Le monde arabe existe-t-il réellement?
Par Soumaya Naamane Guessous
Lors de mes conférences et séminaires en Occident, on me demande souvent la signification d’"Arabes, Maghrébins, Musulmans… ". Je dis que je suis marocaine, arabe, amazighe, maghrébine, africaine, musulmane, sunnite. Mon auditoire se perd!
Quand on me parle du monde arabe, ça me laisse perplexe. On me dit: "en tant que femme arabe…", je réponds que chaque femme arabe, de pays arabes différents, a ses propres caractéristiques. Impossible d’en définir un profil-type. Qu’ai-je en commun avec une Yéménite ou une Libyenne? Ensuite, allez leur expliquer qu’un pays peut être arabe mais aussi amazigh (ou kabyle) et juif, chrétien et musulman! "Un chrétien ou un juif peut-il être arabe?". Pour plus de vice, j’ajoute l’appellation "arabo-musulman". Là, j’explique que les Arabes musulmans ne représentent que 20% des musulmans. Un cinquième sont situés en Afrique subsaharienne, et la plus grande population musulmane du monde est en Indonésie, suivie par le Pakistan. L’Indonésie en compte en effet le plus grand nombre (240 millions). Pour compliquer davantage les choses, j’annonce que 80% des musulmans sont sunnites et 20% chiites. Le Maghreb est sunnite. L’Iran compte le plus grand nombre de chiites (80%), l'Irak 51%, Bahreïn 50%, le Yémen 45%, le Pakistan 20%.
Ensuite, j’explique que tous les pays arabes écrivent avec la même langue arabe «classique», c’est pour ça qu’on les appelle Arabes, mais qu’ils parlent des dialectes arabes différents. Dialectes que nous autres Marocains comprenons, mais que d’autres peuples arabes, à part l’Algérie et la Tunisie, peinent à comprendre le nôtre. Ouf! Après ces précisions, l’ambiguïté est dissipée chez mon auditoire.
Devinette: quels sont les pays arabes? 23 Etats, dont l’arabe est la langue officielle: la Mauritanie, le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Lybie, l'Egypte, le Soudan, Djibouti, la Somalie, l'Arabie Saoudite, le Yémen, Oman, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, Bahreïn, le Koweït, l'Irak, la Syrie, le Liban, la Jordanie, la Palestine, les Comores et l’Erythrée. La religion est le Judaïsme, le Christianisme et surtout l’Islam. Les pays arabes occupent 10% de la surface mondiale.
Et quelle diversité géographique, historique, culturelle dont on est privée. "On", c’est nous: Arabes, Amazighs, Maghrébins, Africains, musulmans, juifs, chrétiens, sunnites et chiites…
Le monde arabe, al oumma al Arabya, une utopie, puisqu’il n’y a ni unité, ni solidarité: d’un côté des pays immensément riches dont les puissants dilapident honteusement des fortunes colossales dans des futilités, en pétrodollars. D’un autre côté, des populations dévastées par les guerres, l’extrémisme religieux et la précarité. En 1954, la Ligue Arabe, initiée au Caire par Gamal Abdel Nasser, voulait créer l’unité arabe, la coopération entre ces pays, la coordination des actions politiques, économiques et culturelles et contribuer à la paix entre eux. Echec, à cause, entre autres, des divergences politiques des gouvernants.
En 1989, à Marrakech, à l’initiative de feu Hassan II, création de l’UMA (Union du Maghreb Arabe). Objectifs: unir les 5 pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Mauritanie, Tunisie, Libye) et favoriser la libre circulation des personnes et des biens. Echec: mauvaise gouvernance, régimes totalitaires, conflits géopolitiques, interventions destructives de pays occidentaux au nom de la démocratie, mais en fait motivées par le pétrole…
L’instabilité politique des pays membres et surtout les conflits entre le Maroc et l’Algérie seront un autre obstacle à l’UMA. En 1975, le Maroc récupère une partie de son territoire sahraoui, avec la Marche Verte qui a mobilisé 350.000 Marocaines et Marocains. Ce qui va l’opposer à l’Algérie. En représailles, l’Algérie expulse, le jour de l’Aïd el kébir, 350.000 Marocains qui ont abandonné tout ce qu’ils possédaient. Quel drame!
En 1994, attentat de Marrakech où des Algériens étaient impliqués. Le Maroc impose des visas aux Algériens.
L’Algérie ferme ses frontières.
En 2004, fin des visas pour les Algériens et en 2005, fin des visas pour les Marocains entrant en Algérie. Mais l’Algérie maintient la fermeture des frontières depuis 27 ans, malgré les appels du Roi et du peuple marocain, ainsi que de nos frères algériens. 27 ans de gâchis: le Maghreb c’est 6.045 741 km2, 102.877.547 habitants. Un potentiel humain, économique et touristique énorme.
Imaginons un monde arabe harmonieux, sans guerre, sans conflits, où la circulation des personnes et des biens est libre.
Outre les avantages économiques, le touristique serait une merveille. Imaginez un circuit en voiture: Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Soudan, Egypte, Palestine, Jordanie, Liban, Syrie, Irak et enfin l’Arabie saoudite.
Quand la paix régnait dans cet espace, les Marocains faisaient, en voiture, 8000 km pour arriver à la Mecque. Ils revenaient éblouis par la beauté des paysages, la culture et la générosité des Arabes. Aujourd’hui, ce parcours nous est fermé par l’Algérie, malgré l’amitié qui lie nos deux peuples. Le Maroc a toujours soutenu l’Algérie. Mais les gouvernants algériens l’oublient. Nos deux peuples s’aiment, ne cautionnent pas les conflits et espèrent la réouverture des frontières. La semaine dernière, une chaîne de télévision algérienne, dans une émission satirique, a grossièrement dénigré le Roi du Maroc. Les Algériens, à travers les réseaux sociaux, ont exprimé leur indignation et ont appelé au boycott de cette chaîne.
Le monde arabe existera s’il y a une forte solidarité entre les gouvernants et des échanges équitables. Je suis idéaliste, je le sais, mais il m’est permis de rêver. Mon vœu le plus cher serait alors de faire Casablanca-Ryad en voiture. Puisse-t-il un jour être exaucé! En attendant, je rêve de la réouverture des frontières avec l’Algérie pour le bonheur de nos deux peuples, unis par l’histoire, le voisinage et le sang.
Par Soumaya Naamane Guessous