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Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM

Envoyé par cohenelie 
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:23
Été 1942 : Les grandes rafles

Nous avons appris (rien n’a été publié dans les journaux ni dit à la radio), les grandes rafles de Juifs étrangers à Paris et dans la zone nord, les 16 et 17 juillet 1942. En fait, c’était l’application de la résolution de Wannsee (fin janvier 1942) qui instaurait la Solution finale, c’est-à-dire, l’extermination des Juifs d’Europe.

Pour ceux qui ont été arrêtés, ils ont été envoyés au camp de Drancy et plus tard vers les camps de la mort. Nous l’avons appris par quelqu’un qui est venu, et aussi par des cartes inter-zones envoyées de Paris. Néanmoins, nous ne pouvions rien faire.

Lilette et Daniel sont partis dans des camps E.I., et mon mari et moi avons décidé de prendre une quinzaine de jours de vacances. Nous sommes allés à Luchon dans les Pyrénées, où séjournaient nos amis Racine. Nous avons pu faire une grande balade vers les sommets des Pyrénées, en couchant dans mi refuge et tôt le matin, nous avons escaladé un pic surplombant le lac d’Oo (j’ai gardé une photo de cette balade). Mais vers le 1er août, mon mari a dû aller à Marseille pour une réunion d’où il est revenu avec de fâcheuses nouvelles : les arrestations des Juifs étrangers allaient commencer en zone sud, probablement durant la deuxième quinzaine d’août. Nous sommes restés encore trois jours à Luchon, mais le joyeux esprit des vacances s’était envolé.

Castor avait réussi à trouver à Vichy un informateur, un quaker qui travaillait au Service Social des Étrangers du Ministère de l’Intérieur. C’est d’ailleurs absurde, car le gouvernement, d’une part pourchassait la plupart des étrangers et, d’autre part, s’occupait de les aider socialement ! C’est plus tard que j’ai appris que cet homme s’appelait Gilbert Lesage et il a reçu le titre de “Juste des Nations”de Yad VaShem. Il a donc téléphoné à notre centre de Moissac en langage codé, pour nous annoncer quelle catégorie de Juifs étrangers allait être visée.

Le 23 août, sont arrivés au “Chantier” vers 13 heures, un groupe de filles de Moissac en “camp volant” ; je ne me souviens plus si la directrice de Moissac, Chatta Simon, nous a téléphoné ou non. Il s’agissait de filles étrangères dont certaines sorties des camps de Gurs et de Rivesaltes, qui étaient en danger d’être arrêtées ; et Chatta avait envoyé camper tous les garçons et les filles dans cette situation.

Donc arrivent une trentaine de filles avec une cheftaine, harassées d’avoir fait les 7 km nous séparant de la gare. Nous les avons accueillies, nourries, et désaltérées. L’après-midi, vers 15 heures, je reçois un coup de téléphone de Moissac ; “vérifie tes factures depuis 1936”, et moi, comme une idiote, je réponds : “mais je n’ai pas de factures de 1936”. L’autre me dit: “Réfléchis” et raccroche. J’ai compris qu’il s’agissait d’étrangers, entrés en France à partir de 1936. Nous en avions trois que mon mari avait réussi à faire sortir des “Bataillons de Travailleurs Étrangers”: Kurt Klein, un allemand grisonnant, son copain Erwin Spitz, et le polonais ‘Haïm Weintraub. Je leur ai dit : “Il y aura probablement des arrestations demain. Ce soir vous couchez dans la forêt”. C’était le mois d’août et il faisait chaud. J’ai voulu faire partir les filles à notre ferme de La Grasse, mais la cheftaine m’a suppliée; “elles sont fatiguées, elles ont beaucoup marché. Je te promets que demain matin, nous déménageons”. J’ai oublié de dire deux choses : mon mari était absent, et nous avions un téléphone intérieur entre nos fermes, installé grâce à ses astuces. A 5h30 du matin, le téléphone sonne dans ma chambre : “Les gendarmes sont là, au centre, et le chef demande Mr ou Mme Gamzon”. Les gendarmes étaient arrivés à la pointe du jour, étaient montés directement au dortoir des garçons et avaient appelé les trois noms précédemment cités. Les garçons se réveillèrent, ahuris, et ni Kurt, ni Erwin, ni ‘Haïm n’étaient présents.

Je suis donc arrivée à toute vitesse aux Ormes (par ce Kurt Klein, qui fréquentait le café du village - ce que mon mari n’avait jamais le temps de faire - nous avions appris que “l’adjudant de la gendarmerie écoutait la radio anglaise”). Je me suis trouvée seule avec lui entre le dortoir des garçons et la maison principale et je le lui ai dit : “Monsieur l’adjudant, ce ‘Haïm Weintraub, que vous recherchez a été soldat de l’armée polonaise, il a été torpillé en revenant de Narvik, et vous venez l’arrêter?”
- “Ah ! Madame Gamzon, on est obligé de faire des choses qu’on ne voudrait pas faire”.

Dès ce moment-là, nous avons été copains. Il a exigé de vérifier les cartes d’identité de tous les présents et nous avons rédigé ensemble le procès verbal (plus tard, je l’ai invité à déjeuner avec sa femme chez nous, et j’ai déjeuné ensuite chez eux, à la gendarmerie).

Les 30 filles arrivées la veille, avaient filé en douce par l’autre côté du domaine et étaient parties à La Grasse; les gendarmes n’ont pas poussé plus loin leur perquisition. Mais que faire de ces 30 filles? Nous ne pouvions pas les garder. Les paysans des environs auraient vu un accroissement inopiné de jeunes filles. Le même jour, je suis allée l’après-midi en bicyclette, à Castres, voir mon amie Hélène Rulland. Elle n’avait pas de solution immédiate, et elle m’a demandé de revenir le lendemain. Elle avait obtenu entre temps de Monsieur de Rouville notable de Vabre qu’il mette à sa disposition une cabane dans la montagne, au-dessus du village de Vabre. J’ai donc accompagné ces jeunes filles et leur cheftaine à Castres, par l’autobus. Nous avons rencontré Cham et tout le groupe s’est embarqué dans le petit tortillard local qui montait vers Vabre et Lacaune.

Cham et les filles sont restées près d’un mois dans cette cabane très sommaire. Elles n’avaient presque pas de tickets de rationnement. Le boulanger donnait un peu de pain en plus, mais elles n’avaient pas grand chose à manger. Entre temps, notre service clandestin, “La Sixième”, s’est organisé : une partie des filles a pu passer illégalement en Suisse, les autres ont été placées dans des fermes, ou des collèges. Elles ont toutes été sauvées et Cham a reçu, il y a une dizaine d’années, le titre de “Juste des Nations". Elle est décédée depuis.

1942 : Denise-Pivert en paysanne
En revenant en vélo de ma visite à Castres, j’ai senti une forte douleur dans les reins. J’ai fait un rapide calcul et j’ai réalisé que j’étais enceinte d’un bébé, qui est né en juin 1943, et qui s’appelle Elie Gamzon.

A partir de ce moment, il y a eu des échanges de jeunes entre Moissac et Lautrec, de nouveaux jeunes nous arrivaient d’un peu partout et on a commencé à leur fabriquer de fausses identités.

Le 8 novembre 1942, les Alliés débarquent en Afrique du Nord, à Alger et à Casablanca. En représailles, les Allemands envahissent le 11 novembre la zone sud. Le sud-est, plus proche de l’Italie, est envahi par les Italiens, qui occupent les Alpes-Maritimes, les Hautes et Basses-Alpes, l’Isère et la Haute-Savoie.

En automne 1942, Castor a décidé de créer une véritable école, qui préparerait aux classes de seconde, première et terminale. Il y avait parmi nous assez de gens capables de donner des cours de français, de mathématiques, de physique, et de biologie. En fait, cette école, qui a groupé une vingtaine d’élèves un peu plus jeunes, ne suivait pas vraiment les règlements de l’Éducation Nationale. J’ai fait moi-même, des cours de philosophie, matière qui m’avait beaucoup intéressée, mais dans laquelle je n’étais pas vraiment à la hauteur. Mes élèves étaient Jérôme Lindon, futur directeur des “Éditions de Minuit”, Claude Lévy, devenu depuis docteur en médecine, et Erwin Fleicher, monté ensuite en Israël.

J’ai eu un début de grossesse difficile et assurais péniblement la direction du Chantier. Castor a pu recruter Gilbert Bloch, jeune polytechnicien, qui avait passé 18 mois comme lieutenant aux “Chantiers de Jeunesse” de Vichy, chantiers qui avaient été dissous par les autorités allemandes. Il venait d’une famille de Nancy assez assimilée, mais ressentait, comme nous tous, les coups que nous portait le nazisme. Intelligent et méthodique, il a bien analysé les problèmes du Chantier. Mais il avait aussi ce que j’appelle un “esprit d’officier français”, parfois agaçant. Je dois dire que les jeunes du Chantier éprouvaient un grand respect pour lui. Il a commencé à découvrir le judaïsme avec Léo Cohn, qui lui donnait très souvent des cours, et s’est mis à apprendre l’hébreu. Il a commencé à lire un peu de Tanakh, et s’est emballé pour les Psaumes .

J’étais un peu jalouse d’avoir dû quitter la direction du Chantier, mais je me rendais bien compte que je n’étais plus capable de l’assumer. Dans l’ensemble, j‘ai réussi à maintenir de bons rapports avec Gilbert. En janvier 1943, je suis partie, pour me remettre, sur la côte d’Azur, à Cannes, où j’ai partagé l’appartement de mon amie Anne-Marie Gentily. Robert est venu me rejoindre et nous avons passé quelques jours très agréables dans la maison des Fleg, à Beauvallon.

Pour Pessach 1943, Léo a eu l’idée de fabriquer des matzoth (pain azyme). Il avait mis de côté un sac de blé, et l’avait fait moudre spécialement au moulin du hameau. Dans notre ferme-annexe de La Roucarié, il y avait un four à pain qu’il a fait ramoner et nettoyer à fond, et nos jeunes ont passé une journée à préparer la pâte et à faire cuire les matzoth, comme le raconte Castor dans les Eaux Claires .

Léo avait aussi préparé spirituellement les jeunes à cette grande fête, leur suggérant les questions à poser. Le soir du Séder, nous étions près de 80 autour des tables fleuries. Léo a donné le Séder, et les jeunes ont posé des questions dans la vraie tradition ashkénaze.

Depuis l’installation des Allemands en zone sud, nous avions très peur d’une invasion des SS. ou de la Gestapo. Castor avait fait faire aux jeunes des exercices, au cas où les Allemands arriveraient dans la cour du Chantier ; nous avions installé une garde de nuit sur les deux routes qui y menaient, avec téléphone intérieur.

Au début de juin, j’ai ressenti les premières douleurs, et nous avons appelé une ambulance. Le gardien de la route venant de Castres, voyant vers 2 heures du matin les lumières d’une auto, a alerté le bureau et le responsable lui a répondu : “C’est rien, c’est Pivert qui accouche”. Je suis donc arrivée à la clinique de la sage-femme, Mme Martial, maison impeccablement tenue, et deux heures après, j’ai mis au monde un beau garçon, Elie.

Nous avons célébré dignement, fin juillet, le mariage de Maurice Bernsohn et d’Annette Hertanu, auquel assistaient 150 personnes et pour lequel nous avions préparé un repas excellent pour l’époque.
Pièces jointes:
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:26
Été 1942 : Les grandes rafles (suite et fin)


Mais fin septembre, nous avons appris de fâcheuses nouvelles : le 5 septembre 1943, l’Italie a demandé l’armistice aux puissances alliées; Mussolini a été emprisonné, mais il a réussi à s’évader, et les Allemands ont envahi la zone italienne.

Depuis l’année précédente, comme la zone italienne était plus sûre, un grands nombre de juifs étrangers, peut-être 30 000, s’y étaient réfugiés, dont beaucoup à Nice. Notre organisation clandestine, la Sixième, y avait délégué un de ses chefs, Claude Gutmann, qui travaillait en étroit accord avec le délégué du Mouvement de Jeunesse Sioniste, Jacques Weintraub. ils ont été dénoncés par une infirmière envoyée de Marseille, qui était elle-même dans la Résistance. Claude a réussi à faire passer un papier disant : “J’ai eu des battements, et j’ai pensé à Chatta”. Donc, il avait donné le nom de Moissac, et peut-être de Lautrec. Donc, vers le 1er octobre, nous avons décidé de liquider les maisons d’enfants et les Chantiers Ruraux.

La famille Cohn (devenue Colin) s’est installée dans un petit village, Montredon, et moi, j’ai trouvé un petit logement à Castres où nous nous sommes installés. Entre temps, grâce à Chatta, nous avons eu une bonne fausse identité, c’est-à-dire, celle de quelqu’un qui habitait près de Moissac, et nous sommes devenus, Henri et Marthe Lagnès.

Une partie des jeunes de Lautrec a été placée comme ouvriers agricoles dans les fermes des environs, mais les gens de “La Sixième” envoyaient encore des jeunes d’un peu partout, et le Chantier n’a été définitivement fermé que fin mars 1944. Vers février 1944, une voix à fort accent allemand, a téléphoné à la gendarmerie poux savoir si Mr Gamzon était là, et les gendarmes ont répondu que Mr Gamzon avait disparu et que le Chantier était fermé.

Mon fils Daniel avait eu, en été, une crise intestinale, qui était probablement une crise d’appendicite. Puis, fin novembre, une deuxième crise à Castres. Là, il a été hospitalisé, et opéré dans une clinique. Comme nous avions les assurances sociales au nom de Gamzon, je l’ai inscrit sous ce nom. Mais son instituteur, venu voir quelqu’un d’autre, l’a aperçu et a bavardé avec lui. Quand mon mari est venu le voir, le gosse était très agité : “ A l’école on m’appelle Daniel Lagnès ici je suis inscrit comme Damel Gamzon, et si l’instituteur l’avait découvert ?”. Et le même soir, il avait de nouveau 39° de fièvre.

Plus tard, un ancien jeune de Lautrec qui travaillait dans “La Sixième”, a été arrêté dans un train et nous avions peur qu’il ait sur lui notre adresse à Castres. Nous avons donc décidé de quitter cette ville, et j’ai trouvé à louer à Lamalou-les-Bains, dans 1’Hérault, au nord de Bédarieux et de Béziers, une charmante villa où nous avons déménagé début janvier. Daniel a été à l’école du village, et Lilette, qui devait être en cinquième, a alors suivi les cours d’enseignement par correspondance, donnés par le Ministère de l’Éducation Nationale. Elle travaillait seule et très sérieusement.

Entre les 15 et 18 janvier, a eu lieu la rencontre des chefs E.I., au château de Chamarges, près de Die, qui était devenu un centre de formation de jeunes. Nous étions camouflés comme chefs et cheftaines E.U. (protestants); et quelques chefs de Paris ont pu y venir pour la première fois. Ça a été une rencontre extraordinaire par la qualité des gens présents : Chameau, Castor, le rabbin Samy Klein et beaucoup d’autres.

Un horaire des cours était affiché dans la salle à manger : agriculture voulait dire judaïsme, et Bretagne voulait dire Israël.

Après le dîner du vendredi soir, nous étions en train de chanter, quand le chef du centre est venu nous prévenir : “Un train allemand est signalé à la gare de Die”. Il préférait que nous ne restions pas là, et nous a suggéré de monter dans une cabane pour laisser passer l’alerte. Nous sommes donc partis, avons grimpé deux heures avant de trouver cette cabane un peu ouverte à tous les vents, et y avons passé le reste de la nuit. Le lendemain matin, je suis redescendue avec Feu-Fo qui était restée à mi-chemin. Le train allemand avait passé ; il n’était rien arrivé; et notre groupe pouvait regagner le château. Mais ils ont préféré passer le reste du Shabath là-haut, et sont redescendus vers le soir.

Le dimanche nous nous sommes séparés, après un chant des adieux assez émouvant. Hélas, il en est plusieurs que nous ne reverrons plus : Sammy Klein, Léo Cohn, Gilbert Bloch et je crois, deux des chefs venus de Paris.

Le même soir, j‘ai dîné à Valence, chez mon oncle et ma tante Arthur et Irma Mayer, et ma tante Jeanne Alexandre. Je leur ai vivement conseillé de quitter Valence, où ils étaient inscrits comme Juifs au commissariat de police. Oui, Arthur avait déjà trouvé une pension de famille dans la montagne, mais mes tantes avaient peur de ne pas être bien chauffées. Vers minuit, j’ai pris le train pour Avignon, puis en changeant, pour Castres. Une semaine après, les Allemands sont venus les arrêter. L’oncle Arthur y a échappé, car il était descendu chercher du pain et du lait, et une voisine l’avait prévenu et caché. Mes tantes ont été transférées à Drancy. Mon cousin, Maurice Mayer, qui était dans la Résistance médicale, a essayé, en vain, de les faire échapper. Elles sont parties de Drancy pour Auschwitz, où elles ont été aussitôt gazées.

A Lamalou, nous étions vraiment cachés et ne donnions notre adresse à personne. Nous nous faisions envoyer le courrier à la poste restante de Bédarieux. Nous avions avec nous notre très fidèle bonne, Berthe.

En février, je me suis rendu compte que j’étais de nouveau enceinte. Castor voyageait toujours sous sa fausse identité de Lagnès, mais s’il rentrait plus tard que prévu, il m’envoyait toujours un télégramme, car il savait qu’un retard d’une nuit pouvait laisser supposer quelque chose de beaucoup plus grave.

Et puis, à la mi-mars, l’armée allemande a loué une villa pour le repos de ses officiers, non loin de chez nous. Quand je promenais Elie dans sa voiture, je passais devant la villa, où entraient et sortaient les officiers allemands et les “souris grises”.

Nous avions peur que la Résistance locale fasse un coup contre cette villa, bien visible, et que les Allemands fassent alors des recherches sur les habitants du voisinage. Nos papiers d’identité étaient bons, mais mon mari était soi-disant, représentant en produits agricoles d’une maison de Carcassonne, dont je soupçonne qu’elle n’existait pas. Par ailleurs, il n’y avait pas grand-chose à manger à Lamalou, sauf des châtaignes séchées et du vin. Robert est allé voir le Préfet du Tarn pour essayer de retourner dans ce département, et le Préfet nous a promis de nous protéger si nous venions dans le Tarn.

J’ai visité un château à 20 km d’Albi, mais les propriétaires n’ont pas voulu nous le louer. C’est alors, vers la fin mars, que nous avons décidé, puisque j’étais enceinte, que je passerais clandestinement en Suisse avec les enfants. Il fallait aussi trouver une solution pour ma belle-mère, toujours impotente. Quant à Castor, il irait rejoindre le Maquis, qui s’était organisé, non loin de Vabre, en décembre 1943.

De jeunes E.I. forment le "6" de l'organisation de résistance E.I. la Sixième ; en tête, Claude Guttman.
Pièces jointes:
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Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:28
Le maquis E.I.

Dès novembre 1943, quelques aînés de Lautrec et d’autres centres ont décidé de ne pas se planquer chez des paysans, mais de constituer une équipe de maquisards, qui devrait s’entraîner pour lutter contre l’armée allemande. Ils seraient dirigés par Roger Cahen, lieutenant, et Adrien Gensburger, adjudant, qui ont tout de suite réuni cinq ou six garçons, et se sont installés dans une petite maison à Lamalquière, pas très loin de Vabre. Ils ont emporté un peu de matériel du Chantier de Lautrec et ont réussi à se procurer quelques armes, (quelques revolvers et des fusils).

Fin avril 1944, après décision de l'Equipe Nationale, Castor donne l'ordre à tous les garçons du mouvement de se considérer comme mobilisés, et leur offre trois possibilités :
- travailler dans le service clandestin, la Sixième ;
- se préparer à passer clandestinement en Espagne pour rejoindre Eretz Israël ;
- se joindre à un maquis, de préférence E.I., dans la région de Vabre.

Castor au maquis
Nombreux sont alors ceux qui ont rejoint le maquis, qui a eu bientôt deux groupes, comptant chacun une quarantaine d'hommes, Laroque et Lacado, à 5 km environ l'un de l'autre. Ce maquis - qui s'appellera plus tard "Compagnie Marc Haguenau" - était rattaché à l'ensemble des maquis entourant Vabre, dans le cadre de "L'armée secrète" du Général de Gaulle.

Donc, quand nous avons décidé que je partirai en Suisse avec les enfants, mon mari a résolu de rejoindre, lui aussi, ce maquis dont il était, somme toute, le ministre des Affaires étrangères. Gilbert Bloch, qui avait fermé définitivement Lautrec au moment de Pessa'h, était devenu le chef des deux groupes cités plus haut.

C’était certainement dangereux pour nous de laisser ainsi mon mari monter au maquis, mais il était courageux, pas du tout prêt à se cacher, et voulait combattree avec ces jeunes, dangereusement et glorieusement.

Il a raconté la vie au maquis dans son livre Les Eaux Claires.

D’ailleurs, par la suite, j’ai reçu à Genève une douzaine de lettres de lui, la dernière datée du 27 juillet 1944. Il y parle d’abord de l’arrestation de Léo, et des efforts qu’ils ont faits, en vain, pour le libérer ; et puis de la vie au maquis. Ces lettres, je les ai données en 1993, avec des notes explicatives, aux archives de Yad VaShem.

Ces deux groupes ont reçu beaucoup de parachutages, car on pouvait compter sur eux. Ils ont été attaqués en grand style par la Wehrmacht, le 7 août au soir. Le P.C. de Laroque a été incendié et sept camarades ont trouvé la mort, quatre gars du pays et trois de nos garçons : Gilbert Bloch, Roger Gotschaux, et Rodolphe Horowitz. Les maquisards se sont dispersés et regroupés non loin, et le 19 août, conjointement avec un autre maquis de la région de Vabre, ont pu attaquer un train allemand, entre Castres et Mazamet. Ils ont combattu presque toute la nuit, et, vers le matin, ont pu vaincre les officiers et soldats du train, et, grâce à cet exploit, ils ont libéré les villes de Castres et de Mazamet.

Défilé dans les rues de Castres de la Compagnie Marc Haguenau à la Libération
Pièces jointes:
haguenau.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:32
L'École Gilbert Bloch
En cette fin de mois de juin 1946, mon mari avait trouvé la maison dont il rêvait pour l’école des cadres ; il a pu louer un petit château, à Orsay, entouré d’un grand parc de trois hectares. Il avait une vingtaine de pièces, et convenait très bien à cette institution. De plus, il était à dix minutes de la gare, et les trains arrivaient directement au Quartier Latin, ce qui serait pratique pour la poursuite d’études universitaires.

Au mois d’août, a eu lieu le premier Conseil National des chefs E.I., qui a regroupé des chefs de France et de beaucoup de villes d’Afrique du Nord. Cela m’intéressait de connaître ces jeunes, pleins d’enthousiasme et d’optimisme. Un mariage, au moins, s’est décidé à ce camp : Lucien Fayman (Hibou), revenu de déportation, et Yvette Calamaro de Casablanca.

A ce Conseil, il a été décidé que Chameau deviendrait commissaire général à la place de Castor, qui voulait se consacrer à son école. Aux chefs rassemblés, il a fait un exposé de son projet. Il voulait réunir une vingtaine de jeunes chefs, ou de jeunes proches du Mouvement, ayant à peu près le niveau du bachot. Certains pourraient, s’ils le désiraient, poursuivre des études supérieures à Paris. Le programme comporterait des cours de judaïsme, d’hébreu, de pensée juive, et aussi des cours de formation de moniteurs, psychologie appliquée avec un peu de sociologie, travaux manuels (menuiserie, marionnettes), et enfin art dramatique. Tout de suite, au camp, il a recruté 25 jeunes, qu’il a sélectionnés au cours d’un camp expérimental. Il avait obtenu l’aide d’une psychologue, orienteuse professionnelle, Madame Denise Kahn, qui a fait subir aux candidats le test des taches d’encre, inventé par le psychologue Rohrschach, et chacun avait ensuite un entretien avec Castor, qui voulait connaître leurs motivations pour venir passer une année dans cette école. Les jeunes étaient reçus gratuitement pour une durée de 9 mois, et devaient s’engager à servir ensuite, soit dans le mouvement E.I., soit dans une autre institution de la communauté.

Finalement, une vingtaine de jeunes ont été choisis (je crois dix garçons et dix filles), venant de Paris, de Strasbourg, de Tunis, de Sousse, d’Oran et de Casablanca. Les élèves de cette première promotion étaient presque tous remarquables, soit au plan intellectuel, soit comme éducateurs. Le plus brillant et le plus connu était Léon Ashkénazi - Manitou - déjà licencié en philosophie qui a continué ses études à Paris. Il avait aussi une solide formation juive. Plus intransigeant que Castor, il leur arrivait de ne pas être d’accord, mais lui a aussi appris comment être ouvert vis-à-vis de gens qui n’ont pas exactement les mêmes opinions. Tous ces jeunes étaient enthousiastes, étudiaient avec passion tout ce qui touchait au judaïsme et priaient avec ferveur.

Je suis de nouveau devenue directrice adjointe, et m’occupais de l’intendance. Au début, il y avait toujours le rationnement et des problèmes de ravitaillement. La deuxième année, ces conditions se sont améliorées. J’avais un peu de mal avec la comptabilité, car je devais faire des additions de 25 ou 30 chiffres, où je m’embrouillais parfois.

(...)
L’été suivant, j’ai eu l’occasion inespérée de faire un voyage en Palestine. Il y avait cet été 1947, à Jérusalem, un congrès de professeurs d’hébreu. Un visa d’entrée de touriste - car la puissance mandataire anglaise réduisait le nombre de touristes - a été réservé aux E.I., et le comité directeur a décidé que c’était moi, la sioniste, qui devait en profiter.
(...)
Comment dire mes impressions ? J’ai vu tout un peu trop en rose : les gens dans les villes qui vaquaient à leurs affaires, les kibboutzim, les uns religieux, les autres non, et tout ce monde au travail, et qui produisait. Je suis allée deux ou trois fois à Névé-Ilan, le jeune kibboutz français, qui avait des difficultés matérielles, mais où j’avais beaucoup d’amis et d’anciennes connaissances.
Mais il y avait aussi des problèmes politiques. La veille de notre arrivée, le bateau “Exodus” était parvenu à ‘Haïfa, et les Anglais voulaient refouler ses passagers sur l’Europe, et même sur l’Allemagne. Le couvre-feu avait été décrété à ‘Haïfa. Plus tard, je ne me rappelle plus pour quelle raison, le couvre-feu a été décrété à Jérusalem. Les activités de la Haganah étaient assez secrètes pour nous autres touristes, mais je savais que la plupart des garçons et des filles que je rencontrais en faisait partie.

Schlomo Cohn, le plus jeune frère de Léo, qui était un dessinateur de talent, faisait partie de la Haganah et allait deux fois par semaine faire l’exercice à la caserne des pompiers. Il m’a un matin, baladée dans la ville de Jaffa, encore tout à fait arabe, et je lui ai proposé de venir à Orsay pour apporter un peu de sionisme et d’esprit tsabre’s à notre école. Il a accepté, car il voulait en même temps suivre des cours de dessin à Paris.

A Jérusalem j’ai rencontré une ancienne E.I., Lou Kadar, qui travaillait alors comme secrétaire française au département de la jeunesse de l’Agence Juive. Nous avons très vite sympathisé (plus tard, elle a été engagée comme secrétaire française pour la première ambassade israélienne à Moscou, en été 1948, et a fait la connaissance de Golda Meir, dont elle est devenue la secrétaire et l’amie). Grâce à elle, j’ai obtenu un visa de touriste pour Castor, qui avait lui aussi très envie de visiter Eretz Israël. Nous sommes restés trois semaines ensemble, d’abord à Jérusalem puis en Galilée. Je suis partie début septembre, et lui est resté encore 15 jours. Il a été très impressionné par qu’il a vu, mais voulait continuer à diriger son école de cadres, et ne sentait pas encore engagé personnellement.

Manitou et Castor au camp de la Napoule (1948)
© E-B. Weill
Pièces jointes:
Manitou Castor.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:34
L'École Gilbert Bloch (suite et fin)



De retour à Orsay, nous avons commencé la deuxième année avec un groupe d’élèves assez semblable à celui de la première année. Je voudrais raconter ici une réussite et un demi-échec avec deux filles dont les parents avaient été déportés. La première, c’est Esther, qui avait été aidée par cheftaine Topo (Michelle Bellair), cheftaine non juive, qui s’était vouée à sauver des enfants juifs. Esther avait déjà suivi un cours accéléré d’assistante sociale, et c’était Topo qui avait insisté pour que nous l’acceptions à Orsay. Elle était jolie, douce, avait de bons rapports avec ses camarades, et aurait probablement été une bonne assistante sociale, mais elle a été fascinée par Manitou, et ils ont décidé de se marier.

Nous craignions la réaction des parents de Manitou, qui auraient pu souhaiter, pour leur fils, un “parti” plus brillant, mais ils l’ont acceptée bon coeur et le mariage a eu lieu, l’été suivant, à Oran. La deuxième année, Manitou est devenu instructeur de judaïsme à Orsay, et, plus tard, directeur. Ils ont eu cinq enfants, et Esther n’a pas toujours eu la vie facile avec mari qui donnait des cours presque tous les soirs, et était souvent absent.

La deuxième année, nous avons accepté une certaine Nora, toujours recommandée par Topo. Elle avait une triste histoire derrière elle : son père avait été déporté, et sa mère, qui avait une autre petite fille, était devenue folle, et avait été internée. Nora était jolie, blonde, intelligente, mais avait des sautes d’humeur : par exemple, les filles, par roulement devaient mettre la table, apporter le repas, et débarrasser, (les garçons faisaient des traveaux plus durs, par exemple cirer les grandes salles du bas). Quand sa co-équipière ne lui plaisait pas, elle avait toujours mal à la tête ou mal aux reins pour ne pas faire le service.

J’avais commencé à lui donner des cours de français pour la préparer au brevet simple. Or, un jour, comme je lui demandais où en était la rédaction que je lui avais donnée, elle m’a répondu qu’elle ne l’avait pas finie, et je lui ai dit: “Maintenant, va travailler, je voudrais la voir ce soir”. Elle m’a répondu sur un ton insolent. “Non, j‘ai autre chose à faire”. Alors la moutarde m’est montée au nez, et je lui ai donné une gifle. A partir de ce moment, les rapports ont été rompus entre nous. En réalité, elle aurait voulu s’attacher à notre famille, et nous étions prêts à l’accueillir, mais elle ne voulait pas accepter les contraintes que peut imposer une famille. La même année, la nuit de Shavouoth, elle a disparu avec un aîné de l’année précédente, Maurice, et ils ne sont revenus que le lendemain matin, en se tenant par la main. Castor et moi avons probablement réagi trop violemment, comme des parents dont la fille leur échappe ; et nous l’avons consignée pour une semaine dans sa chambre. Quelques années après, elle a épousé ce même Maurice. Nous l’avons revue en 1952 ; elle avait un bébé, et avait l’air assez bien dans sa peau. Finalement, même sans notre aide, mais avec l’appui d’un mari patient, il semble qu’elle ait retrouvé son équilibre.

(...)
En novembre ou décembre, Castor avait fait une deuxième tournée en Afrique du Nord, avec un officier de la Haganah. Celui-ci voulait mettre en place, dans chaque ville, des groupes juifs d’auto-défense, car les dirigeants du futur Etat d’Israël craignaient que la proclamation de cet État n’entraîne des émeutes de la part de la population arabe.
Moissac, 1946 © E-B. Weill
Le même hiver, nous avons envoyé nos élèves dans un camp d’entraînement de la Haganah, où pour certains d’entre eux la discipline a été assez dure à supporter. Ma fille Lilette a aussi participé à ce camp, et en est revenue la plus emballée. Dès lors, elle a décidé de laisser tomber la sculpture et de partir pour Eretz Israël, mais j’ai tenu à ce qu’elle passe le baccalauréat avant de partir, ce qu’elle a réussi du premier coup. Le 15 mai, l’État d’Israël a été proclamé. Même ceux de l’École qui n’étaient pas sionistes ont été enthousiastes, et nous avons hissé solennellement le drapeau bleu et blanc.

(...)
Chameau et sa famille étaient partis en octobre 1947 pour Eretz Israël et le kibboutz Ein Hanatsiv, qu’ils n’ont jamais quitté. Castor était redevenu commissaire général, mais à ce Conseil, il a cédé sa place à Gérard Alexandre, jeune médecin qui était prêt à consacrer une partie de son temps au Mouvement.
En octobre, ma fille, Lia (Lilette), s’est préparée à partir pour Eretz Israël Comme elle avait plus de 17 ans, elle ne pouvait pas partir dans le cadre de 1’Alyath Hanoar. Elle avait été acceptée comme apprentie par Mr Krause directeur de Mikvé Israël. Elle est partie seule pour Marseille, où elle a rejoint Claude et Judith Hemmeindinger, qui venaient de se marier, et après 15 jours à Marseile, ils se sont embarqués, légalement maintenant, sur un petit rafiot qui les a conduits en huit jours à ‘Haïfa.

Étant très sioniste, je trouvais normal que ma fille veuille rejoindre le jeune État et y travailler; mais Robert sentait que nous avions manqué en quelque chose à notre fille aînée, puisqu’elle nous abandonnait aussi facilement. Nous n’étions pas satisfaits des fréquentations de Daniel à Palaiseau, et l’avons envoyé à notre centre de Moissac, où il a suivi l’enseignement général et une formation de serrurier. Mais le niveau de cette école était tout de même inférieur à celui des écoles de Paris.

Pour cette troisième année, nous avons eu de très bous éléments. Trois garçons sont venus d’Oran, et le plus brillant était Henri Atlan, qui, à 17 ans, avait déjà ses deux bacs, et préparait le P.C.B.. Il avait des facultés de concentration et de mémoire vraiment prodigieuses. Il est devenu, depuis, un grand biologiste, très calé aussi dans les matières juives. Au cours de l’hiver, nous avons accepté Liliane Cohen, fille de notre ami Elie Cohen, qui souffrait d’anorexie. Le milieu d’Orsay lui a convenu, elle a repris du poids, a passé des examens en fin d’année, et, plus tard, s’est mariée avec Henri Atlan. Dès ce moment, Elie Cohen est devenu le grand défenseur d’Orsay.

Mais, par ailleurs, cette vie en communauté commençait à nous peser. Castor se levait à 6h30 avec les élèves, et avait parfois des conversations avec l’un ou l’autre jusque tard le soir. Nous étions à peu près décidés à quitter Orsay, à la fin de l’année scolaire. On a offert A mon mari des postes de direction dans des organismes juifs, mais il était avant tout un éducateur, et ne tenait pas à devenir un fonctionnair. Revenir à son métier d’ingénieur? Il y pensait, et pour cela, nous avons invité à déjeuner son ami Sollima et sa femme. J’ai posé ma question. Sollima a répondu par la négative : Robert avait quitté le métier depuis près de dix ans, la technique avait fait un énorme bond en avant, et il aurait eu du mal à s’y intégrer ; c’était l’époque où l’on commençait à construire des postes de télévision et mon mari était plutôt spécialiste en électrophones et en basses fréquences.

Entre temps, l’État d’Israël s’organisait, et des masses de gens affluaient, tant des camps de personnes déplacées d’Europe, que de tous les pays d’Afrique du Nord. Castor était un des seuls ashkénazes qui comprenait quelque chose à la mentalité des gens du Maghreb. Partir en Israël pour aider à intégrer les juifs d’Afrique du Nord, c’était une tâche qui l’intéressait. Nous avons consulté, au cours de l’hiver, plusieurs israéliens qui nous ont conseillé d’aller d’abord dans un kibboutz. Nous avons commencé à en parler autour de nous, et avons constitué un petit noyau, d’une dizaine d’élèves d’Orsay des trois promotions.

Moissac, 1946


Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 17:59
Frédéric-Shimon Hammel "Chameau"
1907 - 2001

repères biographiques

Frédéric Hammel est né en août 1907 à Strasbourg dans une famille juive assimilée
Etudes secondaires au Lycée protestant de Strasbourg
Sa première rencontre importante avec le judaïsme a lieu en 1921 (il est âgé de 14 ans), lorsqu'il adhère au Mouvement Emouna que vient de fonder le Rabbin Arthur Weil.
Il entreprend des études de physique-chimie qui le mèneront jusqu'au Doctorat, et devient Assistant à la Faculté des Sciences de Strasbourg
A partir de 1928 il participe aux activités des Eclaireurs Israélites de France, et c'est là qu'il reçoit le totem de "Chameau", dû au fait qu'il interdisait aux jeunes de boire pendant les sorties !
En 1932 il épouse "Fourmi" (Jeanne-Sara Weill), qui lui donnera trois enfants : Ruth et Michaël, qui naissent en France peu avant la guerre, et Yael, qui naîtra en Israël.
Pendant la seconde guerre mondiale il est responsable de la branche agricole des E.I.F.. En 1941 il fonde la ferme sioniste de Taluyers, et guide d'autres groupes de scouts qui vont fonder des fermes semblables. Il est un des responsables de la "Sixième", (l'organisation clandestine des E.I.).
1947 : Chameau et sa famille partent pour la Palestine, et deviennent membres du Kiboutz Ein Hanatsiv dans la vallée de Beith Shéan. Il participe à la construction du kiboutz (c'est lui qui y plantera tous les jardins d'agrément), et enseigne la Chimie au lycée de Sdei Eliahou.
1956 : il est envoyé au Maroc par le Mossad pour aider les Juifs à monter en Israël.
1982 : publication de Souviens-toi d'Amalek - témoignage sur la lutte des Juifs en France (1938-1944), un ouvrage de référence qui relate l'action des E.I.F. pendant la guerre (Ed.C.L.K.H., Paris). Pour écrire cet ouvrage, il entre en correspondance avec de nombreux anciens E.I. à travers le monde.
1996 : publication de Peguisha 'im malakh (La rencontre avec l'ange), un livre de souvenirs écrits en hébreu (Ed. Ein Hanatsiv).


Au laboratoire de Chimie, Strasbourg 1929
Pièces jointes:
,chameau.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
20 janvier 2005, 18:03
Jeanne Hammel - Fourmi n'est plus
1907 - 2001
par Lucien Lazare



Le 11 février 2002 s'est éteinte à Ein Hanatsiv Janne Hammel. Tous l'ont connue sous le nom de Fourmi, son totem scout. Née à Strasbourg en 1907, Jeanne Weill-Oberdorfer a épousé en 1934 le fondateur et dirigeant local des Eclaireurs Israélites de France - EIF, Frédéric Hammel - Chameau. Elle a donné naissance en 1936 à sa première fille, Ruthi, puis en 1937 à Michel, son fils.

Lorsque survint la guerre à la fin de l'été 1939, les autorités évacuèrent la population civile de Strasbourg. Tandis que son mari était mobilisé, Fourmi et les deux petits se réfugièrent au Mont-Dore. Elle assuma vaillamment l'épreuve, qui allait durer jusqu'en juillet 1940, lorsque Chameau démobilisé vint la rejoindre.

Désormais et pendant près de trois ans, elle partagea le sort du groupe rural de Taluyers, créé par Chameau sous l'édige EIF. En plus de ses responsabilités de mère et d'épouse, Fourmi fut alors la maîtresse de maison d'une collectivité de jeunes juifs, le tout dans des conditions de précarité et d'austérité extrêmes. Elle s'y adapta de bon coeur et en mobilisant toutes les ressources de son esprit industrieux et d'un moral à toute épreuve. La solide éducation juive traditionnelle qu'elle avait reçue dans sa famille fit de Fourmi l'un des piliers stables de ce centre de vie juive sous l'Occupation allemande, d'autant plus que son mari effectuait de longs déplacements pour exercer ses responsabilités à la tête du mouvement EIF.

En octobre 1943, les dangers de rafles contraignirent Fourmi ainsi que Ruthi et Michel à se cacher dans un village de montagne, Saint-Christol dans l'Ardèche, et de là à Saint-Barthélémy-le-Meil. Chameau ne les y rejoignit qu'en septembre 1944, après quatre mois passés en Suisse. Pendant les six semaines critiques des remous de l'insurrection contre les Allemands, le village avait été privé de pain. Fourmi trouva alors sa nourriture et celle de ses enfants en ramassant des chataîgnes dans la forêt voisine.

En 1947, la famille Hammel a rejoint le kiboutz Ein Hanatsiv. Cette même année, Fourmi a mis au monde Yaël, la cadette de ses enfants. Y a-t-il un seul des secteurs du travail des activités du kiboutz où elle n'a pas oeuvré, et ceci de manière exemplaire ? On peut en douter. Avec le temps, elle est aussi devenue une conseillère pour nombre des habitants d'Ein Hanatsiv, aussi bien vétérans que nouveaux venus. Sa sagesse, son expérience, son bon coeur en imposaient. Son foyer fut toujours l'un des plus fréquentés du village, point de ralliement d'un très grand nombre de visiteurs et touristes de France.

Profondément affectée par la mort de son mari dont elle fut le bras droit indéfectible pendant 67 ans d'une vie menée en conformité parfaite avec son idéal et sa volonté, Foumi ne lui a survécu que quelques mois. Elle est déjà devenue une légende, son seulement pour sa nombreuse postérité, et son souvenir restera une bénédiction


Chameau et Fourmi,
Pièces jointes:
cham1et fourmi.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
21 janvier 2005, 01:55
Pour Elie ohen,


Un grand merci pour toutes ces informations très instructives pour tous ceux qui furent louvetaux ou Eclaireurs au Maroc et qui, comme moi, n´avaient aucune connaissance des fondateurs des EIM.


"A"
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
21 janvier 2005, 12:42
Le Grand Rabbin Henri SCHILLI "TISON"
1907-1975
par Frédéric Shimon Hammel (Chameau)

extrait de Souviens-toi d'Amalec, Editions C.L.K.H. 1974

Lorsque, de nos jours, comparaissent devant les tribunaux des criminels de tout poil, leurs défenseurs, les journalistes et quelquefois même leurs juges, fouillent dans leur passé et s’ils découvrent le moindre indice d’une jeunesse difficile et malheureuse, ils évoquent des circonstances atténuantes ou réclament l’acquittement.

Si quelqu’un à la jeunesse difficile et malheureuse, est devenu cependant un des hommes les plus purs et les plus sensibles, un des êtres les meilleurs et les plus humains que j’ai connus, c’est bien mon ami Henri Schilli.

Il arrive très jeune à Obernai, au pied des Vosges. Il n’a guère connu son père, et une soeur est née peu avant la disparition de ce dernier. Sa mère, malade, est incapable de tout travail régulier; les travaux ménagers eux-mêmes lui sont difficiles. Dès son enfance, la responsabilité du ménage et de la famille incomberont à Henri.
Pas de jeux, pas de distractions; une véritable vie de Cendrillon. A un point tel que le président de la petite communauté a l’habitude de dire qu’à dix ans, il a déjà gagné sa place au Paradis.

Il y a alors, à Obernai, une école primaire juive, où enseigne un instituteur de la vieille école. Pas un instant, il ne tiendra compte des difficultés dans lesquelles se débat le petit garçon. Les punitions, y compris les punitions corporelles, ne lui sont pas ménagées.
Sa mère lui est enlevée après six ans de maladie. Il a quatorze ans lorsque, à défaut d’une solution meilleure, la communauté place, selon l’usage, les deux enfants en orphelinat; Manette à Strasbourg, et Henri à Haguenau.

Je connais bien.ces orphelinats de l’entre-deux-guerres. Comme beaucoup de ces institutions ils n’ont d’orphelinat que le nom. De fait, on y place surtout les enfants de famille incapables, pour toutes sortes de raisons, de les élever elles-mêmes. La direction en est confiée, dans le meilleur des cas, à des instituteurs qui y trouvent un champ d’action pour leurs méthodes archaïques, sans aucune notion d’éducation et, bien entendu, toute psychologie étant absente de leurs préoccupations. Le jeune Henri a cependant la chance de trouver en M. Weill, Directeur de l’Orphelinat de Haguenau et en Mme. Weill, des personnes très humaines et particulièrement compréhensives à l’égard des enfants qui leur sont confiés. C’est grâce à M. Weill qu’Henri Schilli réalisera son désir d’entrer à l’École Rabbinique.


Tison
Il y connaîtra le scoutisme E. I. F. A cette époque, certains futurs rabbins font leurs premières armes, si l’on peut dire, sur des unités scoutes. Titulaires du diplôme, le Consistoire leur demande de se charger de communautés de moindre importance, dans une banlieue parisienne. C’est ainsi qu’Henri est nommé d’abord à Enghien, puis au Raincy et enfin à la communauté montmartroise de la rue Sainte-Isaure, à Paris.

Le travail important qui l’attend dans ces petites communautés ne l’a jamais fait rompre ses liens avec le Mouvement. Il sera totémisé, et rarement totem sera plus judicieusement choisi : On l’appellera Tison.
En effet, il n’est pas de ceux qui s’enflamment d’un feu violent et éphémère. Il n’est pas de ceux qui sont brillants devant les grands de cette terre et qui s’éteignent parmi les humbles. Il est animé d’un feu tranquille, continu, doux. Son rayonnement s’étend au cercle étroit de son entourage et là, il se livre à ceux qui, très vite, apprennent à le connaître, à l’estimer, à le respecter... et à l’imiter.

Celui qui a tant souffert dans sa jeunesse et qui, d’après les psychologues d’aujourd’hui, a toutes les chances de mal tourner, deviendra notre chef spirituel, notre exemple et, surtout, notre ami. Lorsqu’il s’agira de donner un aumônier au Mouvement des E.I.F., c’est à lui que l’on s’adressera. A notre première rencontre, je m’aperçois tout de suite, sans savoir qu’il a vécu à Obernai et à Haguenau, de son faible pour les Alsaciens.
Pièces jointes:
schil1.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
21 janvier 2005, 12:45
Le Grand Rabbin Henri SCHILLI "TISON"
1907-1975
par Frédéric Shimon Hammel (Chameau), suite


Montpellier
Pourtant, je ne le verrai vraiment à l'oeuvre qu’après la Débâcle. Il échouera à Montpellier et se précipitera sur les responsabilités que lui imposent son état de rabbin. Il crée de toutes pièces une communauté avec les nombreux réfugiés et les rares juifs locaux.

Je ne citerai que deux noms d’amis à qui il a alors montré la voie, voie qu’ils ont fidèlement suivie jusqu’à leur mort, celui de Raymond Winter et celui d’Elie Cohen.
Henri Schilli reste rabbin de Montpellier jusqu’en 1943, et son amitié avec Elie Cohen date de cette époque. Les premiers offices organisés sont ceux de Roch Hashana 1940. Ils se dérouleront dans un entrepôt mis à la disposition de la communauté par Elie. De véritables miracles sont réalisés grâce à son aide financière. Je me rappelle entre autres une Haggada imprimée pendant la guerre, diffusée dans toute la France, et qui le sera également, par les soins d’Henri, dans les camps d’internement.

Entre temps, tout en s’occupant de sa communauté, il deviendra aumônier d’un certain nombre de camps d’internement puis - après l’arrestation du grand-rabbin Hirschler - de tous les camps de la Zone Sud.


Valence
Menacé à Montpellier, il poursuivra son travail à Valence et remplira en même temps les fonctions de rabbin clandestin de cette ville. Henri a-t-il assisté aux réunions de l’Équipe Nationale, je ne m’en souviens plus; occupé par son travail communautaire et dans les camps, il s’y consacre corps et âme. Il ne quitte jamais son poste; toutefois, il met en sécurité ses enfants. Lorsque nos chemins se croisent à nouveau, à mon retour de Genève, il revient de Haute-Savoie où il est allé chercher sa famille.
Je raconte ailleurs que, lors de cette rencontre, Henri m’apprendra le lourd tribut payé par le Mouvement afin de sauver un grand nombre de jeunes juifs.

A la Libération, il devient rabbin titulaire de Valence. J’y fais la connaissance de la famille Schilli, réunie autour de la table, les enfants nés à peu de temps d’intervalle, ainsi que celle de Mme Suzanne Aron et sa fille, amies inséparables de la famille.
Avant la guerre, Mme Aron a aidé le travail social du rabbin dans la Communauté de Sainte-Isaure. A Montpellier, voyant Henri Schilli aux prises avec des problèmes financiers insolubles, elle vend ses bijoux et lui remet une somme importante qui le dépannera en attendant les subventions officielles. Si toutes les femmes juives en avaient fait autant, la misère des réfugiés eut été moindre...

C’est une belle tablée à laquelle préside Simone Schilli, avec compétence et vivacité. Très "directe", très communicative, elle saura toujours mettre à l’aise les nombreux intrus (dont je suis), que les responsabilités de son mari amènent à leur foyer. Simone n’existe que pour et par Henri et de ce fait, elle lui est indispensable.

Beaucoup de lettres de mon ami parlent de ses enfants. Lorsqu’elles sont dactylographiées par une secrétaire, il y ajoute, à la main, quelques lignes. Anecdote amusante, très fier, il raconte une prouesse d’un de ses petits-fils :"Lors d’un orage, dans l’autobus, il a dit, parlant des éclairs : C’est un flash; le Bon Dieu nous prend en photo. Chaque jour il sort des astuces de ce genre".

A Hanoucca 1944 - je suis depuis longtemps à Paris - Fourmi, restée avec mes parents à Granges-lès-Valence, conduit les enfants à l’oratoire installé par les soins du rabbin Schilli. On demande un volontaire pour allumer les lumières. A l’étonnement de tous, Mi’hael, alors âgé de sept ans, se présente et, avec une grande assurance, chante les bénédictions. Schilli n’a jamais oublié cette prouesse.

Henri vient me chercher, pendant un des rares séjours dans ma famille. Un membre de sa communauté est mort et, à l’exception de nous deux, personne n’est capable de faire la toilette mortuaire.

La communauté de Valence s’amenuise et rien ne justifie plus la présence d’un rabbin. Schilli et sa famille retrouvent Paris ; il prend la tête de la communauté de la rue Chasseloup-Laubat.
A Montpellier, à Valence, dans les communautés parisiennes, partout où il passera, il formera des disciples, unissant par sa bonté et convertissant par sa tolérance.


Le Séminaire

Au Séminaire Israélite de France
Le couronnement de sa vocation est sa nomination à la succession de son maître, le Grand Rabbin Maurice Liber, à la tête du Séminaire Israélite de France. J’avoue avoir redouté cette nomination. La succession du grand-rabbin Liber est bien difficile et je me demande si c’est bien la place d’un "Tison". Peur vaine, car la petite équipe de jeunes gens, étudiant au Séminaire après la guerre, vibre à l’unisson de celui qui est toujours un exemple dans tous les domaines.
Schilli guide, par son rayonnement, toute une génération de rabbins qui font actuellement leurs preuves dans les communautés de France.


Dissonance
En 1947 nous nous installerons en Eretz-Israël, et j’aurai la malencontreuse idée de confier aux pages du journal des chefs E.I.F. Lumière, mon dernier message de Commissaire E.I.F. Entre autres, j’écris que "les salariés du judaïsme en sont aussi les fossoyeurs". Je ne vise que certaines reliques du passé, certaines momies n’ayant rien appris malgré ce qui est arrivé au peuple juif pendant la guerre et, en aucune façon, ce que j’ai écrit ne concerne mon ami Schilli. Mais lui, toujours modeste, se sent visé; il se solidarise avec ses collègues et, pendant les premières années de ma présence en Israël, il m’en voudra beaucoup de cette critique trop généralisée. Cette brouille cédera à l’amitié qui nous unit, et nous nous sommes retrouvés pour nous rapprocher.

TISON au seminaire israelite de France
Pièces jointes:
ecole.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
21 janvier 2005, 12:50
Le Grand Rabbin Henri SCHILLI "TISON", (suite)

Rôle social
A cette époque, Schilli est aidé, encouragé, soutenu par l’homme exceptionnel qu’est Elie Cohen. Le rôle de Schilli, en dehors de celui qu’il joue au Séminaire Rabbinique, devient de plus en plus social.
Nommé au Beth-Dîn de Paris, il devra résoudre des problèmes presque insolubles, mais plus le problème est difficile, plus son coeur s’ouvrira.
Il répond à une assistante sociale qui considère que la solution proposée par Schilli n’est pas une solution "sociale" : "Je ne suis pas une assistante sociale, je m’occupe des âmes".

Il est parfois confronté à des problèmes qui ne tolèrent pas de compromis, car des principes sont en jeu : on voit alors Henri Schilli souffrir de la souffrance d’autrui, mais il ne transigera pas, et s’il a pu soulager en trouvant une solution satisfaisante, il se réjouit de la joie de celui qu’il a pu aider.


Les E.I.F. (Eclaireurs Israélites de France)


Au Jamboree de 1947
Je parcours les textes des allocutions qui, et à Paris, et à Jérusalem, évoquent la mémoire de notre ami. Tous ceux qui ont pris la parole soulignent le rôle qu’il a joué dans le Mouvement. Ce n’est guère étonnant, puisqu’il a fait partie du fameux "Patronage du BLÉ", dont est sortie la première patrouille scoute dirigée par Castor et qui prendra le nom d’Éclaireurs Israélites de France. Il a donc suivi le Mouvement dès ses origines.

Il était naturel qu’il prenne la succession de Samy Klein, Aumônier général pendant la période importante de la reconstruction de l’après-guerre. Au Jamboree de Moisson, Tison remettra la culotte courte. Sa figure rayonne de joie en voyant enfin les E.I.F. prendre, dans le Scoutisme Mondial, la place qui leur a été si longtemps refusée.


Les oeuvres
D’autres oeuvres auront la chance de compter le rabbin Schilli parmi leurs conseillers et leurs collaborateurs. Acquis, depuis toujours, à l’entreprise sioniste, il l’encourage de toutes ses forces. Le Kéren Kayemeth fait appel à son autorité. L’O.S.E. a besoin de ses conseils. Il prend une part active à l’enseignement de l’École Gilbert Bloch à Orsay. Fidèle à la mémoire de son ami et disciple Elie Cohen, il siège au conseil de la Fondation qui porte le nom de ce dernier.
Il laisse partout sa lumineuse empreinte, sans jamais élever la voix, sans heurter; il se contente souvent de donner l’exemple.

La modestie de Schilli est impressionnante. Dans son allocution, au premier anniversaire de sa mort, mon ami Robert Sommer a déclaré :
"…il avait disposé son coeur à étudier la doctrine de l’Éternel et à la pratiquer, de même qu’à enseigner au sein d’Israël la loi et le droit. Mais toujours de la manière la moins autoritaire, en cherchant constamment à ne point se faire remarquer.
Si l’on avait offert à d’aucuns une chaise, ils auraient peut-être demandé un fauteuil. Lui se contentait d’un strapontin... Pour lui, la modestie n’était pas une attitude, mais le fond de son être."

Les Disciples

Jamais, au grand jamais, Henri ne s'imposera. Il faut insister pour recevoir son enseignement. J’ai parlé des institutions qui faisaient appel à lui. Certaines personnalités allaient également, à titre individuel, à la source. Elie Cohen était de ceux-là. Il suffira de dire qu’il était un mystique de la bienfaisance et un bienfaiteur de la mystique. Des relations se sont établies entre les deux hommes. Henri aide, guide, explique, Elie fournit les moyens d’agir.

Robert Aron est, lui aussi, un des disciples du rabbin Schilli. D’origine juive, il s’est éloigné du jJudaïsme comme beaucoup d’intellectuels juifs français. Il y fut brutalement ramené par les lois raciales. C’est là que l’attend l’amitié de Schilli.
Aron est historien. En particulier, il a écrit une Histoire de Vichy étonnament indulgente envers certains infâmes personnages de l’époque. Robert Aron nous a raconté lui-même que son ami a su lui montrer la voie du retour vers ses origines. Ce n’est guère facile ! Aron a consacré ses dernières oeuvres à une comparaison historique entre le judaïsme et le christianisme. On retrouve, dans certaines pages, l’enseignement du maître, Schilli. Dans d’autres, son absence se fait sentir. Et pourtant, quelle différence entre un Robert Aron avant son amitié avec Schilli, et celui de la dernière époque de sa vie! L’historien a été élu à l’Académie Française peu après la mort du rabbin. Il meurt à son tour avant d’avoir pu prononcer son discours de réception.


TISON au Jamboree de 1947
Pièces jointes:
jamboree.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
21 janvier 2005, 13:04
MANITOU


Le Rav Yéhouda Léon Askénazi, plus connu sous le nom de Manitou, occupe, dans le panorama du judaïsme français contemporain, une place de tout premier plan. Peu d'hommes et de femmes ayant une quelconque responsabilité communautaire peuvent prétendre ne rien lui devoir. Dès le début des années d'après-guerre, il s'est adonné à la tâche de reconstruire le judaïsme français qui, déjà dévitalisé par un siècle et demi de haskala, venait de perdre dans le cataclysme de la Shoah, nombre des jeunes cadres d'une communauté renaissante.
Pièces jointes:
gramps.gif
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
21 janvier 2005, 13:08
MANITOU, suite


Je suis né Juif algérien – citoyen français par ailleurs – et pendant toute la première partie de ma vie, qui s'est déroulée en Algérie jusqu'à la seconde guerre mondiale, je me suis donc connu, sans prêter trop de signification à ces définitions – comme un Français d'Algérie, de religion juive.

La deuxième partie de ma vie – après la guerre – s'est déroulée en France où j'ai découvert l'immense complexité sociologique du peuple juif et de son histoire, en rencontrant – moi qui suis d'origine séfarade – le judaïsme achkénaze.

La troisième partie de ma vie se passe en Israël, en tant qu'Israélien. C'est donc, dans un style particulier, un exemple de la mutation d'identité qui transforme, de notre temps, le peuple juif en nation hébraïque ou plus exactement, qui transforme un Juif en Israélien.

Une grande partie de mon existence, j'ai été Juif de la diaspora et j'ai encore en mémoire la prise de conscience de l'identité juive de diaspora, identité qui continue à exister parallèlement ou autour de la société israélienne. Je sais par expérience qu'un Juif de diaspora comprend difficilement la réaction de conscience de l'Israélien concernant le fait que les quatre cinquièmes du peuple juif ne semblent pas touchés par cette mutation d'identité. Il est indéniable qu'il existe une solidarité – non pas de destin, terme étranger à la tradition juive – mais de destinée historique, commune à l'ensemble du peuple juif. Et c'est pourquoi, il m'a semblé nécessaire d'exprimer, en français, pour le public français, cette réaction de conscience de l'Israélien contemporain.
Pièces jointes:
parole_maxi.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
21 janvier 2005, 13:11
MANITOU, suite

FRANÇAIS D'ALGÉRIE DE RELIGION JUIVE
Je suis né dans une famille de rabbins et mon grand-père était un rabbin algérien. Je me suis toujours senti à l'aise dans le monde d'identité juive dans lequel il vivait et où j'ai vécu, enfant. Ce monde, qui représente l'une des modalités d'existence juive dans la diaspora depuis 2 000 ans, était très complexe. Le Juif, durant ces 2 000 ans, a toujours été l'homme d'une identité mixte, d'origine hébraïque, mais très étroitement greffé en symbiose sur le paysage culturel du pays où ses voyages l'avaient mené.
En Algérie, il y avait cependant une nuance particulière du fait que différentes cultures s'étaient mêlées sur cette terre. On pourrait formuler ainsi ce type très particulier de culture juive : nous priions en hébreu et, à travers l'hébreu des prières, nous étions rattachés à tout le passé hébraïque, biblique ; notre affectivité se partageait entre la mélodie arabe et le folklore espagnol et notre langue de culture était le français. C'était là un ensemble culturel très précis, peut-être pas suffisamment étudié, un type de culture marginale qui aurait pu, si l'Histoire lui en avait donné la possibilité, fonder une civilisation pour elle-même.

Aujourd'hui, je connais le monde juif de mon petit-fils, qui est un monde hébreu cohérent, et j'y suis à l'aise autant que j'ai pu l'être dans celui de mon grand-père, bien que d'une tout autre manière. Cependant, il est bien évident qu'il faut noter une asymétrie fondamentale : mon petit-fils ne connaîtra jamais le monde révolu de mon grand-père. La communauté juive algérienne s'est transplantée ailleurs et, de toute évidence, l'authenticité de sa dimension culturelle était attachée à un paysage historique et culturel qui ne se reconstituera plus. On peut le regretter, pas seulement pour la culture juive telle que je l'ai connue en Algérie, mais également pour les cultures de toutes les juiveries qui se sont constituées partout, à travers les siècles, pendant les 2 000 ans de la diaspora.
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
21 janvier 2005, 13:14
MANITOU, suite

LA FAILLE DANS NOTRE RELATION À L'IDENTITÉ FRANÇAISE
La guerre est arrivée en 1939 et, né en 1922, je n'étais pas encore en âge d'être mobilisé. Et puis, la guerre a été perdue. Nous avons vécu des mois et des années très pénibles en découvrant la Shoah et ce qu'avait été le vécu du judaïsme européen. En 1942, a eu lieu le débarquement des Alliés et là se situe, de façon très profonde, l'une des premières prises de conscience de bien des Juifs algériens : il y avait une faille dans notre relation à l'identité française.
Les lois du régime de Vichy étant appliquées en Algérie, nous n'étions plus considérés comme des citoyens français à part entière. On nous avait d'ailleurs donné des cartes d'identité française portant la mention « Juif indigène algérien ». Pour la plupart d'entre nous, c'était un mauvais moment à passer ; la France n'était plus elle-même mais ce n'était pas la France réelle qui nous avait retiré notre citoyenneté.

C'était le régime de Vichy sous la pression des Allemands et nous attendions de retrouver notre nationalité française avec la victoire des Alliés. C'est là que se produisit, pour les Juifs algériens, un événement que les hommes de ma génération ont vécu de façon intense et qui a été – je m'en aperçois a posteriori – l'une des raisons de ma décision de devenir Israélien. En effet, après le débarquement des Alliés, les lois d'exception contre les Juifs ont continué à être en vigueur alors que le territoire de l'Algérie faisait partie du monde libéré. Nous avons vécu là quelques mois d'incompréhension totale : bien que la victoire soit arrivée en Algérie, les Juifs, bien que citoyens français, restaient soumis aux lois d'exception. Je ne sais pas s'il n'y avait pas là un clin d'œil de la Providence pour nous montrer que nous n'étions pas Français mais Juifs indigènes.

Cette situation juridique provenait du fait que les Alliés s'étaient appuyés en Algérie sur les cadres du régime de Vichy, et il fallut attendre que de Gaulle vienne en Algérie pour que la citoyenneté française soit rendue aux Juifs.

Nous avons donc été mobilisés en tant qu'étrangers et, en particulier, dans la Légion étrangère. L'immense majorité des Juifs rassemblés dans le camp de la Légion pensait qu'il s'agissait d'une péripétie de l'Histoire et que le temps viendrait où l'on nous rendrait la citoyenneté française. J'ai été au camp de Bedeau de 1943 à 1944, puis j'ai fait la guerre dans la Coloniale, un corps de métier de l'infanterie française. Ce que j'ai vécu au cours de cette période a certainement travaillé souterrainement et, au moment où j'ai rencontré la réalité israélienne, cela s'est dénoué tout naturellement. Au fond, si j'avais dû vivre en diaspora, je me serais davantage considéré comme un Juif algérien de culture française que comme un Juif français de culture algérienne. L'Algérie est devenue par la suite un pays arabe et je ne pouvais pas me considérer comme un Arabe.

Encore aujourd'hui, je n'arrive pas à comprendre la manière dont les Juifs nord-africains en France se considèrent comme Français. Indépendamment du caractère anti-Juif ou anti-israélien des pays arabes, il ne leur vient pas à l'idée de se considérer comme des Arabes mais comme des Français. Cette attitude relève du racisme. Elle s'explique par le fait que les Juifs considèrent que l'indice culturel français est supérieur à l'indice culturel arabe. Ce qui est objectivement un non-sens parce que ces cultures ne se mesurent pas aux mêmes critères. Mais il y a une évidence pour un Juif qui a vécu en pays d'islam : la différence entre le Juif et l'Arabe n'est pas seulement d'ordre religieux, elle est aussi d'ordre national. Cette double différence n'existe pas par rapport à l'Européen. C'est l'un des éléments qui explique la perpétuation de la diaspora en milieu européen.

A posteriori, ce fut pour moi une expérience très enrichissante de connaître ce milieu de la Légion étrangère, mais nous n'étions pas organisés en tant que Juifs pour pouvoir développer en nous la conscience nationale. Nous nous considérions comme une espèce de minorité de type diasporique. La vie religieuse dans le camp était très intense et c'est là peut-être que j'ai commencé à comprendre la condition d'exil, dont je me suis complètement débarrassé en devenant Israélien.

J'ai senti que je n'étais pas chez moi et que, par conséquent, je n'avais aucun droit à réclamer. Je ne pouvais qu'essayer, par une stratégie de soumission, d'obtenir des faveurs.

C'est ainsi que la définition de la condition d'exil m'est apparue à ce moment-là. Je suis parti avec l'Armée d'Afrique et j'ai été blessé à Strasbourg quelques semaines avant la victoire. En route pour une permission de convalescence, je me trouvais permissionnaire à Marseille où j'ai vécu la grande fête de l'Armistice sur la Canebière. Le contingent de permissionnaires dont je faisais partie a été ramené en Algérie dans un bateau de guerre qui a été dérouté sur le département de Constantine parce qu'au même moment éclataient les premières révoltes nationales arabes. J'ai vécu la Shoah comme si elle m'avait atteint personnellement, bien que ma communauté n'ait pas été directement menacée, contrairement à la communauté juive de Tunisie, pays où les Allemands avaient débarqué.

En Algérie déjà, je m'étais senti personnellement concerné par le fait que le régime de Vichy avait préparé l'extermination des Juifs. On a découvert, à l'arrivée des Alliés, que des listes d'otages avaient été préparées. En tant que fils du Grand-Rabbin de la ville, je figurais d'ailleurs sur la première liste.

Dans un premier temps, nous pensions qu'il s'agissait de persécutions portées à leur paroxysme. Ce n'est que dans la découverte concrète, après la guerre, quand nous avons rencontré les rescapés sortis des camps, que nous avons compris qu'il y avait là une tentative d'anéantissement du peuple juif en tant que nation.

Je suis personnellement lié à la Shoah, puisque lors de la première promotion de l'École d'Orsay, j'ai rencontré celle qui est devenue ma femme et qui est orpheline d'une famille disparue à Auschwitz.
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ei1920.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
21 janvier 2005, 13:16
MANITOU, suite

RECONSTRUCTION DE LA COMMUNAUTÉ JUIVE DE FRANCE
LES ÉCLAIREURS ISRAÉLITES DE FRANCE
Immédiatement après la guerre, je suis revenu en France et commença alors une deuxième étape de ma vie.
Encore à l'Armée, sur le front d'Alsace, j'avais reçu, comme tous les chefs des Éclaireurs israélites, une circulaire de Robert Gamzon (dont le « totem » scout était Castor), fondateur du mouvement, parlant de ses projets d'avenir pour la reconstitution de la communauté juive en France après la victoire.

En France même, l'immense majorité des dirigeants communautaires avaient été massacrés par les nazis et Robert Gamzon, reprenant un projet conçu, dans ses grandes lignes, par Gilbert Bloch, ancien polytechnicien tué par les Allemands en 1944 lors d'une action de Résistance, prévoyait la création d'une école de cadres pour reconstituer la structure de la communauté.

Castor nous demandait de consacrer un an de notre vie, avant de commencer nos études, à nous regrouper pour étudier ensemble les sources du judaïsme et comprendre ce qui nous était arrivé. Il souhaitait également que nous devenions les cadres militants de la reconstitution de la communauté en France.

Je me souviens encore de cette soirée où je reçus sa lettre alors que j'étais encore sous la tente pendant le terrible hiver 1944 en Alsace, quelque temps avant le passage du Rhin. J'ai immédiatement répondu que j'étais prêt à rejoindre ce groupe, ce que j'ai fait d'ailleurs après la guérison de mes blessures.

À cette époque, nous découvrions le fait sioniste et tout ce qui se préparait, mais l'objectif était surtout d'établir un lien avec la réalité d'Erets Israël et de reconstituer la communauté juive francophone.

Le mouvement sioniste politique ne « prenait » pas vraiment en Algérie parce que
les Juifs algériens se considéraient comme des Juifs français. Ils étaient donc à peu près dans la même situation que les Juifs de France.

ORSAY
Immédiatement après la guerre, j'ai donc retrouvé le mouvement des Éclaireurs regroupé à l'École d'Orsay. C'est là que j'ai connu l'un des maîtres qui ont le plus marqué ma formation : Jacob Gordin. Juif russe, il avait d'abord fui la Russie pour se rendre en Allemagne avant de s'installer en France en 1933. L'une des raisons qui m'ont poussé à rejoindre le groupe de Castor, c'était justement que je souhaitais devenir l'élève de Jacob Gordin qui représentait pour moi le type même d'une synthèse culturelle de très haut niveau entre la culture juive traditionnelle et la culture européenne. Jacob Gordin était un grand talmudiste, qabbaliste, philosophe qui nous avait fait découvrir la possibilité d'une relation entre la pensée générale et la tradition juive, formulée selon les critères de la tradition juive. Je n'ai connu Jacob Gordin que quelques mois. C'était en 1946-47. Il était à l'époque très malade et il est mort peu après, en août 1947. À la demande de Jacob Gordin avant sa disparition, je suis resté à l'École d'Orsay pour enseigner le judaïsme et c'est ainsi que j'ai vécu en France pendant 20 ans. J'ai donc fait partie de toute l'équipe qui s'est attelée à la reconstitution du réseau éducatif juif après la guerre. Cette période a été extrêmement dense : j'ai découvert les autres branches du peuple juif ainsi que l'entité politique du peuple juif hors des catégories religieuses et confessionnelles.
L'École d'Orsay avait été fondée immédiatement après la guerre avec l'objectif de reconstituer les cadres de la communauté. Et c'est là que nous avons redécouvert l'importance et la dimension de la tradition juive dans la culture universelle. Nous vivions en internat. C'était une sorte d'oasis de la vie juive, de haut niveau intellectuel, dans une communauté qui, à l'époque, était vraiment détruite. C'est dans ce milieu qu'apparurent les premiers universitaires et enseignants juifs pratiquants. Ensuite, ils ont essaimé dans toutes les directions.
Pièces jointes:
Routier_Oran.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
21 janvier 2005, 13:20
MANITOU, fin

NOUS REDEVENONS LES HÉBREUX
En 1954-55, j'avais commencé à organiser des voyages en Israël pour les élèves de l'École d'Orsay, puis pour les cercles universitaires et c'est ainsi que je me suis rendu pour la première fois en Israël.
Le choc a été énorme : premièrement, je suis chez moi ; deuxièmement, le judaïsme a ressuscité. Nous redevenons les Hébreux.

En découvrant la réalité israélienne, j'ai découvert une tout autre dimension de ce qu'était notre propre travail. Cela n'avait aucun sens de penser ce qu'était la résurrection de l'identité juive en une autre langue que l'hébreu. Il y avait quelque chose qui ne pouvait être retrouvé que dans une mentalité proprement hébraïque. On pouvait travailler en d'autres langues pour les Juifs de la diaspora, mais en Israël, c'était l'hébreu.

Nous parlions hébreu, mais c'était l'hébreu de l'Antiquité. Et alors, nous avons découvert l'insertion dans la réalité contemporaine de ce qui était pour nous une tradition millénaire. Cette tradition, tout au long de l'exil, avait fini par être formulée sur un mode messianique sublimé. Subitement, nous découvrions qu'en Israël un travail s'effectuait dans la réalité historique. Il a fallu un certain temps pour que la prise de conscience de cette évolution devienne définitive et irréversible.

Vers la fin des années 50, j'avais l'intention de transmettre à d'autres personnes la mission de poursuivre ce que j'avais commencé et de rejoindre Israël, mais j'en ai été empêché par les événements d'Algérie : mon père m'a demandé mon aide pour le rapatriement de sa communauté en France.

Il s'est avéré que la majorité de la communauté des Juifs algériens a suivi le sort des Pieds-Noirs et est arrivée en France. Le besoin de cadres s'est alors fait plus aigu. Rien n'était planifié : les Juifs se sont répartis dans toute la France selon le contingentement que la France elle-même donnait. Je me suis surtout occupé du réseau éducatif. Mon père n'étant pas en très bonne santé à l'époque, j'ai donc dû attendre quelques années de plus pour faire mon aliyah.

Le deuxième choc déterminant a été la Guerre des Six jours. C'est à ce moment-là que j'ai décidé de m'arracher à la diaspora et d'aller en Israël. Le monde juif tout entier avait suivi la guerre des Six jours dans une atmosphère d'inquiétude en sentant très réellement qu'Israël était en danger de disparition.

Il y avait aussi le fait que mes enfants grandissaient et je me suis rendu compte que leur intégration dans la réalité israélienne leur serait de plus en plus difficile avec le temps.

J'avais envoyé mes enfants à l'école juive – c'était pour eux une évidence qu'ils faisaient partie d'Israël. Ils étaient ainsi insérés dans l'histoire juive contemporaine, et je n'ai pas voulu leur imposer cette schizophrénie d'identité que nous avions connue. Arrivé en Israël, je me suis aperçu que j'avais encore un devoir vis-à-vis de la communauté francophone, simplement parce que j'en avais les capacités, et c'est pourquoi je retourne de temps en temps en France.

Nous avions conscience, nous qui étions d'une famille privilégiée de rabbins, d'être un cas particulier. À la génération de mes parents, on parlait autant judéo-arabe que français, parfois l'espagnol d'ailleurs, parfois le judéo-espagnol – et lorsque les rabbins se rencontraient chez mes parents, ils parlaient hébreu, mais c'était l'hébreu classique du Moyen-Âge espagnol.

Chez nous, l'atmosphère était très hébraïque, mais nous savions que nous étions un cas très exceptionnel et que d'autres Juifs développaient leur réflexion sur la religion dans un contexte de culture occidentale.

De façon très lucide, nous avions le privilège de nous rattacher à une tradition qui n'était pas forcément connue dans d'autres sociétés humaines. Cette tradition nous enseignait de croire ce qui était resté longtemps un peu mystérieux : tout Juif, même athée, fait partie de l'Alliance. Nous avons compris cela par la suite en voyant la dimension proprement providentielle de l'Histoire juive (qui concerne tous les Juifs même athées). La religion juive, c'est la fidélité à la Révélation prophétique. Nous avons toujours compris cela de haut en bas : c'était Dieu qui avait interpellé, alors que dans la révélation païenne, c'était des hommes qui recherchaient leur dieu. J'ai vite compris qu'il y avait un cas particulier pour les chrétiens et les musulmans, en ce sens qu'ils avaient accepté le Dieu d'Israël, mais avaient refusé les Juifs.

Nous considérions les musulmans comme d'authentiques monothéistes, puisqu'ils n'avaient pas d'image dans leur culte ; nous savions qu'ils faisaient partie d'une autre lignée d'Abraham – alors que nous considérions les chrétiens comme des païens qui ne s'étaient pas encore complètement défaits de leur paganisme.

La découverte du monde musulman est la découverte de quelque chose de cohérent et d'authentique en soi, de naturel. Alors que la découverte du monde chrétien, pour nous, judéo-algériens de tradition, était la découverte de quelque chose d'exotique, de bizarre et d'étrange : des Européens parlant de la Bible et ayant des pratiques qui nous apparaissaient comme païennes. Je n'ai jamais été interpellé par le monde chrétien, car je suis, malgré tout, de culture judéo-islamique.

Je considère la religion musulmane comme étant naturelle : nous sommes en tension avec elle tout en relevant de la même catégorie, tandis que la religiosité chrétienne m'est toujours apparue comme quelque chose d'exotique – et pour une identité juive – absolument artificielle.

Les Achkénazes sont principalement les descendants des exilés du premier Temple qui ne sont pas revenus en Erets Israël à l'époque du deuxième Temple. Par conséquent, leur tradition est essentiellement celle d'une nation juive d'avant le retour d'exil.

Les Séfarades, eux, étaient revenus du premier exil de Babylone et sont les exilés du deuxième Temple. Dès que nous avons entendu parler du drapeau bleu et blanc, de la Hatikva, de l'équipe de football juive, tout cela s'est intégré naturellement dans notre communauté.

J'ai connu en premier lieu mon identité juive comme une identité religieuse. Il n'y a qu'un seul Dieu : Celui qui s'est révélé à Israël.

Nous savions que les chrétiens et les musulmans se réclamaient du Dieu d'Israël. L'identité juive authentique était l'identité biblique, connaissant le monde en tant que création du Créateur qui s'était révélé en tant que Dieu d'Israël.

En Israël, il s'agit d'une révélation de Dieu aux hommes et la vocation juive, c'est cette fidélité à la Révélation.
Chez les Goyim, il s'agit d'une dimension culturelle, spirituelle, cherchant l'explication du monde, rencontrant l'idée de Dieu et se faisant une religion de telle ou telle conception. Depuis notre enfance, nous étions habitués à la considérer comme païenne.
Chez les Séfarades, les relations avec les autres croyants sont très détendues, très paisibles. Parce que l'autre croyant ne nous a jamais disputé notre vocation de vrai Israël.
Il nous a mis en infériorité politique, mais c'est un autre problème.

C'est tout à fait différent chez les Achkénazes qui peuvent se demander quel est le vrai Israël. L'idée que le christianisme soit le vrai Israël est une véritable angoisse pour un Juif achkénaze alors que c'est un non-sens pour un Juif séfarade des pays d'Islam. Il devenait clair qu'il serait aberrant de ne pas se lier à cette destinée commune du peuple juif, l'espérance qui devenait réalité, et je devais y faire participer les miens. Quant à savoir pourquoi c'est moi qui ai vécu cela plutôt que d'autres Juifs algériens qui ont eu à peu près la même équation existentielle – est-ce de l'ordre de la grâce ? ou de l'ordre du mérite des ancêtres ? Est-ce la chance d'avoir rencontré des maîtres qui m'ont mis sur la bonne voie ? Y a-t-il une vocation personnelle qui me restera toujours mystérieuse ? Par définition, un Juif traditionnel se connaît comme faisant partie d'un reste perpétuel.

J'ai vécu cette transformation comme une histoire personnelle, mais aussi comme un fait exemplaire qui se produisait à l'échelle collective.




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* D'après un témoignage recueilli auprès du Rav Askénazi (Manitou) à la fin des années 1970.
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
28 septembre 2006, 11:47
Les EIF ont toujours ete a l'avant garde du Judaisme Francais et Francophone, en Algerie, Maroc , Afrique du Nord.

Comme nous l'avons pu le constater dans les articles precedents, nombre d'entre eux ont accompli des etudes Rabbiniques et ont continue a prodiguer aux jeunes Juifs de france et d'Israel un enseignement hebraique de tres haut niveau.
On se souviendra de Leon Achkenazi dit Manitou, du Rabbi Henri Schilli dit Tison et de bien d'autres..
Un autre rabbin qui a continue ce combat de rester Juif et de continuer a etudier durant la deuxieme Guerre Mondiale, en joignant le maquis avec les EIF a ete :
Max WARSCHAWSKI
Grand Rabbin honoraire de Strasbourg et du Bas-Rhin
1925-2006.
Tristement Max Warschanski nous a quitte le 13 septembre dernier , il habitait Jerusalem.
Paix a son ame.

elie cohen

photo:
Rav Max WARSCHAWSKI zatsal
Pièces jointes:
Max WARSCHAWSKI, grand Rabbin de Strasbourg et Bas Rhin.jpg
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
28 septembre 2006, 11:54
Le P.S.I.L. - Petit Séminaire Israélite de Limoges
par Max Warschawski,
ancien élève du P.S.I.L., Grand Rabbin honoraire du Bas-Rhin - janvier 2001
[judaisme.sdv.fr]

Max WARSCHAWSKI
Grand Rabbin honoraire de Strasbourg et du Bas-Rhin
1925-2006

BIOGRAPHIE

Né le 4 juillet 1925 à Strasbourg, il est élevé dans cette ville pendant toute son enfance, sauf vers 8 ans, où il est mis en pension à Quatzenheim chez une famille de réfugiés juifs originaires d'Allemagne, à la suite du décès de sa mère. C'est là qu'il a creusé ses profondes racines juives alsaciennes. Deux ans après, son père se remarie, et il retourne à Strasbourg.

Il poursuit ses études secondaires au lycée Fustel de Coulanges, où il rencontre pour la première fois le rabbin Deutsch, qui est son professeur de religion. Il restera au lycée jusqu'à la guerre ; il a alors 14 ans.

Sa famille quitte Strasbourg à la veille de l'évacuation, et s'installe à Vichy. Il continue ses études dans cette ville jusqu'en 1941, puis il part pour Limoges, où il est placé comme interne à l'Ecole ORT. En 1942, le Rabbin Deutsch crée le PSIL, qui est destiné en principe à amener de jeunes élèves à s'orienter vers le rabbinat, et qui mène aussi au baccalauréat. Quand la situation devient plus difficile, il rejoint alors la compagnie Marc Haguenau qui est dirigée par les E.I.F., dans le Tarn.

photo:
Max Warschawski (à droite) avec ses parents et son frère Sally
Re: Principaux chefs des E I F ,Precurseurs et Batisseurs des EIM
28 septembre 2006, 11:57
Max WARSCHAWSKI
Grand Rabbin honoraire de Strasbourg et du Bas-Rhin
1925-2006
Le P.S.I.L. - Petit Séminaire Israélite de Limoges ,suite


A la fin de la guerre, après l'armistice, Max Warschawski retourne à Limoges pour travailler quelques temps comme éducateur dans une maison de filles. Puis il décide de se rendre à Paris pour étudier à l'Ecole rabbinique de 1945 à 1947. Il passe ensuite une année à Londres, au Jewish College, ou il obtient une smikha (diplôme rabbinique).

photo:
Etudiants du PSIL à Limoges en 1942,
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