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Peut-on déradicaliser les djihadistes?

Peut-on déradicaliser les djihadistes?

 

 

En Arabie saoudite, mais aussi au Yémen, ont ouvert des centres de «réhabilitation» spéciaux. Leur objectif: désintoxiquer du djihadisme. Le modèle est-il exportable en Europe?

 

Sevrer du djihadisme, tel est l'objectif que se sont fixés certains pays. Au Yémen, en Indonésie, en Arabie saoudite, des centres de réhabilitation promouvant des méthodes «soft» sont créées pour les anciens djihadistes d'al-Qaida. Au programme: séminaires sur les affaires religieuses pour éloigner de la pensée du djihad alternant parfois avec des moments de détente dignes des villages Pierre et vacances (sauna, gym, spa, salle de remise en forme)...

En Arabie saoudite, on essaye d'allier le spirituel et le matériel en créant des infrastructures luxueuses pour les terroristes. «Une manière de se présenter comme un pays miséricordieux qui remet dans le droit chemin et soigne au mieux les anciens djihadistes», observe Stéphane Lacroix, maître de conférences à Sciences Po Paris et spécialiste de l'islam politique.

Ainsi, la nouvelle installation quatre étoiles située depuis 2013 dans la ville de Riyad incite les détenus à modérer leurs croyances en leur offrant tout le confort d'un hôtel de luxe. Malgré les moyens financiers mis à disposition, peut-on vraiment déradicaliser les djihadistes? Les méthodes employées sont-elles efficaces?

Un prosélytisme à la saoudienne

Apparu en 2006 sous l'impulsion du prince saoudien Mohammed Ben Nayef, ce type de complexe s'appelait auparavant «Centre de conseils et de soins». Il visait au départ à réhabiliter les extrémistes d'une branche locale d'al-Qaida responsable d'une série d'attentats meurtriers en Arabie saoudite.

Par la suite, d'autres centres de réhabilitation ont ouverts dans ce pays. Aujourd'hui, ces établissements accueillent des djihadistes ou des anciens détenus de la prison militaire de Guantánamo. Pour accéder à ces centres, les prisonniers ne doivent pas avoir participé directement à des attentats et manifester leur volonté de revenir à un islam non extrémiste.

Une pratique qui a incité le Yémen et l'Indonésie, fortement marqués par la présence de djihadistes, à faire de même. Dans tous ces pays, cette réhabilitation passe par un enseignement religieux.

En Arabie saoudite par exemple, celle-ci s'inspire du salafisme piétiste. Cette tendance, répandue dans ce pays, poursuit une stratégie de «ré-islamisation» des sociétés musulmanes à travers une prédication non-violente et non directement politique. De manière concrète, l'Arabie saoudite intervient notamment par la formation des prédicateurs, la traduction et la distribution du Coran.

«Les imams saoudiens sont envoyés aux quatre coins du monde pour assurer la prédication. Ces derniers sont formés dans des grandes écoles de théologie. Une expérience et un statut qui leur sert de faire-valoir auprès des personnes voulant être réhabilitées», note Louis Caprioli, ancien responsable de la lutte anti-terroriste à la Direction de la sûreté du territoire (DST) de 1998 à 2004 et désormais conseiller du groupe de gestion et d'analyse des risques Geos.

Cette légitimité religieuse permet aux oulémas (théologiens de l'islam) d'apporter des lectures contradictoires au djihadisme. «Ces salafistes piétistes se réclament des mêmes sources que les djihadistes, cela permet donc la création d'un espace de discussion et une base d'argumentation. Néanmoins, ils rejettent certaines choses comme le djihad car il n'a pas été décrété par un leader politique», explique Stéphanie Lacroix.

Le djihadisme: une pathologie psychique

En plus des cours de «rééducation religieuse» assurés par des oulémas et parfois d'anciens repentis, certains centres de réhabilitation saoudiens proposent une aide psychologique pour les «déviants», un terme utilisé par les autorités saoudiennes pour faire référence aux partisans d'al-Qaida.

D'après Raphaël Liogier, professeur de sociologie à l'Institut d'études politiques, directeur de l'Observatoire du religieux à Aix-en-Provence et auteur de l'ouvrage Le mythe de l'islamisation, pour les sociétés musulmanes comme l'Arabie saoudite, le djihadisme n'est pas considéré comme une attitude normale pour un musulman.

«Les djihadistes sont souvent dans un complexe identitaire. Ils sont frustrés économiquement et possèdent une blessure narcissique qui les poussent à la réaction. Il s'agit d'une pathologie psychique.»

Ainsi, les centres de réhabilitation ont pour fonction de redonner à ces détenus un récit positif. Raphaël Liogier explique:

«Ils essayent de comprendre pourquoi ils en sont arrivés là, et tentent de leur réapprendre le coran. Ils les aident à les faire accéder à ce qu'ils veulent être en leur montrant qu'il est possible d'exister sans ce type d'attitude.»

A leur arrivée, les prisonniers sont entendus et questionnés sur les motivations de leur engagement dans le djihad. Cette écoute est suivie d'un enseignement religieux au travers de discussions. L'objectif étant que les prisonniers reconnaissent le caractère non islamique des actes terroristes.

Une méthode fiable?

Malgré leurs méthodes, certains djihadistes ne sont pas enclins à se laisser réhabiliter car, d'après Stéphane Lacroix, ils considèrent que les oulémas saoudiens sont à la solde du pouvoir et ne sont pas fiables. Néanmoins, selon les chiffres annoncés par les autorités du pays, 2.336 prisonniers d'al-Qaida sont déjà passés par de tels programmes de réadaptation et «le pourcentage de ceux qui rejoignent la minorité déviante après leur sortie ne dépasse pas 10%», a déclaré le directeur des centres de réhabilitation Saïd al-Bishi à l'AFP.

En effet, certains récidivent, comme Saïd al-Chehri, un ancien détenu de Guantánamo devenu le chef d'al-Qaida dans la Péninsule arabique, basé au Yémen. Pourtant, après leur détention sanctionnée par un examen final conditionnant leur remise en liberté, les prisonniers libérés bénéficient d'une aide économique pour leur réinsertion. 

«Une attention particulière est apportée à leur famille et à cet après (obtention d'un emploi, arrangement d'un mariage, etc.) pour que le détenu retrouve une place dans la société», note Raphaël Liogier. Derrière ce prosélytisme saoudien et ces nombreuses aides se cachent des enjeux plus politiques.

«Il s'agit d'un endoctrinement. L'Arabie saoudite souhaite avoir des djihadistes à sa solde. Le pays craint les mouvements autonotomes et les wahhabites authentiques[1] comme Oussama ben Laden qui pourraient nuire à leur autorité», souligne Antoine Basbous, politologue, directeur de l’Observatoire des pays arabes et auteur duTsunami arabe. Preuve de leur aversion: en 1994, l'Arabie saoudite décida de priver l'ancien chef d'al-Qaida de sa nationalité saoudienne car il s'était opposé à la famille royale et avait rallié les opposants au royaume wahhabite en Iran et en Syrie.

Avec les centres de réhabilitation, l'Arabie saoudite essaye de contrôler les djihadistes et de les rendre utiles pour la monarchie. Antoine Basbous:

«Ces djihadistes réhabilités peuvent partir en mission sur ordre du monarque afin de lutter contre leurs ennemis chiites comme le font les membres des mouvements djihadistes financés par l'Arabie Saoudite pour combattre l'Iran (pays majoritairement chiite) en Irak, en Syrie...»

Si, en Arabie saoudite, d'après la déclaration du directeur de ce type d'établissements, la méthode semble fonctionner, il semblerait qu'au Yémen cela soit différent. Certains pays ne bénéficient pas de cette légitimité religieuse et de ressources financières nécessaires pour la réhabilitation des djihadistes. Louis Caprioli:

«Chaque pays a une problématique différente. Le Yémen est un pays en situation de guerre. Les gens ont passé la barrière et sont dans l'engagement militaire, du coup il est plus difficile de les “mettre dans le droit chemin”. En plus il existe des différences régionales, tribales, qui complexifient la situation.»

Et en Europe?

Il n'y a pas qu'au Yémen que les centres trouvent des difficultés à s'implanter. Si certaines sociétés musulmanes ont suffisamment de légitimité religieuse pour créer ces établissements, ce n'est pas le cas en Europe. «Les imams ne peuvent pas s'imposer face à des djihadistes car ils n'ont pas suffisamment de crédibilité. De plus, dans des pays laïques, on ne peut pas créer des écoles musulmanes pour former ces religieux ou payer des imams pour prôner l'islam, cela va à l'encontre de la laïcité», explique Louis Caprioli.

Le vrai problème en Europe reste les prisons. Selon l'anthropologue et auteur de L'islam à la française, John Bowen, dans le cas français, l'idée de la laïcité devrait être assouplie pour contrer le développement du djihadisme, non pas au sein des centres de réhabilitation mais avant tout dans les maisons d'arrêt:

«Les représentants de l'Etat se dégagent des affaires religieuses car ils jugent le sujet trop épineux. Pourtant, la France gagnerait à engager des moyens humains et financiers pour aider les gens à se former dans les écoles de théologie en Egypte ou en Jordanie et à augmenter le nombre de religieux en milieu carcéral.»

Pour autant, comme l'explique le sociologue Farhad Khosrokhavardans une interview accordée au magazine l'Express, les établissements pénitentiaires ne constitueraient pas un vivier de formation des intégristes, même si la menace existe.

«Les "barbus", comme les appellent les autres détenus, forment une petite minorité qui suscite à la fois fascination et rejet. Beaucoup de détenus les jugent trop extrémistes. La plupart du temps, les prisonniers refusent de se mêler de politique.»

Dans son livre L'islam dans les prisons, le spécialiste dénonce la pénurie d'imams responsable de la montée des radicaux. D'après l'auteur, en 2003, il y avait seulement 513 aumôniers catholiques –dont 181 indemnisés–, 267 protestants, et 69 musulmans, dont 30 indemnisés, dans les établissements pénitentiaires français.

Pour Raphaël Liogier, outre le manque de personnel religieux, la prison n'apporterait pas l'encadrement nécessaire ce qui provoquerait l'émergence de «bombes sociales».

«Il faut que la prison soit un lieu où l'on donne une image positive de soi. On doit leur dire: “vous êtes des gens respectables, vous avez fait quelque chose de mal mais on vous intègre dans la société”, pour ne pas qu'ils basculent. Ce sont des individus fragiles, c'est pour cela qu'il faut mettre en place des parcours pour tous les détenus, djihadistes ou non: des formations, des accès universitaires, un travail pour la société.»

Des méthodes de prévention jugées plus efficaces, pour le spécialiste, que d'hypothétiques centres de réhabilitation en Europe.

En attendant, devant le succès de ce type d'établissements, le gouvernement américain soucieux de l'après-Guantánamo semble lorgner sur ces pays d'accueil. D'anciens détenus de la prison militaire ont déjà été transférés en Arabie saoudite tandis que d'autres devraient rejoindre le Yémen prochainement, le président Barack Obama souhaitant le transfèrement des prisonniers vers ce pays. Si aujourd'hui ces sociétés musulmanes semblent apparaître comme le modèle à suivre en matière de détention des djihadistes, c'est sans doute parce que tous partent de ce même constat: la prison ne suffit pas à lutter contre le djihadisme. Au contraire, elle peut devenir une école de radicalisation et de reconstitution de réseaux.

Stéphanie Plasse

[1] Selon Antoine Basbous, le salafisme est «la version à l'exportation du wahhabisme». «Etre salafiste ou être wahhabite revient au même, sauf que le salafisme est plus valorisant, il se réfère aux premiers temps de l'islam, aux compagnons du prophète. Il est en réalité plus vendable à l'étranger.» Pour le spécialiste, le terme «wahhabite authentique» désigne ceux qui prônent le djihad.

 

Slate.fr

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