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Pour les juifs de la diaspora, serrer les dents, encore et toujours - Laurent Sagalovitsch

Pour les juifs de la diaspora, serrer les dents, encore et toujours - Laurent Sagalovitsch

 

 

 

De peur que sa parole soit récupérée ou détournée, le juif de la diaspora se retrouve condamné au silence.

Depuis le 7-Octobre, les juifs de la diaspora vivent en apnée. Quoiqu'ils fassent ou disent, ils se retrouvent pris au piège de contradictions qui sont l'expression même de leur condition, à savoir des individus fiers de leur identité juive, mais d'une identité imparfaite, puisque vécue loin de leur épicentre, d'Israël et de ses frontières.

S'ils affichent un soutien sans faille à Israël, les voilà décrits comme complices d'un génocide monstrueux. Se permettent-ils d'émettre quelques critiques sur la conduite des opérations menée par Tsahal dans la bande de Gaza qu'on ne tarde pas à les accuser de haute trahison et d'intelligence avec l'ennemi. Pris entre le marteau et l'enclume, ils n'ont d'autre choix que de se réfugier dans le silence, silence qui à son tour devient sujet à polémique, selon qu'on l'interprète comme une forme d'assentiment à la politique israélienne ou bien comme son rejet tacite.

Ils souffrent quand on présente Israël comme un État paria exerçant une violence aveugle sur une population innocente. Ils souffrent lorsqu'ils pensent au sort réservé aux otages. Ils souffrent devant les ravages causés par les bombardements israéliens. Ils souffrent face au spectacle de la mort quotidiennement diffusée. Ils souffrent d'être ici et non là-bas. Ils souffrent quand des partis politiques irresponsables feignent d'ignorer l'origine de toute cette violence. Ils souffrent de cette souffrance qui ne peut être dite ni exprimée, mais demeure cadenassée au plus profond de leur être.

Cette souffrance muette est comme un poison qui les dévorerait de l'intérieur. De peur qu'elle soit mal interprétée, cette souffrance ne peut être confiée à personne, elle est vouée à rester secrète, enfouie au milieu de pensées qui agissent comme autant de fantômes destinés à les torturer de l'intérieur. Nulle échappatoire possible, si ce n'est de serrer les dents encore et toujours, de veiller à ne rien laisser trahir de leurs émotions, de tout garder en soi.

    À l'heure où le conflit s'enlise dans les sables mouvants d'une guerre sans vainqueur, d'une guerre perpétuelle, le juif de la diaspora est juste fatigué, très fatigué.

Comment expliquer à autrui le déchirement d'une âme dont l'attachement à Israël demeure inflexible, mais qui, en même temps, se désole de la manière dont ce pays est dirigé, de cette mainmise opérée par une droite nationaliste et raciste au comportement si outrancier qu'il apparaît comme une injure même aux valeurs fondamentales du judaïsme.

Comment être en même temps, pour et contre Israël? Comment exprimer un amour teinté de colère et d'amertume? Comment être aux côtés des Israéliens, tout en les sommant de reprendre leurs esprits? Comment exiger de leur part plus de discernement, quand on vit loin d'eux et de leurs préoccupations existentielles, de la peur de disparaître à tout jamais?

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Comment rester de marbre quand fusent de partout les accusations d'un génocide qui n'a de nom que celui accordé par des esprits obsédés par l'idée de consacrer les juifs comme les dignes successeurs de leurs bourreaux d'hier, ce rapprochement ignoble avec le nazisme qui donne des haut-le-coeur et des envies de pleurer? Comme si Israël n'avait pas le droit de commettre les atrocités inhérentes à toute guerre, sans que soit évoqué le plus abominable des meurtres jamais commis à la surface de la Terre. Comme si entre Israël et le nazisme, il ne pouvait exister les mille et une variations qui depuis toujours ont rythmé le coeur des hommes, ces guerres de conquête, ces batailles acharnées où ont péri par millions des populations innocentes sans que jamais ne vint l'idée de les comparer, même a posteriori, aux atrocités nazies.

Mais comment assister sans rien dire à cette poursuite de la guerre qui chaque jour, charrie son lot de morts, comment ne pas s'émouvoir de la douleur de ces individus fauchés par des bombes parfois aveugles, comment accepter qu'une nation aussi avancée qu'Israël ne voit pas dans quelle impasse elle s'enfonce, comment ne pas lui hurler d'arrêter ce déluge de feu qui semble s'abattre sans qu'on comprenne son objectif ni ses visées?

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De tous ces étranglements, le juif de la diaspora ne peut rien en dire. Pris en tenaille entre des défenseurs acharnés jusqu'à l'aveuglement des agissements de l'État hébreu et des propagandistes prompts à les caricaturer, il n'a d'autre choix que d'endurer en silence toute cette tempête. Il y est certes habitué. Il porte en lui les stigmates d'une histoire qui, depuis les origines, ne l'a pas épargné. D'une certaine manière, il est invincible.

Mais à cette heure où le conflit s'enlise dans les sables mouvants d'une guerre sans vainqueur, d'une guerre perpétuelle, il est juste fatigué, très fatigué.

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