Cannes : Marco Bellocchio pourfend l’emprise de l’Église catholique
COMPÉTITION – En 1858, les autorités pontificales enlèvent un enfant juif qui a été baptisé en douce. De ce scandale mondial, Marco Bellocchio tire un récit puissant, alternant humour grinçant et scènes déchirantes.
Le nouveau film de Marco Bellocchio narre l’arrachement d’un enfant juif, Edgardo Mortara, à sa famille par les brigades du pape-roi, en 1858.
Par Marie Sauvion
De l’assassinat d’Aldo Moro, trauma transalpin « jamais cicatrisé », Marco Bellocchio a tiré un film passionnant (Buongiorno, notte, 2003) et une série magistrale (Esterno notte, 2022). Autre époque, autre rapt, autre séisme national, L’Enlèvement (Rapito, en VO), en lice pour la Palme d’or, narre l’arrachement d’un enfant juif à sa famille par les brigades du pape-roi, en 1858. Baptisé en douce par une servante inquiète du salut de son âme, Edgardo Mortara, 6 ans, est devenu à l’insu des siens « chrétien pour l’éternité ». Et, malgré un scandale mondial, l’otage choyé d’un Pie IX au pouvoir temporel déclinant – l’unification de l’Italie, en 1870, l’en privera définitivement, sans libérer Edgardo pour autant.
Bon pied, bel œil, le maestro, 83 ans, signe un sacré film, récit d’un lavage de cerveau qui tourne au syndrome de Stockholm. Le marmot patiemment converti en curé abandonnera la foi de sa mère (dont l’endoctrinement aimant n’est guère questionné, si ce n’est par un grand frère athée in fine) pour celle du Saint-Père. Après Le Traître (2019), en voici donc encore un, tout excusé puisque parjure mineur et sans défense.
C’est bien sûr à l’Église que Bellocchio, à jamais pourfendeur d’institutions, réserve ses piques, un procès, et même un drôle de cauchemar lorsque le pape (Paolo Pierobon, l’un des meilleurs méchants de Cannes 2023, tout en hubris onctueuse ou tonitruante) fantasme son lit cerné de rabbins venus le circoncire à son corps archi défendant. Fini de rire, en revanche, lorsqu’il reçoit pour de vrai des émissaires juifs venus plaider la cause des Mortara et contraints de ramper, littéralement, devant lui : « Je pourrais vous faire mal, très mal. Je pourrais vous forcer à retourner dans votre trou. » Et vlan pour l’amour de Dieu.
Entremêlant à nouveau l’intime et le politique, le cinéaste bâtit de captivantes scènes en miroir : la mère planquant son fils sous ses jupes pour le soustraire à ses kidnappeurs ; le pape le dissimulant sous son habit rouge pour le favoriser dans une partie de cache-cache. Comment Edgardo n’y perdrait-il pas ses repères ? Quand il ne fait pas d’humour grinçant, Bellocchio procède par mouvements musicaux, opératiques, violons à fond sur chevaux galopant dans la nuit, accents déchirants sur la mamma sommée de déguerpir ou sur le père au désespoir se frappant la tête dans un tribunal désert. Prévoir un mouchoir. Puissamment orchestrées, ces ascensions émotionnelles, imparables crève-cœur, relèvent de la manière forte de Bellocchio, à l’œuvre dans Vincere (2009) par exemple, l’histoire d’une femme folle d’amour pour le Duce qui finit internée avec les fous tout court.
Après la séduction virile du fascisme, l’emprise de l’Église, dépeinte ici dans sa beauté morbide (partout, des Christ endoloris, au point qu’Edgardo songe une nuit qu’il en décloue un) et ses rituels de soumission : parce qu’il a fait tomber Sa Sainteté dans un excès d’enthousiasme dévot, le jeune homme doit, en signe de contrition, tracer des croix sur le sol avec sa langue. Une autre chute s’annonce, celle des États pontificaux, triomphe tempéré par le regard affligé de Bellocchio sur son héros qui, jusqu’au bout, espérera convertir les siens.
L’Enlèvement, de Marco Bellocchio (Italie/France/Allemagne, 2h15). Scénario : M. Bellocchio, Susanna Nicchiarelli. Avec Paolo Pierobon, Enea Sala, Leonardo Maltese, Fausto Russo Alesi, Barbara Ronchi. En compétition. Sortie le 25 octobre.
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