Cinéma: «Les 3M, une histoire inachevée» Une ode à l’amitié au-delà de la religion
60 ans d’histoire, celle du Maroc, du Moyen-Orient, du clivage Est-Ouest
Une histoire d’amitié entre une musulmane, un juif et un chrétien
Sorti en salles le 10 avril dernier, le dernier film de Saâd Chraibi raconte l’histoire d’un trio d’amis marocains dont le prénom commence par la lettre M: Malika la musulmane, Moïse le juif et Mathieu le chrétien
Le nouvel opus, «Les 3M, une histoire inachevée»*, sorti dans les salles le 10 avril (projeté déjà en compétition officielle au dernier festival du film national de Tanger), laisse le spectateur un peu perplexe. Par la densité de l’histoire racontée, touffue de bout en bout par une avalanche d’archives, par sa longueur (2 heures), et par le choix des dialogues en français, sans sous-titrage en arabe (alors que ceux, peu nombreux, en dialecte marocain, sont systématiquement sous-titrés en français).
C’est 60 années d’histoire, celle du Maroc, du Moyen-Orient, du clivage Est-Ouest… qui sont déroulées dans ce film, à travers un trio d’amis marocains dont le prénom commence par la lettre M: Malika la musulmane (campée magistralement par Sonia Oukacha), Moïse le juif (par Younes Bouab) et Mathieu le chrétien (interprété par Ivan Gonzalez).
La fiction (coécrite par Fatima Loukili et Saâd Chraibi) les a fait naître le même jour et dans le même quartier à Casablanca, pour tisser à travers eux une histoire d’amitié et de complicité indéfectibles, malgré la religion qui les sépare. Mais cette amitié et cette complicité ont des limites quand les événements qui déchirent le monde, faits de violence politique, idéologique et militaire ont l’effet de tremblements de terre sur les trois amis, tantôt pour les réconcilier, souvent pour menacer d’effondrement cette relation humaine scellée par un serment.
On voit les images d’archives exhumées: départ des juifs du Maroc vers Israël et ailleurs, coup d’Etat militaire contre le Roi Hassan II, la guerre des 6 jours en 1967, le massacre de Sabra et Chatila au Liban, les accords d’Oslo, l’assassinat d’Ishak Rabine, l’attentat du 11 septembre en 2001… Et d’autres images encore qui s’enchaînent à l’écran jusqu’au printemps arabe, suscitant chez les trois acolytes tantôt tristesse et doute, tantôt joie et espoir. Le sionisme est là, voilà Moïse qui prend le chemin de l’exil vers Israël. La décolonisation est là, voilà Mathieu qui rentre en France.
Cette séparation est vécue non sans douleur. Et les parents des trois acolytes qui nous rappellent par leur présence dans le film le souvenir d’un passé d’entente au-delà de toute appartenance religieuse. Lévy, le père de Moïse (campé superbement par Abdelilah Ajil) et, Rachel, sa mère (interprétée par Raouia), partis vivre en Israël, regardent avec scepticisme la relation amoureuse évoluant entre leur fils de confession juive et Malika la musulmane.
De même Othmane (Said Bey), le frère de Malika, qui regarde avec ahurissement le projet de mariage entre sa sœur et Moïse, avant qu’il ne sombre, par défaut, dans l’islamisme radical. Comble de l’opportunisme, cela ne l’empêche pas de demander à sa sœur d’intercéder auprès du juif -qu’il ne porte pas dans son cœur pour lui dénicher un contrat de travail à l’étranger.
Passé idyllique
Malgré la violence des événements qui secouent le monde et qui font interroger les trois protagonistes sur le sort de cette humanité qui s’entretue, sur celui de leur amitié, maintes fois mise à l’épreuve, celle-ci finit par transcender toutes ces épreuves. Leçon moraliste? «Plutôt l’histoire personnelle qui pourra être celle de chacun d’entre nous», se défend le réalisateur.
Le film nous renvoie un regard idyllique d’un passé interreligieux glorieux, comme si les juifs, les chrétiens et les musulmans au Maroc avaient toujours vécu en symbiose et sans le moindre accroc. L’histoire des 3M pourra être regardée selon le référent de chacun, tout dépend de son âge, de sa culture, et de sa formation politique. Il pourra être suivi avec intensité et émotion par les avertis. Le réalisateur n’y a-t-il pas sacrifié la mise en scène au profit de l’événementiel?
«Je ne fais pas un film pour un public, ni grand ni petit, ça n’est pas ma préoccupation première. J’ai fait ce film pour moi personnellement, et à chacun de faire son propre jugement», souligne Saâd Chraibi.
A son actif, de grands films tels que «Femmes et femmes» qui avait battu tous les records du box-office, mais c’était il y a plus de 20 ans (1998), quand la tablette et le smartphone n’existaient pas encore, quand la salle obscure gardait encore toute sa magie. Et curieusement, cette histoire d’amitié scellée par un pacte nous rappelle justement «Femmes et femmes», interprété par quatre fleurs en pleine éclosion du cinéma marocain de l’époque (Mouna Fettou, Salima Benmoumen, Fatéma Khair et Touria Alaoui).
Parcours
Scénariste et producteur, Saâd Chraibi a réalisé de nombreux films et documentaires sur la société et l’histoire du Maroc. Il a aussi traité la condition féminine et a reçu plus de vingt prix dans les festivals nationaux et internationaux. Il a occupé la fonction de membre, puis de président de plusieurs jurys de festivals de cinéma nationaux et internationaux. De 1995 à 2015, il était secrétaire général de la chambre marocaine des producteurs de films. Il a participé à l’élaboration de plusieurs textes juridiques qui régissent le secteur cinématographique marocain.
Filmographie
2018: Les 3M Histoire Inachevée
2011: Femmes en Miroirs
2008: Islamour
2006: Déchirement
2005: Demande d’Emploi
2004: Jawhara, Fille de Prison
2002: L’Affaire Sarah T.
2000: Soif
1998: Femmes… et Femmes
1990: Chronique d’une Vie Normale
1982: Absence
1980: Paroles et expressions
1978: De la Vie d’un Village
1976: Les Cendres du Clos:
(collective direction)
Jaouad MDIDECH
Auteur: hlafriqi
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