voila l'article Mer Andre
Faut-il amnistier Hassan II ?
Le Maroc pourrait clore définitivement le dossier des années noires : Pardonner les crimes du passé en échange d'un vrai pacte démocratique.
Faut-il amnistier Hassan II ? Passer l'éponge sur ces années de plomb où les responsabilités individuelles sont établies mais où les décisions du souverain défunt dans la perpétuation d'atteintes graves aux droits de l'Homme sont corroborées par de multiples témoignages ? Peu de doute subsiste sur l'implication directe de Hassan II dans l'affaire Tazmamart ou le traitement réservé à la famille Oufkir. Mais au-delà de ces cas emblématiques, la terreur engendrée par le système de répression mis en place par le régime avait pour but de terroriser les apprentis dissidents. Elle était un principe de gouvernance.
Le dilemme Basri
L'actualité de ces questions est illustrée par les dissensions au sein de l'appareil sécuritaire. L'affaire Basri a servi de déclencheur à une confrontation qui était prévisible. « Le général Hamidou Laânigri n'apprécie pas du tout le traitement réservé à Driss Basri. Il a tout fait pour calmer le jeu », affirme ce fin connaisseur des affaires du Makhzen. Après avoir participé à l'hallali contre l'homme fort des années Hassan II, après s'être positionné auprès des médias comme le sécuritaire anti-thèse de Basri, Hamidou Laânigri se serait finalement rendu compte que la vague qui avait emporté l'ancien ministre de l'Intérieur allait le noyer lui aussi. « Fouad Ali El Himma n'a pas hésité à rejeter la responsabilité des dérapages sécuritaires de l'après 16 mai sur le patron de la Sûreté nationale » avance cette source proche du Palais. Le général, admirateur du président tunisien Benali , a-t-il senti le vent tourner ? S'est-il rappelé, qu'après tout, lui aussi était un pur produit des années Hassan II que l'on pouvait sacrifier comme l'énième vestige d'une ère révolue ?
La mise à la retraite peu glorieuse des généraux Kadiri et Harchi n'a rien fait pour le tranquilliser. Le premier est obligé de demander l'autorisation au Roi pour voyager hors du pays. Une mesure qu'aucun règlement ne prévoit. Quant au dernier patron de la DGED, son départ avait beaucoup plus l'air d'un pur licenciement. Et pour ne rien arranger on a fait appel, pour le remplacer, à un ami d'enfance du Roi, et non pas comme le voulait la tradition, à un homme fort de l'appareil militaire. Une « déhassanisation » qui ne s'arrête pas et qui risque d'aller trop loin. Les dernières révélations sur la probable implication du général Benslimane dans l'affaire Ben Barka est venue augmenter le stress.
Le piège d'un processus
Enfin le processus entamé par l'IER inquiète les hiérarques de l'appareil sécuritaire par le manque de clarté de ses objectifs ultimes. Certes, les victimes ont été obligées de taire les noms des tortionnaires lors des auditions publiques et Driss Benzekri a presque mené campagne pour blanchir le régime dans l'affaire des atteintes des droits consécutive aux attentats de Casablanca. Mais que dire des milliers de témoignages avec force détails recueillis par l'Instance ? Qu'en fera le régime ? Les sous-entendus en privé de certains responsables de l'IER sur le thème « Le système s'est fait piéger avec cette histoire de témoignage, il ne pourra plus reculer », donne des sueurs froides. On peut toutefois se demander si ces inquiétudes sont justifiées ?
Prenons les attaques contre Driss Basri. Les derniers développements de l'affaire pointent vers une accalmie. En d'autres termes l'ex-grand vizir de Hassan II s'en sort plutôt bien, bénéficiant en cela des contradictions profondes du régime actuel. Des contradictions cruellement soulignées par l'évolution des procédures relatives aux délits « économiques » commis sous l'ère Hassan II.
Les responsables de l'ONG anti-corruption Transparency International font remarquer que l'enlisement des procès relatifs au CIH et autres délits en relation avec l'argent public envoie un message d'impunité qui se reflète dans l'évolution de la corruption. La question devient dès lors : pourquoi le régime ne va pas jusqu'au bout ? Parce que ce faisant, il remettra en cause sa propre gouvernance.
L'attachement à l'absolutisme de la Constitution actuelle conduit inévitablement à faire mourir dans l'œuf tout processus qui risque de la remettre en cause. Or ces affaires montrent in fine que les systèmes de rente, de corruption sont le produit d'une gouvernance toujours en vigueur. Ainsi, si l'IER a poursuivi le travail de compensation des victimes déjà entamé sous Hassan II, et si elle permet la consignation de témoignages dont on ne connaît d'ailleurs pas la destination, elle n'a pas permis, comme cela a été le cas des commissions de vérité les plus réussies (comme celle de l'Afrique du Sud), un changement de régime vers une vraie démocratie. Ce qui amène une autre question : la société n'est-elle pas en train de réaliser une très mauvaise transaction ? Ne sommes nous pas en train d'accepter de perpétuer un régime défectueux, de sacrifier les caciques de l'ère Hassan II, non pour établir la démocratie, mais pour faire place nette pour les favoris du nouveau régime ? N'aurait-il pas mieux vallu poser sur la table la question de l'amnistie sous condition, premièrement de l'établissement de la vérité et deuxièmement d'une réforme constitutionnelle qui assure la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice, seuls remparts valables contre la répétition des crimes du passé ? La question est épineuse car elle nie le droit des victimes à la justice mais elle leur apporte le réconfort d'investir leur sacrifice dans une véritable démocratie qui protégera leurs enfants et les nôtres. Il est toutefois bien évident que si cette proposition se matérialise un jour, et on en est loin, au moins une grande majorité d'entre eux doit l'accepter avant qu'elle ne prenne effet.
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