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Abdelkebir KHATIB 16 mars 2009, 12:25 |
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Re: Abdelkebir KHATIBI 16 mars 2009, 15:17 |
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Re: Abdelkebir KHATIB 31 mars 2009, 03:43 |
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Re: Abdelkebir KHATIB 31 mars 2009, 05:12 |
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Re: Abdelkebir KHATIB 31 mars 2009, 05:44 |
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Citation
La mémoire tatouée
Laissez-moi vous dire que Abdelkébir Khatibi, qui vient de nous quitter à 71 ans, était un grand penseur marocain. Passeur d’idées généralement inspiré, il est, après le grand Abdellah Laroui, celui qui a incarné le mieux cette image de passerelle et de jointure entre nous et les autres. Il a inscrit, à sa manière, à son niveau, ce petit point nommé Maroc sur la carte du monde. Il y a de quoi lui être reconnaissant. Sans verser dans l’éloge dithyrambique, ni dans l’exaltation béate. Ce n’est pas le genre de la maison, non. Khatibi, de sa voix douce mais éraillée, abîmée, avec sa moue fatiguée, ses yeux plissés, enfouis derrière des lunettes de myope, ce Khatibi-là incarnait une marocanité certaine. Il
sentait le bled. De toute son œuvre, on peut retenir deux livres majeurs, aux noms aussi clinquants que le verdict d’une cour de cassation : La mémoire tatouée et La blessure du nom propre, tous les deux édités chez Denoël. Ils sont d’une lecture difficile mais utile, très utile. Ces livres ont beaucoup compté, le sociologue et anthropologue y exprime tout son art, cette façon qu’il avait de transcrire le très local en le mettant à la portée de l’autre, celui qui ne sait pas, ne connaît pas. Khatibi réfléchit local et écrit universel.
Il s’est toujours invité à une langue, la française, qui n’est pas la sienne. C’était juste un outil de travail, un instrument bon à domestiquer, le véhicule intelligent d’une pensée entièrement dédiée au local. Je vais vous raconter une anecdote. Un jour, à la fin des années 1990, Khatibi a été invité dans un salon parisien à l’occasion de l’année du Maroc en France. Le règne de Hassan II respirait son dernier souffle, mais on ne le savait pas encore. Cet après-midi, j’avais le choix entre une bonne sieste crapuleuse et une conférence avec Khatibi. Je choisis Khatibi… Il s’est très mal défendu ce jour-là, face à une rafale de questions sur le mal-être marocain, le peu d’espace de liberté individuelle et politique concédé par les tenants du régime hassanien. Une déception. “C’est ça, ton Khatibi ?”, me lança, défiant, un ami à la fin de la conférence. Ben oui, c’était ça, pas le meilleur des tribuns, ni des représentants de la langue de Molière. Pas le meilleur des ambassadeurs, ni des poètes. Juste un bon, un très bon sociologue marocain, l’un des rares, ou l’un des premiers, avec Laroui, à avoir transgressé les dogmes qui ont si longtemps cadenassé la pensée marocaine, l’empêchant de s’ouvrir à l’universel. En 1988, il confiait ses doutes à Kalima (in “Regards sur la culture marocaine”) : “Je ne sais pas si les livres sont des victoires…”. Eh bien si. Parce qu’ils restent.