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Les Mendiants de Casablanca, de Bob Oré Abitbol

 

Les Mendiants de Casablanca

De Bob Oré Abitbol

 

Dans mon quartier, on trouvait toutes sortes de personnages hors du commun. Ce quartier mythique de Casablanca était bordé par la rue Lusitania, la rue Lacepède, la Place de Verdun, le Boulevard d’Anfa, le Boulevard Gouraud la rue Jean-Jacques Rousseau, la Rue Voltaire ! Des noms de rue qui chantaient la gloire de la France et de ses enfants. Des noms de Rue et de Boulevard vite remplacés après l’indépendance du Maroc par des noms typiquement musulmans : Zenkat Abderaham Sehraoui, Rue du Prince Moulay Abdallah, Boulevard Hassan II  et évidemment Boulevard Mohammed V quelle que soit la ville du Royaume. Tout près la Rue des Anglais, Rue Du capitaine Albert Levy, Rue Verlet Anus avec sa belle synagogue Algérienne. Dans ce « carré d’or » de la nouvelle « bourgeoisie » judéo marocaine se retrouvaient toutes sortes de mendiants : Des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, des aveugles, des borgnes, des édentés, des faux et des vrais rabbins, des estropiés, des manchots, des culs-de-jatte et des unijambistes accompagnés d’enfants handicapés ou non ! La cour des miracles « on the move » en d’autres termes. La misère était telle qu’elle n’épargnait personne ! Elle fauchait large et d’anciens riches se retrouvaient forcés à une mendicité infamante et dégradante mais fallait bien vivre ou devrais-je dire plutôt, survivre!

Certains  avaient de la noblesse, la plupart une humilité et une abnégation hors du commun. D’autres en avaient fait carrément une profession ! Ils étaient pauvres comme d’autres ferblantiers ou boulangers ! Ils n’en étaient ni fiers ni honteux c’était leur métier voilà tout !

Quelquefois ils se transmettaient leur savoir faire de père en fils.

Une institution en quelque sorte avec leur hiérarchie, leurs règles et leurs strictes prérogatives! Chacun avait son « pauvre » attitré  comme on avait sa bonne, son épicier et son boucher !  Les autres pouvaient passer  parfois et on leur donnait quelque chose par un excès de générosité, lui seul comptait vraiment. C’était notre « pauvre » à nous !

Tous avaient la bénédiction facile  et distribuaient en veux-tu en voilà des prières ou passait au grand complet toute la famille jusqu'à la septième génération en hébreu dans le texte pour une misérable piécette tendue mollement qu’ils acceptaient en un geste vif en montant d’un cran le ton et la ferveur de leurs prières !

Les autres se contentaient d’un Dieu  y pourvoira !!! La ijib !!!Lancé nonchalamment  par les gens par trop sollicités

Dans ma rue où on ne comptait plus les mézouzoth tellement il y en avait. Le défilé des « pauvres » était permanent.

Sans compter les musiciens arabes, les jongleurs, les trapézistes, les Gnawas, les bambaras, les montreurs de singes,  jusqu'à une nonne qui avait dû se perdre la pauvre chérie et demandait l’obole pour Jésus Christ en personne que Dieu  préserve !!!

Ajoutez à cela les appels pour Israël, l’école de l’Alliance, les petites boites bleues blanc bleues de Keren Ayemet , les Scouts, le Centre Communautaire, le Cercle de l’Alliance, le Cercle de l’Union,  l’Osé,  l’âge d’or, La Goutte de Lait, Les enfants abandonnés, Les orphelins de Mme Bengio et j’en passe.  De quoi affoler nos parents qui avaient un mal fou à joindre les deux  bouts !

Fallait quand même faire illusion ! Les moins pauvres devaient aider les plus pauvres ! Bref un cercle infernal que je n’ose appeler vicieux mais qui l’était quand même un peu !!! Faut pas minimiser !

Car à part quelques rares énergumènes  prétendument riches tout le monde se débattait comme il le pouvait. On sortait a peine du mellah et les dix enfants par famille était la norme.

Dans le tas, pensaient-ils avec résignation, y’en a bien un qui réussira !!!

Les femmes accouchaient comme des poules. Enceinte, allaitement, de nouveau enceinte. Un cycle de dix huit mois qui n’en finissait pas de finir. Et puis la religion vous comprenez !! C’est la volonté de Dieu !!! Et excusez moi m’sieur dame, je vous demande pardon mais on ne contrarie pas la volonté de Dieu !!!! N’est-ce pas?

Ma mère, intelligente et sûre d’elle, n’échappait pas cependant à cette aberration  qu’elle trouvait  injuste mais àlaquelle elle devait se soumettre àson corps défendant.

Attention ! Elle aimait ses enfants, cela n’est pas la question, mais féministe avant l’heure elle déplorait à juste titre cet esclavage qu’on lui faisait subir et,  qu’elle le veuille ou non, elle se devait d’accepter !

On leur imposait leur mari,  le nombre d ‘enfants était décidé par Dieu lui même, les parents au milieu, omniprésents et hyperpuissants et là les mendiants qui venaient demander leur quote-part, ça pouvait être un peu trop, je le comprends àprésent !

Mais à l’époque je ne voyais que la misère terrible de l’autre et mon cœur se serrait et se déchirait. Je rêvais déjà d’être milliardaire un jour pour palier à toutes  ces injustices, à tout ce malheur, àtoute cette pauvreté!

« Notre pauvre » s’appelait Yhya, grand,  barbe poivre et sel abondante, petit tarbouche noir de la même couleur que sa djellaba délavée, àmoitié aveugle, sans doute victime du trachome  qui sévissait avec fréquence, tenant à la  main un roseau  qui lui tenait lieu de canne, il priait sans arrêt. Nous ne comprenions rien mais il semblait sincère. Ma mère nous poussait pour qu’il nous bénisse ! Elle n’allait quand même pas donner son bel argent sans recevoir quelque chose en échange, ne serait ce qu’une petite bénédiction !

Il était accompagné d’un jeune garçon au regard vif, son petit fils sans doute, qui ne disait rien et lui tenait l’autre main.

Yhya psalmodiait avec ferveur, les yeux mi-clos, sa main tordue par l’arthrite sur nos jolies petites têtes d’enfants!

Si un autre rabbin passait en même temps que lui, il le renvoyait sans ménagement. C’était son quartier, ses clients, ses juifs à lui, pas question de les partager avec quiconque!!!

Shiiiirrrr !!! Va t-en !!!Shiiiir  ch t’ai dit !!!Plus quelques mots en arabe et en hébreu auxquels je ne comprenais rien !

 De rabbin pacifique et religieux il devenait méchant, redoutable et impitoyable. L’autre faisait mieux de s’éloigner sans demander son reste !!!

Abdallah l’aveugle venait chanter sous nos fenêtres. Sa voix, d’une pureté exceptionnelle, s’envolait de la courette où nous vivions jusqu’aux terrasses avoisinantes, jusqu’au ciel, jusqu’aux étoiles, jusqu'à Dieu lui-même.  Tout se taisait ! Un grand silence religieux que respectaient même les moineaux et les hirondelles !

Son chant déchirant disait quand même l’espoir d’une vie meilleure. Son luth l’accompagnait  et je pense qu’à ce moment  tout le monde voulait le croire, non ! Tout le monde le croyait !

Les piécettes pleuvaient  dans la courette de chez nous avec un joli timbre musical. Lui savait d’instinct comment les retrouver, pas une ne lui échappait!

Pour nous remercier il chantait une autre chanson gaie et enlevée cette fois ! Et pour un instant, un court instant seulement, la paix régnait sur le monde !!!

Bob Oré Abitbol

boboreint@gmail.com

Commentaires

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J'étais encore jeune lorsque j'ai quitté Casablanca, et je ne me souviens plus trop des noms des rues ni des quartiers, mais j'ai gardé des souvenirs très vifs des mendiants. Le premier était terrible ! Comme tous les enfants, je courais terrorisée vite me réfugier à la maison, nous habitions dans un des immeubles nouvellement construits face à la mer ; une femme, de sombre vêtue, martelant le sol avec sa canne, montait les marches en psalmodiant des paroles incompréhensibles pour moi, mais sa voix d'outre-tombe me faisait trembler de peur. Ma mère me raconta que cette femme avait été forcée à se convertir au christianisme ; était-elle juive, musulmane, je n'en savais rien, mais à cet âge là, je devais avoir quatre ans, cela me semblait monstrueux, et pas étonnant que cela tranforme une femme en sorcière...

J’ai bien appréciée merci

Merci de corriger le nom de rue : rue Verlet Hanus avec un H.

Cordialement

c tout simplement génial.

Des témoignages tous plus beaux les uns que les autres qui évoquent tout un monde disparu que je suis heureuse de découvrir.

Merci pour ces partages magnifiques.

fatna

Ce récit m'a ramené plus de 50 ans en arrière, toutes les émotions intactes. J'ai quitté le Maroc à 13 ans mais vécu dans le quartiers européens. Il n'empêche, mes parents m'emmenaient souvent avec eux pour les courses et je me suis un peu baladé dans cas, fez dans mon enfance. Ces rues, je les connais, mes parents avaient habité rue Lusitania je crois bien.
Merci pour cette description qui évoqué en moi des souvenirs et même des odeurs. Continuez d'écrire, c'est royal.
Robert HAZAN

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