« La Transmission » d’Éliette Abécassis : le judaïsme de père en fille
Éliette Abécassis dresse un portrait intime et émouvant de son père, talmudiste et grande figure du judaïsme français. La transmission, essentielle dans la tradition, est au cœur de ce livre familial
Christophe Henning = La Croix
« La Transmission » d’Éliette Abécassis : le judaïsme de père en fille
Le philosophe et écrivain Armand Abecassis et sa fille Éliette, journaliste et romancière.
La Transmission d’Éliette Abécassis
C’est un essai subtil, familial et universel, tendre et documenté, un portrait en creux d’Armand Abécassis, une des grandes figures du judaïsme français racontée par sa fille Éliette Abécassis. De fait, on lui pardonnera l’exercice d’admiration vis-à-vis d’un père qui l’a instruite de ce monde juif en pleine mutation après la Shoah. En dépassant les accents hagiographiques, ce sont les années 1960-2000 de la recomposition intellectuelle du judaïsme français que révèle le récit.
Transmission
Né le 16 avril 1933, Armand Abécassis est juif au Maroc, séfarade en France, baroudeur allant de Casablanca à Bordeaux, de Strasbourg à Jérusalem. Talmudiste érudit, homme de dialogue et artisan de l’Amitié judéo-chrétienne, il a présenté pendant de nombreuses années l’émission télé du dimanche matin sur France 2 À Bible ouverte, au côté du rabbin Josy Eisenberg. Intellectuel reconnu, invité par les communautés juives, il n’a pour autant jamais imaginé être rabbin, voulant faire du débat philosophique l’espace du plus grand nombre.
Répondant au défi de cette biographie paternelle, Éliette Abécassis nous fait entrer dans l’intimité de l’universitaire, autant que possible. En effet, « mon père est un homme secret. Il ne parle jamais de lui. Il n’est pas commun d’avoir un père talmudiste, philosophe, maître de la tradition et de la transmission. » La transmission est au cœur du livre éponyme mais aussi de la tradition juive et de l’obsession d’Armand Abécassis. N’avait-il pas écrit Le Livre des passeurs, anthologie de textes sur le judaïsme ? Toute son œuvre littéraire est marquée par ce devoir de transmettre, à commencer par les quatre tomes imposants de La Pensée juive (1987). L’enfant qu’était Éliette reste impressionnée par la connaissance paternelle du Talmud et ses 63 traités qui compilent les débats des rabbins depuis plusieurs siècles.
Interprétation
C’est dire que la discussion se poursuivait pour Armand Abécassis, notamment avec cette génération d’intellectuels juifs qui comptait des hommes tels qu’Emmanuel Levinas, Jules Isaac, Gérard Israël, Vladimir Jankélévitch. Faisant de « l’interprétation » le sujet de sa thèse, Abécassis n’a cessé de travailler les textes : « On doit toujours interpréter, la parole n’est jamais définitive : elle n’est pas sacrée », écrit cet intellectuel qui n’hésitait pas à se confronter aux écrits chrétiens, auteur notamment de trois livres sur Jésus.
« Nul comme lui n’a la capacité d’ouvrir l’autre à de nouvelles façons de pensée, avec la modestie de n’être qu’un passeur », écrit sa fille qui, de ce philosophe, dresse aussi le portrait simple d’un homme cultivant ses racines au Maroc, attaché à son histoire, qui préside les célébrations familiales avec humilité. « Pendant de nombreuses années, il a dirigé les prières du shabbat et des fêtes et assuré les longs offices de Kippour », confirme l’autrice, montrant ainsi que les rites font partie de ce patrimoine à transmettre.
Héritage
Que reste-t-il de son enseignement ? L’héritage déborde des seules et impressionnantes connaissances : « Mon père répète que le savoir n’est pas seulement une réponse à une curiosité intellectuelle, mais qu’il aide aussi à transformer le monde, insiste Éliette Abécassis. Autrement dit, ce qu’il cherche à transmettre, ce n’est pas qu’un savoir. C’est beaucoup plus que cela ; c’est en effet l’univers du sens. » Reste un défi : « Comment puis-je transmettre à mes enfants ce que j’ai reçu de mon père ? », interroge Éliette Abécassis. La réponse paternelle est à la hauteur du pari : « On transmet toujours l’Esprit à travers un contenu qui comprend les textes traditionnels, l’Histoire, la langue, les lois, c’est le fondement du judaïsme. »