Voici une autre voix de la paix provenant de Beyrouth
Jeudi 20 Juillet 2006 | 5:00 | Beyrouth
Apprendre la ferveur
L'article de Ziyad MAKHOUL
Il dit : « Certes, il y a des morts et des dégâts, mais nous avons notre fierté, c’est déjà ça. Sayyed Hassan Nasrallah nous a donné notre fierté. Il a redonné leur fierté à tous les Arabes. »
Qu’est-ce que tu peux bien lui répondre, lui qui est né et a grandi en Afrique ; lui dont l’accent est encore plus frenchy que le plus autochtone des Parisiens ; lui qui enfile les shots de Stolychnaïa ; lui qui parlait avec le sourire des cafés et des pubs qui allaient ouvrir à Nabatiyé et où les serveuses ne seraient pas voilées ; lui qui n’ a pas encore un quart de siècle ; lui qui maintenant conspue les Amériques, la France, les régimes arabes, le gouvernement Siniora ; qu’ est-ce que tu peux bien lui dire ?
Que tu t’en fous royalement de la fierté, maintenant que ton pays s’enterre, au propre comme au figuré ? Que la fierté ne compte plus maintenant qu’Israël brûle tout, maintenant que n’existe plus le moindre équilibre entre le Liban et l’ensemble des pays de la région ? Que la fierté ne compte plus, maintenant qu’elle a été bouffée jusqu’à l’os par l’infinie vanité de ces nouveaux Icare, faux démiurges, ces aventuriers qui, à l’avenir d’un pays, à sa sécurité, sa stabilité, sa prospérité, sa réputation, ses rêves, préfèrent les causes panarabes obsolètes, stériles, hystériques et absolument hors sujet ?
Qu’est-ce que tu lui réponds ?
Que la fierté, la vraie, c’est regarder un peuple-message donner des leçons de vie et de convivialité aux plus obstinés des fédéralistes ? Que la fierté, la vraie, c’est trébucher, à chaque mètre, sur un touriste fou d’amour ; la fierté, la vraie, c’est un agriculteur du Akkar, du Sud, de la Békaa, heureux comme un bébé quand il fait goûter à un Suédois, un Français, un Saoudien, un Argentin sa jebné baladiyyé ? Que la fierté, la vraie, c’est d’avoir bouté les soldats israéliens et syriens du territoire libanais ? Que la fierté, la vraie, c’est un État souverain, indépendant, capable de déployer son autorité sur l’ensemble de son territoire ? Que la fierté, la vraie, c’est faire de la troupe une armée forte, calme, rassurante dans toute sa mixité ? Que la fierté, la vraie, c’est d’enlever la carte « Liban » des mains trop sales des uns et des autres ; que c’est d’empêcher Bachar el-Assad ou Mahmoud Ahmadinejad d’utiliser ce pays juste pour le brûler ; que la fierté, la vraie, c’est de neutraliser le Liban ? Que la fierté, la vraie, c’est d’être libanais avant tout, avant que d’être sunnite, chiite, maronite, orthodoxe, druze, avant que d’être prosyrien, pro-iranien, proaméricain, profrançais, pro n’importe quoi ; d’être libanais avant que d’être Arabe ? Que la fierté, la vraie, c’est, au lieu d’envoyer des missiles sur Haïfa ou Tel-Aviv, faire de Try, de Batroun, de Beyrouth des espaces cent fois, mille fois plus grouillants, plus visités, plus appréciés ? ( suite au prochain message)
Que la fierté, la vraie, c'est de continuer à oeuvrer pour devenir la plus belle des démocraties du monde arabo-musulman, plus encore, du Proche-Orient ? Que la fierté, la vraie, c'est de respecter à vie l'accord d'armistice, et de refaire de ce pays un Liban, un vrai ?
Qu'’est-ce que tu lui réponds ? Il ne veut pas entendre. Alors, tu attends la fin de ça, la fin de l'Apocalypse now, et tu lui montres l'étendue des dégâts, en êtres humains, en dollars, en temps perdu, tu lui rappelles que tout cela a été justifié par, soi-disant, la libération de trois prisonniers en Israël et tu regardes ses yeux. Ça, s'il n'y a pas de guerre civile.
La fierté, la vraie ? C'est de réussir à éviter cette guerre civile, encore une, c'est d'’éviter de faire le bonheur des gouvernements iranien, syrien et... israélien. La fierté, la vraie, c'est de devenir, aujourd'hui, un collectif, un ensemble de communautés, un peuple insensément égoïste. Aujourd'Hui, désormais, c'est dans cet hyperégoïsme, cet égoïsme, et seulement là, que se définit, se comprend et se pratique ce concept un peu clinquant et terriblement prostitué – et pourtant urgent et incontourable , qu'est le patriotisme.