Cependant,
après avoir accompli un excellent travail, ils furent « brûlés »
et quittèrent le Maroc pour se retrouver à l’Ahshara d’Agen
en France. Ces deux haverim ont été les premiers membres du
Garin Solelim.
Je
me souviens qu’une nuit, le shaliah me rendit visite pour
m’informer que le département de la Aliya avait besoin d’aide
pour une grande opération. Mon rôle consistait à me rendre à
Fez pour prendre en charge cinq garçons âgés de 10 à 12 ans,
et les acheminer vers Casablanca. Leurs parents en pleurs me les
confièrent en s’assurant qu’ils portent des uniformes de
scouts. On leur apprit qu’en cas de questions quant à leur
destination, ils devraient répondre qu’ils étaient en route
pour un grand Jamboree.
Les
enfants avaient faim et j’ai réalisé que, dans l’émotion,
leurs parents avaient même oublié de leur donner de la
nourriture. Lorsque l’autobus s’arrêta pour une pause, je
leur achetai des sandwichs et des boissons. Tout en dégustant les
sandwichs un des garçons me demanda si c’était casher !
Et là, sans hésiter, je mentis pour une bonne cause !
Arrivés
à Casablanca, je confiai les enfants à un autre membre du
mouvement qui les prit en charge pour la nuit. Le lendemain matin,
je vins les chercher en voiture et nous prîmes la direction du
Nord du Maroc. À un arrêt prévu d’avance, les enfants furent
embarqués dans un autre véhicule, et je retournai à Casablanca.
Quinze jours plus tard, nous reçûmes un télégramme du
gouvernement israélien, transmis par nos shlichim, nous félicitant
de notre participation réussie au départ et à l’émigration
de 250 enfants dans le cadre de l’Aliyat Hanoar. Nous fûmes très
heureux de ce succès, fiers de savoir que les enfants étaient
arrivés sains et saufs, et qu’un bel avenir s’offrait à eux.
Cela démontrait l’efficacité de nos organisations dont chaque
contribution, si petite soit elle, ajoutait aux succès de tous
les groupes.
Je
dois louer le courage et la détermination des parents qui témoignèrent
une confiance totale envers l’État d’Israël et nos différents
mouvements.
Lorsque
les membres d’une famille prenaient contact avec
l’organisation, manifestant leur désir de faire Aliya, ils étaient
immédiatement pris en charge. On leur faisait alors part d’une
date approximative pour leur départ et on leur demandait de se
tenir prêts et de se débarrasser discrètement de leurs
possessions, afin de ne pas éveiller les soupçons du voisinage.
Chaque membre de la famille n’avait droit qu’à une seule
valise ne laissant que peu de choix entre le nécessaire et
l’indispensable.
Il
arrivait que, le jour venu, la date soit repoussée. Les familles
devaient alors survivre sur le peu dont elles disposaient, et il
fallait souvent les supporter en leur donnant les moyens de se
nourrir. L’attente continuelle était notre plus grand ennemi.
Les émigrants, et nous-mêmes, vivions dans l’anxiété de départ,
la peur d’être remarqués et même arrêtés, ce qui minait le
moral de chacun. Toutefois, la force du désir de ces familles de
rejoindre la Terre d’Israël prenait le dessus et, tout en écrivant
ces lignes 44 ans plus tard, les larmes me montent aux yeux et je
me remémore le courage de ces familles anonymes, simples, riches
d’espoir et qui, sans mot dire, prouvaient à chacun de nous que
le Sionisme n’était pas un vain mot.
À
ce propos, je me souviens d’une rumeur qui courait dans le
Mellah : Le propriétaire arabe du four, dans lequel les
familles juives avaient apporté leur dafina du samedi, voyant que
des plats n’avaient pas été récupérés, s’exclamait :
« Ah! Encore 10 familles qui sont parties en Israël! ».
Cette rumeur reste gravée dans ma mémoire jusqu’à ce jour et
démontre que nul ne pouvait prévoir de date de départ précise.
Vers
la fin octobre 1960, un deuxième groupe du Garin Solelim, composé
de quatre membres sous les pseudonymes de Orna, Moshe, Lulu, Félix,
et Youval, prit le départ pour l’Achshara d’Agen en suivant
la filière des sans-papiers. Quelques jours plus tard, nous apprîmes
qu’ils avaient été arrêtés à la frontière et emprisonnés
à Nador, ville du Rif au bord de la Méditerranée. Immédiatement,
l’organisation mandata des avocats pour les faire libérer. Bien
entendu, tous les haverim étaient inquiets pour leur santé,
ainsi que de leur réaction aux éventuels interrogatoires. Tous
les membres de l’organisation qui avaient été en contact avec
eux furent mis au « vert », et certains groupes cessèrent
toute activité afin d’assurer la sécurité. Nous fûmes soulagés
d’apprendre de la part de l’avocat chargé de leur défense
qu’ils n’avaient pas beaucoup souffert des interrogatoires.
Nous
entrâmes en contact avec les familles pour qu’elles rendent
visite aux prisonniers, mais ce projet s’avéra plutôt risqué.
Je me portai volontaire mais, compte tenu du fait que j’étais
connu des 5 haverim, et probablement brûlé moi-même, on refusa
cette option. Malgré cela, j’insistai en avançant le fait
qu’en tant que natif de la même ville, comme Lulu, je pouvais
me faire passer pour son cousin car il paraîtrait plus normal
qu’un membre de la famille rende visite à l’un des
prisonniers. Le lien avec l’avocat était insuffisant et nous étions
déterminés à les informer que nous étions solidaires dans leur
malheur et que nous étions disposés à leur acheminer de la
nourriture et des cigarettes afin d’atténuer leur souffrance.
Dès
que la décision fut prise, je décidai de me raser le bouc pour
éviter d’être reconnu, et je pris le train à destination d’Oujda,
ville située à la frontière algéro-marocaine. Après une nuit
passée dans le train, j’arrivai à Oujda, ville qui m’était
tout à fait inconnue, et je tâchai de trouver un transport pour
Nador. Il s’avéra qu’aucun transport public de jour
n’existait pour Nador. Je dus donc me résigner car les heures
de visite n’étaient permises que dans la journée. Un homme,
qui m’avait entendu m’enquérir des moyens de transport vers
Nador, s’approcha et me proposa de m’y conduire, moyennant
paiement. Je pris pour acquis qu’il s’agissait d’un un taxi
collectif, cependant, en chemin je m’aperçus que ce n’était
pas le cas. J’avais commis une erreur et ma sécurité était en
cause. J’étais assis sur la banquette arrière que je
partageais avec un Marocain, tandis qu’une femme occupait le siège
avant. Chacun de nous paya sa part. Chemin faisant, le chauffeur
me demanda la raison de mon séjour à Nador et
je lui répondis que j’étais en vacances et que je
voulais profiter de la plage à Melilla. Il m’invita à lui
rendre visite chez lui et m’apprit qu’il était policier à la
frontière Nador-Melilla, enclave espagnole jusqu’à ce jour.
L’angoisse me prit aux entrailles et je fis des efforts
surhumains pour ne pas me laisser aller à la panique.
Mais
le conducteur était jovial et entreprit de tripoter la passagère.
Celle-ci
s’offusqua et tenta d’ouvrir la portière, alors que nous
roulions à vive allure. Le conducteur perdit le contrôle du véhicule
qui fit plusieurs tonneaux avant de s’immobiliser, les roues en
l’air, au fond d’un ravin. Heureusement, nous étions
indemnes, à l’exception de la passagère qui avait disparu.
Nous gravîmes la pente du ravin et, arrivés sur la route, nous
aperçûmes le corps ensanglanté de la femme gisant à quelques
cent mètres de nous. Ce fut la panique totale, la femme criait et
je n’avais qu’une idée en tête, disparaître! Mais comment?
Le plus terrible était que je craignais une intervention de la
police et une enquête approfondie, qui pouvaient rapidement démolir
mon alibi de vacances à Melilla. Je ne sais si ce fut un hasard
ou un miracle, mais un autobus apparut je ne sais d’où. Je lui
fis signe d’arrêter et je m’y engouffrai aussitôt. Cet imbécile
de policier trouva bon de courir après moi pour me rendre mon
argent, au lieu de s’occuper de la pauvre femme, mais je refusai
et l’autobus démarra.
J’arrivai
enfin à Nador et me mis en quête d’un endroit où faire une légère
toilette et reprendre mes esprits. C’était une ville bien arabe
avec une grande avenue bordée de cafés maures. J’étais plutôt
à la recherche d’un café européen, comme on en trouvait dans
toutes les villes du Maroc, lorsque au bout de l’avenue menant
à la mer, je découvris un superbe restaurant sur pilotis. J’y
entrai et me dirigeai vers les toilettes où je pus me déshabiller.
Un tas de petits fragments de verre tomba à terre et je pus
constater que je n’avais aucune blessure. Je commandai un café
et un sandwich, puis j’achetai des conserves, des fruits frais
et des cigarettes américaines pour mes amis.
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