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Voir la gloire divine : de Moïse à Ezechiel. Par le Grand Rabbin Gilles Bernheim

Voir la gloire divine : de Moïse à Ezechiel. Par le Grand Rabbin Gilles Bernheim

 

 

La Haftara de la Parachat Para qui est tirée du livre d’Ezéchiel, nous donne l’occasion d’aborder ce prophète, la grandeur et la spécificité de sa Nevouah.

La manière dont prophétise Ezéchiel, à partir de -593, en exil à Babylone, est sans précédent. Ezéchiel est un grand visionnaire. D’ordinaire, les prophètes d’Israël entendent des paroles, mais leurs visions sont rares et simples : un amandier, un chaudron (Jérémie : ch.1, v.11 et 13), des sauterelles, une corbeille de fruits (Amos : 7,1 et 8,1). Isaïe ne commente son propre témoignage (« J’ai vu D. ») que par quelques mots de description.

Moïse, dans notre Paracha de Ki Tissa- a demandé à voir la gloire divine (33,18). En réponse à sa requête, D. lui pose Sa main devant les yeux, tandis qu’Il passe devant lui. « … Puis, quand passera Ma gloire, Je te cacherai dans la cavité du roc, et Je t’abriterai de ma main jusqu’à ce que Je sois passé. Alors Je retirerai ma main, et tu Me verras par derrière, mais Ma face ne peut-être vue » (Chemot 33, 11- 23). Elisée n’a pu voir, quant à lui, que de loin et le temps d’un éclair le char qui emportait son maître.

Pour Ezéchiel, c’est différent : il a vu la gloire de D., et à le lire, on se dit qu’il a tout vu, comme à découvert. Rien d’étonnant s’il a tant de mal à le décrire : Ezéchiel voit plus qu’il ne peut en dire. On a le sentiment qu’il peine à rendre compte de ce qu’il voit tant il est prolixe, et nous avons, quant à nous, du mal à le résumer. D. est au-delà de toute vision, et les visions d’Ezéchiel découragent leur description.

Ce qu’il voit (ch.1 et 10), c’est un mouvement difficile à imaginer : quatre roues dont « la hauteur des jantes faisait peur » (1,18), et qui, restant inséparables, se propulsent chacune vers l’un des quatre points cardinaux ! Leur expansion ne les disperse pas. C’est le char de la Gloire. Il s’y trouve des vivants qu’il nous semble pouvoir identifier, qui nous évoquent la salle des antiquités assyriennes au Louvre : visages d’hommes, corps de taureaux aux ailes d’aigles. Leurs ailes s’entrechoquent… Rien ne manque, ni les couleurs (de diverses pierres précieuses), ni le son (« rumeur de tempête »). Sur le char, était comme l’aspect d’un homme » (1,26 et 28). Le char rejoint le prophète loin de Jérusalem. Jusqu’alors, on avait cru que Jérusalem, et plus particulièrement le Temple, lieu saint par excellence, était l’habitacle de la Gloire divine. La voici cette Gloire, au loin chez les païens. Pour comble, on ne l’avait jamais vue de si près que là-bas, en terre profane.

Ezéchiel brave des conventions pour décrire en D.  une entité animée et foisonnante. En somme, décrire la Gloire divine c’est décrire D. comme un vivant. L’incompréhensibilité de D. descend dans l’expérience humaine au travers d’une profusion d’images incompatibles. Cela oblige à dépasser le visible, mais ce sera par le chemin du visible et non par des idées. Beaucoup de mystiques procéderont ainsi.

Plus tard, Ezéchiel apparaîtra comme une pierre d’achoppement aux yeux de certains sages d’Israël qui pensaient que le trop-plein de ses visions risquaient de déstabiliser les esprits faibles. En effet, le contrecoup d’une pareille expérience c’est la réduction du voyant à sa propre fragilité. États durables de prostration et temps d’aphasie (4,8 et 3,26).

En -573, au début de l’année, « le dix du mois », Ezéchiel voit la Gloire divine qui revient à Jérusalem « avec un bruit semblable au bruit des grandes eaux » (43,2). L’ange le conduit à la montagne d’où Ezéchiel voit le Temple tel qu’il sera un jour. Un fleuve sortait du côté Est du sanctuaire, et l’eau de ce fleuve était sur le point d’engloutir le prophète. L’ange dit aussitôt au prophète « qu’il y aura beaucoup d’arbres sur les rives de ce fleuve, que l’eau descendra jusqu’à la Mer Morte qui sera si parfaitement dépolluée et poissonneuse qu’on y verra des pêcheurs partout. Les fruits des arbres guériront les malades » (ch. 43).

Ezéchiel a connu Jérémie. Il lui emprunte l’essentiel : D. guérira son peuple. Jérémie en avait dit autant. Ezéchiel en dira encore plus : il dira même que non seulement la Mer Morte sera vivifiée, mais que Sodome et Gomorrhe (les villes qu’elle avait englouties) seront guéries, et même plus vite que Jérusalem, afin que celle-ci, guérie à son tour, devienne leur mère (Ez. 16, 42-62). La tête nous en tourne. D. a donné à son prophète Ezéchiel une vision féérique qui se révélera un jour dans toute sa profondeur prophétique.

 

Grand Rabbin Gilles Bernheim

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