influente.

La souffrance et l’exil
Historiquement, le terme diaspora signifie dispersion et il fait référence à l’exode des Juifs de la terre d’Israël après la destruction du deuxième temple de Jérusalem, par les troupes de Titus en l’an 70. Il s’agit donc de définir un peuple en exil, victime de surcroît d’un génocide 1870 ans plus tard. “Dans les diasporas historiques, il y a un élément traumatique et un élément démographique puisqu’une part importante de la population est loin de sa terre d’origine”, définit Pauline Peretz, maître de conférences à Nantes et chercheur sur ces questions à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Les mêmes éléments constitutifs se retrouvent d’ailleurs pour la diaspora arménienne expulsée de son territoire et victime d’un génocide en 1915. Dans chacun de ces cas, la diaspora est d’abord un ciment qui soude des femmes et des hommes issus d’un passé et d’une culture commune.

C’est ensuite un Etat reconstruit et avec lequel existe un lien, même si l’on n’en possède pas la nationalité. “Cela donne une identité par rapport à une histoire et un sens de l’appartenance”, estime Michaël Boroian, président du cabinet de chasseurs de têtes Sterling international. Né à Chicago et venu en France en 1991, il a toujours éprouvé le besoin, là où il résidait, d’entretenir des contacts suivis avec d’autres Arméniens, de pratiquer la langue ou encore de se rendre à l’église orthodoxe. Lorsqu’il est arrivé à Paris, ceux qui l’ont accueilli et conseillé se nomment Alain Mikli (le créateur de lunettes) ou Alain Manoukian (le créateur de vêtements), tous deux d’origine arménienne.

De ce besoin d’appartenance, découle logiquement une organisation. Une diaspora ne se résume pas à un groupe d’individus issus de la même terre. Ils sont nécessairement structurés dans des mouvements qui dépassent le cadre d’une simple amicale chargée d’organiser un banquet annuel et de tenir un fichier des adhérents. L’Union Générale arménienne de bienfaisance (UGAB) et le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France font partie des mouvements les plus actifs de la diaspora arménienne. Le Fonds social juif unifié (FSJU) est l’une des organisations clés qui représente les 700 000 Juifs de France.

L’identité et la solidarité 
Ce besoin d’appartenance au-delà d’un passé commun est consciemment ou inconsciemment une réponse au phénomène d’assimilation qui guette les diasporas. “La langue arménienne reste un lien entre nous”, rappelle Michael Boroian qui se souvint avec émotion d’avoir trouvé une église arménienne en Inde . “A quoi sert la diaspora ? Elle permet à des individus de se donner un nom quand ils vivent en exil. Le terme diaspora, qui signifie au départ dispersion, est devenu aujourd’hui synonyme de rassemblement”, note Stéphane Dufoix, maître de conférences en sociologie à l’université de Nanterre et auteur d’un ouvrage de référence, Exil et Immigration. Pour autant, pas question de confondre avec le communautarisme.

“Il est le symbole du cloisonnement alors que la diaspora est tournée vers l’Etat d’origine”, poursuit le chercheur. Et c’est bien là une de ses fonctions premières : afficher un lien indéfectible avec la mère patrie. Un lien qui peut même s’affranchir des frontières religieuses. La diaspora libanaise qui compte 14 millions de membres (alors que le Liban compte 3,5 millions d’habitants) est composée de chrétiens maronites et de musulmans sunnites ou chiites. A Paris, le conseil d’administration de “Diaspora libanaise overseas” est multiconfessionnel. “Nous nous devons de faire passer un message de convivialité sur la capacité à vivre ensemble au Liban”, estime le président de l’association, Naoum Abi-Rached, qui s’investit aussi bien dans l’aide aux jeunes Libanais en proie à des problèmes de carte de séjour, que dans un lobbying actif auprès du maire du XVe arrondissement, afin d’obtenir un terrain pour la construction d’une maison de la diaspora libanaise.

L’attachement à la mère patrie se manifeste d’abord de manière sonnante et trébuchante. Que l’on en juge : au cours des 20 dernières années, le fonds arménien a récolté dans le monde 230 millions de dollars pour l’Arménie. Aux Etats-Unis, l’ensemble des Jewish Federations collecterait près d’un milliard de dollars par an à destination de l’Etat d’Israël, pour financer notamment des projets éducatifs, culturels, ou encore liés à l’accueil des nouveaux immigrants.

Au-delà des diasporas traditionnelles, un certain nombre de pays émergents ont réalisé que leurs expatriés constituaient une véritable manne financière, notamment grâce à la facilitation des virements internationaux que proposent des établissements comme Western Union. “Depuis les années 2000, l’Union africaine a pour projet de faire de la diaspora africaine la sixième région d’Afrique, en plus des cinq déjà existantes sur le continent”, note le chercheur et enseignant Stéphane Dufoix. “La plupart de ces Etats ont un ministère ou un bureau chargé de gérer ces nationaux qui vivent à l’extérieur des frontières”, rappelle-t-il.

Il ne faut cependant pas rattacher systématiquement tout mouvement migratoire à la création d’une diaspora agissante. Ainsi les Algériens et les Marocains pourtant nombreux en France entretiennent collectivement peu de lien avec leur Etat d’origine et leur solidarité financière est circonscrite à l’aide familiale. En France, la seule question sur laquelle ils semblent avoir une action concertée est la représentation au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM) où chaque nationalité d’origine pèse sur la désignation des instances dirigeantes. Mais il ne s’agit là que d’une question franco-française.

“Peoplehood”
Si les diasporas constituent par essence une population qui vit à l’extérieur d’un Etat, elles sont néanmoins partie intégrante d’une nation. Dans certains cas, des institutions sont même spécialement créées pour entretenir ce lien. En Israël, l’Agence juive a justement pour mission “la relation entre Israël et le peuple juif dans le monde entier”, détaille son directeur général pour la France, Ariel Kandel. Dotée d’un budget de 300 millions de dollars, alimenté à 80 % par des donateurs américains, elle compte 300 salariés et des bureaux dans 13 pays. “L’un de nos axes de travail est ce que l’on appelle en anglais “peoplehood” et que l’on pourrait tenter de traduire par “peuplitude”. Et cette relation s’inscrit dans un double sens : Israël soutient sa diaspora qui elle- même soutient Israël”, analyse le responsable de la délégation française. Chaque année, l’Agence juive accompagne dans le monde 20 000 personnes qui décident de faire leur “Alyah”, c’est-à-dire de s’installer durablement en Israël. Mais son action ne se limite pas à l’immigration. Elle organise également des milliers de séjours d’une durée allant de une semaine à un an, afin de sensibiliser les plus jeunes au fonctionnement de la société israélienne.

La mère patrie
Une diaspora se doit-elle d’adopter une posture unique, qui consisterait à défendre envers et contre tout sa patrie d’origine ? La réalité semble démontrer le contraire, ne serait-ce qu’en raison de la diversité d’opinions de ceux qui vivent à l’extérieur des frontières. Le plus souvent, elle se retrouve, certes, en situation de plaider en faveur de la mère patrie. Ainsi lorsqu’un boycott de produits alimentaires israéliens dans la grande distribution commence à apparaître, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) monte au créneau, pour rappeler le caractère illégal d’une telle pratique. Mais les “exilés” savent également se montrer individuellement ou collectivement critiques.

Lorsque l’ex-président libanais Michel Aoun vient trouver refuge en banlieue parisienne, lui-même comme ses proches reçoivent un message très clair des autorités françaises : interdiction absolue de se livrer à des déclarations publiques sur la situation intérieure libanaise, faute de quoi l’ancien dirigeant ne serait plus le bienvenu sur le territoire libanais. En 2008, la diaspora arménienne accueille plutôt fraîchement le président Serge Sarkissian, en visite officielle en France. Motif du mécontentement, le protocole arméno-turc en cours de signature. Une partie de la diaspora trouve qu’il porte atteinte à la mémoire du génocide arménien. A l’époque, une manifestation de protestation est même organisée à Paris. Enfin, la diaspora peut aussi servir de pépinière pour l’alternance politique. Les Libanais vivant en Arabie Saoudite ont vu l’un des leurs, Rafic Hariri, devenir Premier ministre de l’Etat avant de lancer un processus de reconstruction pour un pays marqué par plus de deux décennies de guerre civile.

Diplomatie parallèle
Au-delà des prises de position qu’elles peuvent être amenées à prendre, le diasporas sont, le plus souvent, appelées à jouer les intermédiaires officieux afin de faire passer des messages, ou débloquer des situations. “Ni les dirigeants d’un pays possédant une diaspora ni les groupes d’intérêt s’y mobilisant ne sont les seuls à présider à ses destinées. La diaspora s’invite bien souvent à jouer les arbitres sans y avoir été nécessairement conviée. Parce qu’elle est en dehors de l’Etat certes, mais au sein de la nation, elle peut revendiquer avoir voix au chapitre lorsque le sort du pays qu’elle a quitté de gré ou de force est en jeu”, analyse l’universitaire Yossi Shain dans Kinship and Diasporas in International Affairs.

Ainsi, les Irlandais résidant aux Etats-Unis ont usé de leur influence pour inciter Bill Clinton à s’investir dans la recherche d’un processus de paix en Irlande du Nord. Bien avant la signature des accords d’Oslo de 1998, qui ont abouti à des négociations israélo-palestiniennes puis à la signature d’accords politiques et économiques, des négociateurs issus de la diaspora juive aux Etats-Unis ou en Europe ont joué le rôle d’émissaires auprès de l’OLP. De son côté, la diaspora mexicaine aux Etats-Unis a œuvré auprès de l’administration américaine afin que les illégaux résidant aux USA se voient reconnaître un matricula consular, document qui leur donne, à tout le moins, une existence légale. Une preuve si besoin est qu’une diaspora développée sur la base d’une émigration économique peut néanmoins avoir une influence politique.

Diasporas light 
L’augmentation des flux migratoires ces dernières années a donné une visibilité accrue aux diasporas à travers le monde. Pour autant toutes n’entretiennent pas avec leur mère patrie un lien équivalent. Au Proche-Orient, la signature des accords d’Oslo et la mise en place d’une administration palestinienne n’ont pas entraîné un retour massif de la diaspora vers Ramallah ou Gaza. Les capitaux n’ont d’ailleurs pas plus suivi que les hommes, à l’exception de quelques familles comme les Al Masri qui détiennent aujourd’hui le plus important holding palestinien Padico présent dans l’immobilier, le tourisme et la téléphonie mobile.

“Les hommes d’affaires de la diaspora palestinienne sont des patriotes mais il ont néanmoins besoin de garanties lorsqu’ils investissent”, constate Haël Al Faoum, ambassadeur de Palestine en France, qui regrette que “des démarches n’aient pas été entreprises avec les élites palestiniennes dans le monde”. Ce manque d’entrain tient sans doute à une forme de défiance des Palestiniens de la diaspora à l’égard de l’OLP de Yasser Arafat et de ses hommes, jugée peu apte à exercer le pouvoir civil et soupçonnée de népotisme et de corruption. Depuis l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Abbas et du Premier ministre Salam Fayed, ancien du FMI, la méfiance semble s’être dissipée. De son côté, Hal Al Faoum tente de mobiliser les Palestiniens de France en constituant des groupes d’experts notamment dans le domaine scientifique, qui pourraient servir ainsi de conseils à l’administration palestinienne.

En Europe comme en Afrique et aux Etats-Unis, l’une des plus importantes diasporas est aussi la plus discrète. Les Chinois vivant hors de l’empire du Milieu sont évalués à 30 millions d’âmes. En France, ils sont aux alentours de 900 000, arrivés en trois vagues d’immigration successives à partir des années 50, et constituent la plus importante implantation d’Europe. Néanmoins leur culture comme leur histoire ne les amènent pas du tout à fonctionner comme un lobby. “Réunir 10 000 Chinois pour une manifestation à Belleville après une série d’agressions relève de l’exploit. On souffre en silence en Chine”, explique Chenva Tieu.

Ce jeune patron d’une société de production audiovisuelle est également secrétaire national de l’UMP chargé des questions asiatiques et l’un des rares représentants des Chinois de France engagés en politique. Il explique avant tout le peu d’engagement des Asiatiques de France par leur culture : “La civilisation chinoise n’est pas dans la verticalité de la culture occidentale. Les Chinois ne sont pas submergés par le quotidien.” Une vision qui les conduit d’abord à considérer leur pays d’origine comme le lieu où ils pourront prendre leur retraite après y avoir construit ou acheté une maison. En revanche, pas question de se mêler de politique ou de jouer les ambassadeurs. Pendant les événements de la place Tian’an men à Pékin, la grande majorité des Chinois de France est restée dans le silence. Il est vrai qu’il est plus facile de faire preuve d’activisme en diaspora quand la mère patrie est un régime démocratique. A l’opposé, le risque de représailles d’un pouvoir totalitaire contre la famille ou les amis restés au pays donne à réfléchir à plus d’un.

Diasporas en devenir
A l’avenir pourtant, les diasporas pourraient être amenées à jouer un rôle diplomatique de plus en plus important. Les migrations renforcent leur nombre tandis que les organisations internationales et les diplomaties traditionnelles ont montré leurs limites dans bien des conflits. C’est aujourd’hui que les diasporas afghanes, iraniennes ou encore syriennes, en Europe comme aux Etats-Unis, ont un rôle à jouer. Que ce soit, suivant les cas, pour consolider un régime ou favoriser une alternance politique. Et pour se construire en réseau et rester connectés, ces exilés pourraient même utiliser un réseau social au nom prémonitoire. Créé en 2010 par quatre étudiants new-yorkais en mathématiques et présenté comme une alternative à Facebook, il se nomme “Diaspora”.

Par Franck Bouaziz

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