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Histoire du Mossad

 

Histoire du Mossad

 

 

Édition révisée d'un ouvrage publié en 2010, l'enquête de l'ex-directeur général de la télévision israélienne, Nissim Mishal, et de l'ex-parlementaire à la Knesset et collaborateur du général Moshé Dayan, Michel Bar Zohar, est déjà un ouvrage de référence. Son parti pris de raconter l'histoire du service de renseignement extérieur de l'État hébreux, de la période duShay - le service de renseignement de la Haganah - jusqu'au début de notre décennie n'a pas eu pour conséquence d'en faire un ouvrage panégyrique d'une administration, de ses Ramsad successifs ou un livre à sensation. Respectueux de la sécurité leur pays, les deux auteurs n'ont pas centré leurs propos sur les affaires les plus récentes mêmes s'ils évoquent la responsabilité de Jérusalem dans les assassinats ciblés de scientifiques et militaires iraniens .

Dans un style journalistique fait de chapitres courts et nerveux, les auteurs dépeignent les opérations les plus emblématiques, leur contexte politique et les objectifs recherchés. Le soucis du détail va jusqu'à dépeindre les modes opératoires (ex. filature en peigne, l’emploi récurrent de call-girls) et d'action des services spéciaux y compris les plus diverses manières de liquider une cible : pistolet équipé de silencieux pour le "boucher de Riga" Herberts Cukurs à Montevideo, tirs à distance commando , drones armés, ventouse disposée sur le pare-brise arrière d'un véhicule, portières automobiles et colis postaux piégés, charge dissimulée sous le bureau d'un domicile, poison radioactif, boite de chocolats empoisonnés etc... Des actions violentes conduites aux quatre coins de notre planète et auxquelles plusieurs chefs du Mossad n'hésitèrent pas à assister en personne (ex. Zvi Zamir, Shabtai Shavit).

Ce ne sont pas seulement les techniques des équipes de tueurs qui sont décrites par le menu mais également les actions de sabotage, les opérations de défection, le recours aux agents doubles ou encore l'importance des sociétés écrans (ex. la fourniture par des sociétés d'Europe de l'Est de matériaux d'isolation défectueux utilisés dans les conduits reliant les centrifugeuses iraniennes, création d'agences de voyage pour exfiltrer les Falachas de la Corne de l'Afrique,...). Des savoir-faire qui ont bâti la légende des services israéliens mais dont l'histoire est aussi entachée de biens des fiascos comme celui où la défaillance des systèmes de reconnaissance et d'identification de la cible se traduisit par l'exécution en Norvège d'un serveur marocain innocent.

De ces échecs, sans vraiment le dire, les auteurs tirent des leçons. Ils se montrent ainsi convaincus du danger à faire appel à des Juifs locaux dans le cadre d'opérations hostiles sur un théâtre extérieur car ces dernières sont susceptibles de mettre en danger toute une communauté (ex. Égypte, Irak, Syrie). De la même manière, ils estiment que les espions israéliens sont en danger quand ceux-ci sont gagnés par la routine ou par une trop grande confiance en eux mais aussi quand ils sont sous la pression d'exigences démesurées de leurs supérieurs y compris pour collecter et/ou transmettre des informations sans grande valeur en termes de renseignement. Quant à confier le Mossad à l'un de ses agents (ex. Nahum Admoni (1982 - 1989)) et non comme souvent à des généraux parachutés de l'armée, ce n'est pas une garantie absolue de succès. Enfin, il est illusoire de croire que les opérations les plus secrètes le resteront toujours, tout comme le nom des agents qui les ont conduites. Une transparence de fait qui permet de (re)construire l'histoire mais aussi de montrer les invariants de l'action israélienne. Techniquement, les opérations conduites aujourd'hui contre les acteurs du programme nucléaire militaire iranien ne sont pas sans rappeler celles menées autrefois contre les spécialistes irakiens de l’atome ou encore les plus radicaux des responsables Palestiniens. Il en est de même dans le chapitre consacré à la lutte contre le projet de Nasser (1959) visant à doter l'Égypte d'un arsenal secret d'armements non conventionnels (ex. armes radiologique et bactériologique, uranium enrichi à 20%, missiles, gaz toxiques...). Politiquement, le rôle du Mossad n’est pas seulement de prémunir le territoire israélien de toute menace vitale mais tout autant de protéger le peuple juif, où qu'il se trouve, et organiser son émigration en Israël. Si ce dernier objectif est régulièrement assumé, il n’en est pas moins souvent difficile à mettre en œuvre. La première opération clandestine en Irak fut un désastre. D’autres, sont l’objet de vives polémiques intérieures comme quand il s’est agi de retrouver un enfant caché par des réseaux hassidiques mais parfois il s’avère bien que les missions les plus importantes sont celles qui permettent de ramener les siens dans la mère patrie .

Derrière le modus operandi, les deux auteurs décrivent toute une communauté du renseignement s'articulant autour de cinq services : le Mossad, le Shabak (agence de contre-espionnage), AMAN(le renseignement militaire), la Branche spéciale de la police et la Division de recherche du ministère des Affaires étrangères. On entraperçoit la manière dont sont prises les décisions par le comité des chefs de services et le rôle dévolu aux ministres ainsi qu’au directeur exécutif responsable des services de sécurité auprès du premier ministre (Memunneh). Une description vivante des institutions qui permet de mieux cerner le rôle de chacun et les rivalités "bureaucratiques". Au fil des opérations, on voit évoluer les administrations du Mossad : le Tevel(Univers), le département chargé des relations clandestines avec les services de renseignement étrangers ; le Tsomet, responsable du recrutement des agents ; l'unité Metsada (Césarée), le service action ; le Nevioth spécialisé dans les écoutes ou encore le Kidon (Baïonnette), l'unité d'élite des opérations spéciales chargée des éliminations physiques. Autant de mentions permettant de mieux appréhender les relations du Mossad et les commandos d'élite notamment le Shaldag (armée de l'air) et le Sayeret Matkal auquel appartenait Yoni Netanyahu, le frère du premier ministre tué lors de l'assaut à Entebbe en juillet 1976. Un récit très détaillé qui montre ô combien la classe politique israélienne est familière, depuis des décennies, des milieux du renseignement. Cependant à privilégier les services spéciaux, depuis l'élimination systématique des responsables de Septembre noir au début des années 70, les services de renseignement israéliens ont de temps à autres oublié leur premier métier, celui du renseignement. Une carence dangereuse quand elle se traduit par l'absence d'une évaluation judicieuse des menaces à commencer par le programme nucléaire militaire de Téhéran. Heureusement, les ennemis des ennemis y remédient quelquefois. C'est ainsi le mouvement clandestin d'opposition iranien, le MEK (Moudjhiddine el-Khalq) qui dévoila l'existence de deux sites nucléaires à Arak et Natanz.

Au détour des opérations contées, on voit émerger des "alliés" bien improbables  mais aussi tout un écheveau de coopérations internationales. Des échanges souvent aussi fructueux que complexes. Avec les Américains d'abord. Des contacts initiés par Reuven Shiloach avec l'ancêtre de la CIA, Washington a pu tirer l'original du discours de Khrouchtchev au XXème Congrès ou encore des informations techniques sur le MiG-21. Un relationnel avantageux qui n'en fut pas pour autant un long fleuve tranquille. Les Israéliens n'apprécièrent pas de découvrir que certains de leurs pires ennemis entretenaient des relations avec les Américains (ex. Ali Hassan Salameh le patron de la Force 17 palestinienne). Quant aux Américains, ils ne goutèrent guère plus d'apprendre que des agents israéliens se faisaient passer pour des personnels de la CIA afin de recruter des militants pakistanais du Jundallah pour conduire des opérations en Iran.

Ces analyses incidentes montrent l’ampleur des coopérations étroites développées par l’"institut" (mossad en hébreu) voulu par Ben Gourion en décembre 1949. On relèvera toutefois que les auteurs se gardent bien d’évoquer les relations établies avec les services de sécurité ghanéens, kényans, libériens, zaïrois, sud-africains et bien d’autres encore en Asie du sud-est ou en Amérique du sud. Ils se montrent tout aussi peu disert sur les réseaux d’espionnage technologique et les rôles de l’unité Lakam créée par Shimon Peres en 1957. Néanmoins dans le contexte moyen-oriental présent, il est intéressant de (re)découvrir ici les liens qui unissent étroitement depuis le milieu des années 60 (fourniture d'armes, soutien diplomatique sur la scène internationale) la rébellion kurde du nord de l'Irak, le père de l'actuel président de la Région autonome du Kurdistan et Israël. Il est tout aussi instructif de revenir sur les liens privilégiés que Meir Amit a su nouer avec le Maroc d’Hassan II. Des attaches qui ne furent pas sans conséquence pour la France car ils impliquèrent directement les services de renseignement israélien dans la disparition de Ben Barka. Par ailleurs, au fil des pages du manuscrit, Paris apparaît comme une base arrière du Mossad (centre d’opérations, réseaux logistiques, emplois de binationaux,…) et un champ de manœuvres comme en ont témoigné notamment plusieurs assassinats de leaders palestiniens

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