Voici
l'histoire de mes chabbats a Casablanca ,
le souvenir est si beau que j'en reve souvent.
Chaque jour de la semaine etait dedie au chabbat.
Dimanche : marche , achats et cacherisation de la viande.
Les preparatifs commencaient le dimanche apres le petit
dejeuner: pain brule sur le gaz que l'on tenait par un
couteau ou une fourchette. Sur le pain on versait de l'huile
d'olive et on saupoudrait du sucre en poudre .
Le sucre se vendait soit en petits carres que l'on mettait
dans une boite en fer avec la photo de de sa majeste le roi
Mohamed V, soit en grands "pilons" de sucre de 5 kg
avec le papier de soie bleu turquoise fonce. Le papier nous
deteignait dans les mains et il fallait un marteau pour
casser le sucre en petits morceaux, qu'on mettait ensuite
dans un bocal en verre .
il y avait aussi du sucre en poudre mais si non la bonne
cassait pilait ...
Il y avait du sucre candy mais on ne se s'en servait jamais
chez nous.
Apres avoir mange le pain et l'huile qui nous coulait entre
les doigts, un bon verre de the vert en grains, avec du nana
, et on partait ma grand mere maternelle , mama sol ( sol
amselem) et moi, au marche de bab marrakech. On prenait le
bus 1 bis du marche central , on s'arretait a la place de
France et on entrait par le D.L.P. ( derriere les planches),
c'est comme ca qu'on appelait el behira .
J'adorais ce marche de mon enfance ( annees 60).
Il y avait de tout on pouvait acheter des disques de mon
idole Johnny, des vieux numeros de salut les copain ( le
journal a la mode pour les jeunes), des livres anciens , des
disques de Samy el Magriby, d'Albert Suissa de Zohra el
Fassia, des timbres ancien des pieces de monnaies et des
billets anciens, un genre entre marche aux puces et
friperie. La-bas c'etait mon empire et je me sentais
l'imperatrice Soly. Je denichais chaque fois de belles
choses. Apres le D.L.P, on arrivait sur la place du marche
et on cherchait Hmido notre porteur , il savait que nous
serions la vers 10 h ,
c'etait comme ca depuis longtemps il nous attendait tous les
dimanches.
Il avait des couffins immenses comme ceux qu'on met sur le
dos de l'ane , les 2 couffins etaient relies entre-eux par
une large bande tressee en ficelle , qu'il mettait sur son
epaule.
Il restait avec nous environ 2 h , 2 h et demi, il
attendait, nous suivait et remplissait les couffins.
On commencait par le boucher il y en avait des dizaines et
l'endroit s'appelait berchid, rue des synagogues.
Chaque famille juive casablancaise avait son boucher et elle
le gardait pendant des annees .
La boutique du boucher etait impeccable, le boucher portait
un tablier blanc et sa viande (des grands morceaux de vaches
et de moutons) etaient accroches a de gros fers sur une
barre en fer tres longue pres du plafond.
Le boucher decoupait le morceau de viande pour le client
directement sur le morceau accroche.
Etre boucher etait un metier qui se transmettait de pere en
fils (tandis qu'aujourd'hui , c'est un metier que les jeunes
n'aiment pas du tout).
Apres le boucher, on allait chez le poissonnier acheter les
sardines, car tous les dimanches on mangeait les restes du
chabbat mais surtout les sardines grillees sur le canoune
(mejmare) et les braises.
On mangeait le saumon, pes espada, ou le merou pour chabbat.
On utilisait le merlan frais pour les boulettes, a la sauce
tomate
ou pour le farcir avec de la puree de pommes de terre et du
persil coupe, qu'on faisait frire.
Ensuite les legumes et les fruits. Les legumes selon la
saison : feves, artichauts, cardons, patates douces(
moniatos de california),petits pois, truffes, artichauts
nains avec des piquants (harissas) et les legumes de toute
l'annee : pommes de terre, tomates, concombre, laitue.
Ensuite le pain : il y avait un petit juif qui avait une
boulangerie du moyen-age avec four dans cette rue et il
faisait un pain de reve. Il avait plusieurs sortes, il les
mettait en pyramide et l'odeur on pouvait le sentir dans
tout le souk..........
Dans cete meme rue des synagogues au numero 138 il y avait
la fameuse boutique de monsieur Joseph Lugassy. La c'etait
le royaume des menageres , il vendait des capsules pour les
gateaux et petits fours de toutes les grandeures, des
couleurs pour les pates d'amande, des amandes, des
cacahuetes, du coco, des moules pour barquettes, des manches
pour la creme (kharaya) des entonnoirs pour la kharaya, le
vin pour le kidouch, les mezouzotes, les talites, les
tefilimes, des livres de prieres pour toutes les prieres et
pour toutes les fetes.
En 1965 Joseph Lugassy est parti pour Israel.
Apres, Hmido partait seul a la maison au boulevard Mohamed V
au passage Galinari numero 95, avec les 2 couffins sur son
epaule ( quelques annees plus tard il a eu assez d'argent
pour acheter une bicyclette).
Lorsque Hmido partait , souvent on allait peleriner sur le
tombe de Rebbi Liaou et on allait acheter le nana , pres de
la porte ou on sortait sur la rue des anglais. Il y avait ,
et je me rappelle comme si c'etait hier, 2 marchands un de
chaque cote de cette porte , un vendait du nana, et l'autre
vendait dans une grande jarre en terre du petit lait
(rrayeb), et les gens buvaient sur place.
Le marchand de nana avaient des sacs en ficelles avec
plusieurs sortes de nana et il criait : FLAIO, SOFI,
MEKNASSI, AABDI, LOUIZA, HARCHA, MAR DEL DOUCHE(
MARJOLAINE), CHIBA, KAZBOR, M'ADNOS...............
On achetait ce qu'il fallait et on retournait avec un petit
taxi a la maison.
Hmido etait deja arrive et nous attendait, a la maison. Il
n'y avait que mon grand pere car c'etait le jour de conge de
la bonne.
Hmido recevait son argent plus un bon bahchiche( pourboir),
il mangeait un peu de dafina que mama sol lui gardait expres
pour lui et des salades. Hmido adorait la dafina et il
partait content jusqu'a dimanche prochain.
On mangeait nous aussi apres que Hmido soit parti, on
sortait tout ce qu'il restait au frigidaire plus les
sardines grillees,
ensuite commencait la cacherisation de la viande pour toute
la semaine : bassines, sel, eau, des heures de travail dans
la cuisine .
Lundi: lessive des nappes des serviettes et des vetements
pour chabbat, et tout le reste du linge de tous les jours.
La lessive se faisait a la maison dans la buanderie pour
ceux qui avaient de la place , ou sur la terrasse .
Le linge etait trempe dans une bassine ( bagno) en aluminium
depuis la veille, avec du Tide ( tide lavando y yo
descansando, tide lava todo lo que ay que lavar tide lava
todo , tide limpia mas) c'etait la promo a radio tanger sur
le Tide.
Il y avait 4 sortes de savons en poudre, omo, tide,
pax, et bonux et si le linge etait tres sale on ajoutait 2
cuillers de cristaux (comme des petits cailloux blancs).
Le linge blanc passait de bassine en bassine , la bassine du
savon, la bassine avec l'eau du premier rincage,
la bassine avec l'eau et javel la croix la bassine avec le
bleu pour donner au blanc une couleur profonde, la bassine
avec l'eau du dernier rincage.
Plus une petite bassine avec amidon pour les nappes et
serviettes.
Lundi je savais que c'etait le jour des bassines, le linge
etait lave sur une planche a laver en bois.
Il y avait une sebana qui venait tous les lundi , la bonne
chez nous ne lavait pas le linge elle avait assez de travail
a la maison.
La terrasse appartenait a tous les voisins et chacun avait
son jour, nous c'etait le lundi et depuis le matin jusqu'a
la tombee de la nuit, car le mardi appartenait a un autre
voisin.
Mardi : jour d'achat des poulets et repassage.
Les poulets etaient choisis et egorges par le rabbin (
shokhet).
C'est papa qui achetait les poulets. C'etait tres long car
il fallait choisir les poulets, ensuite la shekhita et le
plumage. Les plumeuses etaient assises par terre , l'odeur
des poulets etait infernale. J'avais des nausees, je
n'allais que kippour , car a kippour c'etait un vrais
cirque.
A la maison il fallait enlever les petites plumes qui
restaient encore, bruler sur le gaz la peau du poulet, le
vider et apres la cacherisation.
La bonne repassait pendant toute la journee, les nappes du
chabbat, les napperons les draps........
Mercredi : jour des gateaux pour toute la semaine et surtout
pour chabbat.
Maman et la bonne petrissaient sans perdre une minute:
petits pains au chocolat, galettes sucrees, le gateau au
chocolat special pour chabbat a 4 h .
Plus les cacahuetes et les pepins grilles .
Jeudi: nettoyage du chabbat et epluchage des legumes.
Toute la maison etait sans dessus dessous. On poussait les
lits les armoires et les commodes.
A la cuisine, une bassine de pommes de terre pour le pastel
(pastella), une bassine de pommes de terre pour la dafina,
un grand bol de pois
chiche trempes pour la dafina...........
Grace a D. lorsque je revenais de l'ecole la maison etait
comme pour Pessah. J'avais horreur de se remue-menage,
car si le dimanche je le passais chez mes grands parents
maternels, le reste de la semaine j'etais chez papa et
maman, avec mes 2 soeurs.
Vendredi: c'etait le jour J
LE JOUR LE PLUS LONG, LE PLUS DIFFICILE, TOUT DEVAIT ETRE
PRET A L'HEURE AVANT LA RENTREE DU CHABBAT.
Il fallait petrir le pain (obligatoire). Il y avait un four
au bout de la rue Pierre Parent.
Il fallait preparer le pastel (pastella) : c'est le repas
qu'ont fait pendant des siecles les juifs de la zone
espagnole , Tanger, Tetouan, Arzila, Larache, Alkazar el
Kibir ,
Je suis nee a Casablanca, je suis une bidaouia, mais je ne
connais pas les aadotes des casablancais chez nous on
mangeait made in Larache.
Il n'y avait pas de chabbat sans pastel ni poisson ni
matboukha.
Il fallait preparer le poisson en sauce rouge : le poisson
est la berakha du chabbat pour les marocains.
Il fallait preparer les salades : matboukha (salade cuite),
barba (betteraves), bishbash (fenouil), piments grilles,
artichauts bouillis si c'etait la saison.
Il fallait preparer bien sur la reine dafina:
des pommes de terres, des pois-chiches, un morceau de pied
de vache, de la viande de poitrine, de la patata douce, une
petite orissa de ble en rouge dans une boite de guigoz en
aluminium qu'on mettait dans la marmitte de la dafina, une
tripe farcie comme une saucisse qu'on roulait en escargot,
des oeufs. La marmitte devait etre tres grande.
Apres que la dafina ait cuit pendant au moins 2 h avant de
la mettre sur la beatrice( fourneau) on ajoutait le cafe de
massa dans la marmite, et on mettait a feu doux sur la
beatrice juste avant la rentree du chabbat.
Cafe de massa: c'est une pate qu'on petri une fois par mois.
On fait des longs lacets de cette pate qu'on decoupe avec un
couteau, on roule comme des grains de cafe, on met les cafes
de massa a secher au soleil et ensuite a cuire au four
quelques minutes ou on les fait frire.
Ensuite on les partage pour 4 chabbats.
Je vous assure c'est un regal cette dafina de cafe de massa.
Chabbat : papa allait au travail et il revenait tot pour
l'aperitif, avec du ricard 45, des oeufs de poisson seches
(mokhama).
Chabbat a 1 h : le repas de
reve..............................
A 4 h le gateau au chocolat
Et le soir lilt el had : le poulet avec olive et citron
confits.
C'est comme ca pour moi jusqu'a aujourd'hui.
Soly Anidjar
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