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Lorsque la splendide ville d'Essaouira célèbre son judaïsme, par Marc Knobel

Lorsque la splendide ville d'Essaouira célèbre son judaïsme, par Marc Knobel

 

Et si vous demandiez... "S'il te plaît, dis-moi qui tu es? Qui es-tu?"... Une simple question qui fait de nous des êtres humains, en conscience, de ce que nous sommes. Mais, ce que nous sommes n'est-il pas le fruit de tout ce qui fut, comme des touches à l'infini, construisant ainsi notre vie et nous reliant en mémoire à ce que nous fûmes et ce que nous sommes? Expliquons. Au firmament de la quête identitaire, nous nous interrogeons. Le passé ne passe plus, ne passe pas. Les anciens ont/peuvent avoir une vision idéalisée ou déformée du passé, remplie de nostalgie et par là-même, déformée/fausse/corrompue. Qu'est-ce qui est vrai dans les récits que nous entendons, les uns et les autres? Comment déforme-t-on les choses? Comment amplifie-t-on certaines choses? Qu'entendons-nous de ce qui fut, lorsque l'on nous raconte ce qui fut? À toutes ces questions, je réponds qu'il faut toute l'érudition de l'historien pour nous dire vraiment ce qui a été. Il ne s'agit pas d'inventer/enjoliver une histoire/l'histoire de... mais de retracer les faits et de les analyser. Et, surtout de ne pas nier, de ne pas nier qu'il y eut, qu'il fut, que cela a été, et que des ruines du passé, nous pourrons rendre hommage et (re)construire.

Expliquons.

La ville d'Essaouira au Maroc est une ville merveilleuse, saisissante de beauté, entourée de fortifications. La ville fortifiée du milieu du XVIIIe siècle est entourée d'une imposante muraille de style Vauban. Portugaise à l'origine, elle a été construite sous le sultan alaouite Sidi Mohamed Ben Abdallah (1757-1790), lointain ancêtre du roi Mohammed VI. D'ailleurs, il faut longer les fortifications, s'attabler près des remparts, arpenter les petites ruelles de la Médina pour en saisir toute la beauté. Le bleu des barques et le blanc ou le bleu des hautes maisons est saisissant. C'est là, toute l'âme d'Essaouira. C'est là aussi toute la magie du Maroc, sans le bruit et l'animation trépidante de Marrakech. Se promener à Essaouira est un enchantement, il y a là comme une âme qui traverse le temps, comme de la magie.

Mais, on ne peut parler d'Essaouira sans évoquer son ancienne et imposante communauté juive. Il n'est pas exclu qu'antérieurement à la fondation d'Essaouira en 1764 par Sidi Mohammed ben Abdallah, des juifs soient venus avec ces navigateurs et colons et qu'ils aient créé une petite colonie juive qui vivait dans le village de Diabat tout près de la ville actuelle, racontent Frédéric Abécassis, Karima Dirèche et Rita Aouad (dir.), dans "La bienvenue et l'adieu. Migrants juifs et musulmans au Maghreb (XVe-XXe siècle)" (1). Quelques années après sa fondation, ils étaient toujours là (1). La communauté juive de Mogador, aujourd'hui dispersée dans le monde, a connu tout au long de son existence relativement courte (à peine deux siècles) un va-et-vient constant de personnes, de familles et de groupes qui a produit des changements démographiques, économiques et sociaux au sein de la ville et dans la région (2). Parler d'Essaouira, sans se rappeler que les/des Juifs y furent, y ont semé et l'ont aimé, n'a pas de sens.

Cependant, la création de l'État d'Israël en 1948 incite aux départs, dont le nombre ira croissant. Le 2 mai 1963, 350 juifs quittent Mogador dans sept autobus en direction de Casablanca, d'où ils embarquent sur un bateau marchand grec qui les conduit à Marseille puis vers Israël. Il s'agit de la plus grande émigration effectuée en un seul jour de juifs de la ville (3). En 1968, il ne restait plus que 400 juifs à Mogador. En 1990, on trouve cinq juifs seulement, et aujourd'hui il n'en reste plus que deux. Cependant, on dit qu'aujourd'hui, une cinquantaine de juifs y séjourneraient ou y auraient une résidence secondaire.

Est-ce ou serait-ce une raison pour gommer l'histoire? Nier la présence juive? Étouffer dans l'oeuf qu'il en fut ainsi? Heureusement, non et nous devons être reconnaissant aux autorités marocaines de ne pas gommer ce/le passé. Justement, à quelque semaines de la fin des travaux de restauration de "Bayet Dakira" (Maison de la Mémoire) qu'encadrera "Slat Attia", l'une des synagogues les plus emblématiques d'Essaouira, c'est "Slat Al Kahal", une autre synagogue sur la quarantaine que comptait la cité des Alizés, qui a été inaugurée, jeudi 26 octobre 2017, au cœur du quartier El Melah de la ville d'Essaouira (ex Mogador), au Maroc. Prenant la parole à cette occasion, André Azoulay, Conseiller de S.M. le Roi Mohammed VI et président-fondateur de l'Association Essaouira-Mogador, a dit sa profonde émotion et sa grande fierté de voir Essaouira Mogador accueillir, pour un weekend du Festival des Andalousies Atlantiques, plus de 300 familles de Souiris de confession juive, venues des quatre coins du monde, pour fêter "l'histoire, la mémoire et leur enracinement inaliénable dans la culture et l'identité marocaines", selon le quotidien marocain Le Matin, du 29 octobre 2017. "Notre histoire n'est pas seulement celle de la nostalgie ou de l'évocation d'un passé lointain, elle est celle d'une civilisation vivante qui s'exprime et se met au futur, en s'inscrivant au plus profond d'un consensus national fort du leadership de S.M. le Roi Mohammed VI". Qui mieux qu'André Azoulay peut dire l'histoire du Maroc et de ses Juifs? Qui mieux qu'André Azoulay peut raconter le passé, le présent et imaginer une renaissance, en la restauration déjà d'un patrimoine qui appartient au demeurant à tous les marocains? Avec émotion, André Azoulay explique la démarche: "On veut se rappeler pour construire et écrire une autre histoire dans la relation entre Islam et Judaïsme", en s'appuyant sur le fait que "la ville d'Essaouira a été toujours le navire amiral de cette résistance et aussi un véritable espace vivant", déclarait-il cette semaine au site Atlas.Info.fr.

Lors du Festival, la projection en avant-première du film documentaire "Sous les vents de Mogador" (4), de son réalisateur Abdel Mouzi, a eu lieu. Ce film documentaire livre une série de témoignages recueillis auprès de Mogadoriens de naissance, juifs et musulmans, à l'instar de Joseph Sebag (Libraire), Sidney Corcos (chercheur et ex-directeur de musée), André Azoulay (conseiller du Roi), ou encore Mina Mghari (professeur d'histoire à l'Université Mohammed V), et Hassan Hamouche (Enseignant), relate le site Atlas Info. Le film zoome également sur la richesse et l'authenticité du patrimoine architectural et civilisationnel de la cité des Alizés, en tant que carrefour et espace vivant et exceptionnel de brassage des cultures.

Quelques puissent être l'histoire, la douleur, la tristesse, le chagrin et la peine, le ressentiment et la gêne, la folie des hommes, une mémoire sous tension et son éventuelle instrumentalisation d'un côté comme de l'autre, il nous faut avancer. Plutôt que de s'éviter, de s'oublier et de se perdre, chantons ensemble sur un air d'Oud. Les Juifs du Maroc qu'ils soient aujourd'hui au Canada, en France ou en Israël, restent très attachés à leur pays d'origine. Et lorsqu'ils parlent du Maroc et de son peuple, ils chantent avec le cœur. Il chantent cette bénédiction, ce beau pays qui a pour nom: le Maroc.

(1) "La bienvenue et l'adieu. Migrants juifs et musulmans au Maghreb (XVe-XXe siècle)"
(2) Idem.
(3) Idem.
(4) Sous les vents de Mogador, de Abdel Mouzi

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