Un Tune au Maroc, 2, par
Avraham Bar-Shay
Un Tune
au Maroc, 3, par Avraham Bar-Shay
Je crois qu'à
chaque fois qu'on voyage vers d'autres pays, il y a en
nous un besoin de chercher des paysages et des souvenirs
lointains. Dans le vertige de tant de merveilles, nous
cherchons des références en essayant de comparer ce qui se
présente à nous, à des images mémorisées, et plus lointain
est le rappel, plus forte est la sensation, ceci sans que
la nouvelle image ne s'estompe devant l'ancienne.
Ensemble elles enrichissent l"Album de notre Vie".
J'avais détaillé
cette expérience lors d'un voyage en Sicile:
http://www.harissa.com/D_Communautes/divers/untuneensicile.htm
Dans mon dernier
voyage au Maroc, j'ai eu à plusieurs reprises le bonheur
de me sentir transporté, pour quelques secondes, loin dans
le temps et l'espace.
Etant né dans le Sud
tunisien où les cultures Andalouse et Française n'avaient
pas entièrement dominé la culture Berbère, j'ai retrouvé,
malgré une distance de plus que 1500 Kms, des souvenirs de
mon enfance.
Les berbères des 2
extrémités de l'Atlas se ressemblaient, les costumes et
les paysages aussi. Par exemple la Khella, cette fibule
qui sert d'épingle à attacher les pans de l'habit des
femmes berbères, existe aussi au Maroc et est même classée
comme un des objets identificateurs du pays.
Ma mère en
portait encore une paire, plus de 2 ans après notre
arrivée à la capitale.
Au Koutab, qui tient
une place importante dans la vie d'un enfant qui y passe,
au moins, les premières années de son enfance, il y avait
des bancs tout autour. Ces bancs de bois étaient couverts
de Nattes (H'assira), et plusieurs Kandils pendaient du
plafond.
Instinctivement
j'étais allé voir l'état de ces nattes, parce que dans le
temps, les "grands" coupaient des morceaux de sa corde,
les enroulaient de papier journal et les fumaient en
cachette, comme des cigarettes
J'ai retrouvé ces nattes et ces kandils
dans les synagogues du Maroc du Nord au Sud.
Les palmeraies au
milieu du désert et les dunes de sable du Sud, les souks,
les Portes (Bab) des Médinas, les plages et les montagnes,
et bien entendu la cohabitation de l'ancien et du
moderne…. tout me ramenait là bas.
Deux scènes
m'avaient particulièrement ému, parce qu'elles m'avaient
ramené très loin dans mon enfance.
La première est
celle du Moulin de Blé.
Ma mère n'avait
jamais acheté de la farine pour faire du pain ou des
gâteaux, ni de la semoule pour le couscous. On achetait du
Blé en grains. Un récipient servait d'instrument de mesure
du volume, on achetait au volume, pas au poids. Chaque
semaine, je crois, on m'envoyait au moulin pour moudre une
certaine quantité. Je n'oublierai jamais le sol onctueux
couvert de poudre de farine ni le bruit du moteur diesel
qui transformait ces grains en une poudre encore primaire.
A l'aide d'une série de tamis, ma mère la filtrait, et
comme après une opération de Cracking, elle obtenait
différentes semoules et finalement la farine. J'avais
retrouvé dans un souk marocain le marchand de céréales et
pas loin le moulin mécanique, comme jadis.
La 2e
est celle des chameaux tressés de feuilles de palmier.
Mon père Z"L,
disparu quand je n'avais que onze ans, me tressait avec
les palmes de la Soucca, des petits chameaux.
J'avais raconté
cette histoire sur Harissa:
http://www.harissa.com/D_Religion/souccothpalmierchameau.htm
Quelle fut ma
surprise quand, dans un de nos arrêts sur la route du Sud
marocain, des gosses nous avaient entourés en brandissant
des petits objets dont on distinguait à peine la forme.
Arrivé plus près je sautai de joie en reconnaissant mes
petits chameaux tressés, quelle excitation !! Depuis 1947,
je n ai jamais revu cet objet en d'autres mains. Soudain;
je remarquai que ces chameaux étaient même plus évolués
que ceux de mon enfance: ils portaient tous des (berda'a),
un panier de chaque coté de leur bosse. Je ne connaissais
pas ces paniers ou bien j'avais oublié. J'en ai acheté un
de chaque variété et les ai conservés dans un endroit
humide jusqu'à notre départ du Maroc.
Les épices de toutes
les couleurs et odeurs se retrouvaient dans toutes les
médinas, arrangées dans des magasins comme sur une
palette de peintre ou entassées dans des couffins, à même
le sol.
L'oasis de Gabès
était un grand port de pêche. Je me rappelle encore les
pécheurs qui frappaient les tentacules de la pieuvre sur
le quai, afin de lui "soustraire le poison", d'autres
travaillaient à nettoyer les poissons et étaient entourés
de mouettes qui attendaient les déchets jetés par le
pêcheur ou bien pour lui voler un poisson directement du
panier.
Et le Guernine, cet
artichaut sauvage et épineux, mais qui est bien plus
parfumé, je l'avais perdu de vue depuis les années 50; et
voilà qu'il est là, en quantité et dans un grand panier.
Ne pouvant le préparer sur place, je me suis contenté
d'une photo.
Ce voyage est aussi
un retour aux sources pour nos compagnons nés au Maroc.
Chaque ville avait son quartier juif "le Mellah'", ses
synagogues, et ses cimetières avec un Rabbin dont la tombe
servait et sert encore, de lieu de pèlerinage.
J'ai eu comme
l'impression que les lieux sacrés des juifs marocains
avaient plus de chance que ceux de Tunisie. Tandis qu'en
Tunisie on pouvait sentir que quelqu'un s'était acharné à
effacer ou à diminuer l'Histoire de la présence juive, au
Maroc au contraire, on voit un certain un effort
d'épargner les vestiges du passé des communautés juives.
Mais ils ne
pouvaient garder, dans certains Mellah's, des noms de rues
très provocants pour eux, comme par exemple "La Bd Israël"
qui devint "Bd Palestine" et le "Bd de Jérusalem" qui
devint "Bd El-Kods"
Texte et photos:
Avraham Bar-Shay (Benattia)
Mai
2006-
absf@netvision.net.il
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