Dafina.net Le Net des Juifs du Maroc




Bienvenu(e)! Identification Créer un nouveau profil

Recherche avancée

Il a fallu attendre plusieurs d?cennies pour que le Maroc s'ouvre sur le r?pertoire musical juif

Envoyé par jero 
Il a fallu attendre plusieurs d?cennies pour que le Maroc s'ouvre sur le r?pertoire musical juif
06 septembre 2005, 08:31
Mohamed El Haddaoui : «Il a fallu attendre plusieurs décennies pour que le Maroc s'ouvre sur le répertoire musical juif»


Chercheur en musicologie et spécialiste du patrimoine artistique judéo-arabe

Le Docteur Mohamed El Haddaoui, chercheur en musicologie et spécialiste du patrimoine musical judéo-arabe, nous parle des deux types de musiques les plus marquantes dans notre histoire artistique et les influences interculturelles et interreligieuses qui les ont enrichie.





Le Matin : Actuellement, d'éminents spécialistes entreprennent des recherches sur l'ensemble du patrimoine musical juif. Vous comptez parmi ces chercheurs qui se sont intéressés à ce genre musical. Pourquoi ?

M. EL Haddaoui :Il est vrai que de nombreuses recherches actuelles s'épanchent sur ce type de musique qui comprend la poésie juive maghrébine du 17ème siècle jusqu'à nos jours, la poésie épique religieuse et la poésie féminine juive.
Ce répertoire poétique dialectal trace les traits généreux de la vie sociale des communautés juives marocaines, et montre combien les juifs étaient influencés par le Malhoun islamique. Un genre particulier du Malhoun a été propagé par les juifs, appelé Al Matrouz (dérivé du verbe brodé), où l'arabe et l'hébreu s'alternent dans une même ode. Sur le même modèle, les nouvelles conditions sociales et culturelles engendrées par le Protectorat ont suscité un genre spécial du Matrouz, notamment en ce qui concerne les thèmes d'amour et la poésie érotique.

Comment se fait-il que ces recherches ont été assez tardives, sinon entreprises par des étrangers ?

Le contexte de l'époque et les diverses contraintes obligeaient les premiers chercheurs nationaux à redouter d'adhérer à ce genre d'études et à vulgariser au public le contenu de ce type de musique. Il a donc fallu attendre plusieurs décennies pour que le Maroc s'ouvre sur ce répertoire.

Vous venez de parler d'une interaction musicale entre les deux communautés. Pouvez-vous nous tracer brièvement les contours de ce patrimoine musical ?

Les pays du Maghreb appartiennent aux mêmes origines, à la même civilisation et ont connu un processus culturel similaire. Plusieurs variantes de leur patrimoine artistique commun sont issues de la même source, celle que l'on désigne communément par musique andalouse. Ainsi le Maâlouf est répandu en Tunisie, le Gharnati est enraciné principalement en Algérie, alors que la musique dite « al-âla » ou globalement andalouse est accolée exclusivement au Maroc. En effet, l'association de la musique andalouse au Maroc émane d'une vérité historique incontestable, découlant de sa situation au nord-ouest du continent africain, et de sa proximité du pays andalou. Par conséquent, notre pays était naturellement enclin de voir sa musique étroitement influencée par l'apport artistique de la masse des Andalous qui y avaient pris refuge. Au fil des temps, la culture andalouse de ses différentes composantes s'était propagée par le biais de la tradition orale et s'était implantée particulièrement dans les principales villes historiques comme Tétouan, Fès, pendant que les villes de Rabat et Oujda avaient adopté un genre spécial du répertoire andalou célèbre en Algérie, à Tlemcen et Alger, et qu'on avait convenu de qualifier de Gharnati. Les musiques andalouse et ghanatie sont enseignées dans chaque complexe culturel ou établissement scolaire dans les principales villes israéliennes.

Comment expliquer cette influence et quels sont les points de comparaison entre le gharnati et l'andalou?

Le gharnati fut probablement introduit au Maroc par certains juifs maghrébins et quelques familles algériennes installées à Rabat à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, les relations de Tlemcen avec Fès n'avaient jamais cessé. Aussi serait-il mal approprié de parler de la musique gharnatie au Maroc sans la rattacher à son aire plus large, qui s'étend à l'Algérie qui lui a offert les raisons de son épanouissement et de son développement, ainsi que toutes les conditions de pérennité et de vitalité.

Par ailleurs, les deux musiques appartiennent à la même source artistique. Cette catégorie de musique académique est caractérisée par une structure bien bâtie, obéissant aux règles et aux critères de la nouba, connue chez les musiciens par les partitions composées d'une série d'ordonnances vocales et instrumentales, dont chacune est construite selon un mode unique. Autrement dit, il s'agit d'une trame musicale composée selon un mode spécial et exécutée selon une manière marocaine qui consiste en sa fragmentation en pièces successives, en harmonie avec l'ordre instrumental.

De quoi se compose-t-il ?

L'ensemble instrumental de l'orchestre de musique andalouse typique se compose d'un Rebab (vièle monoxyle à deux cordes) tenu généralement par le chef, d'une debouka (tambour-calice) pour assurer le rythme avec le târ (petit tambour à cymbalettes et d'autres instruments principaux, tels que le luth (oûd), le violon (kamân), et plus récemment le qanoun. Lors du jeu de musique, les instrumentistes ne sont pas restreints à assurer une unité phonique ferme. Il s'en suit une hétérophonie spontanée qui fait partie du style de la nouba marocaine. Contrairement à la musique gharnatie, elle ne traduit pas dans la nouba une défaillance dans le jeu et l'interprétation.

Quelles sont les empruntes des juifs maghrébins sur la musique andalouse et sur la qsida ?

Les juifs maghrébins qui ont excellé et innové dans le domaine se distinguent par l'assiduité, l'esprit d'opiniâtreté et d'investigation profonde. Ils ont sauvegardé, restauré et enrichi cet art et l'ont propagé au-delà de son aire le Rabbin David Bou Zaglou, le Rabbin David Ben Barukh connu sous le nom de David Iflah, David Kaïm El Fassi, Josèph Banon, Melloul, Haroun El Mesfioui, sont considérés comme les pionniers en matière d'art andalou. La musique gharnatie qui constitue à côté de la musique andalouse l'un des piliers du patrimoine musical classique du Maroc a connu une grande participation des juifs qui l'ont enrichie. On trouve à leur tête Youssef Eni Bel Kherraia, Madame Marie Soussan, Lebradi dite Sassi, Fifiné, Edmond Yafil dit chbab, Renette al Ouahrania…

L'art gharnati était en pleine apogée à Rabat lorsqu'un nom commençait à se faire connaître, celui de Samy el Maghribi dont le vrai nom est Salomon Amzallag. Sa méthode d'apprentissage des chansons ne se limitait pas à la technique d'écoute seulement, mais elle consistait au préalable à écrire les poèmes et zajal et à les mettre en ordre et les retoucher.

La musique gharnatie répandue dans le milieu des juifs et des catégories aisées des musulmans, comporte douze noubas complètes : Addhil, al Moujannba, Al Houcine, Ar Raml, Raml Al Maya, al Ghrib, Aidane, Sika, Ar Rasd, Al Mazmoun, Rasd ad dhil, Al Maya.

Cheikh Zouzou, à la fois compositeur, auteur, et interprète, est un spécialiste de la chanson du Malhoune. Par ailleurs, les juifs d'Afrique du Nord et ceux du Maroc en particulier, ont contribué étroitement à l'enrichissement des différents aspects artistiques : musique andalouse, Ghanati, Qsida, Malhoune, Haouzi, chanson populaire et moderne, qu'il serait impossible de les citer tous, vu leur grand nombre.

Peut-on dire que ce patrimoine musical est une preuve d'une symbiose religieuse entre musulmans et juifs ?

Je dirais plutôt que le Maroc a toujours connu cette parfaite cohabitation des trois religions monothéistes. Les juifs et musulmans marocains ont toujours vécu ensemble avec convivialité et tolérance. Je me souviens qu'enfant j'accompagnais ma mère à des cérémonies et des fêtes de familles juives.

C'est d'ailleurs à ce moment-là qu'est né mon intérêt pour ce genre de musique que j'ai pu développer par la suite en constituant une collection d'écrits, disques, de cassettes… Les deux communautés ont vécu dans le cadre d'une interprétation culturelle et une interaction perpétuelle. Il va de soi que les influences dans les domaines musicales soient réciproques. El Maalem Ayouch Moal a même composé une qsida où il chantait les mérites du Prophète, c'est une chanson qui fut diffusée par la radio et elle est classée sur la phonothèque bande magnétique n°2193 daté du 21 mars 1960.

Repère
Le docteur Mohammed El Haddaoui est historien et responsable de la cellule de recherches sur le patrimoine judéo-marocain. Il a participé à plusieurs manifestations culturelles au Maroc et à l'étranger, aux émissions radiotélévisées et à des missions de recherches dans les instituts et bibliothèques notamment en France, en Israël, en Espagne, en Egypte et en Turquie.

Il a préparé une thèse sur « La symbiose judéo-arabe au Maroc ». Il publie en 1980 son ouvrage « Contribution des juifs à la culture marocaine : Samy el Maghribi et sa production artistique ».

Parmi ses collaborations :
-Les juifs du Maroc à travers les âges, tradition et modernité
-Chants de traverse, récital de musiques judéo-marocaines, 1999.



Propos recueillis par Nadia Ziane | LE MATIN

Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter






DAFINA


Copyright 2000-2024 - DAFINA - All Rights Reserved