Netanyahu, par knock-out (info # 011703/15)[Analyse]
Par Etienne Duranier © MetulaNewsAgency
Israël s’est réveillé ce matin en découvrant un véritable triomphe de Binyamin Netanyahu à l’issue des élections générales d’hier. A la tête de son parti, le Likoud, il a remporté 30 des 120 sièges de la Knesset alors que la totalité des suffrages ont été dépouillés. Son principal concurrent, le travailliste Bouji Herzog, qui, jusqu’aux premières heures du matin prétendait pouvoir former un gouvernement, doit se contenter d’un maigre 18.73 pour cent des voix, soit 24 mandats.
Dans ces conditions, il ne fait aucun doute que l’actuel 1er ministre va pouvoir réunir une coalition à sa main, basée exclusivement, comme il l’a déjà annoncé, sur une alliance avec les formations du "camp national", à savoir les partis de droite et d’extrême droite ainsi que les religieux ultra-orthodoxes séfarades et ashkénazes.
Nous allons revenir sur les perspectives ouvertes par cette victoire, mais il nous faut préalablement commenter un véritable scandale, qui a placé toute les discussions post-électorales de mardi soir sous une lumière de ridicule, confinant les commentaires des chefs de partis et des analystes dans un registre qui les fait passer, ce mercredi, pour des gens peu sérieux.
Comme en 1996, lorsque Shimon Peres, alors candidat des travaillistes, était allé se coucher en étant convaincu qu’il allait devenir 1er ministre, pour se réveiller, le lendemain matin, battu par le même Netanyahu, les instituts de sondage ont à nouveau tous faussé la discussion en publiant des estimations fantasques.
Baste pour les enquêtes d’opinion réalisées avant le scrutin, qui attribuaient entre 20 et 22 sièges au Likoud - alors qu’il en a recueilli un tiers de plus – et avertissaient de la victoire du tandem Herzog-Livni avec un écart de deux à quatre mandats, même si leurs prévisions se trouvaient à des lieues de la marge d’erreur de trois points, habituellement concédée aux instituts de sondage.
A 22 heures, à la fermeture des bureaux de vote, se basant non plus sur des enquêtes d’opinion mais sur un échantillonnage des résultats du vote, deux des trois organismes donnaient, sur la chaîne publique et sur La 10, Bibi et Bouji à égalité avec 27 sièges chacun, tandis que Mina Tzemach, à peine plus heureuse, augurait, sur La 2, un succès du Likoud sur le score de 28 à 27.
Or, au niveau de l’échantillonnage, on est censé donner les résultats réels, généralement à un point près. On était cependant très loin du compte, ce qui ouvrit la voie aux ténors de l’ "Union Sioniste" – qui revendiquèrent la victoire et formèrent déjà une équipe de négociateurs pour rallier les autres partis -, de leurs alliés potentiels, Yaïr Lapid (Yesh Atid, il y a un avenir), Moshé Kakhlon (Koulanou, nous tous), Avigdor Lieberman (Israël Beiténou, Israël notre maison), ainsi qu’à la plupart des observateurs professionnels, pour entrevoir un gouvernement sans Bibi.
C’était burlesque, la soirée de mardi, jusqu’aux petites heures de la nuit, fut le théâtre, sur toutes les chaînes TV et toutes les stations de radios, d’un seul et même débat sur le thème : qui du Likoud ou des travaillistes, arrivés ex aequo, allait constituer le prochain exécutif.
Le président de l’Etat, Rubi Rivlin, était le premier à tomber dans le panneau, invitant, devant la situation de pat, Netanyahu et Herzog à former un gouvernement d’union nationale.
A 22 heures, l’heure des estimations, le scandale courait déjà depuis plusieurs heures. Les instituts de sondages, en effet, avait réalisé leurs évaluations réelles dès 18h 30 et les avaient évidemment communiquées aux appareils des grands partis. Or ces appréciations confirmaient, sur la base du double vote à la sortie des urnes officielles, la victoire travailliste sur un écart à confirmer, qui variait de 1 à 4 points.
Soupe à la grimace au Likoud, où on se montrait presque résigné et où on cherchait des prétextes, répétant à l’envi que des éléments et des fonds venus de l’étranger avaient pipé le processus démocratique. Un ministre confiait même, autour de 20h, à notre rédacteur en chef : "Bien évidemment Bouji va se déclarer vainqueur mais nous aussi, quel que soit le résultat, nous revendiquerons la victoire".
Au siège des travaillistes, on affichait des mines réjouies, les scouts des mouvements de jeunesse dansaient et chantaient en criant "maapakh" (renversement), et les chefs ne les contredisaient pas, nous parlant ouvertement des "tractations qui avaient déjà débuté en coulisses pour former la prochaine équipe de gouvernance".
Les choses ne changèrent qu’à vingt minutes de la publication des "résultats" par les media, lorsque les Q.G des partis furent informés que le Likoud et l’Avoda (travail, parti du travail, travaillistes) étaient au coude-à-coude. Dans les rangs du parti de droite on reprenait des couleurs, tandis qu’à gauche, on se disait que cela allait être plus difficile que prévu.
Je comprends ce mercredi matin la raison pour laquelle Stéphane Juffa, intervenant dès 22 heures sur de nombreuses radios, répéta une bonne cinquantaine de fois qu’ "il était urgent d’attendre, qu’il ne s’agissait que de résultats temporaires", suscitant parfois l’irritation des interviewers et des membres des panels, tous occupés à faire des calculs pour voir qui avait les meilleures chances de former une coalition.
A minuit, Juffa nous prit de court lorsqu’il déclara : "on bâche, on va tous dormir, je ne la sens pas, on publiera notre synthèse demain, les bulletins ne vont pas s’envoler".
Ce matin, Bouji appela Bibi au téléphone pour reconnaître sa défaite et souhaiter bonne chance au prochain 1er ministre d’Israël. Les instituts de sondage avaient encaissé des millions d’euros pendant les deux mois précédant les élections ; comme lors de toutes les dernières consultations, ils avaient lamentablement échoué dans leur tâche. Et ce qui est encore bien plus grave, c’est qu’ils ont diffusé quasiment les mêmes mensonges durant cette période, à deux points près, ce qui ne démontre pas la fragilité de leurs hypothétiques méthodes de travail, à la limite de l’escroquerie, mais qu’ils se sont copiés les uns les autres dans leurs estimations au pif, qui leur valent aujourd’hui un zéro pointé.
Malheureusement, comme nous l’avions déjà écrit lors d’occasions précédentes, ces déboires seront vite oubliés et les partis, ainsi que des gouvernements étrangers, continueront à avoir recours à leurs services la prochaine fois.
Quant à la victoire de Netanyahu, c’est celle d’un animal politique, un "magicien" comme disent ses partisans. Inactif deux mois durant, convaincu, après avoir lui-même convoqué ces élections anticipées, que son intervention devant le Congrès suffirait à persuader ses concitoyens de voter pour lui, refusant de débattre et d’apparaître sur les écrans de télévision. Puis, pris de panique, à la moitié de la semaine dernière, quand tous ses conseillers lui prédirent la débâcle, il se rua sur les media, les assiégeant cinq jours durant pour lancer son offensive de la dernière chance.
Alors qu’au sein même du Likoud on murmurait déjà dans son dos en préparant la relève qui s’imposerait après la "défaite", lui assénait des coups dans toutes les directions ; mettant décisivement le cap à droite toutes, il prévenait, au risque de contredire ce qu’il avait dix fois affirmé auparavant et de se mettre à dos l’ensemble des chancelleries occidentales, qu’il n’y aurait pas d’Etat palestinien. Il rameuta les électeurs de droite comme s’il les mobilisait pour aller à la guerre, se disputant avec les journalistes et même avec le comité de surveillance des élections. Au bord de l’hystérie, il affirmait que tous, aussi bien à l’étranger qu’en Israël, s’étaient ligués pour le faire trébucher.
Le jour même du vote, il joua à fond sur le retard que prédisaient les sondages, implorant les électeurs de sauver le pays en l’arrachant des griffes de l’incompétent Bouji et de la gauchiste Tsipi - qu’il avait cependant choisie jusqu’en décembre dernier pour pourvoir le poste de ministre de la Justice et occuper un siège dans le cabinet restreint politico-sécuritaire -, et qui s’apprêtaient à solder Israël aux Arabes, menaçant ainsi sa sécurité.
Hier matin, Bibi vociférait encore, prétendant que des volontaires étrangers embarquaient les Arabes israéliens par autobus entiers – ce qui était factuellement faux et presque raciste, s’agissant de citoyens à part entière de l’Etat d’Israël – et qu’il fallait voter pour lui pour déjouer le complot.
Cela manquait cruellement de nuance, ce fut terriblement populiste et même très inélégant quant au fond, mais c’était soutenu par une énergie incroyable, qui a bluffé jusqu’à ses adversaires et les confrères journalistes qu’il a laissés sans voix, comme débordés sous un bibi-tsunami.
Pour parvenir à ses fins, Netanyahu a ratiboisé les autres partis de droite, ne leur laissant que les yeux pour pleurer. Voyez plutôt les résultats des partenaires de sa coalition précédente : Bennett perd 4 sièges et n’en conserve que 8, Lapid égare 8 sièges pour n’en garder que 11, et Lieberman atteint tout juste le quorum qu’il avait lui-même imposé, restant avec 6 sièges alors qu’il en détenait 13 la semaine dernière.
La fronde c’était eux, eux qui mettaient en doute sa prévalence, eux qui avaient rendu le cabinet presqu’ingouvernable à force de le critiquer et d’œuvrer à son éviction. Eux, aussi, qui ne supportaient plus de ne pas être consultés lorsque Bibi prenait seul des décisions qui les concernaient en tant que ministres. C’est pour mettre fin à ces mazarinades que Netanyahu avait convoqué des élections anticipées, pour établir clairement qui est le numéro 1 et se donner une majorité de gouvernance.
A moins d’accepter de passer par le purgatoire qu’est l’opposition, ils vont devoir revenir, mais à quatre pattes, comme les conjurés écrasés qu’ils sont. Yvette Lieberman va devoir ré-adresser la parole à Netanyahu s’il entend recevoir un portefeuille. Il visait celui de la Défense – ce qui nous faisait craindre une IIIème, une IVème voire une Vème guerre mondiale -, il devra se contenter de ramasser les miettes, lui qui se voyait déjà dans le costume d’un prochain premier ministre.
Car Netanyahu dispose des alliés potentiels nécessaires à former une coalition qui pourrait compter jusqu’à 78 députés au terme d’une addition rendue facile par son triomphe. Dans ces conditions, il peut choisir, il n’est pas en position de demandeur et pourrait bien former une alliance qui tiendrait quatre ans.
Cela fait longtemps que cela n’était plus arrivé et le public s’était accoutumé à des élections anticipées tous les un ou deux ans. Il se dit aussi, au Likoud, que ce mandat sera le dernier que Bibi briguera, ce qui lui permettrait de réaliser pleinement sa politique, un peu comme un président US réélu et disposant de la majorité automatique au Congrès.
Reste à savoir quelle politique il mettra en place, et notamment à quoi vont servir Mahmoud Abbas et l’Autorité Palestinienne, maintenant qu’il n’a plus rien à négocier avec eux et, qu’enfin, cela se sait.
Un journaliste lui a demandé s’il avait un plan de rechange, sous-entendu, qu’est-ce qu’il comptait faire des deux millions et demi de Palestiniens de Cisjordanie, sans comptabiliser ceux de Gaza ? Seule réponse : s’occuper de la sécurité d’Israël. Sans projet ? Sans vision d’avenir ? Au ban des nations ?
On ne comprend pas tout, mais on verra. Ca fait un peu "vous me suivrez où je déciderai d’aller au jour le jour", un sacré programme aux relents presque gaulliens ; de toutes façons on ne nous laisse pas le choix. Pas plus qu’à Obama, qui doit cauchemarder en pensant que Netanyahu lui survivra au pouvoir en principe durant deux ans.
Un mot sur le perdant. Il n’avait pas la carrure de la fonction. On aurait dit un club de seconde division opposé à Barcelone. L’opposition doit se chercher un autre chef, probablement un ex-militaire, dans la lignée des Rabin et autre Ehoud Barak. Elle a désormais le temps de réfléchir.
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